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Le danger de l’islamophobie

Le 16 mars 2001 , une mosquée a brûlé à Belley, dans l’Ain. Un véhicule volé a enfoncé la porte du lieu de culte et mis le feu au hall d’entrée. L’instruction est toujours en cours. Plus récemment, le 26 avril, un cocktail Molotov a été lancé contre la maison d’Abderrahim Berkaoui, recteur de la mosquée de Valdegour, à Nîmes (Gard). Le responsable musulman affirme avoir reçu de nombreuses menaces de mort. A Perpignan (Pyrénées-Orientales), un colis piégé a été adressé à un lieu de culte musulman, géré par l’Association culturelle du Champ-de-Mars. Le paquet anonyme n’a pas été réclamé et a été réexpédié au service du rebut, à Libourne. Il a explosé, le 9 avril, entre les mains d’une employée des postes, qui a été légèrement blessée. Dans le Nord, la mosquée de Lomme, près de Lille, a été taguée avec des croix gammées. Un cocktail Molotov a été lancé contre une salle de prière à Escaudain, à côté de Valenciennes.

En tout, Rachid Nekkaz, porte-parole du Forum citoyen des cultures musulmanes, évalue à une douzaine les agressions commises contre des lieux de culte musulmans. Cette estimation est sans doute inférieure à la réalité. Les musulmans ne disposent pas, en effet, d’une instance représentative qui pourrait centraliser les agressions et en dresser la liste. En outre, la plupart des mosquées sont gérées par des immigrés de la première génération, qui n’ont pas la nationalité française et n’osent pas porter plainte auprès de la police ou de la gendarmerie.

La presse régionale s’est fait l’écho de ces agressions. Mais la presse nationale ne les a que très rarement mentionnées. Il est vrai qu’en nombre ces événements restent très largement inférieurs aux actes antijuifs perpétrés contre des personnes ou des synagogues. L’Union des étudiants juifs de France (UEJF) et SOS-Racisme ont recensé, dans un Livre blanc, 405 agressions entre le 1er septembre 2000 et le 31 janvier 2002. Le retour de l’antisémitisme dans notre pays a été légitimement condamné par les hommes politiques, les responsables associatifs et les représentants des grandes religions.

Pour autant, sans minimiser la gravité de ces actes, il n’est pas inutile de rappeler que les musulmans restent les principales victimes d’un racisme au quotidien, d’un petty racism, comme disent les Anglo-Saxons. Dans son rapport portant sur l’année 2001, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) dénombrait 38 faits graves racistes commis sur le territoire national, contre 30 en 2000 : agressions physiques contre des personnes d’origine maghrébine, ratonnades, cocktails Molotov ou jets de pierres visant des mosquées ou des commerces musulmans… Pendant la même période, 29 faits graves antisémites ont été recensés.

Comme le constate un sondage CSA réalisé pour l’hebdomadaire Marianne (8 avril), 23 % des Français jugent antipathiques les jeunes d’origine maghrébine, tandis que 10 % ont de l’antipathie pour les juifs. Le sentiment raciste est davantage répandu dans l’opinion que l’antisémitisme. Mais tout se passe comme si ce fait était tacitement admis par l’opinion. Comme si, depuis les attentats du 11 septembre et la flambée des actes antijuifs, les musulmans de France étaient passés du statut de victimes à celui d’agresseurs. Comme si une dose “incompressible” de racisme était implicitement acceptée par la société française.

 

UNE GUERRE DES COMMUNAUTÉS

La multiplication des agressions antijuives commises dans les banlieues a été souvent présentée comme une véritable guerre des communautés : Arabes contre Juifs. Ou encore comme une guerre des religions. Or, comme le dit à juste titre le président de SOS-Racisme, Malek Boutih, “quelqu’un qui brûle une synagogue, ce n’est pas un Maghrébin, c’est un voyou”. Les arrestations effectuées par la police ont confirmé que la plupart des auteurs des actes antijuifs étaient des jeunes désocialisés, qui ne fréquentaient pas les mosquées et n’étaient pas encadrés par des associations ou des réseaux musulmans.

Après les attentats du 11 septembre, les commentaires hostiles à l’islam (et pas seulement à l’islamisme) se sont multipliés. Les islamologues français comme Gilles Kepel ou Olivier Roy, ont été accusés d’avoir été “naïfs”, d’avoir minimisé le danger islamiste. On a vu alors poindre dans les médias, surtout à la télévision, d’étranges “spécialistes de l’islam” surgis de nulle part. De ce point de vue, le cas d’Alexandre del Valle est éclairant. Auteur de deux livres, ce jeune homme de 33 ans s’est imposé comme un expert du débat médiatique au lendemain du 11 septembre. Le moins que l’on puisse dire est qu’il n’est pas favorable à la religion musulmane. Dans ses articles (disponibles sur le site www.geo-islam.org), il explique notamment que “l’islam est totalitaire” ; que “l’actuel processus de colonisation de peuplement que l’on nomme pompeusement “phénomène migratoire” s’apparente à une véritable guerre de conquête, à une invasion déguisée”.

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La soudaine notoriété médiatique d’Alexandre del Valle et surtout ses critiques virulentes contre l’islam lui ont valu d’être reçu comme un conférencier apprécié dans certains cercles de la communauté juive proches du Likoud. Récemment encore, il était invité du Salon des écrivains du B’nai Brith, une association humanitaire juive.

 

L’EXEMPLE D’UNE INFILTRATION

René Monzat, spécialiste de l’extrême droite, a mené une enquête minutieuse sur Alexandre del Valle, dont le vrai nom est Marc d’Anna. Son étude est parue en avril dans la revue du mouvement Ras l’Front. L’auteur affirme, preuves à l’appui, que Marc d’Anna a collaboré de manière systématique à des publications liées à la Nouvelle Droite païenne, entre début 1994 et septembre 2001. En juillet-août 1996, il a pris la parole, sous le pseudonyme de Guido Delvallée, à l’université d’été du réseau européen, de tendance néopaïenne, Nouvelles Synergies européennes, qui se tient en Lombardie. Parmi les autres intervenants, on relève le nom de Claudio Mutti, l’éditeur italien du Protocole des sages de Sion. Selon René Monzat, Marc d’Anna a également été un conférencier apprécié dans la mouvance d’extrême droite et chez les catholiques intégristes de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie V.

De son côté, Alexandre del Valle dément formellement tout lien avec la Nouvelle Droite. Il ne nie pas, cependant, sa participation à plusieurs manifestations organisées par des associations d’extrême droite : “Je suis un homme libre, a-t-il déclaré au Monde. Je fréquente des gens dont je ne partage pas forcément les idées. J’ai bien le droit d’avoir eu des expériences et d’avoir évolué…” Pour René Monzat, il ne fait aucun doute que l’ascension d’Alexandre del Valle offre l’exemple d’”une infiltration partiellement réussie”.

Quoi qu’il en soit, elle illustre la façon dont un certain discours hostile à l’islam s’est répandu comme un poison. Et comment le terreau de l’opinion française a été comme préparé insidieusement à être plus perméable au racisme et à l’islamophobie.

Article paru dans le Monde édition du : 12.05.02

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15 mai 1948 – 15 mai 2002

Épouses du Prophète