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L’hypothèse Dieu selon Richard Dawkins: Raccourcis historiques, scientifiques et philosophiques (2/2)

Introduction

Richard Dawkins dévoile d’emblée son objectif dans le second chapitre du livre. Selon lui, l’hypothèse de Dieu comme il aime penser et qui fait l’objet de sa critique athéiste se formule comme suit « il existe une intelligence surnaturelle, surhumaine qui a délibérément conçu et crée l’univers et tout ce qu’il contient, nous autres1 ». Il lance dans un but d’opposition, cette affirmation « tout intelligence créatrice, suffisamment complexe pour concevoir quoi que ce soit, ne vient à exister qu’au terme d’un grand processus d’évolution graduelle2 ».

En fait, Dawkins dévoile ici sa principale thèse qui est celle de tous les évolutionnistes et que nous allons rencontrer dans cet ouvrage. Nous allons voir par exemple dans le chapitre suivant (dans un prochain article) les preuves de l’existence de Dieu et les arguments du penseur britannique pour les invalider comme la preuve de Saint Thomas qui se formule comme suit : il doit exister un seul moteur immobile qui provoque le mouvement céleste pour éviter régression à l’infini des causes. Selon Dawkins, il doit nécessairement y avoir une explication de l’origine du créateur : « si Dieu a créé l’univers, comment il a été créé et qui est son créateur ». C’est le nec plus ultra de l’école athéiste de Dawkins.

Mais pour le moment nous n’allons pas nous attaquer à cette thèse fondatrice de la pensée dawkinisienne. Nous allons juste aborder tout à tour les thématiques principales de cet auteur qui forment un véritable « kitsh » ou une mosaïque dont les fragments sont assez dispersés.

Le polythéisme et le monothéisme : le « mirage historique » de Dawkins

D’abord, il évoque le polythéisme pour montrer qu’il y a eu précisément une évolution des religions primitives vers le monothéisme, comme le suggère certains historiens des religions, lesquels affirment que le monothéisme des Juifs mais surtout celui des Chrétiens contient des éléments inhérents au polythéisme et que l’hypothèse Dieu s’est présentée dans l’histoire « sous plusieurs versions3 ».

« D’après les historiens de la religion, on observe une progression qui va des animismes tribaux primitifs aux polythéismes comme ceux des Grecs, des Romains et des Normands, puis aux monothéismes comme le Judaïsme et ses dérivés, le Christianisme et l’Islam4» affirme-t-il.

Cette manière de présenter le problème de l’évolution des religions est utile pour Dawkins pour montrer que l’hypothèse Dieu n’est que le fruit de l’évolution. Toutefois, nous allons démontrer qu’il n’en est rien. Depuis la préhistoire, l’homme n’a adoré qu’un seul Dieu. Se sont les intérêts des classes dominantes et l’intervention de clergés puissants qui ont dominé les sociétés en étroite collaboration avec les autorités politiques et militaires depuis l’aube des civilisations qui ont abouti à l’instauration d’idoles. Au début, plusieurs d’entre elles étaient présentées comme les représentantes tutélaires du Dieu unique. Or, le souvenir du celui-ci a été occulté durant l’antiquité pour laisser la place à plusieurs divinités organisées dans un panthéon. Il y a eu en fait une perversion et non une évolution de la religion. A partir du Dieu unique adoré par les humains depuis la nuit des temps qui a révélé à ces derniers son existence, sa parole et son enseignement, plusieurs divinités sont apparues, imposées par les puissants pour canaliser le sentiment religieux de leurs sujets et en tirer profit (dons, impôts, pèlerinages, etc.).

Il existe un véritable abîme séparant la vision de Dawkins concernant l’évolution des religions et l’archéologie préhistorique et néolithique en plein essor depuis quelques années et dont les résultats nous permettent aujourd’hui de découvrir les traces authentiques d’une « première religion » chez les plus anciens hommes du paléolithique.

Depuis la grande puissance animale qui domine la forêt des sociétés archaïques5 (dont les représentations ont été retrouvées sur les parois des cavernes répandues en Eurasie- des Pyrénées au lac Baïkal-, puissance suprême de la vie qui préside à la reproduction des espèces animales et humaines) jusqu’à ce fameux Maître des animaux6 dont le souvenir se prolonge jusqu’aux périodes historiques tardives, comme cela est attesté par l’iconographie des sceaux appartenant à la civilisation d’Harappa (entre 2200 et 1700 avant J.-C.)7, ces manifestations indiquent des croyances en en Dieu unique.

Durant la préhistoire, il y avait une religion basée sur une divinité unique même si elle symbolisait la fécondité ou la chasse étant donné les préoccupations étroites des sociétés primitives. Toutefois, les guerres, les migrations et l’emprunt de divinités étrangères ont donné naissance au polythéisme. L’apparition du monothéisme d’abord chez les Juifs avait un but précis : revenir au Dieu unique et abolir toutes les divinités qui se ont été adoptées dans les civilisations antiques (Grèce, Rome, Perse, etc.).

On ne doute pas que parmi les historiens, archéologues, philosophes, anthropologues, psychologues ou ethnologues, certaines divergences peuvent apparaître sur l’image ou la représentation que nous en faisons de cette divinité. Par exemple, ce « maître des animaux » est vraiment énigmatique. Mais on peut distinguer une ligne directrice : les iconographies assez semblables de cette entité entre plusieurs civilisations humaines reflètent l’existence d’une puissance, d’une représentation et d’une relation de dépendance entre des fidèles et un Dieu unique.

Cette continuité, qui existe entre ces représentations religieuses entre de grands espaces sur des millénaires, n’atteste pas seulement de cette première et durable « éclosion du divin » dès la préhistoire, mais nous révèle également la tentative anthropologique finalement vaine de vouloir faire précéder la croyance religieuse par le culte des esprits dont on ne saurait situer l’origine avant les temps historiques. Cette illusion est, par exemple, entretenue chez Bergson qui nous retrace cette antériorité du « monde universel des esprits » sur les « personnalités du Dieu communautaire » par un moyen qui laisse entendre l’absence totale de toute religion chez les peuples primitifs. : « Ainsi par des voies différentes mais convergentes, les esprits s’achemineront à la personnalité complète. Mais sous la forme élémentaire qu’ils avaient d’abord, ils répondent à un besoin si naturel qu’il ne faut pas s’étonner si la croyance aux esprits se retrouve au fond de toutes les anciennes religions. Nous parlerons du rôle qu’elle joua chez les Grecs : après avoir été leur religion primitive, autant qu’on en peut juger par la civilisation mycénienne, elle resta religion populaire. Ce fut le fond de la religion romaine, même après que la plus large place eût été faite aux grandes divinités importées de Grèce et d’ailleurs : le lar familiaris, qui était l’esprit de la maison, conservera toujours son importance8 »

Cette façon de voir évolutionniste que pourrait partager Dawkins a été donc remise en cause par l’archéologie religieuse. Très tôt dans l’histoire de l’humanité, plusieurs représentations d’un Dieu unique ont vu le jour. La formation des panthéons dans les civilisations égyptienne, grecque et romaine a été une perversion de la religion antique préhistorique basée sur un Dieu unique. Le point essentiel ici est que la religion préhistorique n’a pas été précédée par le culte des esprits ou l’animisme.

Depuis l’aube de l’humanité, il y a eu donc un Dieu unique. Même durant l’apogée des civilisations antiques, des mouvements spirituels ont pris le haut du pavé et qui rappelaient avec une emphase prophétique son existence. Ce fut par exemple le cas de l’Egypte vers 1353 av-JC. Le Pharaon Aménophis IV qui se donna le nom d’Akhenaton (serviteur d’Aton) mènera une lutte pour combattre le clergé polythéiste et corrompu du temple d’Amon qui détournait les offrandes destinées aux dieux à leur profit. Il a aboli donc ce clergé ainsi que le panthéon polythéiste d’Amon-Râ en imposant un « Dieu unique » appelé Aton. Mais le clergé d’Amon a pris sa revanche et détruira à la mort de ce souverain (qui fut probablement tué) cette religion du Dieu unique en restaurant le polythéisme. On voit bien ici l’étroite relation entre le polythéisme est une bureaucratie corrompue qui au fur et à mesure de l’enrichissement des civilisations, impose le polythéisme pour détourner les riches offrandes du peuple à son profit. L’initiative d’Akhenaton est un exemple vivant de la présence chez les masses d’un souvenir très fort du Dieu unique.

Peu importe que le Dieu unique fût appelé Aton ou le Maître des Animaux, il était néanmoins ce même Dieu qui sera honoré par les Juifs puis par les Chrétiens avec des succès variables. Les hommes savaient qu’il y avait un Dieu puissant, omniscient et omnipotent même s’il y avait différentes représentations. L’arrivée de l’Islam est la dernière étape du renouveau du monothéisme ancestral. L’effort d’Akhenaton a été repris par les Juifs, par les Chrétiens et par les Musulmans.

Par conséquent, lorsque Dawkins parle de l’antériorité du polythéisme sur le monothéisme, il perd de vue que le monothéisme était la religion la plus ancienne sur Terre. On retrouve le Dieu unique même chez des peuples dépourvus de civilisations comme les Mongoles (Tangri).

Le culte du Dieu unique était pratiqué aussi dans des civilisations réputées pour être non-monothéistes. Il suffit juste de creuser notre esprit loin des apparences.

Par exemple, en Perse préislamique, il y a eu des religions réputées pour être polythéistes mais en fait elles étaient éminemment monothéistes et elles étaient dotées d’un système éthique et moral similaire à celui des religions monothéistes traditionnelles.

Le Zoroastrisme avait comme Dieu unique Ahura Mazdâ qui est seul détenteur de l’omniscience et de l’omnipotence pour organiser le chaos initial. Il est également le créateur du ciel et de la Terre. Dans l’Avesta, le texte sacré des zoroastriens9, l’être humain possède une âme éternelle et le libre-arbitre pour choisir le bien ou le mal. Le bien est symbolisé par le feu et la lumière qui s’en dégage bien que la terre et l’eau devaient être également respectées. Cette religion appelle à des actions et des paroles bonnes qui sont symbolisées par la lumière inhérente à l’âme de chaque personne et qui effacent les mauvaises actions reflétées par les ténèbres qui menacent l’âme de tout homme10. Zoroastre promet une vie éternelle après la mort en admettant la résurrection des corps après trois jours qui succèdent à la mort et un jugement dont il en résulte l’entrée dans la maison des chants (le paradis) ou dans l’enfer de Nahriman. Parmi les bonnes actions, il y a la reproduction, l’agriculture et l’industrie puisqu’elles permettent au monde de régénérer. Zoroastre promet la vie éternelle au paradis pour les bonnes actions réalisées durant la vie et l’enfer pour les mauvaises actions.

Le zoroastrisme était pratiqué en Perse depuis l’antiquité (époque des Achéménides) jusqu’au Moyen-âge (règne des Sassanides de 224 à 651 date de l’arrivée de l’Islam). Il est douteux que les Musulmans qui ont conquis la Perse aient persécuté les Zoroastriens. Une grande majorité se convertirent à la nouvelle religion monothéiste « l’Islam ». Une minorité a néanmoins préféré garder son ancienne religion et a émigré en Inde, ou elle constitua ce qu’on appelle la communauté Parsi. Certains enseignements de cette religion ont survécu et ont influencé des groupes philosophiques comme les Mut’azilites durant l’époque abbasside comme le libre-arbitre des hommes pour qu’il puisse choisir entre le bien et le mal d’où leur entière responsabilité.

Par conséquent, le monothéisme est la religion-phare de l’humanité en Eurasie préhistorique et durant l’Antiquité (de l’Europe à l’Inde en passant par la Péninsule Arabique et le Moyen Orient) chez les communautés de chasseurs, d’agriculteurs et de commerçants alors que les polythéismes les plus variés se sont développées de manière épisodique dans les centres urbains. C’est pour cette raison d’ailleurs que les premiers prophètes monothéistes comme Ibrahim (QSSL) (Abraham de la Bible) sont apparus dans le désert arabique. Le désert comme le dit si bien Ernest Renan est l’environnement idéal des religions monothéistes. Ceci démontre que les intérêts des classes dominantes et des clergés des civilisations très matérialistes, urbanistiques et bureaucratiques sont tels que les polythéismes les plus structurées comme le système d’Amon-Râ en Egypte pharaonique et les triades des Dieux des peuples Indo-européens comme les Romains (Mars-Jupiter-Quirinus) n’ont pas manqué d’apparaître.

Les pontifes de Jupiter et les prêtres d’Amon-Râ ont été très riches. Même chez les Arabes préislamiques (Djahiliya), des idoles taillées sur pierre ont vite remplacé le culte monothéiste légué par Abraham (QSSL) afin de faire de la Mecque le centre des échanges commerciaux de l’Arabie. Lorsque le Prophète Muhammad (QSSL) a commencé à répondre le message de l’Islam, la tribu des Quraychites qui avait des intérêts commerciaux considérables ont tout fait pour étouffer ce message. Allah Le Très Haut adoré par le Prophète était un Dieu unique qui ne tolère aucun égal parmi la centaine de divinités dont des statues ont été placées à l’intérieur de la Qâaba. Devant les appels à la conversion, Abû Sufyân ibn Harb, l’un des chefs de la Mecque avait dit « Comment remplacer trois cents divinités par un Dieu qu’on ne voit même pas ».

Après cette mise au point, on peut voir quel raccourci historique représente les idées de Dawkins sur le polythéisme et le monothéisme « On ne sait pas bien pourquoi il faudrait considérer que le passage du polythéisme au monothéisme est une amélioration progressive qui va de soi. Or, cette idée est très répondue. Elle a amené Ibn Warraq (auteur de Why I Am Not A Muslim [Pouquoi je ne suis pas musulman]) à supposer avec humour que le monothéisme est à son tour condamné à perdre encore un dieu pour devenir l’athéisme11 ».

En fait, il n’y a pas eu de passage du tout entre le polythéisme et le monothéisme. Ce dernier est la première religion sur Terre alors que le premier est une tentative intéressée et corrompue d’un clergé ou d’une classe dominante pour préserver ses intérêts, garder le pouvoir et imposer un ordre social aussi injuste qu’artificiel. Cette tentative a d’ailleurs complètement échoué puisque le monothéisme s’est répondu dans toute l’humanité. A partir du moment où Dawkins revendique une évolution entre le polythéisme et le monothéisme, il espère en tirer profit pour réclamer une autre évolution, cette fois, entre le monothéisme et l’athéisme. Mais une telle évolution est irréalisable est illusoire puisque le monothéisme a toujours existé et il n’est pas le résultat d’une évolution. Il ne peut donc pas évoluer vers autre chose. Dawkins est finalement aveuglé par le « tout évolutionnisme », appliqué dans son livre aux religions.

Le monothéisme : fâcheuse confusion entre les religions

Dawkins s’attaque ensuite au Christianisme en tant qu’importante religion monothéiste en y décelant des traits polythéistes de manière à accréditer cette thèse d’une évolution du polythéisme. Il évoque la Trinité et la multiplication des saints dans le catholicisme. Il affirme que les mots prononcés par les Chrétiens sur l’essence divine de Dieu, du Christ et de la Trinité (le Père, le Fils et le Saint Esprit) comme sentant « l’obscurantisme caractéristique de la théologie, laquelle contrairement aux sciences et à la majorité des disciplines universitaires n’a pas progressé en dix-huit siècles12 ». Il prend prétexte de l’aspect non scientifique de ces questions pour rejeter toutes les religions. Dawkins affirme « Je m’attaque au culte surnaturel sous toutes ses formes, et la méthode la plus efficace sera de me concentrer sur la forme à laquelle mes lecteurs ont le plus de chance de s’habituer, celle qui affecte le plus dangereusement nos sociétés. La majorité de mes lecteurs auront été élevés dans l’une ou l’autre des trois « grandes » religions monothéistes actuelles (quatre si vous compter la religion mormone) qui remonte à Abraham, le patriarche mythologique13. »

Ainsi, Dawkins s’attaque au monothéisme donc aux trois grandes religions mais en les confondant sous le prétexte qu’elles dérivent de la religion d’Abraham (QSSL). Il ignore peut-être que dans le Coran, la Trinité et la divinisation de Jésus (QSSL) ont été abordés et réfutés. Voici les versets qui réfutent clairement la Trinité : « Ce sont, certes, des mécréants ceux qui disent : « En vérité, Allah c’est le Messie, fils de Marie. » Alors que le Messie a dit : « Ô enfants d’Israël, adorez Allah, mon Seigneur et votre Seigneur ». Quiconque associe à Allah (d’autres divinités) Allah lui interdit le Paradis ; et son refuge sera le Feu. Et pour les injustes, pas de secoureurs ! 73. Ce sont certes des mécréants, ceux qui disent : « En vérité, Allah est le troisième de trois. » Alors qu’il n’y a de divinité qu’Une Divinité Unique ! Et s’ils ne cessent de le dire, certes, un châtiment douloureux touchera les mécréants d’entre eux. 74. Ne vont-ils donc pas se repentir à Allah et implorer Son pardon ? Car Allah est Pardonneur et Miséricordieux14 ».

Dans d’autres versets coraniques, on découvre que la Trinité a été rejetée par Jésus lui-même (QSSL) « 116. (Rappelle-leur) le moment où Allah dira : « Ô Jésus, fils de Marie, est-ce toi qui as dit aux gens : « Prenez-moi, ainsi que ma mère, pour deux divinités en dehors d’Allah ? » Il dira : « Gloire et pureté à Toi ! Il ne m’appartient pas de déclarer ce que je n’ai pas le droit de dire ! Si je l’avais dit, Tu l’aurais su, certes. Tu sais ce qu’il y a en moi, et je ne sais pas ce qu’il y a en Toi. Tu es, en vérité, le grand connaisseur de tout ce qui est inconnu. 117. Je ne leur ai dit que ce Tu m’avais commandé, (à savoir) : « Adorez Allah, mon Seigneur et votre Seigneur ». Et je fus témoin contre eux aussi longtemps que je fus parmi eux. Puis quand Tu m’as rappelé, c’est Toi qui fus leur observateur attentif. Et Tu es témoin de toute chose. 118. Si Tu les châties, ils sont Tes serviteurs. Et si Tu leur pardonnes, c’est Toi le Puissant, le Sage ». 119. Allah dira : « Voilà le jour où leur véracité va profiter aux véridiques : ils auront des Jardins sous lesquels coulent les ruisseaux pour y demeurer éternellement. » Allah les a agréés et eux L’ont agréé. Voilà l’énorme succès. 120. A Allah seul appartient le royaume des cieux, de la terre et de ce qu’ils renferment et Il est Omnipotent15 ».

Ces versets montrent que ce problème de la Trinité a été l’un des plus difficiles et les plus problématiques de la religion chrétienne. En fait, Jésus (QSSL) est le messager de Dieu alors que le Saint-Esprit est un ange protecteur et sage qui a été envoyé par Allah Le Très Haut pour le protéger. Dans l’absolu, il n’y a donc aucune Trinité. Pourtant, lors du 1er concile œcuménique de la chrétienté qui s’est réuni à Nicée en 325, le « Fils » a été considéré comme consubstantiel au Père, c’est-à-dire de même nature que lui. Lors du Concile de Chalcédoine en 451, il a été déclaré qu’il fallait assimiler les notions latines de substance et de personne à celles d’essence (ousia) et d’hypostase (hupostasis), et que Jésus-Christ, Dieu fait homme, réunit en une seule personne les deux natures, « sans confusion », « sans changement », « sans division », « sans séparation ».

N’oublions pas que le problème de la Trinité est le résultat de deux éléments importants : le premier a trait à la forte tentation des croyants de diviniser un messager à sa mort. Dans le cas de Jésus (QSSL), cette tentation a pris le haut du pavé de son vivant en raison de ses miracles et de sa merveilleuse et spirituelle parole.

Même les Musulmans ont été tentés de diviniser le Prophète Muhammad (QSSL) si ce n’est la sagesse et la grandeur d’âme de son plus fidèle compagnon, Abu Bakr et les enseignements salvateurs du Coran. A la mort du Prophète, Omar ibn Al-Khâtab, son illustre compagnon a dit « Celui qui affirme que le Prophète est mort, je le tuerai avec mon épée. Il a été élevé au Ciel comme Jésus » C’est alors qu’Abou-Bakr a dit « Pour celui qui adore Muhammad, Muhammad est mort. Quant à celui qui adore le Dieu de Muhammad, alors le Dieu de Muhammad est vivant et il ne meurt jamais » et il a cité ce verset du Coran « Muhammad n’est qu’un messager – des messagers avant lui sont passés – S’il mourait, donc, ou s’il était tué, retourneriez-vous sur vos talons ? Quiconque retourne sur ses talons ne nuira en rien à Allah ; et Allah récompensera bientôt les reconnaissants16 ».

En plus, l’Islam n’a pas été influencé par d’autres cultures qui incitent à la divinisation comme la culture grecque, romaine et chaldéenne s’agissant de Dieu et de son prophète dans la théodicée et la tradition prophétique.

Dans l’histoire de l’Islam il y a eu juste eu une influence de la philosophie grecque sur la théologie dans son versant rationaliste mais non sur la théodicée et la tradition prophétique. En revanche, nous pouvons observer que la religion chrétienne, telle que nous l’observons aujourd’hui, n’est que le résultat entre trois éléments : la religion juive, la civilisation romaine et la philosophie grecque comme le disait l’éminent historien du christianisme, Rudolf Bultmann17. Cette influence triangulaire s’est exercée même sur l’histoire de Jésus (QSSL). Ce qui ne fut pas le cas dans l’Islam. La vie du prophète a été racontée par ses compagnons et par les historiens telle qu’elle fut, alors que celle de Jésus recèle des mythes et des légendes comme le reflètent les difficultés qu’éprouvent les historiens de la chrétienté pour découvrir ce qu’a été réellement ce qu’ils appellent le « christianisme primitif », c’est-à-dire la véritable vie de Jésus (QSSL).

Cette influence triangulaire sur le christianisme se dévoile dans le dépassement de la révélation au peuple juif de l’existence et de l’unicité de Dieu (Ancien Testament) en lui ajoutant dans le Nouveau Testament les notions de Père, du Fils et du Saint-Esprit. Ensuite, le cadre de la pensée grecque intervient pour considérer le Fils (Jésus-Christ) comme l’incarnation du Verbe de Dieu. Le Saint-Esprit qui dans la réalité historique n’était qu’un ange envoyé par Dieu est devenu l’« Esprit de Dieu » ou le « Souffle de Dieu ». Durant les conciles de la Chrétienté, les notions d’essence et d’hypostase (inspirées du philosophe grec Plotin) ont été introduites dans le dogme de la Trinité.

Il y a aussi les révélations bibliques comme celui qui concerne l’annonciation qui fait dire à l’archange Gabriel « Le Saint Esprit viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre. C’est pourquoi l’enfant qui naîtra de toi sera appelé Fils de Dieu ». Il y a aussi le témoignage de Jean-Baptiste durant le baptême du Christ. Il est écrit dans la Bible « … Le Saint Esprit descendit sur lui sous une forme corporelle, comme une colombe. Et une voix fit entendre du ciel ces paroles : Tu es mon Fils bien-aimé ; en toi j’ai mis toute mon affection. ». En fait, tout ce que Jean-Baptiste a dit se sont ces mots : « J’ai vu l’Esprit descendre du ciel comme une colombe et s’arrêter sur lui. ». Or, ces mots ne veulent pas dire que Jésus (QSSL) soit le Fils de Dieu.

Dans le Coran, Dieu dit « 16. Mentionne, dans le Livre (le Coran), Marie, quand elle se retira de sa famille en un lieu vers l’Orient. 17. Elle mit entre elle et eux un voile. Nous lui envoyâmes Notre Esprit (Gabriel), qui se présenta à elle sous la forme d’un homme parfait.18. Elle dit : « Je me réfugie contre toi auprès du Tout Miséricordieux. Si tu es pieux, [ne m’approche point]. ».19. Il dit : « Je suis en fait un Messager de ton Seigneur pour te faire don d’un fils pur ».20. Elle dit : « Comment aurais-je un fils, quand aucun homme ne m’a touchée, et que je ne suis pas prostituée ?».21. Il dit : « Ainsi sera-t-il ! Cela M’est facile, a dit ton Seigneur ! Et Nous ferons de lui un signe pour les gens, et une miséricorde de Notre part. C’est une affaire déjà décidée18».

Dans ses versets, il n’est pas fait allusion à la notion de Fils de Dieu mais seulement à la naissance de Jésus (QSSL) en le considérant comme un signe pour les gens et une miséricorde. Il occupe une grande place parmi les prophètes et les messagers de Dieu mais il ne fut pas le Fils de Dieu et il nous le dit lui-même comme le montre les versets que nous avions cités en haut.

Au-delà de l’influence triangulaire sur le christianisme, il y a aussi l’attrait exercé par les miracles de Jésus. Or, dans le Coran, il est expliqué que ces miracles ont été en fait provoqués par la puissance divine qui a brisé les lois physiques et le principe de causalité afin de fortifier la confiance des gens à propos du message divin. Dans le Coran, le mot « permission » a été utilisé à plusieurs reprises concernant les miracles. Regardons de près ce que Dieu nous en dit : « 110. Et quand Allah dira : « Ô Jésus, fils de Marie, rappelle-toi Mon bienfait sur toi et sur ta mère quand Je te fortifiais du Saint-Esprit. Au berceau tu parlais aux gens, tout comme en ton âge mûr. Je t’enseignais le Livre, la Sagesse, la Thora et l’évangile ! Tu fabriquais de l’argile comme une forme d’oiseau par Ma permission ; puis tu soufflais dedans. Alors par Ma permission, elle devenait oiseau. Et tu guérissais par Ma permission, l’aveugle-né et le lépreux. Et par Ma permission, tu faisais revivre les morts. Je te protégeais contre les Enfants d’Israël pendant que tu leur apportais les preuves. Mais ceux d’entre eux qui ne croyaient pas dirent : « Ceci n’est que de la magie évidente19« . C’est donc Dieu qui a provoqué le processus non causal sous-jacents à ces miracles.

Ainsi, le Christianisme et l’Islam diffèrent substantiellement sur la vérité de ce qui s’est passé réellement dans la vie de Jésus (QSSL). D’abord, les deux religions ne sont pas tombées d’accord sur la divinisation de Jésus et sur l’existence ou pas de la Trinité et sur les miracles de ce messager. C’est une différence à la fois ontologique (la vérité historique des évènements) et épistémologique (sur notre compréhension de ces évènements). Dawkins aime décrire certains dogmes de la religion chrétienne comme polythéistes. C’est éminemment le cas de la Trinité. Toutefois, l’Islam comme religion monothéiste est dépourvu de ces dogmes puisqu’il rejette la Trinité et raconte l’histoire véridique de Jésus (QSSL) comme l’un des grands messagers de Dieu et non comme le Fils de Dieu.

On peut également considérer que les histoires sur les guerres livrées par le peuple d’Israël contre les peuplades du Proche-Orient comme les Malékites, les Philistins et les Assyriens et qui ont été racontées dans l’Ancien Testament, notamment celles qui montrent les exploits des guerriers juifs mais aussi un Dieu combattant aux côtés des soldats et qui ont fait dire à Dawkins que le Dieu des Juifs est « cruel » et « Déplaisant » comme des cas particuliers au Livres saints des Juifs et qui n’ont pas été confirmées dans le Coran.

Par exemple, dans le Livre des Juges, Samson, animé de l’esprit de Yahvé tue mille Philistins avec une mâchoire d’âne20. Mais ce qui est plus problématique, est que Yahvé devient lui-même un combattant ou un Dieu guerrier. Il terroriste le camp de Sisera21. Dans le livre de Josué, il lance de grandes pierres contre les ennemis d’Israël lors de la bataille de Gabaon22 et « arrête » le soleil et la lune, pour aider les combattants israélites23. Les Chrétiens n’ont pas reconnu dans ces manifestations belliqueuses, le Dieu de Jésus24.

Cette différence de perception et ces divergences entre les Chrétiens et les Juifs ont été abordées dans le Coran de la manière suivante : « 113. Et les Juifs disent : « Les Chrétiens ne tiennent sur rien » ; et les Chrétiens disent : « Les Juifs ne tiennent sur rien », alors qu’ils lisent le Livre ! De même ceux qui ne savent rien tiennent un langage semblable au leur. Eh bien, Allah jugera sur ce quoi ils s’opposent, au Jour de la Résurrection25 ».

Dans le Coran, il est évoqué l’arrivée des Juifs dans la Terre Sainte qui leur a été accordée par Allah Le Très Haut et leur refus de combattre mais aussi les guerres livrées par Talut et David (QSSL). « 246. N’as-tu pas sur l’histoire des notables, parmi les enfants d’Israël, lorsqu’après Moïse ils dirent à un prophète à eux : « Désigne-nous un roi, pour que nous combattions dans le sentier d’Allah ». Il dit : « Et si vous ne combattez pas, quand le combat vous sera prescrit ? » Ils dirent : « Et qu’aurions-nous à ne pas combattre dans le sentier d’Allah, alors qu’on nous a expulsés de nos maisons et qu’on a capturé nos enfants ? » Et quand le combat leur fut prescrit, ils tournèrent le dos, sauf un petit nombre d’entre eux. Et Allah connaît bien les injustes26». « 250. Et quand ils affrontèrent Goliath et ses troupes, ils dirent : »Seigneur ! Déverse sur nous l’endurance, affermis nos pas et donne-nous la victoire sur ce peuple infidèle .251. Ils les mirent en déroute, par la grâce d’Allah. Et David tua Goliath ; et Allah lui donna la royauté et la sagesse, et lui enseigna ce qu’Il voulut. Et si Allah ne neutralisait pas une partie des hommes par une autre, la terre serait certainement corrompue. Mais Allah est Détenteur de la Faveur pour les mondes27 ».

Dans ces versets, on découvre un certain réalisme historique alors que dans les Livres de José et des Juges, les rédacteurs ont ajouté leurs commentaires dans le récit biblique en donnant libre court à leur propre imagination et à leurs croyances et non à la vérité historique. Cette propension des rédacteurs bibliques à écrire eux-mêmes la Bible a été racontée par le Coran. Voici donc les versets qui le démontrent « 76. – Et quand ils rencontrent des croyants, ils disent : « Nous croyons » ; et, une fois seuls entre eux, ils disent : « Allez-vous confier aux musulmans ce qu’Allah vous a révélé pour leur fournir, ainsi, un argument contre vous devant votre Seigneur ! Êtes-vous donc dépourvus de raison ? 77. – Ne savent-ils pas qu’en vérité Allah sait ce qu’ils cachent et ce qu’ils divulguent ? 78. Et il y a parmi eux des illettrés qui ne savent rien du Livre hormis des prétentions et ils ne font que des conjectures. 79. Malheur, donc, à ceux qui de leurs propres mains composent un livre puis le présentent comme venant d’Allah pour en tirer un vil profit ! – Malheur à eux, donc, à cause de ce que leurs mains ont écrit, et malheur à eux à cause de ce qu’ils en profitent !28 »29.

En guise de conclusion, on peut dire que la grille d’analyse de Dawkins sur les religions monothéistes est infondée, partiale et représente un parti pris athéiste contre le monothéisme en tant que tel sans faire de différence entre les trois religions monothéistes. Il met toutes les religions monothéistes dans le même sac. Or, il devait donner ses arguments sur chaque religion à part et non en bloc. Si Dawkins a quelque chose à reprocher au christianisme, c’est-à-dire son accusation en matière de polythéisme dont cette religion serait caractérisée, on ne peut pas s’empêcher de penser la chose suivante : en quoi l’Islam est concerné, lui qui a réfuté la Trinité ? Dawkins ne pouvait pas répondre à cette question parce que son attaque contre le monothéisme n’est pas basée sur des arguments impartiaux, objectifs et analytiques.

Cette tendance à aborder le problème des religions de manière « cavalière » et « superficielle » l’a amené à s’interroger sur la présence du religieux dans certains pays qui semble pour lui lui d’autant plus « anachronique » et inexplicable que ces pays sont à la fois démocratiques et cosmopolites. Le cas des Etats-Unis est pour lui étonnant et paradoxal.

Question transversale : l’état de la religion aux Etats-Unis et l’opportunisme de Dawkins

Après avoir emprunté le chemin sinueux de la critique du monothéisme dont on a examiné ses limites aussi bien sur le plan religieux qu’historique à travers l’examen des livres sacrés, Dawkins donne son point de vue sur l’état des religions dans le monde. Là, il ne parle pas beaucoup des pays où l’athéisme s’est développé considérablement comme la France et le Royaume-Uni.

Ce qui le dérange surtout c’est la forte religiosité aux Etats-Unis et il nous explique que la droite américaine qui prend appui sur le déisme des Pères fondateurs de l’Amérique oublie que ces derniers n’étaient pas vraiment déistes mais sécularistes. Il donne l’exemple du traité entre les Etats-Unis et Tripoli de 1797 dans lequel il est affirmé que le gouvernement des Etats-Unis n’est pas fondé sur la religion chrétienne30. Il rappelle également que Thomas Jefferson, l’un des fondateurs de la nation américaine était antichrétien 31 et que James Madison était anticlérical.

Dawkins s’interroge ensuite « On a souvent attiré l’attention sur ce paradoxe que les Etats-Unis qui étaient fondés sur le laïcisme, sont maintenant le pays le plus dévot de toute la chrétienté alors que l’Angleterre où l’Eglise anglicane…compte parmi les moins dévots32. »

Cette question de la religiosité contemporaine aux Etats-Unis qui contraste, selon Dawkins, avec l’athéisme ou le sécularisme des pères fondateurs reflète les raccourcis historiques et religieux de cet auteur auxquels il recoure souvent. Si Dawkins aborde la question de l’existence de Dieu, son point de vue athéiste devrait être une question de principe et non opportuniste. Peu importe que des pays entiers soient dévots ou athéistes, sa position sur Dieu devrait relever de la science puisqu’il prétend s’appuyer sur les enseignements de l’école darwinienne. En fait, cette réflexion sur les Etats-Unis est vraiment opportuniste et même politique. Il y a des pays occidentaux importants comme la France et le Royaume-Uni qui comptent de très forts groupes athéistes. Pourtant, il n’en parle pas vraiment comme si le triomphe de l’athéisme dans ces pays représente un acquis et qu’il serait bon de ne pas mentionner afin de dissimuler son parti-pris athéiste qui est manifestement non-scientifique mais plutôt idéologique.

Pourtant dans un pays comme la France, la révolution française a eu un impact historique considérable sur l’état de la religion chrétienne tellement les mesures anticléricale et anti-chrétiennes ont été radicales et oppressives (massacres des prêtres, fermeture des églises, démolition des clochers, suppression du calendrier grégorien et son remplacement par le calendrier républicain, l’instauration des fêtes civiques, etc.). Mais cette tendance n’est pas aujourd’hui très visible en raison du poids de la laïcité en France. Il en est de même en Russie où la révolution communiste s’est accompagnée d’une destruction de l’orthodoxie chrétienne bien que la fin du communisme se soit accompagnée d’une résurgence de cette religion.

Concernant les Etats-Unis, l’arrivée de groupes d’immigrants aspirant à trouver un refuge, la séparation entre l’Eglise et l’Etat, la liberté religieuse, la guerre froide contre le communisme ont été des facteurs qui ont contribué à l’essor de la religion dans ce pays. De toutes les manières, peu importe l’état de la religion dans un pays, la question de l’athéisme ou du théisme sont des questions de principe qui ne dépendent pas du nombre de fidèles. Après tout, la science cherche la vérité. Il en est de même de la religion. La vérité et une est indivisible. Ceci nous amène à sortir de ce sujet transversal et peu fécond sur le plan intellectuel et revenir au débat scientifique et philosophique.

L’agnosticisme et le non-empiètement des magistères (NOMA) : les impasses intellectuelles de Dawkins

Dawkins tente de démanteler les arguments en faveur de l’existence de Dieu mais en empruntant un chemin indirect et nettement philosophique. Il tente d’enlever les derniers garde-fous qui permettent de prouver l’existence de Dieu afin d’aborder sa thèse athéiste en usant de prétendues preuves faisant appel à la science. Il commence donc par critiquer l’agnosticisme qui permet d’éviter la question en considérant qu’il est impossible de trancher la question de l’existence de Dieu par faute de preuves. Ce qui est étrange avec l’agnosticisme c’est qu’il prétend être d’essence scientifique puisqu’il refuse d’admettre qu’il y a une preuve qui permet de déterminer l’existence de Dieu.

Mais Dawkins crée une ligne de démarcation entre deux types d’agnosticisme : le premier est provisoire et il est basé sur l’absence provisoire de preuves. Quand au second type d’agnosticisme, il est appelé « définitif » et il est basé sur l’absence définitive de preuves. Dawkins tente de placer la question de l’existence de Dieu dans la première catégorie en utilisant le langage des probabilités. « Ce qui importe, ce n’est pas si Dieu est réfutable (il ne l’est pas), mais si son existence est probable33 » disait-il. Selon lui, la question de l’existence de Dieu est une question scientifique, c’est-à-dire qu’on peut trancher l’incertitude en trouvant des preuves même si celles-ci ne sont pas encore disponibles. En fait, Dawkins a emprunté cette idée de David Hume et elle se résume comme suit « Peut-être qu’il sera possible, un jour, de savoir si Dieu existe ou nom. Les éléments dont nous disposons à l’heure actuelle sont encore insuffisants, mais l’on peut espérer que des preuves indiscutables et scientifiquement établies seront un jour acquises ».

Toutefois Dawkins n’est pas prêt à accepter le vrai agnosticisme qui n’est pas synonyme d’athéisme mais au contraire d’une croyance bien construite et bien fondée.

David Hume disait « …être un sceptique philosophe est, chez un homme de lettres, le premier pas et le pas le plus essentiel vers l’état de vrai croyant et de vrai chrétien »34. Pascal aussi a promu un agnosticisme comme point de départ de sa foi chrétienne. Ces deux grands philosophes ont développé une pensée qui est l’antithèse de l’œuvre dawkinisienne. D’abord, l’existence de Dieu ne peut pas être démontrée, selon ces philosophes, seulement sur un plan rationnel. Se sont les faits d’expérience et l’histoire qui sont nos meilleurs atouts, ont-ils précisé.

L’autre problème avec l’agnosticisme de Dawkins c’est qu’il prétend que l’existence de Dieu pourrait être tranchée scientifiquement et rationnellement. Or, ce que Hume et Pascal ont démontré est que cette question dépasse les limites de la raison humaine. Ce qui est possible d’admettre c’est que Dieu ne peut pas être connu seulement par des considérations rationnelles qui sont incapables de nous faire découvrir certains attributs de Dieu en nous épargnant de l’anthropomorphisme et de l’ignorance. Par ailleurs, combien même Dawkins aurait raison en considérant que l’existence de Dieu est une question scientifique, il convient de préciser deux choses : s’il cherche en usant de cette tactique à réfuter l’existence de Dieu a priori et d’emblée, sa démarche serait donc biaisée et non scientifique dès le départ. S’il ne se refuse pas à admettre les preuves de son existence, alors il aboutit au déisme, c’est-à-dire à une existence divine qui ne peut être comprise que rationnellement. Ce ne serait pas alors le Dieu des religions monothéistes. Par conséquent, son agnosticisme est une impasse intellectuelle à la fois pour la science et la religion.

Dawkins s’attaque ensuite au principe du « NOMA » (de l’anglais : Non-Overlapping Magisteria, non-recouvrement des magistères) qui « prône le respect mutuel, sans empiètement quant aux matières traitées, entre deux composantes de la sagesse dans une vie de plénitude : notre pulsion à comprendre le caractère factuel de la Nature (c’est le magistère de la Science), et notre besoin de trouver du sens à notre propre existence et une base morale pour notre action (le magistère de la Religion)35 ».

Il y a quelque chose de respectable dans ce vœu philosophique de concilier la raison et la foi en leur aménageant des espaces différents et dont les frontières sont infranchissables par les acteurs des deux domaines.

Dakins n’aime pas du tout ce vœu, lui qui veut enlever à la religion toute prétention au savoir. Voici ce qu’il en dit « A en croire ce cliché fastidieux (et qui à la différence de beaucoup d’autres n’est même pas vrai), la science s’occuperait du comment [en italiques dans le texte] alors que la seule théologie aurait les moyens de répondre au pourquoi. Au nom du ciel, que peut bien être une question pourquoi [en italiques dans le texte] ? Les questions qui commencent par « pourquoi » ne sont pas toutes valables36 ».

« Mais si la science ne peut pas répondre à une telle question fondamentale, qu’est ce qui donne à penser que la religion puisse y répondre ? Les théologiens n’ont rien d’intéressant à dire sur rien ; jetons-leur un os à ronger, qu’il se cassent les dents sur une ou deux questions auxquelles personne ne peut et ne pourra peut-être jamais répondre » a-t-il ajouté.

« …Mais est-ce que Gould veut vraiment concéder à la religion le droit de nous dire ce qui est bien et ce qui est mal ? Ce n’est pas parce qu’elle n’a rien d’autre à apporter à la sagesse humaine qu’il faut lui donner le droit de nous dire en toute liberté ce que nous devons faire »

Mais ce que Dawkins a de plus important à nous dire sur le NOMA est résumé dans ses lignes « Quoi que cela puisse être, on est très loin du NOMA. Et quoi qu’il puisse dire par ailleurs, les scientifiques qui souscrivent à l’école de pensée des « magistères séparés » devraient admettre que l’univers qui possède un créateur surnaturel et intelligent et très différent de celui qui n’en a pas…..La présence ou l’absence d’une super-intelligence créatrice est sans équivoque une question scientifique….Il en va de même pour la vérité et la fausseté de chacun des récits des miracles sur lesquels se fondent les religions pour impressionner les foules de croyants…Est-ce que Jésus avait un père humain, ou est-ce que sa mère était vierge au moment de sa naissance ?….Est-ce que Jésus a ressuscité Lazare d’entre les morts ? Lui-même était-il redevenu vivant trois jours après avoir été crucifié ? Il y a une réponse à chacune de ces questions et…elle est strictement scientifique37 ».

Au-delà du fait que Dawkins veut enlever à la théologie et à la religion toute dimension cognitive et intellectuelle en considérant que le NOMA n’est qu’un refuge pour les théologiens mais qui n’est rien d’autre qu’une lâcheté intellectuelle puisqu’il n’y a rien dans ce monde et dans l’histoire de l’humanité et même dans l’existence divine qui échapperait aux pouvoirs de la science.

On peut tout aussi bien se dispenser du NOMA en le considérant comme un terrain de repli pour les théologiens qui subissent de toutes parts les assauts des scientifiques et des philosophes athées. En vérité, il n’y a aucune ligne de démarcation entre science et théologie.

Les deux domaines ont interagi dans l’histoire et des idées théologiques ont été reprises par les scientifiques comme par exemple, le principe orphique de la pluralité des mondes qui remontre aux Grecs et qui permet à la théorie copernicienne de devenir plus profonde.

L’astronomie moderne énonce que la matière dont sont composées les planètes et les étoiles sont de même nature que celle de la Terre. Cette idée a été empruntée de l’orphisme qui est une forme de religion philosophique d’origine grecque. Il y a aussi le concept d’ordre divin de la nature qui est le fondement de la physique galiléenne. Pour Galilée, les mathématiques sont le langage de la nature tel que Dieu l’a décidé. Descartes assimile la certitude des mathématiques à la certitude divine.

Alexandre Kojève affirme que c’est le dogme de l’incarnation qui a favorisé la naissance de la physique mathématique dans le monde chrétien. Selon lui, « …La possibilité pour le Dieu éternel d’être réellement présent dans le monde temporel ou nous vivons nous-mêmes, sans déchoir pour autant de son absolue perfection38 » permet de concevoir des relations éternelles entre des entités mathématiques dont la réalisation n’était possible dans le monde païen grec qu’aux corps célestes éthérés (Platon avec le Timée ou Aristote).

C’est grâce à la religion que la science s’est développée dans les
mondes chrétien et musulman. Dans la Bible et le Coran, le monde est représenté comme la matérialisation d’une histoire transcendante qui s’articule autour de la création, de l’évolution de l’Univers selon les lois divines, sa destruction à la fin de temps puis enfin la résurrection de l’humanité. Dans ce processus surnaturel, le monde n’existe pas par lui-même39. Le monde nécessite donc pour son fonctionnement et son apparition, non seulement l’occurrence des entités physiques mais également et surtout l’action de Dieu.

Une autre question surgit : si pour Dawkins la science dépasse la religion pour expliquer le monde et que même des questions éminemment religieuses doivent être résolues par la science, quelle serait donc finalement le critère de la science ? Si c’est l’explication du monde, alors la religion possède sa propre explication et rien ne peut distinguer les deux mondes. Si c’est la falsifiabilité qui a été vulgarisée par Karl Popper dans un livre célèbre Logique de la découverte scientifique40 alors on doit vérifier s’il existe dans les sciences des concepts infalsifiables ?

Dans ce livre, Popper se pose la question : Quel critère permet de distinguer une théorie scientifique d’une théorie qui ne l’est pas ? Comment, en fait, distinguer la science des « pseudosciences » Son interrogation traduit à l’évidence une question plus précise : Qu’elle est des trois domaines de connaissances (le marxisme, la psychanalyse, la théorie de la relativité d’Einstein), celui qui peut bénéficier de ce critère de scientificité. Selon lui, la théorie de la relativité l’emporte, car elle seule est falsifiable, c’est-à-dire qu’elle est sujette à des vérifications et à des tests susceptibles de la réfuter. Si nous extrapolons cette affirmation, nous arrivons à la conclusion suivante : une théorie scientifique donnée ne doit jamais contenir des concepts qui ne se prêtent pas à la falsification (la réfutation), elle ne doit pas également prendre comme référence ou s’identifier par rapport à des théories ou des connaissances infalsifiables.

S’il existe des assertions infalsifiables, la théorie cesse d’être scientifique.
Il est très difficile de se ranger derrière cette façon de voir sur la base des principes. Il est à la fois légitime et nécessaire de mettre ces affirmations à l’épreuve de l’expérience réelle de la pensée scientifique. À cette approche relative au critère de scientificité d’une théorie ou d’un savoir quelconque, nous apportons cette critique : d’abord, si l’on admet le critère de falsification (réfutabilité) pour qualifier une théorie de scientifique, nous sommes condamnés à renoncer à bon nombre de concepts actuellement contenus dans des théories scientifiques.

Quatre exemples nous montrent clairement l’existence de concepts infalsifiables dans les sciences : « la première loi newtonienne », « le principe anthropique », certaines « théories cosmogoniques » et enfin « les lois de conservation physique ». Disons, tout de suite, que personne ne peut douter, à l’heure actuelle, de la scientificité de ces quatre domaines de connaissances. Pourtant, on est loin de pouvoir dire, a posteriori, qu’ils puissent être totalement falsifiables.

La première loi du mouvement appelée principe d’inertie énonce : « tout corps, s’il n’est pas soumis à l’action d’une force, reste au repos ou est animé d’un mouvement rectiligne et uniforme ». Mais comment vérifier ce principe de validité cosmique ? Comment vérifier qu’un corps se déplace en ligne droite s’il n’est pas soumis à une force quelconque en l’absence de toutes forces pouvant alors exercer sur lui une action d’accélération ou de décélération, puisqu’en fait un corps est toujours soumis (en mouvement ou en repos) à l’action même minime de forces quelconques, qu’elles soient des forces de frottement dans le cas d’expériences effectuées « sur Terre » (en laboratoire par exemple) ou de forces gravitationnelles lorsqu’on est dans l’espace? Il n’existe aucune expérience qui puisse démontrer l’existence d’une force d’inertie dans sa forme pure, puisque tout corps, où qu’il soit est toujours soumis à la force de la gravitation de l’ensemble des corps célestes.

D’un autre côté, « imaginons qu’on est dans l’espace, loin de la Terre, comment vérifier qu’un objet se déplace en mouvement rectiligne et uniforme sur une ligne droite, dans la mesure où il n’existe pas dans l’espace des bornes fixes en repos par lesquelles, on puisse dire que le corps se déplace en ligne droite ou est en repos ? Si nous prenons comme référence la Terre, elle ne serait pas d’un grand secours car la Terre est en mouvement, elle tourne autour du Soleil41. Il n’y a pas d’échappatoire à cette fatalité.

Pour éluder ce problème, Newton avait été obligé de créer les concepts peu intuitifs et totalement « faux » d’espace et de mouvement absolus. Quelle que soit la solution à donner à ce problème, il n’en demeure pas moins qu’il n’existe point d’espace ou de mouvements absolus. Einstein avait bien exploité cette manifestation de la nature pour établir un principe d’équivalence entre la force gravitationnelle et la force d’accélération.

Sans aller plus loin, on ne peut que se résigner à l’idée que le principe d’inertie renfermé dans l’écriture scientifique de la première loi newtonienne du
mouvement est infalsifiable, parce que non réfutable par l’expérience seule. Quelles que soient les expériences menées, on ne peut jamais le « vérifier »
scientifiquement. Il ne s’applique jamais de manière satisfaisante dans la nature.

Pour qu’on puisse supposer que cette loi pourrait être fausse, c’est-à-dire réfutable, et ce, quelque part dans l’immensité de l’univers, il faudrait qu’il soit possible de trouver un endroit qui ne soit pas soumis à la force de gravitation. Or il est impossible de supposer qu’un tel endroit existe, étant donné que la force de gravitation est partout omniprésente. Elle perturbera toujours notre expérience, et on ne peut pas établir que la première loi de Newton pourrait être fausse. On dirait plutôt qu’elle est infalsifiable.

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Quant au principe anthropique, lui aussi est un principe infalsifiable. Dans sa version initiale, il exige « que les conditions de l’univers soient compatibles avec l’existence d’êtres humains42 ». Dans une autre version, il est affirmé que la branche particulière de l’histoire sur laquelle nous nous trouvons possède les caractéristiques nécessaires pour qu’existe notre planète et que s’y épanouisse la vie, la vie humaine y compris43. Suivant la belle définition de Stephen Hawking, « C’est parce que nous existons que nous voyons l’univers tel qu’il est…Pourquoi l’univers est-il tel que nous le voyons ? La réponse, disait Hawking, est simple : S’il avait été différent, nous ne serions pas là !44 ».

Loin de constituer une curiosité exotique du monde de la physique moderne, ce principe est à la base de nombreuses théories sur la naissance et l’évolution de l’univers.

Sa scientificité est donc largement admise, mais c’est moins évident lorsqu’on passe à la possibilité de sa réfutation. Le principe anthropique repose sur le fait que peu de variations des paramètres physiques permettent l’émergence de la vie et de l’intelligence humaine. Au-delà de ces limites, les univers possibles ne peuvent être observés, parce qu’aucune vie intelligente n’aurait été possible pour permettre cela. Sa réfutation supposerait l’existence réelle de ces univers parallèles où la vie intelligente n’est pas possible, ce qui est absolument impossible à démontrer.

Beaucoup de théoriciens en astrophysique ont tenté de prouver qu’il est possible que différentes régions de l’univers primitif issu du Big-bang présentent les mêmes propriétés physiques. Mais leurs théories – celle de l’inflation par exemple – sont indémontrables et infalsifiables. Cela devrait-il nous conduire à rejeter bon nombre des recherches actuelles en cosmologie comme « pseudosciences » sous le prétexte qu’elles seraient « infalsifiables » ?

Ce paradoxe nous amène à parler du troisième domaine de connaissance qu’est la cosmologie. Bien que la théorie du Big-bang fût confirmée par la découverte du rayonnement centimétrique fossile par Penzias et Wilson, il n’en demeure pas moins que notre connaissance des grandes structures de l’univers reste très hypothétique.

« L’on raconte, qu’un jour un savant célèbre donna une conférence sur l’astronomie. Il décrivit comment la Terre tournait autour du Soleil et de quelle manière le Soleil tournait autour du centre du rassemblement d’étoiles que l’on appelle une galaxie. À la fin, une vieille dame au fond de la salle se leva et dit : « Tout ce que vous venez de raconter, ce sont des histoires. En réalité le monde est plat et posé sur le dos d’une tortue géante. » Le scientifique eut un sourire hautain avant de rétorquer : « Et sur quoi se tient la tortue ? – Vous être très perspicace, jeune homme, vraiment très perspicace, répondit la vieille dame. Mais sur une autre tortue, jusqu’en bas45 »

Cette histoire a été rapportée par S. Hawking dans Une brève histoire du temps. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, notre auteur n’en revient pas à considérer cette explication comme absolument ridicule. « Mais pourquoi ce que nous savons vaudrait-il mieux que cela46», s’interroge-t-il en réfléchissant au contenu actuel de nos connaissances et il a, sans doute, absolument raison. Nos connaissances sur les grandes structures de l’univers, comme par exemple celles susceptibles d’expliquer pourquoi les étoiles et les galaxies, ne sont pas uniformément réparties dans l’espace reposent en fait sur des théories dont le moins que l’on puisse dire est qu’elles procèdent par des conjectures qui ne sont pas objet d’expérimentation, comme la théorie des cordes cosmiques, dont la réfutabilité serait problématique.

Ce genre de théories sont d’autant plus difficiles à confirmer qu’à réfuter, tenant compte aussi des limites physiques d’expérimentation. Afin de savoir, par
exemple, si certaines particules élémentaires ont survécu aux premiers instants de l’univers pour composer la « matière sombre » intergalactique qui constituerait l’essentiel de la masse actuelle de l’univers, il faudrait
étudier expérimentalement les phénomènes à des énergies très élevées. Le diamètre d’un accélérateur de particules est proportionnel à l’énergie qu’il communique, il existe donc une limite à concentrer des quantités d’énergies aussi importantes. Dans ce cas précis, le critère de falsifiabilité rencontre également des limites.

L’horizon indépassable de nos connaissances sur le futur de l’univers (théorie des étapes cycliques, théorie de l’inflation) est un autre exemple des spéculations infalsifiables qui peuvent parfois marquer un aspect problématique mais authentique et irremplaçable de la pensée scientifique moderne. À défaut, une bonne partie de la recherche scientifique devrait tout bonnement être abandonnée.

L’exemple des lois de conservation est également une illustration de la « non-falsifiabilité » de certaines de nos plus grandes prémisses scientifiques. L’existence de lois de conservation de l’énergie, de l’impulsion ou du moment cinétique en physique atomique est déduite de notre « croyance » (croyance et non pas connaissance) en l’existence d’une uniformité de l’espace et du temps.
La conservation de l’énergie est déduite de l’existence d’une homogénéité du temps, celle de l’impulsion est déduite de l’homogénéité de l’espace. Mais pourquoi de telles corrélations ? Si l’homogénéité du temps permet de conserver l’énergie, c’est précisément pour nous affranchir d’une connaissance exacte et précise d’une origine au temps. Si celui-ci était « hétérogène », il faudrait d’un point de vue logique remonter à l’origine du temps pour pouvoir parler d’une conservation de l’énergie ; et si l’espace n’était pas homogène, la constante de Kepler sur le mouvement des planètes, par exemple, devrait dépendre de la position du Soleil, foyer de l’ellipse dans le système galactique puis dans l’espace intergalactique, ce que Kepler n’aurait jamais pu connaître et n’aurait certainement pas même pu imaginer. Nos expériences et nos observations ont besoin d’isoler une chose pour qu’elle ne puisse pas interagir avec l’ensemble de l’Univers dans le temps et dans l’espace.

Par ailleurs, il faudrait que l’espace et le temps soient homogènes, c’est-à-dire identiques. Cette « croyance » est née de l’impossibilité de dérouler l’univers entier sous l’empire de notre perception. Si le temps n’est plus homogène, il faudrait le parcourir jusqu’à l’origine et si l’espace n’était pas homogène, il faudrait en faire un inventaire intégral et le « dérouler » sous l’empire de notre connaissance, mais notre bon sens ne peut que se résigner à l’impossibilité d’une telle entreprise. Les lois de conservation sont indémontrables puisqu’on ne peut, objectivement, les vérifier ni par l’expérience, ni par aucune autre chose. Elles ne sont donc ni falsifiables, ni réfutables. Pourtant ces lois de conservation (de l’énergie, de l’impulsion, du moment cinétique…) sont une condition sine qua none pour toutes les théories physiques. Sans elles, il serait problématique de pouvoir représenter des grandeurs (comme masse, moment cinétique, impulsion, fréquence…) en nombres parfaitement calculables.

Par conséquent, il n’y a pas de critère précis qui permet de séparer la théologie et la science et qu’on ne s’amuse pas à énoncer que la différence entre les deux domaines soit en fait une différence entre le rationalisme et l’irrationalisme ou la superstition. Nous avons bien vu dans notre précédent article comment de grands philosophes ont démontré l’existence de Dieu rationnellement.

Le NOMA n’est pas une solution durable pour la théologie et il ne repose pas sur un critère précis qui permet de distinguer la science et la théologie. D’ailleurs, les notions du comment et du pourquoi ne sont pas des notions scientifiques mais plutôt métaphysiques. Par ailleurs, des notions plus opérationnelles et plus scientifiques n’existent pas. Dès lors que les critères d’explication et de falsifiabilité ne sont pas des critères décisifs, pourquoi alors priver la théologie et la religion en général de leurs pouvoirs cognitifs et éminemment scientifiques ?

Dans les théories scientifiques, il y a non seulement des équations mathématiques mais aussi des concepts infalsifiables comme les concepts métaphoriques. La théologie utilise également des concepts métaphoriques. Par exemple, dans le Coran, il y a des versets qui utilisent la métaphore « fumée »47 pour désigner la matière interstellaire ayant donné naissance aux étoiles et au système solaire et cette matière se comporte exactement comme de la fumée.

Quant à l’affirmation de Dawkins concernant la différence qui existe entre un univers crée par Dieu et un univers qui n’aurait pas eu de créateur, nous avons du mal à la comprendre. La théorie de l’ajustement-fin nous démontre que les paramètres physiques ont des valeurs tellement précises qu’elles permettent l’existence de l’univers. En fait, l’existence du créateur permet l’existence de l’univers parce qu’il a crée les paramètres qu’il faut pour cela. Ainsi, l’affirmation de Dawkins n’est pas intelligible. S’agissant des miracles et contrairement à ce que cet auteur ait affirmé, ils ne peuvent pas être expliqués par la science parce qu’ils violent le principe de causalité ainsi que les lois physiques.

Ceci s’applique aux miracles de Jésus (QSSL) et à ceux de Moïse bien que Dawkins n’a pas cité ce dernier. Les effets de Dieu dans le monde ne sont pas uniquement naturels. Ils sont également surnaturels et les miracles font précisément parties du monde surnaturel d’essence divine même s’ils sont très rares puisqu’ils ont marqué l’histoire.

Dawkins évoque ensuite les prières qui sont, selon lui, des expériences qui ne permettent de démonter une intervention divine en évoquant des expériences ratées aux Etats-Unis. En réalité, les prières sont des actes personnels et Dieu utilise mille et mille manières pour répondre aux prières des personnes. On dit que les voies du seigneur sont impénétrables. Les expériences qui sont conçues pour détecter une intervention divine évoluent dans un espace tellement restreint qu’elles ratent leur but. Par ailleurs, l’action de Dieu intervient parfois sur le long terme, lequel n’est pas du domaine de ces expériences.

Cet auteur s’amuse également à critiquer les évolutionnistes qui s’attaquent au créationnisme en priorité et non à la religion en général en citant l’exemple des religieux qui sont les alliés des évolutionnistes qui appartiennent selon Dawkins à l’école de Neville Chamberlain48 (ce nom est celui du Premier Ministre britannique qui à la veille de la seconde guerre mondiale s’est allié avec Hitler et a laissé la Tchécoslovaquie se faire envahir par l’armée allemande).

Dawkins n’aime pas ce groupe et préfère quant à lui une lutte sans merci contre les créationnistes et leurs frères religieux qui acceptent la théorie de l’évolution. Il considère que l’enjeu de la lutte n’est pas tant de choisir des alliés parmi les écoles en cherchant des avantages tactiques (lutter contre les créationnistes en s’alliant aux religieux qui acceptent la théorie de l’évolution comme l’a fait Chamberlain) mais plutôt de choisir son camp dans la bataille entre la superstition (portée selon lui par la religion) et le rationalisme (représenté par la science). Ce qui retient mon intention dans cette lutte locale entre les religieux et les athées, et qu’elle a fait naître chez certains chercheurs musulmans une tendance à défendre la théorie de l’évolution en critiquant le créationnisme. C’est une évolution fâcheuse même si tels efforts vains ne trompent pas quelqu’un d’aussi bien renseigné que Richard Dawkins.

Enfin, il est étrange que cet auteur termine son chapitre « Hypothèse de Dieu » en évoquant les extraterrestres. Ce qui est étonnant c’est que Dawkins considère que de telles créatures si elles existent dans les confins de l’univers confirmeraient, selon lui, la théorie de l’évolution puisqu’elles-mêmes ont fait l’objet de l’évolution pour devenir des « dieux » surnaturels alors que le Dieu des théistes est incréé, ce qui pose, selon lui, le plus de problèmes et qui le rendent improbable.

Notre point de vue sur ce parallèle qui reflète tant son parti-pris et sa démarche biaisée est simple : il est improbable que les extraterrestres existent est le poids de la preuve de leur existence incombe à ceux qui prétendent qu’ils existent.

On retourne donc l’attaque de Dawkins contre lui-même : alors que ce dernier rejette l’existence de Dieu, nous rejetons-nous l’existence des extraterrestres. Les émules de la science ou de la culture athéiste occidentale ont créé dans leurs cerveaux des créatures étranges qui sont improbables et ne sont que le fruit de l’imagination de ceux qui se sont égarés dans ce monde parce qu’ils ont rejeté l’existence de leur créateur.

Conclusion

Dans cette deuxième partie du livre de Dawkins, celui-ci a donné libre court à des thèses qui sont pas vraiment objectives. Il s’est adonné à une critique tout azimut de la religion. Il s’inquiète de l’état des religions dans le monde et surtout aux Etats-Unis, théâtre d’un retour vigoureux du religieux tout en gardant le silence sur les pays marqués par l’essor de l’athéisme. Il critique aussi le monothéisme qui est selon lui peu différent du polythéisme en se basant uniquement sur sa connaissance du Christianisme alors qu’il ignore les autres religions, en particulier l’Islam. Puis il passe à une remise en cause des approches qui cherchent à sécuriser et à apaiser l’esprit humain devant la bataille impitoyable entre la raison et la foi et qui se présentent comme des alternatives à l’instar de l’agnosticisme et du non-empiètement des magistères (NOMA). Il tente enfin de remporter des succès sur des terrains difficiles et peu explorés comme l’expérience des prières, les écoles de pensée des évolutionnistes qui cherchent à se réconcilier les religieux non créationnistes et la comparaison entre les extraterrestres, qui sont des « dieux » par excellence mais qui ont fait, selon lui, l’objet de l’évolution et le Dieu incréé.

Aussi astucieuse qu’a été son exploration de ces domaines différents, il n’en demeure pas moins que sa méthode est basée sur des raccourcis historiques, philosophiques et scientifiques. Après avoir crée dans la première partie de son livre un amalgame entre la religion et l’incroyance, voilà qu’il augmente la vitesse de ses idées en empruntant des raccourcis qui violent les règles élémentaires de la scientificité et de l’objectivité. On ne peut pas explorer tant de domaines avec des conclusions aussi rapides et marquées par une réflexion biaisée et non motivée par des preuves tangibles. Cette incapacité de l’auteur à fonder ses allégations et ses conclusions ont pour seule raison la nature idéologique de son objectif. La science est innocente d’une telle intention qui éloigne tous ceux qui s’y intéresse du sentier glorieux du savoir et de la sagesse.

Rafik Hiahemzizou

1 Richard Dawkins, Pour en finir avec Dieu, traduit de l’anglais Par Marie France Desjeux-Le Fort, Editions Perrin, 2018, p. 44.

2 Ibid.

3 Ibid., p.45.

4 Ibid.

5 Pierre Levèque, Introduction aux premières religions, Le Grand livre du mois, 1999, p.19.

6 Dieu de la forêt et de la chasse, et en même temps dieu du ciel, figure complexe qui peut être reconstitué à partir de nombreuses analogies ethnologiques. Il est représenté dans la grotte des Trois-Frères (Ariège), par la très fameuse, longtemps interprété comme un sorcier masqué : en fait un dieu à la fois anthropomorphe et zoomorphe. Cette idole date du magdalénien moyen (vers –12 000). Selon nous c’est une représentation symbolique du Dieu unique.

7 Le dieu des Bêtes est représenté dans un sceau très connu de la collection archéologique du Musée national de l’Inde à New-Delhi. C’est une figure humaine assise jambes croisées et portant une coiffe de buffle d’eau. Les bêtes associées dans la figure sont un rhinocéros et un buffle d’eau, un éléphant, un tigre et un bouc avec sa tête retournée. L’inscription peut être traduite par « celui qui est Noir, le Buffle Noir, an-i(l), le Maître, le Dieu des Chefs (Walter Fairsevis, « L’écriture de la civilisation de la Vallée de l’Indus », in Pour la Science, numéro 67, p. 16.

8 Henri Bergson Les Deux Sources de la Morale et de la Religion, Félix Alcan, 1932.

9 Dominique Vallaud Dictionnaire Historique, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1995, p. 1000 sur Zoroastre.

10 Jean Kellens Mazdéisme, dans Frédéric Lenoir et Ysé Tardan-Masquelier (dir.), Encyclopédie des Religions, tome 2, Paris, Presses Universitaires de France, 1997, p. 105

11 Op.cit. Dawkins, p. 45.

12Ibid., p.48.

13 Ibid., p.49-50.

14 Sourate Al M’aida (La Table).

15 Ibid.

16 Sourate Al-Imran, verset 144.

17 Rudolf Bultmann Le Christianisme primitif dans le cadre des religions antiques, Traduction de Pierre Jundt, Paris, Payot, 1950.

18 Sourate 19. Maryam.

19 Sourate Al M’aida (La Table).

24 Parabole, janvier-février 1998.

25 Sourate 02 Al Al Baqara « La Vache ».

26 Ibid (même sourate).

27 Ibid.

28 Ibid

29 Le mot « musulmans » désigne dans ce verset tous les croyants qu’ils soient juifs ou chrétiens. Les vrais croyants sont appelés dans le Coran, les Musulmans.

30 Op.cit. Dawkins, p. 55.

31 Ibid., p. 59.

32 Ibid., p. 56.

33 Ibid., p.74.

35 Stephen Jay Gould Et Dieu dit : « que Darwin soit », traduit par Jean Baptiste Grasset, 2013, p. 163.

36 Op.cit. Dawkins, p.77.

37 Ibid., p. 80.

38 Alexandre Kojève, L’Origine Chrétienne de la Science Moderne, article accessible sur Internet.

39 Karl Jaspers Introduction à la Philosophie, Trad. De l’Allemande par Jeanne Hersh, Plon, 1965, p. 88.

40 Karl Popper Logique de la découverte scientifique, Payot, 1973.

41 Banesh Hoffman, La Relativité : Histoire d’une grande idée, Pour la Science, 2000, p. 47.

42 Murray Gell-Mann, Le Quark et le Jaguar, éd. Flammarion, coll. « Champs », Paris, 1997, p. 238.

43 Hubert Reeves Patience dans l’Azur, Editions du Seuil, coll. « Science ouverte », Paris, 1981.

44 Stephen Hawking, Une brève histoire du temps, éd. Flammarion. coll. « Champs », Paris, 1991, p. 162.

45 Ibid.

46 Ibid.

47 Dans la sourate 44.

48 Op.cit. Dawkins, p.90-91.

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3 commentaires

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  1. Je suis très étonné d’extraire de cet article la citation coranique : « (5) 116. (Rappelle-leur) le moment où Allah dira : « Ô Jésus, fils de Marie, est-ce toi qui as dit aux gens : « Prenez-moi, ainsi que ma mère, pour deux divinités en dehors d’Allah ? ».
    Je n’avais pas encore eu, dans mes lectures du Coran, l’occasion d’examiner ce verset.
    Et pour quelqu’un de culture chrétienne, et en particulier protestante, ce propos coranique est très choquant : JAMAIS LE CHRISTIANISME NE DONNE A MARIE, MERE DE JESUS, UN -RANG DE DIVINITE…
    Donc ce propos coranique prête au Nouveau Testament de la Bible une affirmation contraire à son contenu réel.
    Mise à part une explication échappatoire du style “oui, mais la bible originale a été trafiquée …” (facile !), peut-on penser que le Messager de Dieu aurait mal transcrit le message reçu de l’Ange Gabriel ???

  2. Allah a toujours existé et n’a point été créé ou engendré. Voir plus loin le cas du postulat d’Euclide qui est admis sans démonstration ! La logique humaine est un don d’Allah pour les Hommes pour ordonner leur vie et méditer. Elle se retournera contre eux s’ils veulent l’opposer à La Logique Divine !!!
    “Wa lakad karramna bani Adam…” (Allah a ennobli et honoré les enfants d’Adam…). En niant l’existence d’Allah, ces athées n’ont donc aucune noblesse ou aucun honneur et se sont mis ainsi au rang des animaux ou des choses inertes. Ils doivent souffrir des angoisses terribles dans les ténèbres de l’athéisme. Leur vie est absurde et veulent entraîner les croyants dans leur enfer! S’ils font confiance à la logique mathématique rigoureuse, rappelons-leur que cette logique repose sur des axiomes indémontrables (voir par exemple le postulat d’Euclide! Si l’athée renie ce postulat, toute sa logique mathématique est ruinée!). Pourquoi- donc l’athée est OBLIGÉ d’accepter l’existence de ce postulat et renier l’existence d’Allah ???

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