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Le voile humilié, ou les auditions manquées de la Commission Stasi

Extrait de la préface, du livre de Louisa Larabi Hendaz, Le voile humilié ou les auditions manquées de la Commission Stasi, éditions Marjane, 2005

Ce livre exprime d’abord une souffrance. La souffrance de femmes humiliées, victimes de mépris, de propos calomnieux, de comportements provocateurs, d’agressions physiques.

La souffrance morale aussi : Celle, principalement, qu’a provoquée une législation récente en France, indiquant la présence troublante, quoique inconsciente, on doit le supposer, d’une sorte de discrimination d’Etat.

Une idéologie de division qui a ses enseignements et ses tribunes, ses auteurs et ses livres, s’est emparée en effet d’instruments de propagande puissants et officiels. Elle les manipule. Et elle distille ainsi ses suggestions délétères à travers eux, sous les alibis les plus irréprochables de la tolérance et de la concorde. Elle peut donc abuser sans cesse une opinion passivement consentante, et sur la réalité des faits et sur la légitimité des moyens employés. La perception collective n’est guère prévenue de manière critique pour pouvoir s’y opposer.

La souffrance qui anime cet ouvrage excuse ainsi, – au delà même des qualités qui nous ont retenu -, des erreurs, des imprécisions, des raccourcis historiques, voire des interprétations discutables et contestables qu’il contient. Nous pourrions certes les évoquer scientifiquement plus à fond, si le sujet abordé n’était pas d’une gravité qui ne laisse aucun choix dans le réquisitoire de soutien que son plaidoyer mérite.

Nous réviserions en particulier certaines analyses touchant l’histoire française, le monde chrétien ou la portée du concept de laïcité. Mais, à l’autre extrême, nous sommes aussi bien tentés d’être moins complaisant que l’auteur à l’égard d’un processus législatif technocratique qui a fait en sorte de neutraliser d’avance toute possibilité d’argumentation contradictoire et qui a anéanti toute dialectique intellectuelle et éthique en un tel débat (…) Seule situation qui autorise l’Etat et le droit à réprimer les mœurs et à intervenir à leur propos : lorsque les mœurs ne se respectent pas elles-mêmes et veulent déborder de leur domaine et envahir celui du droit et du politique, déstabilisant leur relation avec d’autres composantes religieuses ou culturelles de la société et affectant par là l’”ordre public”. Le droit et le politique font valoir la limite qui tient à la mise en cause de cet “ordre public”.

Le vêtement religieux peut ainsi violer l’ordre public, en quoi il viole automatiquement aussi la religion dont il se réclame comme excédant son aire propre. C’est le cas si le vêtement exprime une signification hostile ou est porté avec une ostentation qui s’assortit d’un acte prosélyte, de façon à ruiner l’ordre pacifique de toutes les religions ou même des non-religions. La laïcité n’est rien d’autre dans l’Etat de droit qu’une laïcité défensive et ouverte, ne préjugeant d’aucun contenu religieux, qui permet à toute religion de s’exprimer, à toutes les mœurs religieuses de se manifester, mais qui entend empêcher une expression ou une manifestation qui serait susceptible d’en léser une autre. Il n’y a nul besoin de lois spéciales à cet égard. L’ordre public est une référence de droit commun suffisamment générale pour pouvoir être utilisée à chaque instant par tout agent de l’Etat comme par tout citoyen ou non-citoyen sollicitant la justice, et s’adressant aux magistrats du parquet ou aux forces répressives placées sous leur contrôle.

Si le voile pose un problème, il n’en est donc un que dans la mesure où il transgresse cet ordre public. Mais, en pareil cas, le droit commun pénal de l’Etat suffit, et toute loi plus avancée, qui avoue significativement ne pas pouvoir recourir à la notion d’ordre public, procède à une ingérence injustifiable à l’intérieur des mœurs, doublée sans doute d’une impiété et d’un esprit profanatoire implicite s’il s’agit de mœurs religieuses.

Les mœurs contraires à l’ordre public, c’est-à-dire au droit, au sujet desquelles l’on peut donc s’autoriser à agir par le droit, n’offrent que guère d’exemples en matière religieuse, car l’on ne voit pas comment une religion pourrait inciter sans s’auto-détruire à une conduite que le droit réprouve. Les rares cas répertoriés sont tous de dénaturation flagrante du religieux. La lapidation nigérienne frise le grotesque (abusivement alléguée dans un propos public, alors qu’elle n’intéressait pas le territoire de l’Etat français et relevait de la compétence non d’un ministère de l’intérieur mais de celui de la justice) : son rattachement religieux est bien suspect, puisqu’elle vise des mœurs culturelles interprétant à leur convenance le Coran, en heurtant l’ordre public pénal de tout Etat. Qu’une religion au monde jette la première pierre à la musulmane si elle s’estime à l’abri de ce type de dérapage et n’a rien historiquement à reprocher à ses interprètes.

Plutôt que de se préoccuper d’une quantité dérisoire de cas de port du voile avec menace pour l’ordre public, pour plusieurs millions de Musulmans en France, mieux eût valu se soucier d’ailleurs en ce pays des 3000 excisions clandestines qui ont lieu chaque année, mutilations cruelles aux alibis religieux, que connurent aussi bien nos ancêtres celtes comme les peuples de la plupart des continents et qui constituent des pratiques délictuelles attentatoires de la sexualité et de la dignité des femmes.

Mais il faut prévenir enfin les subterfuges dont use un politique hégémonique et avide de domination sur le droit, et parfois inspiré par des idéologies discriminatoires, dont celle du “conflit des cultures”. Sous prétexte de sympathie naturelle et immédiate avec le politique sur des raisons secondes de la vie qui sont son apanage, l’on ne saurait tomber dans des complicités avec lui sur les raisons premières et plus profondes qui ne le regardent pas et qu’il pourrait être toujours enclin à ne pas respecter pour en faire avaliser une lecture à sa façon.

Le “à la française” utilisé par les lois antisémites de 42 est de la dernière maladresse, même si à un certain degré cette expression peut prendre un sens compréhensible dans les nuances ou modalités extérieures d’une religion ou d’une culture : elle ne saurait la définir en son cœur. J’ai déjà écrit qu’avant d’être catholique français, je suis quant à moi catholique romain (Rome étant un principe d’universalisme comme Jérusalem ou La Mecque), et je ne reconnais à l’Etat français ni le pouvoir de m’homologuer ou de me classer (la sinistre “grammaire des visages” qu’évoquait G. Didi-Huberman lors de l’exposition “A visage découvert” de la Fondation Cartier, Flammarion, 1992), ni celui bien entendu de me dicter les principes “à la française” de ma religion, s’il s’agit a fortiori de son contenu : cela échappe clairement à ses compétences, même s’il pouvait s’appuyer sur une représentation politique impliquant une conférence épiscopale nationale : Je demande à cet Etat, en ma qualité même de citoyen, de respecter la laïcité qui l’oblige à respecter l’expression de ma religion selon ses principes à elle, c’est-à-dire à respecter l’expression de ma non-citoyenneté par rapport à lui et de ma citoyenneté par rapport à elle, si j’en relève d’abord et non après, elle qu’il n’a pas, lui Etat, protecteur de la forme, à juger, dans la mesure où elle n’offense pas l’ordre public qu’il instaure.

Le droit et le politique ne peuvent légiférer par conséquent sur les mœurs. Il ne faut pas craindre le leitmotiv. Vouloir à toute force s’appliquer aux mœurs religieuses désigne même, depuis la Grèce ancienne, l’injustice la plus grave qui peut discréditer l’Etat.

Ce fut le problème de Médée, à l’encontre de Jason, comme d’Antigone à l’encontre de Créon. Même si elle ne fut pas un modèle moral, Médée, violentée par son gendre Jason, tyran de Corinthe aux réactions xénophobes, lui opposa qu’il ne pouvait que maltraiter son peuple, et offenser les mœurs de tous les peuples, s’il l’opprimait comme étrangère. Quant à Antigone, elle opposa à Créon les fameuses lois non-écrites, mais non pas celles du droit, non pas les agraphoi nomoi : les agrapha nomima, les lois non-écrites des mœurs, accusant son oncle d’impiété, de violation de l’ordre des personnes qui est dans les mœurs, auxquelles veillent souvent les femmes dévouées à l’ordre de la terre, symbole de justice (le ciel l’étant d’une vérité pure de l’être mais non du devoir-être).

Une philosophie kantianisée peut rêver d’une juridicisation des mœurs. Il n’empêche que le décret de Créon ne transgressait pas les lois du ciel mais bien celles de la terre, celles des mœurs ; en bref, il était inconstitutionnel : il violait la séparation de la loi et de la coutume praeter legem.

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Toute la littérature grecque, poétique, philosophique, rhétorique, judiciaire en témoigne : l’Etat infidèle à la République est celui qui bafoue les mœurs, et surtout les mœurs qu’il accuse d’être celles des étrangers, car tout Etat garantit le droit, l’accueil de tous sur son sol, puisque la chose publique est la propriété des vivants et non l’apanage des seuls citoyens – de ceux qui vont inventé que les Musulmans sont sur le sol de France le produit d’une immigration récente, feignant d’ignorer plus d’un millénaire d’histoire interne aux apports et échanges successifs, comme le mercenariat militaire du XIXe s. (guerres du Second Empire contre l’Autriche-Hongrie…) ; ceux qui ont inventé, pour arrêter les juifs sous l’occupation, qu’ils venaient “d’ailleurs”, alors qu’il n’y en avait pas le quart de cette origine, et alors que, s’agissant de beaucoup de prétendus étrangers, leur nationalité française leur avait été retirée par l’autorité administrative au Maroc ou en Algérie.

C’est Thomas d’Aquin qui a pertinemment introduit la référence ad alterum : celle du respect de l’autre en tant qu’autre et extérieur à la communauté. En dominicain napolitain, Thomas, le futur “docteur angélique”, allait professer à Paris, où son maître allemand Albert Le Grand enseignait en vêtement islamique comme à Cologne, pour s’opposer à ceux qui, dans la Sorbonne du XIIIe, avaient préféré tirer leur doctrine d’Ibn Rushd (Averroès) du califat de Cordoue. Et les papes en Avignon, protecteurs des juifs déjà calomniés et persécutés, bien qu’il est vrai dans des conditions humiliantes leur imposant malheureusement un vêtement de reconnaissance, ces papes rencontraient les maires musulmans des communes avoisinantes de Provence, villes opulentes, commerciales et universitaires qui accueillaient par ailleurs, comme l’avait fait l’Andalousie des VIIe au IXe, toutes les cultures de Méditerranée, toutes les religions, toutes les musiques, tous les rites vestimentaires ou alimentaires. Aucune police n’imposa alors d’effacer l’altérité au nom d’une même religion inavouée de type laïciste. Il faudra attendre le “christianisme positif”, avec son goût de substituer aux religions et aux non-religions sa religion propre dévouée à une entité uniforme et vide, une entité de la ressemblance de l’homme et une entité tyrannique et jalouse.

Ne craignons pas en tout cas de le répéter. S’en prendre aux mœurs religieuses, c’est non seulement porter atteinte au droit qui en commande le respect, mais c’est également attaquer la personne. Parce que le droit dans l’Etat ne considère que les personnages, les rôles abstraits, en les universalisant, à travers les catégories génériques qu’il requiert pour fonctionner (dont la citoyenneté). Alors que les mœurs reflètent les personnes, l’existence tout court, ses modes d’être culturels et religieux : une identité d’être et de vie, qui est le plus universel de l’homme, ce plus universel de l’homme qui le rapproche du plus universel en tant qu’unique : c’est-à-dire de Dieu.

Jean-Marc Trigeaud

Professeur de philosophie du droit à l’Université Montesquieu Bordeaux IV1

Louisa Larabi Hendaz, Le voile humilié ou les auditions manquées de la Commission Stasi, éditions Marjane, 2005

Contact et commande sur : [email protected]

 

Notes :

1 Le Pr Trigeaud, rédacteur en chef aux Archives de philosophie du droit (Paris, Sirey) et membre de la direction de nombreuses revues internationales dans sa discipline, appartient aussi à plusieurs académies et institutions étrangères. Son œuvre qui compte une quinzaine d’ouvrages principaux et une grande quantité d’articles et conférences est traduite en diverses langues. Sa conception originale, orientée vers un personnalisme catholique, développe sans cesse l’idée de l’universel singulier. En rapport avec les thèmes abordés : v. ses ouvrages : – sur le “non cognitivisme” moral et les comités d’éthique : Essais de philosophie du droit, Gênes, Biblio. Filosofia Oggi, 1987 ; – sur la personne et sur l’identité féminine notamment : Persona ou la justice au double visage, Gênes, Biblio. Filosofia Oggi, 1990 ; – sur le fondamentalisme et sur le “christianisme positif” : Justice et tolérance, Bordeaux/Paris, Bière, B.P.C., 1997 ; – sur le multiculturalisme et le communautarisme : Droits premiers. Pour une métaphysique de la singularité des droits et des cultures, Bière, 2001. Et v. ses art. et conf. : “Théorie de l’Etat et réalisme sociologique dans la pensée de de Duguit et de Hauriou”, in Les théories de l’Etat au XXe s., Paris, Vrin, 2004, p. 17 s. ; “Communauté, communautarisme et personnalisme”, Politeia, Univ. Bordeaux Montesquieu, 2002-II, p. 25 s. ; “Le complexe de Créon : régir les mœurs et censurer l’Islam et les autres religions. A propos du projet de loi français sur le voile”, site on line de la revue Thèmes-B.P.C./Bière, I-2004 : http://perso.wanadoo.fr/b.p.c./ ; “Le rapport du droit aux mœurs, ou les limites de la rationalité juridique hellénique”, Honorary volume to Professor Leonidas Bargeliotès : “Rationalism in the Greek Tradition”, Athènes, Skepsis, n° spec., 2004 ; “Approche de philosophie du droit du problème de la laïcité et des mœurs religieuses”, conf. au Colloque international “Laïcité et rite musulman”, Association des Musulmans de la

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Un commentaire

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  1. Trigeau est peut être prof de philo mais ses lacunes en terme d’histoires et d’ethnologie sont édifiantes. Des maires à l’époque des papes d’Avignon ? grotesque… le concept du maire n’apparait qu’avec la révolution française; avant, concernant les villes franches, il faut parler d’échevins.

    Plus grave, une “excision celte” parfaitement fanstasmé, au même titre que d’autre fanstasme une polygamie celtequi n’a pas d’avantage de réalité historique. Nous reconnaissons là une double tare de l’auteur : son mépris des religions anté-chrétiennes de son territoire, qu’il est commode d’affubler de défauts sans fondements ethnologique pour mieux les disqualifié, et enfin une complaisance passant par un relativisme culturel absurde.

    L’excision est une pratique qui trouve sa source dans l’egypte pharaonique et qui n’a essaimé que dans les régions sous cette influence; et d’aucun conviendront que l’influence de l’egypte sur les celtes reste encore a prouver. Et ce n’est pas un hasard si aujourd’hui, seule l’école chafi’ite qui a son ancrage en Egypte s’accroche a cette pratique au nom du ‘urf. Et c’est toujours au nom du ‘urf que les califes des siècles passé ont renoncé a combattre cette pratique de la jahiliya appuyée par deux hadiths da’if et un hadith à double lecture. bien qu’ayant lui même remis en question ces narrations, Qardawi continue a tolérer cette pratique, car aujourd’hui comme hier, seule compte la paix sociale (et électorale) et non la reforme voulue par notre religion.
    L’excision s’oppose frontalement au Coran, car comment d’un coté interdire (à raison ) la cigarette au motif de la preservation du corps, tout en autorisant une mutilation.. D’aucun argumenteront avec la circoncision masculine. Cette dernière n’apparait que dans un hadith mettant cette pratique sur un même pied d’égalité que la coupe des ongle ou l’épilation pubienne… ce qui laisse à reflechir et à fait dire à certain madhab comme les hanafite que la circoncision n’était pas obligatoire. Rappelons que cette pratique était à l’origine le signe de l’alliance d’Allah avec les juifs…

    Enfin pour revenir à l’excision, les pseudo arguments medicaux des tenant de cette pratique sont a déconstruire, avec la medecine (les sequelles, les risques pour les grossesse, etc) et les texte en rappelant que le Prophète (saws) désirait le plaisir de ses épouses et n’a jamais condamné les desirs de ces dernières. Le plaisir charnel fait partit des droits de l’homme et de la femme dans le fiqh islamique et son absence est motif legitime de séparation et privé a priori un individu d’un droit légiféré contreviens à ‘asl, celui du mariage islamique en l’occurence.
    Quand a ceux qui argument sur la diminution des risques de zina; il conviens de leur répondre que si la solution ce trouve là, alors c’est bien plus que le prépuce qu’il faudra couper chez les autres.

    Il convient enfin de rappeller a tous qu’aucune des Mères des Croyants, et encore moins la fille du Prophète n’ont été excisées et cela est le meilleurs argument pour le croyant qui a pour exemple le Prophète…

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