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La liste Islam mènera-t-elle la Belgique vers un Etat islamique ?

Le vocable « charia » est tellement chargé négativement dans l’inconscient collectif occidental que sa simple formulation suscite peur et indignation. C’est que la confusion autour de ce terme est grande, autant de la part de musulmans que de non-musulmans[1]. À l’occasion des dernières élections communales en Belgique tenues le 14 octobre 2012, une liste électorale a choisi la dénomination « Islam » pour se présenter aux élections.

La campagne électorale de ce « parti » est passée inaperçue, et son programme se limitait à des revendications classiques (autorisation du port du foulard dans l’enseignement, repas halal, etc.). La liste Islam a présenté quatre candidats dans la Région de Bruxelles, dont deux ont été élus. 5150 électeurs ont voté pour cette liste : 1833 (soit 2,9 %) à Bruxelles-Ville, 1839 (4,13 %) à Anderlecht, et 1478 voix (4,12 %) à Molenbeek. Ces chiffres montrent le poids électoral réel de ce parti, qui semble être la réincarnation d’une ancienne formation politique (Noor) qui avait échoué jusque là à décrocher un siège dans le scrutin communal.

Suite à ce succès inattendu, les promoteurs de la liste Islam ont multiplié les déclarations à la presse, en opérant, par la même occasion, un changement de discours. Le 25 octobre 2012, ils ont tenu une conférence de presse où ils ont donné le ton de leur orientation. Leur ralliement aux thèses classiques de l’islam politique ne faisait plus aucun doute : l’islam est « global, il embrasse tous les domaines de la société », il embrasse et règle « les lois de l’univers, aussi bien la rotation des planètes, les comportements des gens que le fonctionnement du métabolisme », autrement dit, « l’islamest la solution ».

Dans les jours qui ont suivi cette conférence de presse, les médias ont réservé une large tribune aux leaders de ce parti qui, boostés par une telle attention, ont cru bon d’islamiser davantage leur discours, en appelant de leurs vœux la transformation de la Belgique en Etat islamique: « (…) à long terme selon moi, quand les gens vont prendre conscience que la loi islamique est bénéfique pour le peuple belge, je pense que plus tard on s’acheminera vers un Etat islamique… tout simplement » disait le leader de la liste, Redouane Ahrouch. Selon ce dernier, c’est la charia qui devra être appliquée dans ce futur Etat islamique belge: « Je suis pour la Charia… C’est un combat de longue haleine qui prendra des décennies voire un siècle mais le mouvement est lancé »http://younouslamghari.jimdo.com/blog/ – _ftn19. La charia, c’est la loi de Dieu, affirme M. Ahrouch : « Nous voulons expliquer la loi de Dieu et si le peuple le désire, nous voulons instaurer la charia à la suite d’un referendum dans 10-15 ou 20 ans.  Bien sûr, à l’heure actuelle, il est trop tôt. La société n’est pas prête. On devrait couper trop de mains ».

Ce revirement déconcerte d’autant plus que pendant la campagne électorale, le chef de file de ce parti déclarait : « Je suis pour la séparation du pouvoir religieux et du pouvoir politique ». Ce meneur n’est pas à sa première contradiction. On peut relever une autre contradiction en comparant son discours au sujet des élus musulmans actifs dans les partis politiques traditionnels.

Alors qu’avant les élections, M. Ahrouch déclarait « comprendre » que des candidats musulmans s’investissent dans d’autres partis, il s’est livré lors de la conférence de presse précitée à des déclarations qui vont dans le sens inverse : « Nous sommes les premiers conseillers communaux musulmans de Belgique », parce que, estime-t-il, « Unmusulman est celui dont l’état-major est la philosophie islamique, c’est-à-dire le Coran et la tradition prophétique, et nullement celui qui défend les idées d’un état-major politique d’inspiration laïque voire anti-islamique ».

Le résultat decette catégorisation est de classer les musulmans engagés dans le champ politique en deux camps : celui des « bons musulmans » qui s’affranchissent de leur « état-major » politique pour rejoindre le « parti » Islam, et celui des « mauvais musulmans » qui acceptent de rester dans des partis « qui les utilisent comme attrape-voix sans jamais leur donner une vraie liberté d’expression ».

Sur son site internet[2], la liste Islam met en première page une photo de ses deux élus accompagnée du commentaire suivant : « Les premiers élus musulmans de Belgique », et dans les pages internes du site on retrouve cette sentence : « Plus de 20% des élus [en Région Bruxelloise] sont d'origines musulmanes. Ensemble, nous sommes la Première force politique de la capitale… ».

Rappelons que cela fait au moins deux décennies que les partis politiques belges ont engagé dans leurs rangs des candidats de confession musulmane[3]. On pourrait multiplier les exemples sur les contradictions de cette liste qui nous orientent toutes vers un même constat : le manque de cohérence et de sérieux semble être la caractéristique de cette formation politique. On est dès lors en droit de se demander avec quel degré de sérieux on est censé appréhender les déclarations des meneurs de cette liste.

La liste Islam cause plus de tort aux musulmans belges qu’elle ne répond à leurs vraies aspirations. Si elle a suscité un faible engouement auprès de l’électorat bruxellois[4], son plus grand exploit est d’avoir pu accéder aux médias. Parce que ses meneurs sont dorénavant médiatisés, leurs sorties médiatiques suscitent des réactions enflammées dans certains milieux proches de l’extrême droite. Une pétition appelant à l’interdiction de ce « parti » a très vite réuni plus de 40000 signatures.

Elle fut lancée par Nonali, une association qui demande « l'interdiction de l'islam et du coran et de t
ous ses textes, lois, préceptes, dogmes, obligations, … tant que ceux-ci ne sont pas mis en concordance avec la Loi Belge et avec les Lois et Droits internationaux dont la Belgique est signataire
 ».

D’autres voix se sont levées pour appeler à interdire ce « parti », ou à tout le moins, à l’isoler par un cordon sanitaire. Le directeur-adjoint du Centre pour l’Egalité des Chances et la Lutte Contre le Racisme (CECLR) a rappelé qu’en Belgique, il n’y a pas de systèmed’interdiction a priori des partis politiques :« Ce qu’il faut, c’est regarder les initiatives et déclarations de ce parti (…) il est évident que si, se prévalant de son programme, ce parti incite à discriminer par exemple les homosexuels, les femmes ou les non-musulmans, à ce moment-là il y a incitation à la discrimination ou à la haine, dans ce cas-là le Centre interviendra parce que c’est contraire à la loi ».

L’éruption de la liste Islam désoriente tellement les acteurs politiques que le directeur-adjoint du CECLR précité a déclaré : « Ce parti prône la charia. [Or], il y a dans la charia des dispositions qui sont potentiellement discriminatoires contre les femmes, contre les homosexuels, contre les non-musulmans ».

Ces propos confirment la confusion qui entoure le terme charia, et le danger de la transposition de ce genre de concepts dans le contexte belge. Les laïcistes belges du RAPPEL n’ont pas hésité à profiter de la situation pour appeler les partis démocratiques à cesser « d’aligner des candidatures électorales affichant des signes religieux ostentatoires ».

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Le RAPPEL instrumentalise les maladresses de la Liste Islam et la confusion qu’elle crée afin de légitimer son discours classique et réitérer ses revendications traditionnelles « l’interdiction légale des signes religieux dans tout le cursus scolaire obligatoire et pour les fonctionnaires, de la nourriture consacrée dans les cantines publiques, de la charia en droit personnel et familial, etc. »[5]

En appelant de ses vœux l’instauration d’un Etat islamique en Belgique qui applique la charia, la liste Islam transplante des concepts étrangers à la culture locale, forgés dans des contextes historiques marqués par des enjeux politico-religieux qui ne concernent en rien la Belgique. Si l’usage politique du religieux en terre musulmane semble moins cynique, c’est qu’il mobilise un cadre de référence endogène.

La liste Islam se réfère, quant à elle,  à des conceptions méconnues, sinon rejetées par le commun des Belges. La confusion autour du vocable charia aidant, le discours de la liste Islam génère un climat anxiogène et nuit à la cohésion sociale, sachant que son poids électoral est médiocre (notamment en raison de son ancrage supposé dans le milieu chiite bruxellois).

Tout compte fait, une part insignifiante des musulmans bruxellois a voté pour la liste Islam. Cela confirme les conclusions de plusieurs études qui ont démontré que les musulmans de Belgique votent avant tout sur base de considérations ethniques et socio-économiques, mais aussi en fonction de leur âge, de leur sexe et de leur capital scolaire[6]. L’individualisation et la privatisation du référent islamique y sont pour beaucoup.

D’ailleurs, nombreux sont ceux qui se définissent davantage en fonction de leur origine ethnique que de leur appartenance religieuse. Leurs aspirations, même lorsqu’elles s’enveloppent dans des coquilles religieuses, ont surtout trait à la liberté et à la justice sociale. Car si bon nombre sont conscients de la domination qui pèse sur eux, du racisme et des discriminations dont ils sont l’objet, leur souci est moins de transformer la Belgique en un Etat islamique que d’être reconnus comme citoyens à part entière et traités équitablement.

Notes:



[1]Réduite très souvent dans l’imaginaire collectif au fiqh, la charia cesse d’être la voie qui guide le musulman vers le divin, éclairée par les principes et les finalités extraites du Coran et de la Sunna. En réduisant la charia à sa dimension juridique, la conception traditionaliste moderne prête le flanc aux interprétations littéralistes qui survalorisent l’orthopraxie et appellent à l’application maximaliste des châtiments corporels.

[2]http://www.islam2012.be/

[3]Lambert, Pierre-Yves (1999), La participation politique des allochtones en Belgique – Historique et situation bruxelloise, Louvain-la-Neuve, Academia-Bruylant.

[4]Bruxelles compte environ 250 000 personnes de confession musulmane, qui représenteraient environ 25% des Bruxellois. Voir Dassetto, Felice (2011), L’iris et le croissant,Bruxelles et l’islam au défi de la co-inclusion, Louvain-la-Neuve, Presses Universitaires de Louvain.

[5]http://www.le-rappel.be/joom/index.php?option=com_content&view=article&id=148:la-liste-islam-un-parti-clerical-antidemocratique-totalitaire&catid=40:prises-de-position&Itemid=69

[6]Zibouh, Fatima (2010), La participation politique des élus d'origine maghrébine. Élections régionales bruxelloises et stratégies électorales, Louvain-la-Neuve, Academia/Bruylant.

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