Dans le cadre de la Campagne internationale de protection du peuple palestinien, José Bové, le leader de la Confédération paysanne s’est rendu dans les territoires occupés en mars dernier, accompagné de 76 autres pacifistes. Conduit dans un camps d’internement de l’armée israélienne avant d’être expulsé vers la France, il dénonça à sa descente d’avion les « scènes extraordinairement choquantes » dont il fut le témoin, ajoutant « Le peuple palestinien est debout. Le peuple palestinien n’est pas battu par cette attaque, son courage n’a d’égal que sa détermination de mener le combat jusqu’au bout ». Nous l’avons interrogé à nouveau afin qu’il nous livre plus avant les raisons de son soutien à la cause palestinienne. Il dénonce l’« impunité intolérable » dont bénéficie Israël dans la perpétration de ses crimes.
Monsieur Bové, vous avez conduit le 27 mars dernier une mission d’observation dans les territoires occupés palestiniens. Quelles étaient vos motivations ?
José Bové :
En réalité, c’était la deuxième fois que je me rendais en Palestine. Déjà, en juin 2001, j’ai accompagné une délégation du mouvement social qui s’était rendue dans les territoires occupés par Israël, à l’invitation d’organisations israéliennes pacifistes et d’associations palestiniennes de défense des droits de l’homme. Déjà nous poursuivions un but précis : il s’agissait de nous mobiliser afin d’appeler le monde à constituer une force d’interposition pour protéger le peuple palestinien des exactions de l’armée israélienne. En effet, a peine élu, Sharon a mis en œuvre une politique de répression féroce. Et c’est parce que nous avons fait le constat de l’inertie intolérable de la communauté internationale et son peu d’empressement à mettre un terme aux tueries que nous avons éprouvé la nécessité de mobiliser la société civile. Nous devions faire pression sur nos pouvoirs politiques afin qu’il prennent leurs responsabilités et agissent enfin pour protéger le peuple palestinien. Depuis l’élection de Sharon, c’est vraiment l’impasse qui prévaut. Il était urgent d’agir. Cette fois, nous sommes partis dans l’intention de participer à la journée de la Terre qui commémore les massacres de paysans palestiniens par l’armée israélienne le 30 mars 1976. Nous avons établi un réseau de solidarité avec des organisations palestiniennes et israéliennes qui luttent contre la colonisation, la violence contre les civils et la destruction des maisons palestiniennes, comme les Femmes en noir, les rabbins opposés à la politique d’expropriation ou encore Michel Warchawsky ainsi que diverses ONG palestiniennes, notamment celles qui ont leur siège à Ramallah. Mais nous n’avons pas pu mener notre action à bien car l’armée israélienne a envahi la ville de Ramallah le lendemain de notre arrivée !
Vous avez donc assisté à l’invasion, qu’avez vous vu précisément ?
José Bové :
Effectivement, dès notre arrivée, la situation déjà critique s’est rapidement détériorée. Nous étions arrivés à Ramallah le 27 mars au soir et l’armée à investi la ville dans la nuit du 27 au 28 mars. Le lendemain matin, nous étions encerclés par les chars !Et bien nous avons été témoins des crimes tragiquement ordinaires d’une armée d’occupation : la destruction délibérée et massive des maisons, des canalisations, les civils froidement assassinés, les ambulances elles mêmes ont été la cible volontaire d’agressions très violentes, si bien qu’elles ne transportaient plus que des morts. Rien ni personne n’était épargné. Les soldats israéliens allaient même jusqu’à pénétrer dans ce qui restait des hôpitaux, en faisaient sortir des gens très grièvement blessés pour les faire prisonniers les condamnant à une mort certaine. Une guerre d’une armée coloniale et criminelle contre une population civile sans défense, c’est exactement ce qui résume la tragédie qui se déroule dans les territoires palestiniens.
A vous entendre, il semble que la population de Ramallah ait été surprise par l’offensive. Personne ne s’attendait donc à l’invasion de l’armée israélienne ?
José Bové :
Bien sûr, Sharon n’en était pas à sa première exaction et les gens savent qu’avec lui ils peuvent s ’attendre au pire, mais comment pouvaient–ils imaginer que la violence prenne une ampleur aussi terrible ?
Qu’est-ce que les membres de la mission à laquelle vous avez participé ont pu faire pour s’opposer à ces crimes ?
José Bové :
Lorsque, le 29 mars dernier, les soldats israéliens ont investi la Muquata’a (le complexe présidentiel palestinien, NDLR), nous avons décidé de réagir en constituant un bouclier humain pour défendre Arafat. Lorsque le quartier général d’un Président démocratiquement élu est pris d’assaut par une armée coloniale, on mesure tout l’intolérable de la situation. A travers cette action de défense de la représentation officielle palestinienne, il s’agissait pour nous de défendre un symbole de la résistance palestinienne à l’occupation et à l’oppression israélienne.
Pensez-vous que la vie d’Arafat ait été réellement en danger ?
José Bové :
Oui, car Sharon n’a pas caché ses intentions, il a demandé à Arafat de « choisir » entre l’ « exil ou la mort ». Or, pour Arafat il n’était pas question de fuir la terreur. En tant qu’observateurs internationaux, nous savions pertinemment que les militaires israéliens répugnent à commettre leurs crimes devant témoins. Nous présents, les israéliens ont du mettre un terme à leurs menaces d’attaquer le QG d’Arafat. C’est pour cela que même après mon départ, 30 membres de la mission sont restés dans les territoires palestiniens en dépit des menaces israéliennes, pour protéger les Palestiniens du mieux qu’ils le peuvent.
Quel fut le motif invoqué pour justifier votre expulsion ?
José Bové :
Alors cette armée qui occupe de façon bien entendu parfaitement illégale des territoires autonomes m’a reproché d’avoir « pénétré en zone militaire interdite » (sic). Ils osent évoquer le droit qu’ils foulent du pied, un comble !
Votre voyage a donc été considérablement raccourci. Depuis, les évènements n’ont cessé de s’aggraver, les Organisations de défense des droits humains dénoncent des massacres de civils à Jénine et l’existence de fosses communes creusées par l’armée israélienne pour camoufler les victimes de l’hécatombe, tandis que les journalistes sont soigneusement mis à l’écart des lieux de la tragédie. Depuis votre retour en France avez vous songé à mener d’autres actions pour dénoncer cette situation ?
José Bové :
L’urgence est bien sûr d’ordonner à Israël le retrait immédiat et inconditionnel des territoires qu’il occupe illégalement et la mise en place d’une force d’interposition pour empêcher les tueries commises contre la population civile palestinienne.
Nous menons une réflexion actuellement pour définir des moyens d’actions afin de dénoncer les exactions israéliennes et mettre un terme à ces crimes commis contre le peuple palestinien. Depuis la France, nous souhaitons provoquer une prise de conscience des citoyens français afin de faire pression sur nos gouvernants et que cesse cette intolérable et scandaleuse impunité qui profite aux Israéliens. Par exemple, nous soutenons le boycott des produits israéliens. Nous militons parallèlement afin que soient remis en cause les liens de coopération entre l’Union européenne et Israël. A cet égard, une pétition soutenant cette position est parue lundi 15 avril dans la presse, à l’initiative d’intellectuels épris de paix. A terme, nous voulons contraindre Israël à respecter enfin les résolutions de l’ONU.
Il est tout de même ahurissant et insupportable de voir ce pays violer tranquillement le droit international, occuper, tuer et détruire tant qu’il peut, en toute impunité !
Quand il s’agit d’autres pays qui ne sont pas les alliés inconditionnels des Etats-Unis, nos dirigeants qui font actuellement la sourde oreille savent très bien employer la force pour contraindre ces Etats à se soumettre aux résolutions de l’ONU ! Aussi, cette impunité me paraît injustifiée autant qu’intolérable.
Pour en revenir à l’impact de votre action en France, comment réagissez vous lorsque des représentants de la communauté juive de France ou des intellectuels issus de cette même communauté fustigent votre discours et vous accusent même d’attiser les « ressentiments » voire « l’antisémitisme » parmi la communauté musulmane de France ? Souhaitez vous leur opposer un démenti par voie de presse, par exemple ?
José Bové :
Bien sûr, si on me donne l’occasion de contredire publiquement ces accusations infondées, je le ferais volontiers. Je ne suis malheureusement pas surpris de ces prises de position que je réprouve bien sûr. Car ces mêmes représentants de la communauté juive de France se gardent bien de dire que j’ai condamné toutes les agressions commises contre tout lieu de culte que ce soit et considéré à cet égard que l’attaque de synagogues ne peut en aucun cas servir la cause palestinienne. C’est justement leur attitude qui est déplorable, elle déforme volontairement nos propos et le sens de notre action. Ce genre de comportement malhonnête sert justement le communautarisme. Nous sommes dans une optique complètement inverse. Le combat que nous menons est celui de tous les gens épris de paix et de justice quelle que soit leur communauté d’appartenance.
Pour vous donner un exemple, à Rodez dans l’Aveyron, des Chrétiens se mobilisent pour dénoncer les massacres commis contre la population palestinienne, ils jeûnent dans la cathédrale pour dénoncer cette injustice. La communauté musulmane est venue aussi en nombre pour leur exprimer son soutien. C’est ainsi que les communautés s’associent pour dénoncer le pire. Les représentants de la communauté juive qui contrefont le sens de notre engagement vont à l’encontre de ce message de paix. Mais ce n’est guère étonnant car leur discours camoufle en réalité un soutien déguisé à Sharon, une solidarité qui, eu égard aux crimes de ce gouvernement, me paraît insupportable.
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