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Interview de Siham Andalouci : « La réaction émotive n’est plus suffisante »

Siham Andalouci est membre du Bureau national du Collectif des musulmans de France. Elle revient à travers cet entretien sur le rassemblement des responsables associatifs musulmans qui a lieu à Paris le 17 janvier 2004.

Les différentes associations musulmanes ont-elles répondu à votre appel ?

La quasi-unanimité des associations sollicitées a répondu à l’appel. Au-delà des préoccupations de chacune, il y avait une voix commune sur la question de la loi contre le foulard mais aussi en amont, on pouvait constater qu’il y avait d’autres points de convergence qui nous incitaient à travailler ensemble (une vision, une affirmation spirituelle, une conception de l’action citoyenne, etc.).

De fait, l’idée de coordonner nos efforts devenait une évidence. Il s’agissait d’avoir une démarche de protestation réfléchie et efficace. Par ailleurs, nous ne voulions pas nous cantonner à l’action ponctuelle.

Depuis plusieurs années, la question du voile est soulevée et pèse sur nous comme une épée de Damoclès. Personne n’est dupe : au-delà de la simple question du foulard est posé le problème de la présence mais surtout de l’affirmation d’un islam de France qui ne cherche plus à avoir une légitimité mais qui s’inscrit naturellement dans le paysage français à travers une réflexion et des actions citoyennes.

Ces associations l’ont compris et ne veulent plus parer qu’à des situations d’urgence. La réaction émotive n’est plus suffisante. Il faut désormais s’inscrire dans une action réfléchie à court, moyen et surtout long terme. Raison pour laquelle toutes ces associations ont préféré prendre le temps de la réflexion pour se concerter, réfléchir et proposer des actions efficaces, aussi bien au niveau local que national.

Quel bilan effectuez vous de cette journée de mobilisation ?

La coordination est désormais lancée (à l’intérieur de la Communauté comme à l’extérieur) et un certain nombre de décisions a été pris. Les deux principales décisions sont :

  • Une manifestation nationale pluraliste et unitaire le samedi 14 février 2004 (à l’appel du collectif « Une école pour tous-tes » dont quelques associations musulmanes font partie).

  • La création d’un Observatoire national de lutte contre le racisme et l’islamophobie qui aura pour but de recenser les cas et d’apporter une aide juridique, morale et financière. Un groupe de travail et un calendrier ont été mis en place dès la fin de la journée pour mener le projet à terme.

De plus, nous appelons, en collaboration avec le Collectif « une école pour tous-tes », à :

  • Un rassemblement devant l’Assemblée Nationale, le mercredi 4 février 2004 à 17h (jour où sera présentée la loi) ;

  • Une réunion publique le vendredi 6 février 2004 à Paris.

  • Le bilan a donc été à la mesure de nos ambitions. Les actions sont mises en place à court, moyen et long terme. L’objectif est désormais de pérenniser les résultats de cette journée.

    Envisagez-vous de travailler avec des associations non musulmanes ?

    Cela va de soi. Même si cette loi nous touche directement, il serait illégitime et très maladroit de nous approprier la cause. Bon nombre d’associations, de mouvements et d’individus non musulmans sont conscients du danger que court notre société à favoriser la stigmatisation d’une population (musulmane en l’occurrence) à travers des lois sécuritaires. Ils savent qu’on ne peut pas en même temps dénoncer et produire du communautarisme économique, promouvoir une république laïque et oublier qu’elle est aussi sociale.

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    Des associations de lutte pour l’égalité, le droit et la justice travaillent depuis des années à ce niveau. Nous avons, depuis un certain nombre d’années, des rencontres, des débats et des partenariats avec certaines d’entre elles. Aujourd’hui, nous voudrions, dans le même élan que ce que nous faisons au niveau des musulmans, pouvoir créer une coordination nationale d’associations plurielles qui auraient des revendications communes.

    Quelle appréciation portez-vous sur les différentes manifestations du samedi 17 janvier ? Le Parti des musulmans de France est-il selon vous un partenaire fréquentable ?

    Notre position est assez claire à ce niveau. Il est hors de question pour les associations ayant participé à notre initiative d’abonder dans le sens ou de soutenir le PMF dans sa démarche. Un parti politique, fut-il musulman, ne peut s’approprier une telle cause et en faire son cheval de bataille. Le risque de récupération et d’instrumentalisation est trop important et nous ne pouvions tomber dans ce genre de travers. Le problème n’appartient pas et ne doit pas se faire l’écho de voix politiques car il se veut plus large que cela. Nous ne l’aurions accepté d’aucun autre parti politique, et le PMF ne fait pas exception à la règle. Néanmoins, on ne peut condamner les personnes qui se sont rendues à cette manifestation de manière spontanée dans le but de protester contre le vote de la loi. Il faut donc faire la différence entre l’appel du PMF et les manifestants.

    De plus, certaines associations présentes ont soutenu les manifestations qui se sont faites à l’échelle locale, qui, elles, n’avaient aucun lien avec la manifestation parisienne.

    Prévoyez-vous d’autres échéances de cette dimension ?

    Nous ne voulions pas nous contenter de lancer une seule journée de réflexion sans nous projeter. L’idée était de pérenniser l’action, raison pour laquelle une autre rencontre est prévue avant le 30 juin 2004. Elle aura pour but, d’une part, de dresser le bilan des actions engagées en particulier pour l’Observatoire national de l’Islamophobie qui devra rendre ses travaux avant le 21 mars 2004.

    D’autre part, cette rencontre nous permettra de tracer les perspectives. L’objectif est de pouvoir porter une véritable réflexion sur l’école publique qui est un bien commun. Ce débat est l’affaire de tout le monde, musulman ou non.

    L’école doit certes être un cadre serein, un lieu qui doit être préservé des turbulences extérieures ; cependant, il ne doit jamais se couper du monde, au contraire. Il doit porter un regard et une ouverture sur son environnement, sur les débats et les sujets qui le concernent directement ou indirectement. L’école est finalement une mini-société qui vit à une échelle différente les réalités environnantes.

    Malheureusement, aujourd’hui certaines écoles dans les quartiers populaires ressemblent davantage aux derniers bastions retranchés de la République qu’à des lieux d’éducation et d’instruction. On veut y imposer avant tout un cadre sécuritaire, en oubliant le rôle premier de l’école.

    A ce niveau, notre responsabilité est importante. Nous ne pouvons faire fi d’une réflexion et d’un investissement communs avec les comités de parents d’élèves et les syndicats d’enseignants ; nous devons nous engager dans les Conseils d’école, promouvoir le débat et l’échange pour que l’institution scolaire accomplisse sa mission.

    Aujourd’hui, certaines personnes nous parlent d’écoles privées musulmanes. Certes, c’est un droit qui nous est acquis. Mais il faut rester réalistes, cela concernera toujours qu’une infime minorité de la Communauté : l’avenir de l’immense majorité des musulmans de France et de la société plus largement passera par le cadre de l’école publique, laïque et gratuite. Sa préservation est un enjeu fondamental à l’heure où de grands dangers la guettent.

    On voit comment on tend à considérer l’école aujourd’hui comme une entreprise banale, où on réduit sans remords les postes et les moyens. On sait aujourd’hui les invasions tentées dans le cadre scolaire par les entreprises qui cherchent à instrumentaliser l’école pour en faire des lieux de promotion et de marchandisation. Citons pour exemple une association proche du Medef qui a récemment dispensé une formation aux enseignants d’histoire pour leur montrer comment expliquer la mondialisation dans leurs cours ! Ou encore que certaines entreprises fassent de la publicité gratuite en donnant des cours d’hygiène bucco-dentaire !

    L’école est un enjeu fondamental. Notre défi consiste à la préserver, et en faire un havre de paix pour que l’enfant puisse apprendre et se former, loin des dangers et des volontés de récupération. Cependant, l’école doit aussi s’ouvrir sur le monde et avoir une perception réelle de ce qui se passe dans la société, des réalités et de la pluralité culturelle et religieuse.

    Propos recueillis par Nasser Cerbah

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