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La lettre persane de Mahmoud Ahmadinejad

Ostensible dédain de l’administration Bush, haussement d’épaules des experts patentés et commentaires sarcastiques des médias occidentaux : la lettre adressée par le président iranien à son homologue américain a-t-elle seulement été lue ? Mêlant l’ironie à la réprobation, le quotidien Le Monde y voit « une interminable leçon de morale », dont le contenu scandaleux justifie amplement à ses yeux le refus américain de toute négociation avec l’Iran.

Entre autres sujets, Mahmoud Ahmadinejad y évoque le génocide hitlérien et pose une question : « Admettons que cet événement soit avéré, doit-il logiquement se traduire par l’instauration de l’Etat d’Israël au Moyen-Orient ? » Horreur ! Sainte indignation ! « Après cela peut-on imaginer Washington plus disposé demain qu’hier à entrer dans des pourparlers directs avec la République islamiste ? », s’interroge gravement l’éditorialiste du quotidien du soir. Comme si la lettre du numéro un iranien se résumait à ce propos d’une ligne, devenu pour la circonstance son principal message.

Présentée comme un casus belli, cette question est pourtant celle que se posent le monde arabe et le monde musulman depuis un demi-siècle. Faut-il la bannir de nos cerveaux sous prétexte que la réponse est dérangeante pour l’Occident ? Faut-il l’invalider a priori, sans autre forme de procès, comme politiquement incorrecte ? Notons le aussi : dans l’éditorial du Monde, la République « islamique » a subitement mué en « République islamiste ». Glissement de sens, favorisé par la proximité lexicale, qui autorise évidemment un grossier amalgame. Alignement des médias « éclairés » sur l’air du temps : d’ailleurs ne sommes-nous pas « tous Américains ? »

Même son de cloche à l’émission télévisée « C dans l’air », où « l’expert en stratégie » Bruno Tertrais ricane sottement de la missive iranienne en disant qu’ « on peut toujours lire ce truc », oui, mais que c’est évidemment sans intérêt, et même parfaitement incongru, tant cette prose rompt avec les habitudes du langage diplomatique. A l’unisson avec ses collègues, il nous enjoint de ne pas la prendre au sérieux, de n’y voir que du folklore, de lire « ce truc » avec un amusement condescendant. Muré dans des certitudes dignes d’un orientalisme de hall de gare, l’Occident pourra alors enfoncer un peu plus sa tête dans le sable.

Mais l’intérêt de ce texte, c’est précisément qu’il subvertit les codes de la diplomatie traditionnelle ! Mahmoud Ahmadinejad y parle des valeurs humanistes dont se prévaut l’Occident et en souligne la proximité avec celles dont se réclame la tradition musulmane. Il brosse un tableau saisissant de vérité du monde contemporain : l’accaparement des richesses, l’arrogance de la domination étrangère, le formidable gâchis des expéditions militaires. Il met l’accent sur les « souffrances des peuples du monde », ce calvaire des innocents provoqué par l’ambition effrénée de leurs dirigeants.

Sans le lire, George W. Bush a écarté ce texte d’un revers de la main dédaigneux. En un sens, on le comprend : la politique américaine au Moyen-Orient y est renvoyée à ses errements, à sa démesure, à son double langage. Faut-il vraiment s’offusquer que les Etats-Unis soient au premier plan de ce tableau sans concession de la déliquescence planétaire ? Plus qu’aucune autre, la politique américaine illustre le grand écart entre les principes proclamés et les conduites effectives. Plus que nulle autre, elle souligne les contradictions insoutenables du leadership occidental dans ses rapports avec le reste du monde.

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Contradiction entre l’humanisme démocratique et l’intervention militaire contre un Etat souverain, illustrée par le déclenchement sous des prétextes fallacieux d’une guerre meurtrière contre l’Irak qui a ramené ce pays « cinquante ans en arrière ». Contradiction entre la promotion universelle des droits de l’homme et la construction de prisons illégales où sont perpétrés de cruels sévices. Contradiction entre l’affirmation du droit international et le soutien systématique accordé à l’Etat d’Israël qui le viole impunément. Contradiction entre l’attachement passionné pour la démocratie et le déni de justice infligé aux Palestiniens décrétés coupables d’avoir mal voté.

Ces contradictions, le président iranien les décrit dans son propre style, en ponctuant son propos de références à Jésus-Christ et de citations coraniques. Comme si c’était infamant, cette missive a été qualifiée de « philosophique » par la Maison blanche. D’autres n’y ont vu qu’une « leçon de morale », croyant ainsi la disqualifier ! Mais cette lettre est aussi un acte politique. Elle souligne l’impasse fatale à laquelle conduirait la mise à exécution par les Etats-Unis de leurs menaces contre la République islamique. Le choix du moment n’est pas innocent. Le refus américain de prendre en considération cette missive ne l’est pas non plus.

On se dispensera de paraphraser le texte, mais on ne résistera pas au désir de citer quelques questions d’une rare pertinence :

  •  « Avons-nous défendu les droits de l’homme partout dans le monde en imposant la guerre et en intervenant illégalement dans les affaires des autres pays ? »
  •  « Remettre le droit de disposer d’eux-mêmes pour l’ensemble du territoire palestinien, à ses vrais propriétaires, se trouvant à l’intérieur et à l’extérieur de la Palestine, qu’ils soient musulmans, juifs ou chrétiens, est-il en contradiction avec les principes de la démocratie et des droits de l’homme ? »
  •  « Les différentes nations de l’Amérique latine ont-elles le droit de demander pourquoi s’oppose-t-on, dans ce continent, à leurs gouvernements élus, et en revanche pourquoi les putschistes sont-ils soutenus ? »
  •  « Est-ce que si, au lieu des centaines de milliards de dollars consacrés à la sécurité et à l’armée, on consacrait la même somme à l’aide aux pays faibles, au développement de la santé, à la lutte conte les différentes maladies … dans quelle position le monde se trouverait-il ? »

    Sans quitter la France, Montesquieu simulait l’éloignement pour nous éclairer sur l’étrangeté de nos mœurs. Par la magie d’une littérature faite réalité, il projetait sur le monde occidental une lumière critique, fictivement venue d’ailleurs. De Téhéran, le président iranien souligne l’étrangeté d’une politique occidentale qui ne cesse de bafouer ses propres principes. Réalité faite littérature, la lettre persane du président iranien projette sur le leadership occidental une lumière venue d’Orient qui en éclaire la vraie nature.

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    « Catholique, Musulman : je te connais, moi non plus »

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