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Islam, la visibilité pour révéler l’Invisible

 

Entre un déficit de visibilité qui produit le mépris et une hyper-visibilité de l’égo qui détruit notre être, entre une laïcité qui s’annonce islamophobe et ces logiques marchandes qui envahissent notre quotidien, il nous faudra bien trouver le chemin de la sérénité et de l’apaisement. Et en fait, cette dialectique de l’apparent et du caché, du visible et de l’invisible, du concret et de l’abstrait sont des constantes dans l’Islam. C’est ce qu’exprime le verset suivant :

« (2) Voici le Livre qui n’est sujet à aucun doute. C’est un guide pour ceux qui ont conscience de Dieu ; (3) ceux qui croit à l’invisible, qui s’acquitte de la Salât et qui effectue des œuvres charitables sur les biens que Nous leur avons accordés ; ceux qui tiennent pour vrai ce qui a été révélé à toi (Prophète Muhammad) et à tes prédécesseurs (autres prophètes) et qui croient fermement à la vie future. Ce sont ceux-là qui suivent la voie tracée par le Seigneur ; Ce sont ceux-là qui connaîtront le vrai bonheur. » Coran 2/2-3

Nous sommes donc la communauté qui croyons et vivons avec l’invisible, et toute notre vie terrestre, notre voie du Bonheur est de rendre visible, apparent et concret notre croyance à l’invisible, aux cachés et à ce qui peut apparaître comme trop abstrait.

La voie du bonheur que décrit le verset ci-dessus, c’est donc faire « apparaître » notre croyance à Dieu (Invisible) et notre croyance à la vie future par des actes visibles tels que la Salât, ou par des actions concrètes, telles que les œuvres de bienfaisance.

Toute l’éthique islamique est toujours dans cette dialectique permanente entre le révélé et le caché. Et souvent, le révélé est d’abord dans ce qui est caché et la Vérité est toujours dans ce qui est, au delà de ce qui parait. Et parfois, il faut même cacher/dépasser ce qui apparaît (l’extériorité, le visible) pour révéler et pointer notre attention sur ce qui est caché (l’intériorité, l’invisible). Nous donnerons pour exemple ces deux cas : l’acte de bienfaisance et la prescription du Hijab.

Quand je fais un don, l’éthique islamique voudrait que cette action se fasse de la manière la plus discrète possible, la moins visible. Car au-delà de l’acte de la main qui donne et au delà de l’acte social de solidarité et de justice envers le nécessiteux, c’est l’élan invisible d’un cœur pur qu’il faut préserver de l’ostentation. Cacher ce qui vous apparaît (donner) pour protéger et vivre l’essentiel, ce qui ne vous apparaît pas mais qui fait ce que je suis : un cœur sincère. Il faut donc révéler et faire vivre l’invisible (la foi) par des actes concrets et visibles (le don). Mais il faut se protéger des apparences et des tromperies de cette visibilité car l’essence (ou l’essentiel) est toujours dans ce qui n’est pas visible (le cœur) et dans ce qui apparaît comme abstrait (l’élan du cœur et une foi pure).

Nous avons donné l’exemple du don mais nous retrouvons des logiques équivalentes dans la prescription coranique du Hijab. Dieu dit :

« Ô Prophète ! Dis à tes épouses, à tes filles, et aux femmes des croyants de ramener un pan de leurs voiles sur elles. C’est le meilleur moyen pour elles de se faire connaître et d’éviter ainsi d’être offensées. Dieu est Plein d’indulgence et de compassion. » Coran 33/59

Il est donc dit que le Hijab a été prescrit aux musulmanes pour « se faire connaître et d’éviter ainsi d’être offensées ». Donc l’objectif principal du Hijab est de s’identifier, d’apparaitre en tant que musulmane. Être visible, être reconnu pour se protéger et être protégé. Cela peut paraître paradoxal que Dieu demande de se couvrir, de se cacher pour se « faire connaître ». Comment peut-on se cacher pour être plus visible ?

En fait, on se cache (et on se protège) des tromperies du paraître et du visible pour attirer l’attention sur les réalités moins visibles de son être et des valeurs que l’on porte. On ne se voile pas pour disparaître mais pour faire apparaître son être. Et c’est cela le « se faire connaître » cité dans ce verset coranique. Cette manière d’apparaitre est donc là pour dire :

"Je suis musulmane et fière de l’être. Les valeurs que je porte font que je ne vous mentirai pas, que je ne vous tromperai pas, que je ne vous trahirai pas. Vous pouvez me faire confiance.

Cela veut dire que je suis une personne qui connait l’importance de son être, de ses valeurs et que je suis une personne qui refuse d’être comprise comme un objet ou un jouet. Donc ne m’utilisez pas et ne jouez pas avec moi. Cela veut dire que je voudrais que ne vous me considériez pas comme n’importe qui, que je voudrais que vous compreniez que je veux me différencier en me dé-marquant de cette apparence qui trompe. Mais cela veut aussi dire que je me présente à vous et que je voudrais que vous me connaissiez. Si je cache mon corps, c’est pour apparaître, c’est pour me faire connaître dans ma réalité vraie, c’est pour entrer en relation avec le monde.

Et, moi, ce n’est pas mon corps ni d’ailleurs ce tissu qui le couvre, ce n’est pas ce qui vous (ap)paraît mais c’est mon être, mes convictions. Donc ma visibilité est essentielle pour moi, car elle me permet d’être… D’être avec vous, d’être avec Dieu."

Et le verset continue pour affirmer que cette visibilité sera une protection : « …se faire connaître et d’éviter ainsi d’être offensées. » Et la première des offenses qu’on peut faire à la femme (et à tout être humain) est la non-reconnaissance de son être, de son identité de sujet. Prenons, par exemple, la question du viol qui n’a rien à voir avec la sexualité comme on pourrait le croire. Le viol est une violence qui utilise la sexualité comme une arme mais qui a pour objectif de nier l’intimité de la victime et sa valeur de sujet. Le viol est un acte de haine qui exprime un rapport de domination. C’est d’abord cela.

Et dans toutes sociétés – où la femme est déconsidérée dans son être comme trop souvent dans les sociétés musulmanes ou parfois considérée qu’en terme d’objet-marchandise comme dans les sociétés occidentales – toute femme, voilée ou non, est susceptible de subir ce type de domination violente. Et la première des protections (mais certainement pas la seule), c’est d’abord sa manière d’être et de se présenter qui prévient toute volonté de domination :

"Je ne suis pas un objet ni un jouet et je suis véridique et honnête. Et ma relation avec vous peut se faire sur la base de la confiance et du respect. Ce type de relation que je veux établir avec vous, je veux le faire savoir. Je veux que vous sachiez cela. C’est ce qu’exprime ma manière de m’habiller, c’est ce qu’exprime ma visibilité que Dieu me demande d’accomplir. Je serai donc exigeante envers moi même dans ma manière de me comporter avec vous. Mais j’attends de vous la même chose. C’est cette attitude de la valorisation de mon être et de la considération que je vous porte qui sera notre véritable protection contre tout rapport de domination. C’est ce message que j’adresse d’abord à moi-même puis à vous."

Et un message doit être exprimé, annoncé à tous. Il doit être visible.

On nous parle souvent de pudeur quand on parle de la question particulière du Hijab. Alors que la pudeur est loin d’être une question spécifique à la femme. En réalité, le hijab est d’abord l’outil qui combat un rapport de domination que subit la femme dans sa vie sociale.

Le Hijab cache le paraitre pour dévoiler l’être. Il cache le corps pour dévoiler les valeurs. Il veut construire les rapports sociaux sur la base de la considération mutuelle et non pas sur celle de la domination perpétuelle. C’est l’émancipation de l’être dans la société du paraître. C’est pour cela qu’il est, aujourd’hui, considéré par certains comme subversif. C’est en fait la subversion de la visibilité qui impose de l’Être face à la dictature du paraître.

La question du Hijab est certainement, dans ce pays, le cas le plus emblématique quand on traite de la visibilité de l’Islam. Mais les logiques sont les mêmes lorsqu’on aborde toutes les autres questions liées à la présence de l’Islam sur notre sol.

L’Islam apporte du sens dans une société qui le refuse, il veut rendre visible la croyance à l’invisible et il nous encourage à dépasser l’apparent quand il pervertit notre capacité à discerner la caché. C’est en cela que la visibilité de l’Islam dérange.

Et, ici, il faut le préciser une nouvelle fois c’est la visibilité de l’Islam qui est réellement interrogée et beaucoup moins celle des musulmans. Certes, la visibilité de « l’étranger », de « l’indigène », de « l’immigré », du « beur », de « l’africain » ou du « musulman » a toujours posé problème dans cette société moderne qui ne sait que « supporter » ou « tolérer » la différence mais rarement « l’accepter ».

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Mais nous sommes dans tout à fait autre chose lorsque le « musulman » décide de se revendiquer de l’Islam dans sa manière de vivre et dans sa manière de comprendre sa réalité. Car au delà de sa couleur de peau, de son origine, ou d’une mémoire historique différentes, c’est dorénavant la référence en son for intérieur à un universel abstrait et différent lié à des pratiques spécifiques, quotidiennes, visibles et concrètes qui posent problème.

C’est pour cela que l’islamophobie n’est pas qu’une variante de plus des différents racismes existants : xénophobie, antisémitisme, négrophobie… C’est beaucoup plus que cela. C’est d’abord deux référentiels englobant qui prétendent à l’universel et qui s’entrechoquent :

    • L’un qui a décidé de mettre Dieu en dehors de tout pour finalement mettre l’Homme-objet au service des relations marchandes ;

    • et l’autre qui place Dieu au centre de tout pour mettre l’Homme-témoin au centre de la création.

L’enjeu dorénavant ne doit plus être de chercher à éviter le débat ou d’ignorer les profondes différences que cela impliquent. L’enjeu c’est de faire en sorte que cette rencontre et/ou cette confrontation des convictions se fassent, mais dans la paix et dans le respect mutuel.

De plus en plus, les institutions politiques et médiatiques pointent du doigt les pratiques musulmanes les plus visibles mais ce qui est réellement remis en cause, c’est bien le référentiel islamique qui, lui, est fondamentalement basé sur la croyance, sur l’intime et sur l’intériorité. Ainsi, dénoncer la visibilité de certaines de nos pratiques ou même vouloir la réduire, c’est tenter de nous rendre invisible aux yeux des autres. Or l’Autre est indispensable à notre cheminement, c’est dans le débat et dans la confrontation avec l’Autre que nous retrouvons nos repères. Dieu l’exprime ainsi dans ce verset :

« Si Allah ne repoussait pas les Hommes les uns par les autres, il y aurait partout le chaos sur la Terre, Dieu est plein de bonté pour les Hommes. » Coran 2/251

C’est pour cela que remettre en cause notre visibilité, c’est en quelque sorte détruire cette boussole qui permet d’orienter le cheminement de notre être, dans notre rapport à Dieu et dans notre rapport au monde. Cela conduit nécessairement à des cœurs sans repère. Et des cœurs sans repère, c’est le gouvernail sans boussole, c’est l’égarement et la perte. C’est pour cela que le Coran décrit l’égarement à travers la perte de la visibilité. Mais pas la visibilité des yeux, celle du cœur :

« …Car ce ne sont pas les yeux qui s’aveuglent, mais, ce sont les cœurs dans les poitrines qui s’aveuglent. » Coran 22/46

L’égarement, c’est donc notre incapacité à voir l’invisible dans le visible, c’est notre incapacité de s’abstraire des réalités de ce monde, c’est enfin notre incapacité à savoir dévoiler, à savoir se dévoiler pour découvrir et connaître son propre cœur. L’égarement, ce n’est pas seulement l’égarement des yeux et de l’extériorité aveuglés par le visible et l’apparent. L’égarement, c’est surtout l’égarement du cœur et de l’intériorité qui ne discernent plus l’invisible et le caché.

Est-ce à dire que le visible, la paraître et l’extériorité ne doivent avoir qu’une importance très relative ? Et que la question de la visibilité est en réalité une fausse question ?

Non, car le paraître reste notre jauge qui permet de s’auto-évaluer, c’est cette petite fenêtre qui s’ouvre parfois et qui permet de révéler, à soi comme à l’Autre, une partie de l’état de notre intérieur. Car le paraître nous permet souvent de prendre conscience de l’importance de notre être comme il révèle une partie de notre être à l’Autre. En nous révélant à nous-mêmes, cela nous permet de nous corriger, de nous éduquer et de progresser. En se révélant à l’Autre, cela permet de se comprendre et d’adapter nos comportements. La visibilité est donc importante pour notre cheminement et pour l’établissement de relations sociales apaisées.

Mais le paraître, l’apparent, la visible doivent permettre de révéler le vrai, autant que possible. Le croyant doit donc s’en emparer et apprendre à le gérer (tout en s’en méfiant) sinon elle tombera sous la direction de l’égo et du Diable. Et le diable est un grand expert dans la gestion des apparences et de la visibilité. Le diable est trompeur parce qu’il rend visible ce qui n’est pas. L’égo est tout aussi trompeur car il se complait et se perd dans le culte des apparences.

L’être ne peut donc pas s’épanouir sans une bonne gestion de sa visibilité. Et c’est aussi en cela que la question de la visibilité est une question primordiale en Islam.

Chez l&r
squo;Homme, le paraître (le visible) révèle l’être (l’invisible, la conviction, les valeurs) sans jamais se confondre. Comme d’ailleurs les signes de Dieu (le visible, la création) révèle Dieu (l’Invisible) sans jamais se confondre. Et le cheminement spirituel vers le Très-Haut n’est pas possible sans la prise en compte de Ses signes, à travers notamment la méditation et la réflexion. Comme d’ailleurs l’éducation spirituelle qui n’est pas réalisable sans la prise en charge de notre visibilité révélant notre état intérieur.

Conclusion

Pour conclure, nous voyons bien que la question de la visibilité est beaucoup plus qu’un enjeu social ou politique. Certains de nos imams ou responsables associatifs musulmans qui prônent moins de visibilité pour un prétendu apaisement social ou pour répondre à quelques injonctions politiques devraient prendre garde et se rappeler que cette question est fondamentale et éminemment spirituelle.

Il est vrai que parfois la revendication de la visibilité chez certains de nos frères et sœurs s’apparente à de simples revendications identitaires. Dans cette société du paraître et de la mise en spectacle de nos vies, on voit aussi chez certains musulmans ce culte des apparences. Même si cela se fait à travers l’étiquette islamique, on ne peut que le déplorer. On ne peut pas réduire l’être musulman à son foulard ou à sa barbe ni même d’ailleurs à sa prière rituelle.

Mais il faut aussi dénoncer ces attitudes méprisantes et hautaines que prennent dans la communauté certains de nos « intellectuels » vis à vis de ces musulmans qui, à leur goût, portent des barbes un peu trop longues ou de ces musulmanes qui se couvrent de manière un peu trop voyante. Cette visibilité dite « provocante » exprime un ras-le-bol et un mal-être et la réponse n’est certainement ni dans le rejet ni dans le mépris face à cette manière d’apparaître mais dans la prise en compte de ce mal-être.

Le culte musulman est très généralement un culte visible. Si Dieu l’a voulu ainsi, ce n’est pas anodin. Les problèmes liés à cette visibilité ne sont pas de simples conséquences malencontreuses d’un Islam envahissant qui aurait du mal à « s’intégrer » dans nos sociétés sécularisées, d’un Islam qu’il faudrait vite « adapter » aux injonctions de la modernité. C’est le discours trompeur et dominant largement véhiculé par nos médias et qu’on accepte un peu trop facilement.

Car la visibilité de l’Islam, quand elle dit le vrai, participe de notre intégrité. C’est cette visibilité qui permet de fonder et de pacifier notre relation à l’Autre comme elle permet de poser nos jalons sur notre cheminement vers le Très-Haut. Cette visibilité est nécessaire et même incontournable, elle résulte d’une saine compréhension de l’Islam. C’est une revendication juste et légitime quand cette visibilité est d’abord le miroir apaisé de notre être mais elle ne l’est plus quand elle devient une visibilité exacerbée de la rupture ou une hyper-visibilité de l’égo qui ne sont que la réalité d’un mal-être s’exprimant dans le paraître.

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