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La Madrassa Dar al-Mustafa à Tarim, au Yémen

Un regard croisé sur des institutions traditionnelles d’enseignement islamique (partie 3)

Après l’article de réflexion  « Dépasser la critique réformiste et l’apologie traditionaliste – Un regard croisé sur des institutions traditionnelles d’enseignement islamique » et les deux récits de voyage et de visite d’institutions traditionnelles d’enseignement islamique dans les déserts algérien et mauritanien, je propose, pour terminer cette série, une présentation plus brève de la Madrassa Dar al-Mustafa, située dans la ville de Tarim, dans la région de l’Hadramaout, au Yémen.

A l’inverse du village de Matamoulana en Mauritanie et de la zaouïa d’Inzegmir en Algérie, toutes deux présentées dans des contributions récentes sur le site de Oumma, la Madrassa Dar al-Mustafa bénéficie d’une exposition bien plus large et détaillée dans les médias, notamment sur internet. Elle contraste sur de nombreux points avec les autres institutions présentées précédemment, notamment par sa situation dans une ville de taille relativement importante, par la fréquentation d’un nombre conséquent d’étudiants étrangers et finalement par son aura internationale, découlant notamment des personnalités du Cheikh Habib Umar Ibn Hafiz et de son élève bien connu, le Cheikh bien connu Habib Ali al-Jifri, qui restent sans doute les savants les plus connus affiliés à ce lieu. Bien avant eux, c’est le Cheikh renommé Al-Haddad qui a rayonné sur Tarim, qui semble toujours avoir été un haut lieu de savoir et de spiritualité et, de nos jours, un des derniers épicentres de l’islam « traditionnel ».  

Malgré leurs différences de taille, de structure et d’organisation, la Madrassa Dar al-Mustafa peut être associée à celles de Matamoulana en Mauritanie et de Inezgmir en Algérie, en ce sens qu’elle promeut et enseigne une interprétation traditionnelle de l’islam, que l’on peut résumer pour rappel au suivi d’un madhab spécifique et d’une école de dogme (aqida) traditionnelle (acharisme ou maturidisme), ainsi que par une grande proximité avec la tradition soufie (tasawwouf). Ces points communs contribuent à la proximité spirituelle entre ces musulmans de contextes géographiques très différents, et notamment d’un lien autant visible que spirituel entre les figures charismatiques de ces lieux.

Ceci fut notamment illustré par la visite du Cheikh Umar Ibn Hafiz du Yémen au Cheikh Al-Hassan de la zaouïa d’Inzegmir en Algérie. Le premier suit le madhab chaféite, le deuxième le madhab malékite. Les deux situent leur dogme dans le dogme acharite. Mais surtout, ils se retrouvent dans une haute spiritualité, dans une foi profonde et dans des vertus élevées, qui semblent créer en eux une aura particulière et qui suscitent une attraction de fidèles autour d’eux, malgré leur humilité et simplicité.

Vu que nombre d’informations pratiques et factuelles relatives à la Madrassa Dar al-Mustafa, à ses conditions d’accès et aux modalités d’étude se trouvent sur internet, je ne m’attarderai pas sur la description précise du lieu, des conditions et du programme d’étude. Plutôt, je reviendrai sur mon expérience en mettant en évidence quelques observations qui m’ont marqué et qui me semblent potentiellement intéressantes pour le lecteur, dans la continuité thématique des trois articles précédents.

J’entrepris mon voyage à Tarim durant l’été 2013, peu avant le Ramadan. En ces temps de trouble politique et d’instabilité sécuritaire, les voyages au Yémen n’étaient pas vraiment possibles si on s’en tenait aux communications des ambassades yéménites en Europe. Cependant, le personnel de Dar al-Mustafa assurait qu’il était possible de se rendre à Tarim en sécurité et était même en mesure de fournir aux voyageurs des visas, nécessaires à l’entrée au Yémen. C’est ainsi que je pus m’y rendre, malgré l’annonce de l’ambassade yéménite de l’impossibilité de voyager au Yémen dans cette période troublée.

Après quelques semaines passées au Caire, j’arrive donc par avion à Say’un, l’aéroport le plus proche de Tarim, après une escale fatigante à Sanaa. Dès lors, je suis pris en charge par des étudiants de la Madrassa Dar al-Mustafa. Ces derniers, qui y séjournent tout au long de l’année pour leur programme d’études réparti sur de longues périodes, se préparent alors à l’accueil de musulmans venus des quatre coins du monde en vue de la Dowra, programme annuel de 40 jours s’étendant sur la période du Ramadan et au-delà, dans un but d’enseignement islamique traditionnel et de développement spirituel.

Je suis d’abord étonné par la diversité et le nombre d’étudiants, qui viennent de pays très différents, tels l’Indonésie, les Etats-Unis, la Suède, la Grande-Bretagne, la Malaisie ou encore les Comores. En arrivant à Tarim, je me rends compte que je suis logé dans une maison en compagnie des étudiants « internationaux », parallèlement à un autre programme destiné aux arabophones. Parlant l’arabe, je regrette cette modalité et il me semble trop tard pour la changer.

En effet, la Madrassa a organisé un hébergement alternatif pour les étudiants « occidentaux », en prêtant une intention particulière à la nourriture et aux conditions d’hébergement. Ces conditions justifient également le prix plus élevé que celui du programme destiné aux étudiants en provenance de pays plus pauvres, qui ne payent pratiquement rien pour la durée du séjour mais qui sont logés dans des conditions plus drastiques. Toutefois, nous sommes tous logés sur le sol dans une grande salle, partageant l’espace avec une cinquantaine d’autres étudiants. La chaleur est intense et les moustiques nombreux, ce qui rend le repos compliqué.

Par contre, il est clair que nos hôtes font de grands efforts pour faciliter le séjour et qu’ils prêtent une attention particulière à la nourriture et aux soins médicaux pour ceux qui en ont besoin. Au cours de mon séjour, je serai admiratif du dévouement et de la gentillesse des encadreurs, de leur abnégation et du fait de les voir prioriser les intérêts des visiteurs sur les leurs.  Au cours de mes voyages à travers le monde, j’ai rarement vu une telle hospitalité et gentillesse. Les étrangers sont reçus avec les plus grands soins et avec une grande bienveillance, malgré la rudesse de l’environnement et des conditions de vie.

Les jours suivants, je me retrouve entraîné dans une routine faite de prières et d’études, qui restent difficiles pour moi en raison des conditions de vie. Le matin, bien avant l’aube, nous nous rendons à la mosquée pour y prier. Le dhikr commence longtemps avant la première prière de l’aube (Sobh). De 3h30 à 6h00, nous sommes à la mosquée. A l’issue de la prière, je relève avec surprise et admiration que tous les fidèles se saluent à tour de rôle, en se présentant au Cheikh et en s’alignant de manière organisée, ce qui permet à chacun de saluer l’intégralité des fidèles. Vu le grand nombre de personnes présentes, les salutations prennent au moins une dizaine de minute, à l’issue de chaque prière de l’aube.

Des centaines de mains sont serrées et nombre de visages sont croisés, dans un esprit de communion et de fraternité. Ensuite, la journée est partagée entre les moments de prière, d’étude en groupe, de lecture, de repos et de repas. Nous avons aussi le temps de nous promener dans la ville de Tarim mais, pour des raisons climatiques, nous le faisons généralement en fin de journée seulement, avant la tombée du soleil. Nous profitons aussi de visiter d’autres mosquées, ainsi que la maison de l’illustre Cheikh défunt Al-Haddad.

À Tarim, les conditions de vie restent difficiles et précaires, tant en termes de climat que d’alimentation, malgré les considérables efforts de l’administration de l’école et de son Cheikh pour acclimater les étudiants occidentaux et faciliter leur séjour. En effet, si l’espace dédié à l’hébergement des étudiants occidentaux est plus confortable et mieux aménagé que celui des étudiants engagés à long terme, c’est surtout l’attention portée à la cuisine qui distingue les conditions de vie des deux parties.

Pour les participants internationaux à la Dowra, les cuisiniers yéménites préparent des repas spécifiques, sensés mieux répondre aux goûts et aux habitudes de ces visiteurs, qui contrastent avec le régime monotone des autres étudiants et hôtes qui se compose quotidiennement de riz assorti d’un peu de poisson. Ceci dit, habitué aux voyages, j’observe avec étonnement et gêne cette séparation entre étudiants en fonction de leur origine, bien que je perçoive que ce geste part d’une très bonne intention et d’un souci de rendre le séjour plus « vivable » à des Occidentaux qui ne pourraient pas nécessairement supporter les conditions de vie locale. Et de surcroît, malgré les aménagements de séjour, nombre d’étudiants sont tombés malades et ont eu des difficultés à supporter tant l’alimentation que la chaleur et les moustiques. Pour ma part, j’attrape d’abord une angine et un rhume puis, bien plus gravement, des problèmes gastriques qui perdurent. Ces troubles de santé répétés me pousseront finalement à abréger mon séjour.

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L’expérience la plus marquante de mon bref voyage à Tarim reste liée aux rencontres avec les locaux et l’amabilité des Yéménites, à leur très grande hospitalité et à leur gentillesse. Tout d’abord, malgré les troubles qui secouaient le pays déjà marqué à cette époque par une grande insécurité, la ville de Tarim m’a donné une impression de paix, de sérénité et de stabilité. Le voyageur y était alors en sécurité et ne craignait aucune agression. Très traditionnelle, l’ambiance de Tarim respirait la ferveur religieuse et spirituelle. Les habitants arboraient des tenues locales et l’influence occidentale globalisée était encore particulièrement faible.

Je peux relater quelques anecdotes qui dénotent les qualités morales des habitants rencontrés. Tout d’abord, à la suite de maladies et d’imprévus qui m’ont poussé à quitter la ville prématurément, je me suis donc adressé aux gestionnaires de l’institut pour leur annoncer mon départ et mon impossibilité à participer à la Dowra. Mon intention était alors simplement de m’excuser de ce changement et de prendre congé d’eux, sans imaginer même demander un remboursement des frais que j’avais payés pour les cours et l’hébergement prévu sur une période d’un mois. Mais spontanément, mon interlocuteur m’a remboursé l’intégralité de la somme que j’avais payée par transfert bancaire quelques mois plus tôt. Je fus surpris et admiratif de ce geste, dans un pays si pauvre.

Dans les pays où j’ai vécu en Europe, j’ai souvent remarqué que de tels remboursements étaient improbables et pratiquement impossibles à obtenir après un paiement et un engagement, d’autant plus si la période de formation ou d’hébergement avait déjà commencé. Parallèlement, en vue de changer mon retour, je me suis rendu à trois reprises à une agence de voyages de la ville pour demander une modification de mon billet d’avion, ce qui était particulièrement difficile à faire avec la compagnie concernée.

Cette tâche a alors nécessité plusieurs appels téléphoniques de la part de l’agence, et j’ai dû y revenir à plusieurs reprises pour de brefs rendez-vous. A l’issue de cette démarche, le billet a pu être modifié à mon avantage, et sans aucun frais. Le responsable de l’agence a énergétiquement refusé d’encaisser quoi que ce soit et a donc travaillé sans rémunération. Ces deux épisodes soulignent la gentillesse des habitants rencontrés et surtout, leur générosité et hospitalité dépourvues de motivations d’intérêts ou de profit. Dans ce cadre, j’ai ressenti la sincérité d’un accueil et d’une fraternité basée sur la foi, la bienveillance et le sentiment de grande sécurité et tranquillité.

Finalement, je repense à une courte anecdote en fin de journée dans une rue de Tarim jouxtant la mosquée. Devant une boutique faisant parallèlement office de restaurant informel, j’étais assis sur un banc, entouré par de nombreuses personnes. Très peuplé, l’endroit accueillait indistinctement clients ou passants, chacun étant libre d’occuper l’espace comme il le souhaitait, sans nécessité de consommer.

A côté de de moi, un enfant du coin d’une dizaine d’années mangeait une assiette de frites. Il me dit de me servir de frites. Par politesse, j’en pris deux et je le remerciai. Il me dit d’en prendre d’avantage, en évoquant la Sunna d’en manger un nombre impair. J’en pris alors trois, ce à quoi il rétorqua que la Sunna, c’est aussi d’en manger 5 ou 7 ou davantage. Je me rappelle son visage souriant et lumineux, mais plus encore, son intention de partage et son empressement à vouloir partager le peu qu’il avait. Je me souviens qu’à son âge, j’aurais certainement voulu garder toute la portion pour moi. Cette anecdote, peut-être insignifiante présentée comme cela, résume pour moi tout l’esprit de Tarim.

L’enseignement dispensé encore aujourd’hui dans cette ville se revendique de l’islam authentique du prophète Muhammad. En tout cas, j’aurais pu remarquer en quelques jours que nombre d’habitants de cette ville mettent en application les enseignements de l’islam en termes d’hospitalité, de respect, de bienfaisance et de générosité. Pourtant, selon le dire des savants et dignitaires du lieu, les mœurs ont déjà commencé à changer et la pratique religieuse a diminué, les vertus et bons comportements étant selon eux déjà sur le déclin. En quelques jours, je n’ai cependant pu m’apercevoir que d’aspects positifs, et je reste reconnaissant à toutes les personnes que j’y ai rencontrées.

Si le Cheikh Habib Ali al-Jifri ne vit plus à Tarim, son Cheikh Habib Umar Ibn Hafiz y est toujours présent. Sur Youtube, des conférences et discours y sont relayés et, certains d’entre eux, traduits en français. Ci-dessous, deux extraits permettent de rendre compte de la teneur spirituelle de leurs enseignements et de leur approche de l’islam :

Habib Ali al-Jifri – extrait « La Miséricorde d’Allah » :

Habib Umar Ibn Hafiz – « L’Amour du Prophète pour sa Ummah » :

Annexe :

Site internet de la Dowra organisée annuellement par Dar al-Mustafa (en anglais) :

http://www.thedowra.org

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