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Journée des femmes et exclusion des musulmanes. Mais que font les féministes ?

 

Depuis le vote de la loi du 15 mars 2004 qui interdit le port du foulard à l’école, force est de constater que la logique véhiculée par la polémique qui l’a entourée, véritable épanchement islamophobe, s’est renforcée avec le temps. Légiférer contre des femmes, des jeunes filles, des mères accompagnant leurs enfants, des « nounous », est devenu le fer de lance d’une politique raciste et disons-le sexiste !

Face à cette stigmatisation des musulmanes voilées et à leur marginalisation qui ne cesse de s’étendre de l’école jusqu’à la sphère privée, non seulement la plupart des militantes féministes ne dénoncent pas cette discrimination envers des femmes et des jeunes femmes, mais nombre d’entre elles justifient, maintiennent et appuient la logique discriminatoire en y apportant une caution « féministe ». L’année 2004 a d’ailleurs été un tournant pour le mouvement féministe en France, qui fut marqué par son refus de se renouveler, de s’interroger sur lui-même et sa posture de rejet systématique des dynamiques nouvelles qui émergent en son sein, et qui empruntent d’autres modalités de luttes et de discours. Dans leur écrasante majorité, les courants qui composent le mouvement féministe ont choisi de rester fidèles à une illustre tradition, celle de l’affirmation de la supériorité d’un modèle contre les autres.

Triste tournant donc, celui qui a vu les féministes en France promouvoir une lutte contre une domination, celle des hommes sur les femmes, et tout à la fois faire la promotion d’une autre, celle de certaines femmes sur d’autres. On se souvient de la manifestation du 6 mars 2004, où défilaient main dans la main de grandes figures du mouvement féministe avec des représentantes de l’association NPNS, brandissant des pancartes où figuraient les mots de « Laïcité », « Non à l’intégrisme ». On se souvient de l’exclusion de l’association Al Houda (Femmes Musulmanes de Rennes) de la journée des femmes organisée par la Ville de Rennes, au motif « qu’une association de femmes musulmanes n’est pas en phase avec le sens historique de la journée internationale des femmes »[1]

On se souvient aussi du rejet et des propos insultants, violents, adressés aux militantes musulmanes portant le foulard et aux membres du Collectif des Féministes pour l’Egalité, alors qu’elles participaient à la Marche Mondiale des Femmes à Marseille, en mai 2005. Que de journées des femmes, d’initiatives féministes, colloques, conférences, manifestations, ont été marquées ces dernières années par l’exclusion de femmes par d’autres « féministes », pour le seul motif qu’elles portent le foulard ! Les souvenirs de ces tentatives échouées de travail, en partenariat avec des composantes du mouvement féministe en France, restent encore douloureux, vifs, et amers.

Une partie du mouvement féministe en France a choisi de désigner l’Autre, musulman, comme porteur de tous les maux, machisme, sexisme, archaïsme, fondamentalisme, et a ainsi disqualifié le sens même de l’engagement féministe, en appuyant implicitement une logique considérant la société française « de souche » dans son ensemble comme naturellement égalitariste, et reléguant ainsi au second plan les vraies questions féministes, comme celle du viol, de la violence domestique, du harcèlement sexuel, de l’inégalité salariale, de l’inégale répartition des tâches domestiques, du sexisme du monde publicitaire, et des représentations normatives, infantilisantes des femmes, qui règnent dans notre société.

Car s’il y a urgence à remettre en question la marchandisation du corps des femmes, leur image dégradante qui est véhiculée par le monde de la mode, et s’il y a nécessité à s’interroger sur nos manières de nous vêtir et de nous couvrir, pourquoi  pointer du doigt le foulard islamique ? En choisissant d’appuyer la logique islamophobe, de stigmatiser le port du voile, et de désigner la culture et la religion musulmane comme essentiellement porteuses de sexisme, un grand nombre de féministes sont tombées dans les mêmes essentialismes et la même domination qu’elles ont contribués à déconstruire et à dénoncer.

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Cette dynamique émergeante représentée par des musulmanes voilées pratiquantes, souvent très actives dans le champ intra-communautaire, et à la fois militantes féministes convaincues et engagées, fait écho à ce qui est communément appelé le mouvement féministe musulman depuis une vingtaine d’années. Ce mouvement de plus en plus visible à l’échelle internationale tente d’effectuer un croisement entre champ féministe et champ islamique, en s’inscrivant dans la tradition réformiste musulmane et en utilisant les outils des sciences sociales dans le processus de renouveau de la pensée islamique, notamment dans la relecture de Textes sacrés.

Ce qui caractérise le féminisme islamique, c’est qu’il se fonde sur une double critique : à l’image des autres féminismes qui ont émergé dans ce qui est appelé la troisième vague féministe, il se pose comme une critique de l’intérieur du féminisme. Tout comme le Black feminism (féminisme noir africain-américain) et la critique féministe postcoloniale, le féminisme islamique se pense dans la remise en question du féminisme colonial et de l’imposition d’un modèle unique de lutte pour l’émancipation ; à cette posture politique, s’ajoute une critique religieuse du féminisme, de sa prétention à n’exister que par la mise à l’écart du religieux et par le matérialisme.

Les féministes musulmanes revendiquent être féministes dans la remise en question du modèle dominant de féminisme, qui a historiquement posé des hiérarchies entre les femmes et a été instrumentalisé dans le passé pour appuyer le processus colonial, et qui ne s’est posé principalement en Occident qu’en des termes a-religieux (si ce n’est anti-religieux). Elles revendiquent une militance prenant sa source dans la spiritualité musulmane et faisant de l’islam une grille de lecture pour promouvoir l’égalité. En s’appuyant notamment sur la notion fondamentale de 
Tawhid (unicité Divine) en islam, elles affirment l’égalité de toutes et tous face au Créateur, et insistent sur la gravité de la domination en tant qu’appropriation d’une autorité et d’un pouvoir qui n’appartient qu’à Dieu.

Rejoignant la posture du féminisme postcolonial, les figures du féminisme islamique à l’échelle internationale posent une remise en question fondamentale, à savoir que le féminisme, en tant que modalité de remise en question de la domination masculine et de lutte contre le patriarcat, et en tant que pratique de l’émancipation n’est pas le fruit de l’Occident, mais représente une dynamique qui a existé au Sud comme au Nord. Ainsi, au début du 20ème siècle, les mouvements féministes, qui prenaient forment au Sud, étaient partie intégrante des mouvements nationalistes et anticoloniaux.

En Egypte, par exemple le mouvement féministe égyptien n’a pas suivi, encore moins succédé aux mouvements féministes européens, mais il est né au même moment, et s’est décliné en intégrant les revendications anticoloniales et nationalistes de l’époque. Ainsi, l’engagement féministe est historiquement lié à l’anticolonialisme au Sud, comme il s’est conjugué à l’antiracisme pour les militantes noires américaines.

En France, les musulmanes féministes n’opèrent pas de hiérarchies entre d’un côté, lutter contre la domination masculine et promouvoir des lectures de l’islam en accord avec leur convictions féministes, et de l’autre, lutter contre le racisme, l’islamophobie qui les stigmatisent, elles et leurs frères, les renvoyant à cet Autre, archaïque et obscurantiste. Cette imbrication de l’antisexisme à l’antiracisme n’est pas une question de choix, c’est une posture face à une double oppression. Partant de cela, les musulmanes se réapproprient le féminisme, le redéfinissent, le nourrissent, et contribuent ainsi à son renouvellement. Aux côtés d’autres féministes, notamment à travers le Collectif des Féministes pour l’Egalité, elles représentent un nouveau courant au sein du féminisme qui doit être reconnu en tant que tel, et dont il faut dénoncer le rejet et la mise à l’écart.

Cette militance nouvelle, de par la diversité de ses composantes (sociales, religieuses, générationnelles, en termes de parcours militants etc.) permet en réalité de décloisonner le féminisme, de le placer au cœur des débats sur  les inégalités racistes, sociales et sexuelles. Il est aujourd’hui primordial d’entendre des féministes dénoncer l’instrumentalisation de la question des droits des femmes à des fins racistes, il est encore plus fondamental qu’elles expriment leur solidarité avec les musulmanes discriminées qui luttent pour leurs droits, car si le féminisme est une grille de lecture, une posture politique de refus de toutes les formes de domination, alors là où il y a discrimination, rejet, exclusion de femmes, il y a nécessité de dire, de dénoncer, de résister, en un mot d’être féministe.

Note:

[1] Propos tenus pas le président du Tribunal Administratif de Rennes tiré du procès verbal de l’audience tenue le 2 mars 2005 suite au  référé-liberté exercé par l’association Al Houda contre la Mairie de Rennes , en réponse à son exclusion de la journée des femmes à Rennes. Rappelons les faits : Al Houda (l’Association des Femmes Musulmanes de Rennes) demandait depuis près d’une décennie d’être partie intégrante, au côté de toutes les autres organisations et associations féminines et féministes de la ville, des évènements organisés par la Ville de Rennes dans le cadre de la journée des femmes. En l’occurrence, il s’agissait de faire figurer ses activités pour la journée des femmes dans le programme officiel des évènements organisées dans le cadre du 8 mars à Rennes et de faire partie du Forum des Associations, réunissant sous un chapiteau  le weekend du 8 mars, l’ensemble des associations et organisations rennaises ayant trait aux femmes en leur permettant d’y tenir un stand pour y présenter leurs activités.
La Ville de Rennes avait décidé, conjointement avec la majorité du réseau associatif rennais organisant en partenariat avec elle la journée des femmes, d’exclure l’association Al Houda des activités et programmations, notamment de la tenue d’un stand dans le Village des Associations place de la Mairie à Rennes. Suite à cette exclusion, Al Houda a exercé un référé-liberté contre la Ville, qui fut donc rejeté. Depuis, Al Houda demeure exclue de la journée des femmes à Rennes. (Ajoutons que l’argument de la laïcité n’était pas tenable étant donné que l’association des Femmes Catholiques fait partie des associations participant à la journée des femmes).
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  1. Le foulard islamique n’est pas un vêtement neutre, comme n’importe quelle coiffure. Dans les pays gouvernés par l’islam, il est obligatoire. Plusieurs femmes en Iran, ont ostensiblement retiré leur foulard pour affirmer leur liberté. Elles risquent la mort, et au mieux, le fouet. En France, les femmes voilées ne sont pas fouettées. Ce foulard est bien le signe de la domination du mâle sur la femme. J’accepte d’être qualifié d’ « islamophobe » si je n’accepte pas l’apartheid des femmes, et si on me fait comprendre que la ségrégation dont sont victimes les femmes est une caractéristique de l’islam. Certains disent que des femmes musulmanes sont libres de porter ce signe de leur ségrégation. Alors elles devraient être libres aussi de l’enlever. Ce qui n’est manifestement pas le cas.
    Pas très loin de chez moi, il y a une mosquée. L’apartheid des femmes est clairement indiqué dès l’entrée par des affiches. Les hommes d’un côté, les femmes de l’autre. Comme en Afrique du sud et aux USA pour les blancs et les noirs. L’ « exclusion des femmes musulmanes » , ce sont les musulmans qui la pratiquent dans les mosquées, et dans toutes les situations sociales collectives.
    Tant que les musulmans de France pratiqueront l’apartheid, on ne pourra pas les considérer comme des citoyens de la République.

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