in

La dissuasion panoptique, une nouvelle doctrine nucléaire

C’est en 1960, date de son premier essai nucléaire effectué dans le Sahara algérien, que la France fit son entrée dans le club très fermé des puissances disposant de l’arme atomique. Rapidement, sous l’impulsion décisive du Général de Gaulle, le principe de la dissuasion nucléaire en résulta.

La définition de cette doctrine, toujours actuelle malgré le demi-siècle écoulé, est simple : elle consiste en une promesse faite par la France qu’elle n’hésiterait pas à déclencher sa force de frappe nucléaire contre tout ennemi qui l’attaquerait, et ce, afin de le dissuader de toute velléité guerrière hostile, au risque dans le cas contraire d’encourir des dommages apocalyptiques. Depuis, les présidents qui se sont succédé à l’Elysée ne se sont contenté que de l’actualiser à la donne géopolitique à laquelle ils ont dû faire face (menace soviétique grandissante à partir des années 1970, crise des euromissiles dans les années 1980, conséquences de la chute de l’URSS en 1991, risques d’attaques parrainées par des Etats étrangers et utilisant des actes terroristes ou des armes de destruction massive au tournant du XXIème siècle).

C’est pourquoi les candidats aux élections présidentielles telles que celle qui se profile cette année se doivent de présenter la doctrine qu’ils appliqueront, puisqu’en cas de victoire ils exerceront seul, conformément à l’usage institutionnel, la prérogative liée à l’engagement du feu nucléaire et à la définition des cibles.

La doctrine de Jean-Luc Mélenchon

Fidèle à cette obligation, Jean-Luc Mélenchon, candidat à la présidentielle pour La France Insoumise (LFI), vient de faire paraître en ce sens une tribune dans les colonnes du Monde. Il y milite, en compagnie d’un collègue député provenant du même parti que le sien (Bastien Lachaud, membre de la Commission de la défense nationale et des forces armées à l’Assemblée nationale), pour un dépassement du statu quo défendu par la majorité en matière de dissuasion nucléaire. Il considère, en effet, que les développements de nouvelles technologies militaires dans le monde peuvent, à terme, rendre inopérante la doctrine traditionnelle d’utilisation de la force de frappe en cas d’attaque d’une puissance ennemie.

Parmi ces technologies qu’il présente comme devant conduire à une réflexion sur une nouvelle doctrine, il y a ce qu’il appelle « les armes hypervéloces », plus connues dans le jargon militaire comme des « missiles hypersoniques ». Pouvant transporter une charge nucléaire, conventionnelle ou autre, ces missiles jouissent d’une manœuvrabilité totale pendant leur trajectoire qui suit la courbure de la Terre, à tel point qu’il serait envisageable de leur faire abruptement changer de direction. Ces aspects les rendent particulièrement imprévisibles pour les radars et les boucliers antimissiles. Subir leur tir rendrait aveugle, parce qu’il est virtuellement impossible à l’Etat agressé de savoir d’où il proviendrait.

Faute d’ennemi désigné, les armes nucléaires ne pourraient être engagées en représailles. Leur inutilité supposée dans de telles circonstances est l’un des arguments sur lequel se base M. Mélenchon pour penser crédible, au vu de leur extrême dangerosité pour les populations, l’idée de leur démantèlement global dans un avenir plus ou moins lointain. Cela ne peut être prévu, selon lui, que quand la France aura fait l’acquisition, comme d’autres nations engagées sur cette voie, d’un arsenal spatial, par lequel elle dissuaderait tout potentiel ennemi sous la menace d’endurer depuis l’espace des frappes paralysantes, qui n’auraient pas l’obligation d’être nucléaires pour atteindre cet objectif et qui seraient aussi difficiles à contrer que les armes hypersoniques.

Les limites de cette doctrine

Cette position a le mérite de tenter de faire bouger les lignes dans la conduite de la défense nationale, sujet qui, à tort, se maintient dans les méandres obscurs du débat public. Mais, en l’analysant à l’aune même du but que comporte toute stratégie militaire qui, en France comme dans les autres grandes nations, doit assurer en permanence la sécurité fondamentale du pays face aux incertitudes du monde, elle semble incomplète.

En effet, bien que M. Mélenchon reconnaisse la menace des missiles hypersoniques à cause de leur faculté à atteindre très rapidement et de manière indétectable le territoire de n’importe quel pays, il ne tire pas tous les enseignements de l’état d’impossibilité dans laquelle se trouverait l’appareil militaire français d’identifier la puissance étrangère qui fomenterait une telle attaque. Ceci vaut également pour l’armement spatial (à ceci près qu’il pourrait viser, en plus d’un territoire, les satellites de communication hautement sensibles pour un Etat).

Car, à la minute même où des Etats étrangers auront acquis la maitrise opérationnelle de l’une de ces nouvelles technologies, la dissuasion nucléaire française, organisée selon une logique en deux temps, ne sera plus fonctionnelle. Pour rappel, celle-ci s’agence sur la double action des deux composantes de l’architecture de la force de frappe : les Forces Aériennes Stratégiques (les FAS) sont censées, par un déploiement démonstratif de leurs avions, intimider jusqu’à la dernière minute un ennemi identifié de façon à lui faire abandonner toute prétention guerrière, tandis que la Force Océanique Stratégique (la FOST) a comme principale mission de riposter à une atteinte aux intérêts vitaux de la nation par le lancement fatidique, à partir de l’un de ses quatre sous-marins, d’une ou plusieurs ogives.

Publicité
Publicité
Publicité

Adopter une doctrine « panoptique » de la dissuasion ?

En conséquence, la configuration créée par les missiles hypersoniques et l’armement spatial impose de changer l’échelle de la dissuasion. De « tous azimuts », lorsqu’elle est caractérisée par la capacité opérationnelle de la France de répondre à une agression par la force nucléaire sur n’importe quel point du globe grâce à la mobilisation permanente de ses vecteurs dans le monde, la dissuasion doit adopter une posture « panoptique », à l’image des prisons aux coursives circulaires agencées de telle sorte qu’un seul gardien a la faculté, s’il est placé de façon adéquate, d’avoir dans sa ligne de mire l’ensemble des cellules.

Autrement dit, la France, par la voix de son président, doit faire la promesse radicale qu’en cas d’attaque par une de ces armes, dont ses réseaux de renseignements ne pourraient connaître la provenance, elle lancerait des frappes nucléaires sur toutes les nations à propos desquelles elle aurait acquis au préalable la certitude qu’elles disposent de telles capacités militaires. Elle annihilerait par cette nouvelle doctrine l’avantage que permettrait la maitrise de ces technologies. Aucune puissance la possédant ne s’essaierait à s’en prendre à la France par ce biais, sans risquer en retour des destructions insupportables. La non-identification de la source de l’offensive ne mettrait donc pas à l’abri d’une réponse effroyable.

Cette nouvelle doctrine ne viserait pas les alliés de la France (en l’espèce, pour ce qui est des puissances nucléaires, les Etats-Unis et le Royaume-Uni), à fortiori depuis qu’elle a signé, en 2009, son retour dans le commandement intégré de l’OTAN. Seules les autres puissances ayant ajouté à leur arsenal des capacités hypersoniques ou spatiales seraient concernées (la Russie, la Chine, l’Inde et la Corée du Nord semblent s’avancer à grand pas dans cette direction d’après les récentes informations à notre disposition). L’ambiguïté doit cependant subsister afin de ne pas susciter un regain de tensions malvenu : aucun des Etats du monde ne doit être expressément nommé, chacun d’entre eux, en fonction des alliances existantes et des forces en présence, pouvant interpréter quel pays serait réellement ciblé par une réponse française à une telle attaque.

Un traité international de la dissuasion panoptique ?

Face au développement militaire qui équipera des puissances étrangères d’armes hypersoniques ou spatiales, il apparait que décider de ne pas actualiser la doctrine d’utilisation de la force nucléaire ne procurerait plus le bénéfice, qu’elle supposait depuis les années 1960, de sanctuariser le territoire national. En cas d’immobilisme sur cette question, la sécurité fondamentale du pays ne pourrait plus être préservée.

Alors que la doctrine de dissuasion formulée par De Gaulle avait concouru de manière prépondérante à la défense de l’indépendance d’action de la France sur la scène internationale, facilitant, entre autres, la sortie du Commandement intégré de l’OTAN en 1966, le chemin inverse entrepris en 2009 la place désormais comme un allié de taille des Etats-Unis en cas de conflagration générale. Ce qui a pour effet de désigner la France au sein d’un camp défini dans le cadre de la Nouvelle guerre froide. Et ce qui en fait surtout une éventuelle cible de ces nouvelles armes.

Dans ce contexte, la France devrait défendre, afin d’accroître la sécurité mondiale, et malgré les difficultés diplomatiques nées du fait que quatre puissances nucléaires ne sont pas reconnues en tant que telles par le TNP (Israël, Pakistan, Inde, Corée du Nord), l’établissement d’un nouveau traité d’après lequel les Etats possédant l’arme nucléaire, des missiles hypersoniques ou un arsenal spatial adoptent une vision panoptique dans leur doctrine de dissuasion respective. Il en ressortirait un nouvel échelon dans l’équilibre de la terreur, qui est, à l’ère atomique, le seul moyen qu’a trouvé l’humanité pour ne pas déclencher une Troisième guerre mondiale.

Adel Taamalli

Publicité
Publicité
Publicité

3 commentaires

Laissez un commentaire
  1. Je ne crois pas à la fonctionalité de cette doctrine, puisqu’une fois publiée, et c’est le cas, elle a pour conséquence qu’un éventuel agresseur fera tout pour anéantir les possibilités de riposte, ça doit pouvoir se faire. Voire que le pays qui publie cette doctrine, la France qui bien que nucléaire perd force et assurance, pourrait susciter contre lui l’action infra-militaire, guerre économique et autres des puissances rivales, voire des tentatives de le dénucléariser.

    Que Mélenchon se sente plus allié de l’Amérique que d’autres, on le croyait pourtant Russophyle et Sinophyle, j’espère que ça ne surprend personne, mais c’est mieux que ça se dise tout haut.

    Croissant de lune.

  2. Si j’ai bien compris,

    La dissuasion Degaulle etait et elle reste compatible avec le commun des mortels.
    J’attaque celui qui m’attaque.

    La dissuasion panoptique comme doctrine nucléaire est contraire aux commun des mortels.
    Parceque je ne connais pas l’attaquant, j’attaque tous ceux qui ont l’arme de l’attaquant.

    On doit eviter les détails, le diable réside dans les détails.

    Je ne savais pas que Jean-Luc Mélenchon était pire que Eric Zemmour.

Laisser un commentaire

Chargement…

0

Hind, la “Greta” de Gaza

Turquie: l’imam au grand coeur qui accueille au quotidien les sans-abri