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La victoire électorale de l’extrême droite en Italie et ses répercussions en Europe

Comme on pouvait s’y attendre, la victoire de l’Alliance des droites en Italie avec à sa tête, le parti postfasciste Fratelli d’Italia de Giorgia Meloni, a été accueillie avec un sentiment d’inquiétude en Europe, aussi bien dans l’opinion publique, et particulièrement parmi les populations issues de l’immigration, que parmi les élites.

L’Europe craint avant tout l’effet boomerang de l’évènement. Bruxelles voit d’un mauvais œil le fait qu’un second membre des 27 place l’extrême droite au pouvoir, après la Suède il y a une dizaine de jours. L’inquiétude est d’autant plus forte que l’Italie pourrait trouver du soutien auprès de la Suède, mais également de la Pologne et de la Hongrie, deux pays en conflit avec la Commission européenne sur un certain nombre de dossiers, dont celui qui se rapporte aux atteintes à l’État de droit.

Mais au-delà de cette question qui devrait inquiéter tout particulièrement les populations musulmanes installées en Europe, Bruxelles ne peut pas se réjouir à l’idée de voir une eurosceptique à la tête de la troisième puissance économique d’Europe. L’arrivée de l’extrême-droite au pouvoir en Italie risque en effet de compliquer la mise en œuvre du plan de relance européen, auquel Bruxelles a consacré la bagatelle de 750 milliards d’euros, dont presque le tiers devrait aller à l’Italie. Il y va donc de la cohésion de l’Europe dans une conjoncture géopolitique qui recommande l’unité et la solidarité face aux défis posés par la guerre en Ukraine.

Ce n’est pas un hasard si la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen,, avait anticipé la victoire de l’extrême droite et menacé l’Italie de sanctions en cas d’atteinte aux principes démocratiques de l’Union européenne. Bien-sûr, l’insistance sur les « principes démocratiques » ne doit pas occulter le fait que Bruxelles s’inquiète avant tout des retombées d’une politique qui pourrait retarder le processus d’intégration européenne en cours, qui apparaît de plus en plus comme une version soft d’une mondialisation impériale sous commandement américain.

Les menaces de sanctions de Bruxelles auront-elles l’effet escompté et conduiront-elles le futur gouvernement italien issu des dernières élections à mettre un peu d’eau dans son vin et à modérer ses tentations nationalistes sous peine de perdre les aides que l’Italie s’apprête à recevoir de l’Europe ? Les discours ostentatoires durant les campagnes électorales sont une chose et la dure gestion d’une politique gouvernementale dans le cadre d’un capitalisme englué jusqu’au cou dans une dynamique économique et financière transnationale sans parler des impératifs d’ordre institutionnel imposés par Bruxelles en est une autre.

L’hypocrisie de l’extrême-droite italienne apparaîtra au grand jour dès les premières semaines de gouvernance. L’extrême droite a beau mettre tous les problèmes de l’Italie sur le dos de Bruxelles, elle ne pourra pas aller au-delà de ses sempiternelles litanies dans la mesure où elle sera obligée d’accepter les conditions, quitte à les modérer, qu’impose Bruxelles pour bénéficier des 200 milliards d’euros du plan de relance européen (68 milliards d’aides et 122 milliards de prêts bonifiés) en contrepartie de réformes de structures draconiennes qui touchent notamment le système judiciaire, le système des marchés publics ainsi que la fonction publique.

Le « souverainisme » de pacotille dont se gargarisent les chantres de l’extrême-droite est à géométrie variable. Viril et intraitable quand il s’agit de l’immigration, il est vite amené à se diluer lorsqu’il s’agit aussi bien de l’Empire dans sa version économique européenne que dans sa version stratégique transatlantique comme en témoigne la position prise par Giorgia Meloni face à la guerre en Ukraine. Les envolées lyriques en faveur de Vladimir Poutine, en lequel l’extrême droite européenne voit comme dans un miroir ses propres tentations nationalistes et autoritaires, ont laissé la place à un discours plus « réaliste » dans lequel la soi-disant solidarité avec l’Ukraine cache mal la soumission de l’extrême-droite italienne, au même titre que les autres composantes de l’échiquier politique officiel, au diktat américain.

A cet égard, l’extrême-droite italienne n’a même pas pu utiliser son registre de propagande habituel, à savoir celui de la soi-disant « solidarité chrétienne » contre le diable islamique comme elle pouvait le faire pour justifier les guerres d’invasion de l’Empire américain contre les pays arabes et musulmans. La guerre et les sanctions contre l’ennemi (russe)  du jour, qui est cette fois-ci aussi « chrétien », ne peuvent guère être justifiées que par la dure soumission à la Babylone contemporaine de Wall Street.

Aussi bien en matière de politique économique et sociale qu’en matière de politique étrangère, l’extrême droite montrera bientôt ses limites structurelles. Et pour cause. Même si elle se nourrit et se joue des peurs et des angoisses réelles de la multitude européenne qui est littéralement broyée par les effets pervers de la mondialisation et l’ « européanisation » institutionnelle qui lui est adossée, l’extrême droite reste prisonnière de son péché originel, à savoir le cordon ombilical qui la rattache congénitalement au capitalisme.

On ne peut pas en même temps rester prisonnier de la logique du marché et du capital et prétendre au « souverainisme ». On ne peut pas être à la fois pour la circulation des marchandises et des capitaux et pour le contrôle de l’immigration. On ne peut pas indéfiniment détester les Arabes et les Musulmans et aimer leur pétrole et leur gaz.

Certes une partie importante de l’électorat populaire a voté pour l’extrême droite pour de multiples raisons dont certaines sont compréhensibles à défaut d’être acceptables. Cependant les élites qui dirigent actuellement le capitalisme auront à rappeler à ceux qui s’apprêtent à gouverner en façade l’Italie les dures exigences de l’électeur invisible, le seul qui compte pour eux, que constitue l’arbitrage du marché. Il y a quelques mois, une députée d’extrême-droite a effectué une sortie médiatique démagogique en proposant d’aller chercher le gaz qui se trouve au fond de l’Adriatique au lieu de l’importer d’Algérie.

Les technocrates du géant énergétique Italien ENI ont vite fait de lui fermer le clapet en lui rappelant tout simplement que le gaz de l’Adriatique, outre son coût rédhibitoire, suffirait à peine à la consommation de quinze mois ! Ce genre d’échanges dignes d’une comédie de bas étage risque de se multiplier dans les mois qui suivent tant l’étroitesse d’esprit et l’incompétence des dirigeants de l’extrême-droite auront à buter sur les exigences incolores de la gouvernance capitaliste mais tout rentrera dans l’ordre dès lors que personne ne remet en question les fondements du système capitaliste.

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Bien entendu, le rappel des limites de la politique d’extrême-droite ne doit pas conduire à sous-estimer ses méfaits concrets que les musulmans seront les premiers à subir au quotidien. Par ailleurs, il ne faut surtout pas ignorer les convergences réelles que cette extrême droite est appelée à cultiver avec les élites qui influencent derrière les rideaux la politique impériale qui vise à vassaliser le monde entier pour continuer à exploiter au meilleur coût les richesses naturelles et humaines de la planète, et qui butte aujourd’hui aussi bien sur la résistance de nouvelles puissances en quête d’un nouvel ordre multipolaire (Russie, Chine) que sur le réveil des peuples musulmans qui sont appelés à retrouver tôt ou tard la solidarité qui leur fait cruellement défaut aujourd’hui, au-delà des rivalités et des divisions qui alimentent une dynamique centrifuge et empêchent le monde musulman de mieux se repositionner sur la scène internationale.

Vue de France, la victoire électorale de l’extrême-droite italienne est assez instructive. Elle n’a pas manqué d’être saluée comme il se doit par ses amis de France et de Navarre. Marine Le Pen et Eric Zemmour ont exulté au lendemain de la publication des résultats de l’élection italienne. Pourtant, leur joie sera de courte durée, non seulement parce que l’exercice du pouvoir de leurs camarades italiens risque d’être de mauvais présage pour eux, mais aussi parce qu’ils risquent de devoir prendre des positions qui s’avèreront inconfortables quand le nationalisme des uns risque d’entrer en conflit avec le nationalisme des autres, comme c’est le destin de tous les nationalismes étriqués.

Invité sur Europe 1, le spécialiste de l’Italie, Marc Lazare, n’a pas caché son inquiétude quant à l’arrivée de Giorgia Meloni au pouvoir et ses possibles répercussions sur les relations franco-italiennes : “Giorgia Meloni, parlons clair et je pèse mes mots, est antifrançaise. On le sait, elle a fait de très nombreuses déclarations depuis quelques jours. Elle a atténué ce discours et il y aura deux possibilités : ou ce sera la crise, une crise très préjudiciable pour les deux pays car nous sommes deux partenaires commerciaux pour l’Union européenne, ou alors on va avoir la raison d’État. On va essayer de faire quelques petits sourires et surtout d’essayer de trouver un point commun.” .

Marc Lazare n’a pas trouvé un autre point commun que celui de l’assouplissement des critères sur la dette et le déficit public. En d’autres termes, les exigences du capitalisme mondialisé que défend Bruxelles ne laissent aux capitalismes nationaux des uns et des autres qu’un seul choix : accepter les règles du jeu, quitte à les assouplir pour mieux les faire passer. Et au diable les envolées lyriques et démagogiques sur les nations et les peuples d’Europe que les dirigeants d’extrême-droite servent régulièrement à leurs électeurs, sans en tirer les véritables conclusions qui s’imposent !

Des conclusions qui demandent un courage autrement plus risqué que les lâches diatribes contre leurs concitoyens de confession musulmane, qui sont tout sauf responsables de la casse de l’industrie par la financiarisation du capitalisme, du chômage, de la baisse du pouvoir d’achat, de la crise de la famille, de la dénatalité, du délitement du lien social et des angoisses qui condamnent des millions d’Européens à la précarité et à la fragilité existentielle.

 

 

 

 

 

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2 commentaires

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  1. @pat07150
    Bien sûr qu’il faut respecter le choix des italiens.
    Je ne comprends même pas pourquoi certains politiciens et penseurs français s’offusquent de la réussite de cette dame, alors qu’ils épousent les mêmes idées lorsqu’il s’agit de parler d’étrangers, musulmans, arabes, noirs… une mémoire sélective, peut-être.
    Il n’y a pas mieux que la clarté. Dans les idées et dans les propos. Comme c’est le cas pour vous @pat07150.

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