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Ibn-Rûshd : l’échec de la conciliation entre la philosophie et la religion

L’impasse intellectuelle

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Ibn-Rûshd : œuvre énigmatique et paradoxale

Ibn-Rûshd est un véritable paradoxe historique. Malgré l’étendue de ses œuvres, il n’a pas laissé un héritage solide, impérissable, dans le monde musulman. Comment comprendre un tel fait, d’une si grande importance et pourtant si méconnu ?

D’abord, ce philosophe a séparé la philosophie de la religion contrairement à Thomas d’Aquin, tout préoccupé qu’il était de concilier raison et foi en unifiant la métaphysique d’Aristote, qui inclut non seulement les vérités premières, c’est-à-dire divines, mais aussi les vérités universelles qui relèvent de la connaissance des choses de la nature. Ce fut un grand pas vers une philosophie stable qui a fait le bonheur de l’Occident.

Ensuite, il a mal compris la cosmologie aristotélicienne. Il a également brisé l’unité de la personne humaine en développant sa théorie de l’intellect agent, frustré les religieux en ne reconnaissant pas les miracles divins et juxtaposé les lois naturelles et les lois écrites. Enfin, il a laissé un concept embarrassant pour le monde musulman : le déterminisme.

Cette liste de problèmes philosophiques et religieux n’a pas été établie pour faire un procès de l’œuvre du savant andalou. Elle vise plutôt à donner une explication du dur constat auquel on aboutit le concernant : ce dernier n’a pas laissé un héritage durable dans le monde musulman.

L’essor de l’acharisme ne suffit pas, à lui seul, à expliquer le fait qu’Ibn-Rûshd n’a pas laissé une école et un héritage intellectuel chez les musulmans. L’acharisme qui, rappelons-le, a été adopté à une époque tardive par les dirigeants de l’empire almohade. Son œuvre philosophique s’est avérée vraiment problématique, puisqu’elle ne réalisait pas vraiment la conciliation tant espérée entre la philosophie et la religion, comme le prétendent certains historiens de la philosophie islamique, et ce, contrairement aux œuvres d’Al-Kindi et d’Al-Fârâbî.

Pour l’Occident, Saint Thomas n’a pas été réellement un simple élève posthume d’Ibn-Rûshd. Ce dernier a redécouvert, de lui-même, la philosophie aristotélicienne, alors que les précieux enseignements d’Al-Kindi et d’Al-Fârâbî en la matière ont été oubliés par les musulmans.

Le facteur, qui a contribué le plus à cette situation fâcheuse, est l’obstination d’Ibn-Rûshd à défendre l’aristotélisme jusqu’au bout. Il n’a été qu’un commentateur d’Aristote, certes le plus grand, celui dont les commentaires furent si profonds. Or, les progrès les plus spectaculaires dans la pensée découlèrent de l’association des œuvres des grands philosophes grecs, comme l’ont fait Al-Kindi et Al-Fârâbî.

Il faut aussi tenir compte d’un autre facteur, encore plus important : lorsqu’il fallait corriger les idées d’Aristote, quand celles-ci contrevenaient aux principes les plus fondamentaux de la révélation divine, ces deux penseurs musulmans, mais aussi Saint Thomas, des siècles après eux, n’hésitaient pas à le faire, sans jamais déformé les idées d’Aristote et de Platon.

Bien au contraire, ils ont interprété leurs concepts les plus profonds en les adaptant aux dogmes de leur religion. Comme la vérité est une, un tel exercice est vraiment constructif et il s’avéra très bénéfique à l’Occident.

L’Orient en a été privé, en raison de l’oubli dans lequel sont tombées les œuvres d’Al-Kindi et d’Al-Fârâbî. Un oubli perpétué et prolongé par le travail de « déconstruction », voire de « destruction » de la philosophie par Al-Ghazâli, le coup fatal porté par les acharites à la pensée rationaliste des mu’tazilites qui permettait de comprendre les versets coraniques avec une grande ouverture d’esprit, une objectivité irréprochable et une analyse profonde et non par un dogmatisme littéraliste, obstiné et irrationaliste.

Quant à Ibn-Rûshd, il a complètement écarté cette approche. Il ne pouvait ni transcender l’aristotélisme, ni le modifier, ni le corriger. Sa défense et sa glorification des œuvres du Stagirite ont été les véritables motivations du savant andalou. Cette approche jusqu’au-boutiste nécessite une recherche approfondie pour l’expliquer et la restituer dans son contexte historique.

Il nous faut survoler l’œuvre de ce philosophe musulman, sans perdre de vue la nécessité d’en retenir l’essentiel pour l’objectif de notre recherche, qui est de démontrer que la conciliation entre la raison et la foi a été rendue possible dans la philosophie islamique et dans la philosophie occidentale, en se basant sur la continuité historique et intellectuelle entre ces deux philosophies.

Aperçu sur la vie de ce philosophe

Mais d’abord qui est Ibn-Rûshd ? Son nom complet est Abu al-Walid Muhammad ibn Ahmad ibn Muhammad ibn Rûshd. Il naquit à Cordoue en 1126, où son père fut un juge éminent.

Après une formation solide dans les domaines de l’exégèse coranique et du fiqh, il devient médecin et écrit un premier livre de médecine Kitab al-Kulyat fi alTibb, une sorte d’introduction encyclopédique à la médecine de l’époque, qui connut un grand succès dans le monde chrétien, des siècles après la mort du savant.

Il esquissa ses premiers pas en philosophie grâce à Ibn Baja (Avempace). Il a également connu Ibn Tufayl, lequel l’a présenté au souverain almohade, Abu Yaqûb Yusûf. C’est à ce moment que, de manière indirecte, il découvrit l’œuvre d’Aristote. Après avoir engagé Ibn-Rûshd comme médecin à la cour, le calife lui demanda des éclaircissements sur la philosophie grecque, parce qu’il craignait qu’elle ne représentât un danger pour la religion. C’est alors qu’Ibn-Rûshd s’est attelé à écrire des commentaires de philosophie. Ce travail lui a pris une trentaine d’années, durant lesquelles il a parcouru toute l’œuvre du Stagirite. Sa méthode de travail reposait sur la rédaction de trois types de commentaires : court, moyen et long.

Ibn-Rûshd a consacré une bonne partie de sa carrière à commenter les œuvres d’Aristote. Malgré la richesse et la rigueur de ses commentaires, il est difficile de parler d’une valeur ajoutée de l’œuvre rushdienne. Comparé à Al-Kindi et Al-Fârâbî, Ibn-Rûshd n’a pas apporté énormément au patrimoine intellectuel des musulmans.

En fait, ce qui fut important pour la philosophie au Moyen Âge, ce fut, en premier lieu, l’élaboration d’une synthèse entre Platon et Aristote. Ensuite, ce qui fut primordial, ce fut la conciliation entre la philosophie et la religion. Concernant ces deux axes, la contribution d’Ibn-Rûshd a été moindre que celle des premiers philosophes musulmans.

La séparation entre la métaphysique et la religion : le séparationisme intégral d’Ibn-Rûshd

Ibn-Rûshd a séparé la religion de la philosophie, en consacrant le principe de la « double vérité ». Selon lui, Aristote est le garant spirituel de la philosophie, qui est elle-même basée sur la preuve, tandis que la religion est basée sur le Coran. Il a également scindé en deux catégories les interlocuteurs des deux domaines : la philosophie serait réservée aux gens de la preuve, les philosophes, quant à la religion, ce sont les gens ordinaires (le public) qui sont concernés[1].

Dans son livre Le Discours décisif, il classe les gens en trois groupes : les philosophes, le public et les mutakallimûn qui sont pour lui des sophistes qui ont perverti la connaissance de la religion[2]. Cette classification est vraiment discriminatoire : les gens ordinaires sont, selon lui, incapables de comprendre la philosophie et la vérité philosophique, alors que la sharia, la législation islamique qui leur a été accordée par Dieu pour régir leur vie sociale, remplace pour eux la raison philosophique. Pour Ibn-Rûshd, le savoir est l’apanage des savants et des philosophes. Ces derniers sont concernés par des considérations concrètes comme la sharia et peuvent comprendre la vérité alors que le public en est incapable[3].

Si Ibn-Rûshd entreprend une telle distinction entre les gens, c’est en raison d’une théorie de la connaissance qu’il a élaborée : les gens ordinaires ne peuvent, selon lui, posséder qu’une sorte de bon sens, ce qu’il appelle une connaissance a priori, partagée par tout le monde. Cet esprit qui est inné et tout simple ne peut appréhender que des connaissances a priori, c’est-à-dire les vérités simples comprises par tout le monde[4]. Ces vérités toutes simples permettent à ceux qui détiennent une certitude et non une opinion douteuse suscitant un débat controversé.

Il y a ici une confusion qu’il faudrait lever. Ibn-Rûshd suppose que ces vérités simples permettent au public d’éviter les discussions scolastiques, voire sophistes, qui sont promptes à la discorde et la religion a été conçue pour être comprise. Par conséquent, ces vérités peuvent être entendues comme positives. Mais en même temps, celles-ci sont loin d’être construites grâce à une science démonstrative élaborée par Aristote et ce, d’autant plus qu’Ibn-Rûshd parle de la philosophie de la preuve.

Paradoxalement, il y a quelque chose de limité et de négatif dans ces vérités. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il a averti d’une mauvaise utilisation de cet esprit inné et de cette connaissance a priori qui sont susceptibles d’être dépassés et de faire entrer les sujets dans l’univers de la preuve et de la raison.

C’est ainsi qu’il s’attaque aux mutakallimûn (scolastiques musulmans) auxquels il ajoute les acharites qui utilisent, selon lui, les connaissances a priori dans des discussions nécessitant les outils de la démonstration et les preuves qu’ils ne possèdent pas.

Mais en cela, il méconnaît les œuvres de ces derniers en les sous-estimant grandement. Il est tout de même assez dur envers eux.

Il place ces acteurs en dehors du public et des philosophes, en les privant et de la religion qui est réservée au public et de la raison qui est le domaine par excellence des philosophes, en raison de leur propension à vouloir recourir à la raison sans la maîtriser et sans en posséder les méthodes[5].

Poursuivons notre examen du séparationisme rushdien qui est préjudiciable à toute métaphysique : il aborde les philosophes ou ceux qui possèdent un grand savoir. Ces derniers bâtissent leurs connaissances en conjuguant les données de la perception qui sont construites à partir d’une généralisation des particuliers (substances sensorielles) que tous les humains acquièrent progressivement avec des méthodes permettant de juger des choses selon la nature des preuves dont ils disposent[6]. Cette capacité de juger par la raison échappe aussi bien au public qu’aux théologiens qu’ils classent avec les mutakallimûn.

Il utilise même des arguments théologiques pour attaquer ces derniers. Ibn-Rûshd considère que la propension des hommes de religion à utiliser la raison sans en posséder les méthodes entraîne des innovations qui sont mauvaises pour la religion. Il ajoute même qu’ils ne sont pas les « héritiers des prophètes ». Ce sont au contraire les philosophes qui détiennent, selon lui, un tel titre, si prestigieux pour les musulmans[7].

Toutefois, il est quasiment certain que cette attaque virulente à l’encontre des mutakallimûn, des acharites et autres théologiens était motivée par leur capacité à mobiliser les populations musulmanes à leur époque, et par l’influence qu’ils exerçaient sur des des dirigeants politiques. Ce qui le préoccupait grandement,  en raison des limites conceptuelles de leur réflexion, eux qui ne possédaient, selon lui, que l’esprit basique et inné dont on a parlé.

Or, à son époque, ce sont les Almohades qui étaient les maîtres d’Al-Andalûs et d’une grande partie du Maghreb. Ibn-Rûshd a donc tenté de gagner leurs faveurs alors que ces derniers étaient plutôt favorables à des théologiens comme Al-Ghazâli.

Pour preuve de cette inclinaison antithéologique, il s’étonne du fait que ces derniers ont réussi à dominer les esprits des musulmans en l’imputant à la sacralité du patrimoine. Mais en même temps, il n’a pas cherché à comprendre que les mu’tazilites, Al-Kindi et Al-Fârâbî ont été les véritables promoteurs de la rationalité et de la pensée critique.

Ibn-Rûshd n’a pas eu accès à leurs ouvrages qui ont été pour la plupart détruits par leurs adversaires durant l’époque des Abbassides et il n’a même pas cherché à s’en procurer.

Le plus probable est que son but principal était de diffuser et d’imposer ses idées et non élaborer une enquête sérieuse sur les véritables penseurs de l’Islam. Son désintérêt pour les mu’tazilites qui n’existaient plus à son époque, contrairement aux acharites dont il connaissait toutes les œuvres, en témoigne[8].

Il est même probable que sa critique d’Al-Ghazâli dans son Tahâfut al Tahâfut obéit à la même logique : une inquiétude sur l’influence de tels théologiens dans la société et sur le pouvoir au point où la philosophie et la théologie d’Ibn-Rûshd n’ont laissé aucun héritage dans le monde musulman. Il n’a été que redécouvert superficiellement par les intellectuels d’Al-Nahda au xixe siècle.

Comprenons bien que son hostilité envers les théologiens s’explique aussi par son séparationisme entre religion et raison. Il considère que ces derniers ne maîtrisent pas la philosophie parce qu’ils ne sont pas les récepteurs privilégiés de cette discipline. Même Al-Ghazâli n’est pas, selon lui, un authentique philosophe. Il considère ce dernier comme un simple lecteur d’Ibn-Sina dont il n’a fait que reprendre textuellement les affirmations (comme dans son ouvrage al-Hudûd – Les Limites) tout en tentant de déformer son héritage dans une démarche générale pour discréditer toute la philosophie[9].

Il accuse également Al-Ghazâli d’avoir attaqué la philosophie sans faire appel à la logique et à la dialectique dont il a acquis pourtant les principes[10]. Le fait que ce dernier se retourne contre la logique relève pour Ibn-Rûshd de la trahison, lui qui a été un fervent adepte de la logique. Par ailleurs, Al-Ghazâli semble ne pas connaître et chercher les vérités dans son Tahâfut. Il ne fait, selon Ibn-Rûshd, que susciter le doute et réveiller les sentiments du public contre les philosophes, rien de plus.

En réalité, le philosophe andalou reproche à l’acharite, sa position de refus préalable des idées des philosophes sans discuter avec eux des arguments qu’il faudrait avancer pour soutenir ces idées. Il considère même que ce dernier ne fait pas partie des philosophes dont il ignore les principes et les connaissances ainsi que les règles de logique[11].

Ce qui est étonnant, c’est le fait que le séparationisme rushdien englobe également les philosophes en désignant Ibn-Sina et Al-Fârâbî. Il les place aux côtés des acharites et des mutakallimûn en raison du fait que les méthodes « sophistes » de ces derniers ont été reprises par les premiers. Concernant Ibn-Sina et Al-Fârâbî, il leur reproche leur collusion avec les mutakallimûn[12]. Mais les choses ne sont pas aussi simples, comme le pense Ibn-Rûshd. D’abord, les questions philosophiques de l’existant possible et nécessaire dans l’œuvre avicennienne sont de vrais problèmes conceptuels et ne sont donc pas une simple reprise des principes des mutakallimûn par Avicenne.

Même si Ibn-Sina a commis des erreurs dans ses démonstrations en métaphysique, il n’en demeure pas moins qu’il ne peut être accusé de simplisme ou d’être un sophiste musulman dont les idées sont mises au goût du jour. Quant à Al-Fârâbî, son œuvre est tellement profonde qu’elle échappe totalement à la critique d’Ibn-Rûshd.

Lorsqu’il accuse les philosophes de ne pas comprendre vraiment les subtilités et les concepts de la philosophie grecque[13], il se trompe lourdement. Il suffit de parcourir l’épître d’Al-Fârâbî sur la conciliation entre Aristote et Platon pour comprendre que ce philosophe a parfaitement maîtrisé les idées essentielles de ces deux philosophes alors qu’Ibn-Rûshd n’a même pas réalisé une telle œuvre. Ainsi, il ne reste pas beaucoup dans le gotha des intellectuels musulmans qui eussent échappé à la vindicte d’Ibn-Rûshd, lequel accuse ces derniers de ne pas être des philosophes.

Rappelons juste une chose : ce séparationisme n’est pas une invention des averroïstes latins de Padoue et de Paris.

Ceux-ci ont d’ailleurs été incapables de créer une telle doctrine, eux qui ont manifesté un esprit de continuation, voire un suivisme avéré vis-à-vis d’Ibn-Rûshd. Ils sont les émules des commentateurs d’Aristote dont le plus illustre est le savant andalou.

Cette doctrine est plutôt basée sur une approche programmatique. Elle sépare la philosophie de la religion en classant les acteurs de la scène intellectuelle en trois catégories : les philosophes, le public et les théologiens.

Mais que reste-t-il des philosophes ? Il critique Ibn-Sina et Al-Fârâbî en les accusant d’être des sophistes qui ont emprunté les astuces des mutakallimûn. Pour lui, le seul philosophe digne d’être reconnu n’est autre qu’Aristote.

Toutefois, il y a un paradoxe : si Aristote est le maître de la philosophie comme il le prétend, c’est alors un maître non dédié à l’éducation du public et à cet égard, il est beaucoup moins considéré que Platon et Socrate qui ont eu un public vaste et diversifié (Académie d’Athènes).

En plus, Aristote n’est pas honoré de cette façon parce que sa métaphysique couvre aussi bien la science première que la science universelle. Or, la science première parle de l’Être, de l’Un et des vérités premières qui sont divines, donc religieuses. En séparant la religion de la philosophie, Ibn-Rûshd a divisé la métaphysique en deux : une science première qui recouvre la religion et la science universelle qui est ce qui reste de la philosophie.

Or, Aristote a parlé plutôt de l’unité de la métaphysique : la connaissance des vérités premières est liée à la connaissance des vérités universelles. La religion et la raison sont ainsi conciliées. Ce fut de cette manière que Saint Thomas d’Aquin a procédé. Ibn-Rûshd n’a fait que le contraire, exactement comme Ibn-Sina qui a tenté de limiter la métaphysique aux moteurs immobiles et immatériels.

Cette situation est vraiment étonnante puisqu’Ibn-Rûshd est réputé être le meilleur commentateur d’Aristote. Il a été très précis et très fidèle dans l’explication des idées du Stagirite dans ses ouvrages et ses commentaires. Comment se fait-il qu’il n’ait pas remarqué l’unité de la métaphysique postulée par Aristote ? Peut-être que ce dernier a pu accéder à des textes d’Aristote plus explicites sur cette question, notamment La Métaphysique.

La mauvaise transmission de la cosmologie aristotélicienne aux Musulmans et aux Occidentaux et les obstacles de l’astronomie au Moyen Âge

Nous avons vu que le séparationisme philosophique et institutionnel d’Ibn-Rûshd est contradictoire avec la métaphysique d’Aristote alors que ce dernier est plutôt censé défendre et bien commenter. Mais il y a aussi des ambiguïtés dans les commentaires du savant andalou concernant la cosmologie aristotélicienne.

Il a accentué la notion de lieu naturel de la Terre qui est au centre du monde alors que dans les textes du Stagirite, cette idée n’est pas aussi tranchée.

Dans l’épitomé et les commentaires sur le Ciel (le Commentarii in Aristotelis quaquatuor libros de Cælo el Mundo), Ibn-Rûshd altère le texte d’Aristote dans le sens d’une cosmologie basée sur la centralité de la Terre et l’attraction des corps vers ce centre. Par ailleurs, la Terre occupe, selon lui, le centre du monde.

Ibn-Rûshd affirme : « Le lieu de la partie et du tout est un et l’ensemble des parties de la terre convergent vers là où la concavité de l’orbe céleste et tombe à angles droits sur des plans horizontaux à la surface de la Terre ; donc toutes les parties se rencontrent en un point unique, qui est le centre de la Terre et du monde[14]. » Or, les premières affirmations ne conduisent pas nécessairement à celle-ci : toutes les parties de la Terre tombent sur le centre du monde[15].

Ibn-Rûshd affirme également (dans le commentaire moyen) que les parties de la Terre tombent à angles droits sur des plans terrestres horizontaux vers le centre de la Terre qui occupe le milieu du monde surtout que pour lui le mouvement est fini[16]. Là aussi, le mouvement des corps vers le centre de la Terre n’est pas un mouvement vers le centre du monde. En fait, Aristote n’a pas dit que les parties de la Terre tombent vers le lieu naturel qui est le centre du monde. Au contraire, lorsque les parties de la Terre se dirigent vers le centre du monde, ils rencontrent aussi le centre de la Terre. La raison de cette distorsion de l’idée du Stagirite par Ibn-Rûshd est que ce dernier admet l’existence d’un point unique qui est situé au milieu du monde, car autrement les distances de ce point à partir de l’orbe céleste vers lequel se meuvent les parties de la Terre seraient inégales[17].

Enfin, il identifie deux types de causes pour le mouvement de la Terre : une cause formelle inhérente à la forme (çûra) de la Terre et à sa nature (tabîca) comme la masse. C’est donc une cause formelle selon Aristote car liée à une nature substantielle[18]. S’agissant de la cause lointaine, c’est la cause du mouvement du corps lourd vers le centre induit par le mouvement du corps céleste.

Celle-ci est une cause efficiente. Or, dans la théorie des mouvements d’Aristote, les corps doivent être en contact et ne doivent pas être éloignés les uns des autres[19]. Les moteurs d’Aristote agissent intrinsèquement sur les êtres qui passent de la puissance à l’acte par l’attirance naturelle.

Ibn-Rûshd ajoute, dans le grand commentaire, une affirmation sur la cause de la gravité de la Terre en tant que forme naturelle et son repos au milieu du monde[20].

Aristote semble n’évoquer que des causes efficientes s’agissant du mouvement de la Terre. Celle-ci se retrouve ainsi au centre du monde en raison du caractère essentiel de l’immobilité de ce centre qui explique la gravité.

Voici donc les grands éléments de la théorie du lieu naturel de la Terre au centre du monde tels que présentés par Ibn-Rûshd dans les trois commentaires et l’épitomé et qui ne sont pas globalement fidèles au système aristotélicien.

On peut même affirmer que le système proposé par Ibn-Rûshd n’est autre que son propre système construit à partir des prémisses et axiomes aristotéliciens en lui donnant une forme définitive qui ne se prête pas à une évolution. Certaines affirmations d’Aristote ont été érigées en principes[21].

Ceci a provoqué la sanctuarisation du système aristotélicien et sa formalisation jusqu’à sa récupération par les penseurs latins au xiiie siècle, ce qui a provoqué la non-évolution de ce système avant que les astronomes du xvie siècle bâtissent le nouveau système copernicien.

Néanmoins, Ibn-Rûshd critiqua, en fidèle défenseur de l’aristotélisme, le système de Ptolémée. Dans son grand commentaire au De Cælo, il ne se contente pas d’exposer le système des sphères homocentriques développé dans la physique d’Aristote, mais rejette du même coup le dispositif complexe des épicycles et des excentriques contenus dans l’Almageste de Ptolémée. « Ce qui a été exposé de la science astronomique prouve l’impossibilité des épicycles. Un corps qui se meut circulairement doit se mouvoir autour d’un centre fixe. […] Un corps qui se meut circulairement se meut nécessairement de telle sorte que le centre de l’Univers soit le centre de son mouvement. Si le centre de sa révolution n’était pas le centre de l’Univers, il y aurait donc un centre hors de celui-ci ; il faudrait alors qu’il existât une seconde Terre, en dehors de cette terre-ci, et cela est impossible selon les principes de la physique[22] ».

Cependant, cette critique de l’Almageste n’est pas entièrement féconde pour la transformation copernicienne de l’astronomie, dès lors qu’elle consacre quelque chose d’irréductible à la théorie héliocentrique : le géocentrisme.

Sur un autre plan, Ibn-Rûshd n’a pas laissé le système aristotélicien se développer et intégrer de nouvelles idées métaphysiques intéressantes comme le principe de la pluralité des mondes qui a été élaboré par l’école orphique, Héraclide du Pont, Épicure, les atomistes, et bien d’autres.

Le savant andalou trouve cette idée dangereuse pour la stabilité et la cohérence du système aristotélicien et notamment pour le principe du lieu naturel et unique de la Terre et pour la différence entre les quatre éléments terrestres et le cinquième élément céleste dont sont composées les étoiles comme l’affirme Aristote. La pluralité des mondes signifie que la matière terrestre se retrouve partout dans l’univers, ce qui est inadmissible pour Ibn-Rûshd.

Dans ses commentaires, Ibn-Rûshd examine l’impossibilité de l’existence d’un autre monde en ces termes :

« On pourrait dire, en effet, que la Terre de l’autre monde ne se meut pas vers le centre de ce monde-ci ni inversement, bien que la Terre soit de même nature dans les deux mondes ; on pourrait dire qu’il en est de même des deux autres éléments. Si l’on prend en effet un corps formé de l’un de ces éléments, il n’est pas à égale distance des lieux naturels semblables qui lui conviennent au sein de ces deux mondes, et, bien qu’il demeure toujours le même, il se meut vers celui de ces deux lieux naturels dont il est le plus voisin. Par exemple, la Terre de notre monde est plus voisine de ce même monde que du centre de l’autre univers ; aussi se meut-elle vers le premier centre et non vers le second. Mais si elle se trouvait dans l’autre monde, elle se dirigerait vers le centre de ce monde-là. Ainsi donc, bien que sa nature demeurât toujours la même, cette Terre serait susceptible de deux mouvements contraires selon sa proximité ou son éloignement de deux lieux spécifiquement semblables, mais situés différemment. Elle pourrait se mouvoir [naturellement] soit dans le sens qui va du premier centre vers le second, soit dans le même sens qui va du second centre vers le premier, bien que ces deux mouvements fussent opposés l’un à l’autre. Sans doute, l’élément, en tant qu’il est simple, ne peut se mouvoir de deux mouvements contraires ; mais cela devient possible, par l’effet de la proximité ou de l’éloignement, car la proximité et l’éloignement surajoutent quelque chose à la simplicité de sa nature. En vertu de la complexité qui en résulte, ce même corps peut, à deux époques différentes, se mouvoir naturellement de deux mouvements opposés. Aristote répond que ce discours n’est pas raisonnable.

Les mouvements naturels des corps ne diffèrent les uns aux autres que par suite des différences qui existent entre les formes substantielles. […] Aussi est-il opportun de prouver ici que les mouvements des éléments n’ont point leur cause hors de ces éléments. Cette proposition peut sembler évidente par elle-même. Aristote toutefois l’appuie de considérations destinées à contredire ce que les anciens philosophes disaient du repos et du mouvement des éléments, de la Terre en particulier ; en effet, au repos et au mouvement de la Terre, ces philosophes assignaient pour cause une attraction mutuelle entre la terre entière et son lieu naturel. Or il est manifeste qu’une masse de Terre ne se meut vers la Terre entière, quelle que soit la position du globe terrestre. […] Dès lors que le mouvement de la Terre vers le centre n’est point l’effet d’une attraction produite soit par la nature du lieu lui-même, soit par la nature du corps qui occupe ce lieu, qu’il n’est point non plus de l’effet d’une impulsion provenant du mouvement du ciel, il est clair que le raisonnement d’Aristote est concluant[23]. »

Dans d’autres pages du Cælo, on trouve : « La nature des corps élémentaires, lorsque ces corps sont situés dans des mondes différents, se trouve modifiée par suite de la distance plus ou moins grande qui les sépare de leurs lieux naturels ; par exemple, de la Terre placée hors de notre Monde est éloignée du centre de ce Monde et rapprochée du centre de l’autre ; elle est donc influencée par la nature de ce dernier centre et non par la nature du premier, en sorte qu’elle se meut vers le dernier centre et non vers le premier ; ainsi voyons-nous que l’aimant attire un morceau de fer voisin, parce que celui-ci acquiert une certaine propriété provenant de la pierre attirante ; mais l’aimant n’attire pas un morceau de fer éloigné, car la vertu de la pierre ne parvient pas jusqu’à ce morceau de fer[24]. »

L’idée de la pluralité des mondes ne pouvait rester intacte dans sa traduction initiale après cette attaque philosophique en bonne règle du commentateur d’Aristote qui justifie l’existence d’un lieu terrestre unique et naturel vers lequel les corps sont attirés par la nature même de leur substance, par une sorte de légalité physique et non pas par une force attractive comme celle connue dans le magnétisme, à laquelle Averroès destinait, d’ailleurs, une partie de ces commentaires.

Ibn-Rûshd remet ainsi en cause la possibilité que d’autres mondes existent qui sont semblables au nôtre, fidèle en cela à l’idée selon laquelle il y a un lieu unique naturel de la Terre au centre du monde, du seul monde qui existe et qui est clos sur lui-même. Mais elle devait survivre et trouver sa place légitime dans l’univers copernicien.

C’est cette idée de la pluralité des mondes qui entre pleinement en contradiction avec l’idée aristotélicienne de la Terre comme lieu naturel unique. Pierre Duhem affirme que la réfutation par Aristote de la pluralité des mondes allait à l’encontre des opinions que les coperniciens devaient un jour reprendre.

Ceci revient à affirmer que l’idée de pluralité des mondes est une composante immanente de la théorie copernicienne, reprise d’une proposition fort ancienne, à laquelle prétendaient les philosophies pythagoricienne, néoplatonicienne, voire même l’orphisme grec.

La preuve que cette idée de pluralité des mondes préexiste et en somme devient inséparable de la conception copernicienne est l’affirmation du savant polonais à propos de ce qu’il pense de la forme exacte de l’Univers.

« L’univers est sphérique, en partie parce que cette forme, devenant le tout englobé, n’ayant point besoin de raccords, est la plus parfaite de toutes ; en partie parce qu’elle constitue la plus spacieuse forme, laquelle est la plus appropriée à contenir et à retenir toutes choses ; et parce que les parties discrètes du Monde, je veux dire le Soleil, la Lune ainsi que les planètes, apparaissent comme des sphères[25] ».

L’idée de la pluralité des mondes impliquait nécessairement un rejet de quelques fondements de l’aristotélisme (le parallèle entre l’idée de l’éternité du monde et l’idée d’un univers infini). Or, Ibn-Rûshd perpétua l’idée d’un centre unique et naturel à la Terre avec beaucoup de hardiesse, lui qui a été le plus grand commentateur du Stagirite.

À partir de là, la scolastique latine, marquant un regain d’intérêt assez réactionnaire pour l’aristotélisme, rejeta l’idée de la pluralité des mondes qui, de surcroît, était assez dangereuse pour le théocentrisme. Elle sommeilla durant le Moyen Âge. Les grands philosophes de cette époque à l’instar de Michel Scot, Guillaume d’Auvergne et Roger Bacon n’ont pas réussi à la ressusciter et à ce titre, ils ne sont pas les dignes précurseurs de Copernic et de Galilée. Ils ont même ajouté aux arguments péripatéticiens contre la pluralité des mondes, de nouvelles impossibilités, de nouvelles superstitions.

Bacon conclut à l’inexistence de mondes multiples à cause de l’impossibilité du vide (la pensée de Bacon fut généralement un obstacle au développement de la science). Cet argument est le pire héritage de la scolastique chrétienne et représente une régression par rapport à la pensée des penseurs grecs.

La seule raison qui est sous-jacente à ce rejet par les penseurs de la scolastique latine est la contradiction rédhibitoire entre l’aristotélisme et le concept de pluralité des mondes, lequel se place fondamentalement en rupture avec l’une des doctrines les plus solides du péripatétisme – l’attraction des corps vers un lieu unique – qui a été maintenue et perpétuée par Averroès, le plus illustre commentateur du Stagirite. À cause d’Ibn-Rûshd, le débat sur la pluralité des mondes prendra une tournure complexe qui entraîna son oubli. Quant à Thomas d’Aquin, il a affirmé que la question de la pluralité des mondes peut trouver une place dans l’Unicité de la création et à ce titre, il a anticipé ce qui allait advenir par la suite.

Pour Aristote, l’univers est composé de deux mondes, le monde sublunaire et le monde terrestre. La ligne de séparation entre les deux correspond à la surface concave de la sphère lunaire. Tandis que le monde terrestre, qui est composé des quatre éléments – eau, terre, air et feu – s’étend du centre du monde Terre à la surface concave de la Lune et il est l’objet de changements permanents, la région céleste avec ses planètes et ses étoiles est remplie du cinquième élément qui est l’éther céleste.

Selon la perspective aristotélicienne, cet éther est doté d’attributs spécifiques : il remplit sans aucun vide la sphère céleste et c’est une substance éternelle non sujette à la corruption et au changement, hormis le changement de place.

Ainsi, les planètes et les étoiles sont des astres nobles substantiellement et sont différentes de la Terre, elles ne changent jamais en substance, ne sont pas corruptibles comme la Terre et se meuvent éternellement dans la sphère céleste. Cette doctrine a été perpétuée par l’Église.

C’est finalement durant la Renaissance que l’idée de la pluralité des mondes retrouva la place qui est la sienne dans la pensée astronomique moderne[26]. Il a fallu pour cela qu’adviennent les travaux de Copernic.

Au-delà de l’héliocentrisme, l’essence même de la transformation radicale de la vision de l’univers que le savant polonais entama est inséparable de la conception épistémologique autant que scientifique faisant de la Terre une planète de même nature que Jupiter, Vénus ou Mars.

Cette conception se situe en continuité avec les idées professées par Héraclide du Pont durant l’Antiquité. Copernic consulta les ouvrages grecs traduits par les Latins et les Arabes, il découvrit peut-être ce concept. Nous pouvons même lancer des conjectures plus audacieuses.

Ajoutons dans ce sillage deux éléments d’importance manifeste dans le siècle des continuateurs de Copernic. La portée épistémologique de l’idée de la pluralité des mondes dans l’histoire de la science dépasse le cadre strict de la révolution copernicienne dans la mesure où cette idée charnière permet la compréhension de questions aussi fondamentales que « l’unification des cieux et de la Terre » dans la nouvelle rationalité réunissant la physique et l’astronomie. La théorie de la gravitation universelle d’Isaac Newton, le problème de la chute des graves dans la physique galiléenne et l’universalité des lois physiques appartiennent au même cadre de pensée qui est sous-jacente à la pluralité des mondes. Par ailleurs, ce concept est très fécond pour la science dès lors qu’il s’ouvre sur d’autres idées aussi importantes et qui en fait font suite honorable au système héliocentrique de Copernic comme l’infinité de l’Univers.

Giordano Bruno fut le seul penseur de la Renaissance qui a été un fidèle « copernicien ». Il fut condamné par l’Église pour hérésie et brûlé vif. Mais nous pouvons admirer toute la portée de son œuvre à travers les dialogues contenus dans son ouvrage De l’infinito universo e mondi (L’Univers infini et les mondes) dans lequel il affirme par la voix d’un personnage imaginaire, Elpino, qui est un aristotélicien : « dans l’espace infini de l’Univers, il existe une infinité de mondes semblables au nôtre. […] Il y a donc des soleils innombrables et des terres infinies qui tournent autour de ces soleils ; nous en voyons sept, accomplir leurs révolutions autour du soleil… Pourquoi donc ne voyons-nous pas ces astres, qui sont des terres, circuler autour des lumières, qui sont des soleils, au voisinage duquel nous ne pouvons percevoir aucun autre mouvement ? Et pourquoi tous les autres corps du monde (à l’exception de ceux qui sont appelés des comètes) sont-ils toujours dans le même ordre et à la même distance[27] ? »

La réponse de Filoteo, l’autre personnage imaginaire qui est l’adversaire d’Elpino, est à la fois simple et satisfaisante : « La raison en est que nous voyons les soleils, qui sont les corps les plus grands et même les plus immenses ; mais nous ne voyons pas les terres, qui parce qu’elles sont des corps beaucoup plus petits et sont invisibles.

De même, il n’est pas contraire à la raison qu’il y ait encore d’autres terres, qui tournent autour de notre soleil qui ne sont pas manifestement visibles, soit à cause de la distance, soit à cause de leur petite dimension, soit encore parce qu’elles n’ont pas une grande surface d’eau[28] ».

Mais c’est à Galilée que l’on doit le triomphe décisif de l’idée de la pluralité des mondes entendue comme l’unification des cieux et de la Terre en ayant la même identité physique. Dans son Siderius Nuncius (1610), il retrace les résultats directs de ces découvertes astronomiques – rendues possibles grâce aux observations relevées en utilisant la première lunette de son invention, connue sous le nom de perspicilli – inaugurant ainsi la science expérimentale : « Chacun peut se rendre compte avec la certitude des sens, que la Lune est dotée d’une surface non pas lisse et polie, mais contenant des rugosités, et que, tout comme la face de la Terre elle-même, on y trouve des gouffres profonds et des reliefs. Ce n’est pas à mon avis un mince résultat que d’avoir mis fin à des controverses concernant la Galaxie, ou Voie lactée et d’en avoir rendu l’essence manifeste, non seulement aux sens, mais aussi à l’intellect et c’est une chose plaisante et magnifique, que d’avoir en outre montré du doigt la substance de certaines étoiles, qualifiées jusqu’à présent de nébuleuses par tous les astronomes, substance qui se révèle toute différente de ce qu’on croyait. Mais ce qui m’a poussé par-dessus tout à réclamer l’attention de tous les astronomes et philosophes, c’est certes notre découverte de quatre planètes demeurées inconnues et invisibles à tous nos prédécesseurs, planètes qui accomplissent leur révolution autour d’une grosse étoile déjà connue, tout comme Vénus et Mercure… Tout cela a été découvert et observé récemment au moyen du perspicilli (du télescope), que j’avais inventé grâce à une illumination préalable de mon esprit par la Grâce divine[29] ».

Il faut ajouter à ce tableau fantastique la découverte des phases de Vénus. Concernant les quatre planètes décrites par Galilée, ce sont les satellites de Jupiter que le savant florentin baptisa « planètes médicéennes » en l’honneur de Laurent de Médicis, prince de Florence : « Il faut signaler aussi la différence d’aspect entre les planètes et les fixes. Les planètes, en effet, s’offrent au regard comme des globes délimités par des cercles parfaits et ont l’apparence de petites lunes circulaires et lumineuses. Au contraire, les étoiles ne se présentent pas comme limitées par des cercles. Elles sont comme des noyaux de lumière qui rayonnent et scintillent dans toutes les directions.

Au télescope, elles ont la même forme qu’à l’œil nu, mais sont grossies de façon telle qu’une petite étoile de cinquième ou sixième grandeur semble égaler la plus grosse des étoiles fixes, le Chien.

Mais, au-dessous de la sixième grandeur, on voit au télescope des étoiles en nombre à peine croyable, qui avaient jusqu’ici échappé à l’observation à l’œil nu[30] ».

Après avoir mis fin à la noble nature des corps célestes, il décrit de manière encore plus précise la différence entre les planètes et les étoiles, ce qui met fin d’une manière ne laissant aucun doute au concept de l’éther céleste ou cinquième élément de la doctrine aristotélicienne. En fait, la science moderne a montré les limites de la cosmologie aristotélicienne.

Ibn-Rûshd, en fidèle aristotélicien dans le domaine cosmologique, ne s’inscrit donc pas dans un contexte favorable au développement de l’astronomie moderne, ayant combattu les idées métaphysiques qui ont eu un grand avenir dans l’évolution de la pensée astronomique, comme cette idée de la pluralité des mondes.

Ibn-Rûshd préféra rester fidèle à Aristote, aux dépens des évidences métaphysiques qui pouvaient s’imposer.

La métaphysique est un élément important pour le développement de la science. C’est elle qui  favorisa le développement de l’astronomie et de la philosophie scolastique en Occident, et c’est sa disparition dans le monde islamique qui provoqua, en partie, le déclin du savoir scientifique et philosophique.

Ibn-Rûshd a brisé l’unité de la personne humaine : la théorie erronée de l’intellect agent et l’échec de sa théorie de la connaissance

Abordons, à présent, la théorie de la connaissance chez Ibn-Rûshd, qui a eu un fort impact sur la notion d’intégrité de la personne humaine.

La conception d’Ibn-Rûshd a brisé l’unité de la personne humaine, en séparant encore une fois le matériel du spirituel, mais aussi en transmettant assez mal la pensée aristotélicienne sur ce sujet crucial. Celle-ci a été redécouverte en Occident grâce aux traductions des œuvres du Stagirite.

On peut même affirmer que la solution donnée par Saint Thomas à ce problème et qui est diamétralement opposée à celle d’Ibn-Rûshd, à savoir l’unité de la personne humaine, a ouvert la voie à l’humanisme de la Renaissance qui s’est prolongé jusqu’aux Temps modernes.

En revanche, les idées d’Ibn-Rûshd sur ce sujet ont été, d’une part, « amendées » par les penseurs scolastiques et, d’autre part, mal comprises puis rejetées par les penseurs musulmans.

Plus généralement, il y a quelque chose d’important à signaler concernant l’héritage d’Ibn-Rûshd : certains auteurs arabes et occidentaux considèrent que les travaux de ce savant andalou ont laissé une empreinte dans le monde occidental contrairement au monde musulman qui a renié, oublié et même condamné sa pensée philosophique et rationaliste.

Toutefois, il convient de nuancer cet examen. Nous avons montré dans les pages précédentes comment les penseurs médiévaux, mais aussi ceux de la Renaissance, ont corrigé les idées de ce savant musulman dont le meilleur exemple est Saint Thomas d’Aquin qui a pu concilier entre la raison et la foi en offrant un corpus cohérent aux universitaires latins alors qu’Ibn-Rûshd a développé un séparationisme entre la philosophie et la religion sans affirmer quoi que ce soit sur leur conflit ou leurs différences d’idées.

D’ailleurs, Saint Thomas a écrit un livre De Unitate Intellectus Contra Averroistas pour répondre aux averroïstes latins et plus particulièrement concernant la théorie averroïste sur la séparation entre l’intellect et le corps. Voilà encore une question primordiale vis-à-vis de laquelle Ibn-Rûshd adopte une attitude radicale. Il va en fait séparer l’intellect et le corps.

La conséquence de cette séparation dans les esprits des musulmans plus portés vers le traditionalisme et le littéralisme religieux n’est autre qu’une accentuation du spiritualisme et du mysticisme (le soufisme). Cette conclusion est déjà paradoxale puisqu’Ibn-Rûshd est connu pour être le promoteur du rationalisme.

En Occident, les difficultés de l’averroïsme latin à Paris et à Padoue (Italie) ont pour origine la position d’Ibn-Rûshd sur l’âme humaine. Le penseur andalou affirme qu’il y a deux mondes : celui de la matière et celui de l’esprit. Il procède de la manière suivante : les individus sont différents grâce à la matière. Celle-ci est le principe même de l’individuation.

Or, l’intellect ne peut obéir à un tel processus qui l’identifierait à cette matérialité. Si l’individuation touche l’intellect, il faudrait admettre l’existence de plusieurs intellects matériels parallèles aux corps, ce qu’Ibn-Rûshd n’admet pas. Ce dernier réfute toute introduction de l’intellect dans le monde humain marqué par l’existence substantielle de la matière.

L’intelligence et les volontés sont également détachées de l’homme et se retrouvent inexorablement liées à l’univers transcendant et immatériel qui échappe à la nature humaine.

Dans le Grand Commentaire du De anima d’Aristote, Ibn-Rûshd parle d’une intelligence transcendante et éternelle qui agit sur les êtres humains comme un tout et non comme des individus séparés et autonomes[31]. Ces derniers ne sont pas maîtres de cette puissance intellective.

Mais comment cette puissance intellective interagit avec les hommes ? C’est en les illuminant. Sans cette lumière, les corps seraient plongés dans une ignorance totale et une méconnaissance des formes intelligibles.

L’esprit est pur et absolu et ne peut se mélanger avec la forme. Comme il perçoit toutes les formes et les choses perceptibles, il ne peut être confondu avec ces dernières afin de ne pas empêcher ces formes d’être perçues par l’esprit. Un tel mélange est susceptible de modifier les formes, ce qui altère la perception par l’esprit. Ce dernier n’est pas composé et il est simple. Il est la première matière[32].

Pour Ibn-Rûshd, l’esprit est une disposition dont le contenu est séparé des substances matérielles. C’est précisément l’intellect agent qui est étroitement lié à la disposition qui permet de créer les images pensées[33].

Par conséquent, il évoque l’unité de l’intellect agent et de l’intelligible en acte pour l’ensemble de l’humanité. Or, ce dernier n’est pas complètement séparé des formes substantielles du monde physique. L’intellect agent est perçu par l’intellect possible et non l’inverse parce que le premier ne peut être changé, altéré et il est éternel[34].

L’intellect reçoit les représentations des individus, mais il est en dehors de la temporalité et de la contingence du monde. On ne sait pas si cette position est le résultat de l’influence de Platon. Ce dernier associe l’âme aux idées avec lesquelles elle partage les caractéristiques de l’immatérialité et de l’éternité.

On peut donc se demander si Ibn-Rûshd a été fidèle à une interprétation jusqu’au-boutiste du platonisme qui sépare l’intellect de la matérialité de l’existence humaine.

Il est évident que cette conception découle de la métaphysique que le savant andalou déclare d’origine aristotélicienne et qui est basée, selon lui, sur la séparation entre la science première et la science universelle.

Comme on l’a déjà signalé, les vérités premières sont considérées comme immatérielles, universelles et éternelles alors que les vérités universelles peuvent se ramener à la réalité sensible.

Il est douteux qu’Aristote soit le fondateur d’une telle métaphysique dès lors que la réalité sensible occupe une large place dans sa métaphysique et nous avons vu que la véritable métaphysique du Stagirite établit un lien entre les vérités premières et les vérités universelles, dont les connaissances sensibles.

Nous avons également rappelé que Saint Thomas a été très attaché à cette unité de la science universelle et de la science première étant donné que sa métaphysique est plus vaste et elle est basée sur le lien entre la conception de Dieu comme vérité première et la conception de ses créatures.

Le fait que Dieu soit le créateur du monde, la connaissance des vérités universelles qui englobe celles des créatures devient importante pour connaître Dieu. Pour Saint Thomas, la séparation entre les deux catégories de vérité est insoutenable. Par conséquent, il y a une échelle dans l’ordre de la création qui relie les vérités supérieures aux vérités inférieures dont Dieu est la première cause.

Mutatis Mutandis, l’Aquinate n’a aucune difficulté à admettre le lien entre l’intelligence, la volonté humaine et les facultés sensibles. Dès lors que les vérités supérieures comme les idées de Platon sont liées aux vérités inférieures comme la sensation humaine, l’intellect est indissociable des sensations. C’est l’association entre ces attributs qui provoque ce qu’il y a de plus lumineux et de plus intellectuel chez l’homme. Par exemple, lorsqu’une décision ou un jugement sont pris, des idées supposées être éternelles et immatérielles rencontrent la réalité sensible.

L’être humain agit dans un monde réel et plein de choses sensibles et son intellect se retrouve en prise avec cette diversité. Il ne pourra interagir de la sorte en étant extérieur au monde sensible. D’une certaine manière, le monde serait indéchiffrable sans l’intellect, mais ce dernier serait aveugle sont le contact avec la matérialité du monde. Un tel raisonnement semble être plus cohérent.

Comment Ibn-Rûshd justifie une vision toute différente de celle qui prétend unir l’esprit et le corps dans une même réalité ? Il recourt pour rétablir le « chaînon manquant » entre l’intellect universel et intemporel et la diversité des individus aux « formes intelligibles » qui sont des entités mi-supérieures et mi-inférieures ou mi-spirituelles et mi-matérielles. Il prétend ajouter à la dualité esprit-corps (l’intellect-individu), une autre dualité intellect possible-intellect individuel, manifestement très compliquée, afin d’expliquer comment l’intellect passe de la puissance à l’acte.

Si la différence entre l’intellect et le corps est ontologique, on ne sait comment les unir grâce à des entités difficiles à définir.

Les individus possèdent une réalité propre qui est le produit de l’intellect et de la substance qui s’associent pour produire les activités intellectuelles de l’homme.

C’est de cette manière qu’ils gagnent leur liberté à agir sur les événements du monde. Saint Thomas exploite les relations entre les vérités premières comme l’âme et les vérités universelles pour développer une théorie de l’intelligence et de la volonté humaines en tant qu’entités consubstantielles avec l’âme humaine.

Il considère l’homme comme composé de deux éléments indissociables : l’esprit et le corps[35] alors qu’Ibn-Rûshd a établi un principe de l’unité de l’intellect commun à tous les hommes, mais qui est séparé de chacun d’eux.

Cette façon de voir ne capte pas l’immense richesse de la relation entre l’homme et le monde qui se nourrit de la relation entre l’intellect et les choses sensibles et non de la séparation entre l’intellect et l’homme qui s’impose, selon le savant andalou, en raison de l’impossibilité de concevoir des formes intelligibles comme des entités aussi diversifiées que les formes sensibles, ce qui est de nature à rompre l’unité de l’intellect. Le risque, selon lui, serait que les formes intelligibles seraient piégées dans cette diversité et perdraient ainsi leur caractère d’universalité.

Sur ce plan, Thomas propose une association entre l’esprit et le corps qui est la seule manière de démontrer que l’homme est un sujet et non un objet[36]. Il a une conscience de soi et du monde qui l’entoure, mais aussi de la continuité de sa connaissance qui prend pour objet une chose puis une autre. L’homme est conscient de son individualité dans le déroulement de ses facultés mentales.

Ibn-Rûshd justifie cette dissociation entre l’intellect et l’homme en donnant l’exemple de la relation entre un enseignant et un élève. Il considère que l’assimilation par ce dernier des connaissances provenant du premier ne serait possible que si ces connaissances proviennent d’une même source qui est l’intellect agent. L’identité entre la source et la cible est rendue efficace grâce à l’unité de l’intellect.

Saint Thomas rétorque en rappelant que les formes intelligibles, c’est-à-dire les processus cognitifs, ne sont pas similaires entre le maître et l’élève et que le circuit d’apprentissage de ce dernier n’est pas passif, mais au contraire actif et dynamique.

L’élève associe les connaissances acquises avec son propre bagage intellectuel à défaut duquel il ne peut apprendre l’enseignement du maître. Ses connaissances de départ sont une condition sine qua none du processus d’apprentissage.

Il ajoute un autre argument contre la théorie d’Ibn-Rûshd : les individus ne sont responsables de leurs actes que s’ils possèdent leur propre connaissance des choses auxquelles ils font face dans la vie et qui sont étroitement liées à leurs actes. Leurs actions dont ils sont responsables doivent nécessairement trouver leur fondement et leur origine dans les individus eux-mêmes et non dans une réalité extérieure à ces derniers et donc située hors de leur responsabilité.

À défaut de connaître et de posséder l’origine de nos actions, il ne pourrait y avoir aucune responsabilité sur celles-ci. Les actions sont également indissociables de la volonté qui est, selon Ibn-Rûshd, totalement séparée des individus.

Une autre difficulté dans le raisonnement rushdien réside dans le progrès du savoir humain. L’intellect agent est uniforme entre les individus.

Par conséquent, les connaissances, dont il est l’origine, sont à la fois anciennes et homogènes. Comment alors expliquer l’hétérogénéité des connaissances dans le temps, c’est-à-dire le progrès scientifique et le développement des connaissances ?

Saint Thomas résout cette difficulté, en adoptant une démarche qui est en fait en avance sur son temps et se rapproche d’une doctrine qui n’a fait son apparition que durant la révolution scientifique au XVIe siècle, à savoir l’empirisme. Notre activité mentale ou la pensée qui est intellective repose sur l’expérience sensible et sur les images provenant de la réalité empirique du monde. En renouant avec notre méthode comparative et intratemporelle, on peut comparer le débat entre Ibn-Rûshd et Saint Thomas à l’antagonisme entre le rationalisme et l’empirisme à l’époque moderne.

Tandis que le rationalisme implique que la raison qui n’a rien à voir avec l’expérience sensible est la source de l’entendement humain, l’empirisme signifie qu’il n’existe aucune source de connaissances autre que l’expérience perceptive. La notion d’expérience perceptive dénote le rôle joué par l’observation dans toute expérience. L’observation joue un rôle séminal dans la confirmation ou l’infirmation des théories. Les hypothèses ou les théories qui permettent d’expliquer un phénomène ou certaines régularités dans la nature ne peuvent être testées que si ces hypothèses et ces théories deviennent l’objet d’une perception qui est le résultat d’un contact entre l’observateur et les phénomènes de la nature et qui reflète la tension provoquée par la mise à l’épreuve de nos idées sur le monde.

C’est pour cette raison qu’on parle souvent d’expérience perceptive et non pas seulement d’observation. C’est parce que le scientifique est capable de percevoir les résultats des expériences que l’expérience prend toutes les caractéristiques d’un instrument décisif au jugement qu’il doit porter sur les théories et les hypothèses qui lui sont soumises. La notion d’expérience perceptive entre dans une relation dialectique avec la théorie puisqu’avant même le verdict matériel constitué par l’observation de l’entité étudiée ou du phénomène expliqué par la théorie, les données observationnelles alimentent la théorie et lui fournissent la matière et le contenu épistémique à la formulation des hypothèses nécessaires à l’explication des phénomènes ou des régularités dans les phénomènes de la nature.

Les notions d’observation et d’expérience perceptive qui sont les fondements de la conception classique de l’activité scientifique ou de l’empirisme sont au cœur de l’expérimentation. Si cette dernière est le moyen permettant de découvrir les entités qui peuplent le monde, l’expérience perceptive est la finalité ultime de l’expérimentation scientifique.

Voici une autre définition encore plus suggestive de cet état de fait : « Le but de l’élaboration d’une expérience scientifique est de parvenir par des moyens artificiels à faire une expérience perceptive, celle qui va permettre de tester telle ou telle hypothèse[37] ». L’expérience perceptive est la condition sine qua non de nos convictions à propos de la réalité, de la régularité des phénomènes et de l’existence d’entités qui constituent le monde.

Ainsi, on peut dire qu’Aristote et Saint Thomas ont jeté les bases du réalisme empiriste moderne tandis que Platon et Ibn-Rûshd ont été les premiers à créer ce courant de pensée qui est le positivisme rationaliste.

Ces deux courants de pensée ont prolongé leur débat pendant des siècles, mais c’est Ibn-Rûshd qui représente le premier penseur positiviste depuis Platon alors que l’Aquinate est le premier penseur réaliste et empiriste moderne.

Toutefois, on peut suggérer que la pensée d’Ibn-Rûshd a été négative pour les musulmans, car elle a empêché ceux-ci d’appréhender l’expérimentalisme et l’empirisme qui sont les promoteurs de la science moderne. Francis Bacon n’est pas loin des scolastiques dominicains du xiie siècle comme Saint Thomas.

L’empirisme trouve son origine dans les commentaires du docteur angélique qui s’inscrivent en droite ligne de la philosophie empiriste aristotélicienne.

Ce qui est plus important encore, c’est le rôle joué par Saint Thomas pour préserver l’intégrité humaine, l’unité entre l’esprit et la matière dans l’identité humaine et la liberté de la conscience de chaque individu qui est au cœur de la vision humaniste et civilisationnelle de l’Occident.

Bien que ce qui a été développé dans les pages précédentes soit suffisant en soi pour démontrer qu’Ibn-Rûshd a obscurci le rôle joué par la métaphysique dans la connaissance humaine, nous devons néanmoins approfondir notre analyse de cette question très controversée : la séparation de la religion et de la philosophie, en traitant cette fois de :

  • l’acceptation ou non des miracles dans l’ordre des connaissances philosophiques et scientifiques ;
  • la question des connaissances du public non savant, notamment de ce qu’Ibn-Rûshd appelle les lois non écrites, qui est un élément supplémentaire de séparation entre le savoir savant, c’est-à-dire philosophique et basé sur la démonstration, et le savoir rhétorique et élémentaire des gens ordinaires ;
  • le traitement par Ibn-Rûshd de la question de la prédestination ou le déterminisme.

La non-reconnaissance des miracles par Ibn-Rûshd

Concernant la question des miracles cités dans le Coran, comme l’histoire du bâton de Moïse qui se transforma en serpent, la séparation des eaux pour sauver le peuple d’Israël de la colère de pharaon ou de la résurrection du corps de Lazare par Jésus-Christ, Ibn-Rûshd manifeste une attitude réservée qui reflète le séparationisme entre l’ordre des connaissances philosophico-scientifiques et le savoir rhétorique (savoir a priori et basé sur l’opinion).

Ne pouvant expliquer rationnellement les miracles, il s’est réfugié dans ce séparationisme qui lui permet de ne pas trouver une explication rationnelle et philosophique à ce phénomène. En fait, il a été incité à adopter une telle position en raison de l’attaque d’Al-Ghazâli contre les philosophes, les membres de l’ordre qu’il préfère. Il a été donc poussé par le théologien acharite à prendre position sur cette question.

Dans son Tahâfut al-Tahâfut, il rejette l’argument du savant acharite relatif au changement possible dans la causalité naturelle en admettant une interruption temporaire de l’ordre naturel. Un tel changement signifie, selon le savant andalou, la remise en cause de la certitude du savoir scientifique.

Ibn-Rûshd rejette bien entendu l’affirmation d’Al-Ghazâli selon laquelle nous n’observons pas en réalité les relations causales entre les choses de la nature, mais seulement l’association entre ces choses qui se produisent en même temps comme le feu et l’incendie[38].

Al-Ghazâli réfute la causalité entre ces deux phénomènes en affirmant que nous n’observons pas vraiment le processus durant lequel le feu provoque l’incendie[39]. Il y a, selon lui, une association et non une causalité. Ce point de vue est intolérable pour Ibn-Rûshd qui soutient que les relations causales sont non seulement nécessaires, mais sont également irréfutables, faute de quoi les sciences s’écrouleraient. Pour lui, la causalité est consubstantielle avec les connaissances humaines. S’il n’y a pas de causalité, alors il serait impossible de séparer la simple opinion d’une certitude.

La science serait ainsi incapable de prouver ce qui est réel dans le monde[40]. Une fois cette position admise, une difficulté surgit : en rejetant une interruption même temporaire de la loi de causalité, comment alors interpréter les miracles cités dans le Coran ? En fait, Ibn-Rûshd n’interprète pas vraiment ces phénomènes.

Il suspend le jugement sur les miracles au nom du séparationisme entre la science et la religion. Il recommande donc à la classe des véritables philosophes de ne pas aborder la question en avançant deux arguments : le premier consiste à laisser le problème des miracles aux gens ordinaires qui l’abordent en termes de croyances et de foi et non de démonstration.

Le second argument est relatif à la vérité suivante : les miracles ne sont pas vraiment une réelle preuve de l’authenticité des prophètes.

Pour lui, la véritable preuve du Prophète n’est autre que le message divin renfermé dans le Coran[41].Il considère les miracles comme un problème historique et non pas philosophique en admettant seulement que Dieu a choisi des prophètes pour guider les croyants. Pour les philosophes, les miracles ne doivent pas être interprétés rationnellement en recourant aux démonstrations. Ils doivent seulement admettre la véracité et la sagesse du message divin renfermé dans les écritures. Ceux-ci sont, selon lui, les véritables miracles des prophètes.

Par conséquent, le Coran doit être lu différemment par les deux classes d’interlocuteurs : tandis que la classe des gens ordinaires a besoin d’une interprétation littérale qui est de nature à renforcer leur foi, la classe des philosophes doit se tenir à l’écart d’une discussion avec les premiers sur l’interprétation de ces miracles et doit s’en tenir au fait que ce sont des choses divines qui se situent au-delà de la connaissance humaine (« huwaamr al-ilâhîmuʿjazʿanidrâk al-ʿuqûl al-insâniyya »).

Cette solution est finalement basée sur la séparation de l’ordre des connaissances en deux catégories différemment accessibles par l’entendement humain sans qu’il y ait une interférence entre ces deux catégories. Les philosophes ne doivent pas critiquer l’interprétation littérale des gens ordinaires afin de ne pas heurter leur foi[42]. Il encourage donc ces gens à poursuivre leur croyance et à ne pas s’attendre des philosophes une attitude apologétique qui les dissuaderaient de le faire.

Il évacue de la sorte toute discussion qui soit métaphysique et rationnelle de phénomènes rapportés par le texte coranique. De la sorte, un tel séparationisme brise l’unité de la métaphysique puisqu’il n’aborde pas une catégorie quoique rare de phénomènes.

Même s’ils sont des phénomènes d’essence religieuse et historique[43] en ayant joué un rôle dans la défense de la foi et de la mission des prophètes, il n’en demeure pas moins vrai qu’ils font partie du réel que le philosophe doit étudier au même titre que les autres phénomènes de la réalité.

Quant à la conviction qu’il partage avec Al-Ghazâli sur l’importance de considérer le Coran comme un miracle scriptural et une preuve significative de la mission prophétique, il convient plutôt de voir de près la différence de motivation entre les deux auteurs.

Tandis qu’Ibn-Rûshd cherche à réfuter et à atténuer la démarche apologétique du savant acharite en reléguant l’interprétation des miracles à la classe des gens ordinaires et en leur interdisant toute interprétation métaphysique et rationnelle, Al-Ghazâli cherche à soutenir sa démarche apologétique vis-à-vis de tout le monde (gens ordinaires et élites) en faveur d’une interprétation littérale des miracles en violant le principe de causalité.

En fin de compte, Al-Ghazâli a admis paradoxalement et contrairement à Ibn-Rûshd une interprétation métaphysique des miracles, lui qui refuse la métaphysique pour les autres sciences.

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Il a séparé la théologie du rationalisme philosophique alors qu’Ibn-Rûshd a séparé la métaphysique philosophique de la métaphysique théologique. Peu importe cette différence de méthode entre les deux auteurs, Ibn-Rûshd a lui aussi ruiné la métaphysique en préférant suspendre son jugement sur la réalité des miracles.

La juxtaposition par Ibn-Rûshd des lois naturelles et des lois écrites

Evoquons, maintenant, la question des lois naturelles chez Ibn-Rûshd : dans le Commentaire moyen sur la rhétorique d’Aristote[44], le philosophe andalou évoque les « lois non écrites » (sunan ghayr maktûba) qui sont des lois grâce auxquelles les gens pensent ce qui est juste ou non[45]. Ce sont des lois qui sont liées à la nature de l’humanité.

Ainsi, Ibn-Rûshd affirme : « Je veux dire par lois non écrites, celles qui sont dans la nature de chaque personne. Ils sont les lois par lesquelles chaque personne par sa disposition naturelle comprend qu’elles sont justes ou injustes même s’il n’y a aucun rapport entre chacune d’elles. C’est pour cette raison que ces lois sont appelées parfois générales. L’origine de ces lois est inconnue. Elles se situent parfois en contradiction avec les lois écrites. On utilise ces lois pour persuader d’autres personnes que les lois écrites ne sont pas injustes alors qu’elles ont été considérées comme telles[46] ».

Ce sont des lois universelles et complémentaires avec les lois écrites et elles ne sont pas limitées par la culture ou par les différences entre les civilisations.

Ibn-Rûshd conseille aux juges de regrouper les lois écrites et non écrites dans un esprit dialectique et en dépassant ce qui apparaît comme contradictoire entre ces lois afin de parvenir à la vérité et à la justice la plus pure[47]. Les lois non écrites sont donc un moyen pour purifier les décisions de justice.

En fait, Ibn-Rûshd emprunte à Aristote sa définition de la justice naturelle dans sa Rhétorique pour définir ce qu’il appelle les lois naturelles (lois non écrites). Les caractères d’universalité, de naturalité et d’ancienneté sont similaires dans le texte d’Aristote et dans le Commentaire d’Ibn-Rûshd.

Il reprend également la troisième catégorie de lois chez Aristote dans La Rhétorique : la « loi commune » qui a pour origine la nature[48]. Mais ce qui est problématique avec les lois naturelles, non écrites, c’est qu’elles sont liées au séparationisme d’Ibn-Rûshd. Ce qui pose problème, c’est l’accessibilité aux lois. Lorsqu’on évoque ici les acteurs qui utilisent ces lois, on découvre le sens exact du séparationisme rushdien.

Ibn-Rûshd parle de deux choses qui semblent contradictoires : pour déterminer ce que sont les lois naturelles, il faut une réflexion délibérative des philosophes (taqdîrih), c’est-à-dire de la classe des élites. Quant à l’appréhension de ces lois, il évoque une capacité collective des masses (kullu l-jumhûryastawûn fî idrâkihâ[49]).

Comment alors séparer l’appréhension et la détermination du contenu de ces lois ? D’une part, le public est capable de prendre conscience de ces lois. D’autre part, c’est l’élite seulement qui est en mesure d’en comprendre le sens.

La frontière entre les deux conceptions n’est vraiment pas claire et ne permet pas de distinguer nettement entre les deux processus cognitifs. Comment le public peut-il comprendre des lois et en même temps ignorer leurs règles et leur sens profond ? Il y a là une véritable contradiction qui ne peut être résolue par une différenciation entre l’approbation et la découverte. Comment approuver quelque chose dont on ne connaît ni les caractéristiques ni les subtilités qui sont inhérentes à la découverte ?

Par ailleurs, Ibn-Rûshd trace une ligne de démarcation entre ce que pourrait faire l’élite et ce que les masses sont destinées à faire sans parler de la coopération entre les deux. Il n’évoque aucune relation entre ces deux classes qui sont censées ainsi agir séparément.

Après tout, l’élite est au service du peuple. La réflexion démonstrative des premiers n’est pas une fin en soi, mais un objectif qui est dans l’intérêt de la société. Le peuple qui doit connaître les grands contours de ces lois non écrites ne peut pas y réfléchir théoriquement. Or, ces lois sont au service du peuple. Cette vérité devrait permettre d’aller plus loin qu’une simple détermination des grandes lignes, c’est-à-dire une connaissance liminaire et non théorique.

Si les élites doivent comprendre les lois non écrites et en même temps concevoir les lois écrites, n’y a-t-il pas alors une certaine redondance qui rend inutile l’existence d’un corpus de lois non écrites[50] ?

Là, Ibn-Rûshd suggère un nouveau rôle pour les lois naturelles qui est de jauger les lois écrites afin d’éviter les tendances rigoristes et extrémistes qui sont provoquées par une application étroite ou excessive de la loi divine et d’atteindre ainsi la justice naturelle[51].

Ibn-Rûshd est convaincu de l’existence des lois naturelles du fait qu’Aristote en parle dans ses écrits. Sa fidélité vis-à-vis du Stagirite explique pourquoi le savant andalou juxtapose des lois écrites et non écrites comme source de la législation en reprenant les mêmes justifications prévues par Aristote comme cette notion de « bien[52] » qui guide l’approbation des gens ordinaires. Selon Ibn-Rûshd, l’approbation est naturelle parce que les lois naturelles sont acceptées en vertu d’une disposition naturelle. Ainsi, il n’exige pour les gens ordinaires qu’une connaissance des grandes lignes et non une démonstration complète.

Mais ce faisant, les lois naturelles sont justement très facilement appréhendables puisqu’elles sont simples de par la nature des choses. Il est donc probable qu’elles ne reposent en fait sur aucun fondement solide, juste cette inclinaison éthique vers le bien.

Une autre difficulté surgit : Ibn-Rûshd fidèle à sa tendance rationaliste jusqu’à l’extrême sous-entend que la loi naturelle coexiste avec la loi divine donnée par la révélation. Or, tout musulman croit fortement que la révélation est la source par excellence des lois, de la justice et de l’éthique. Selon lui, l’esprit humain ne peut pas produire de plus beau et de plus important. Pourtant, Ibn-Rûshd accorde aux lois naturelles une place centrale qui nécessite de surcroît les vertus démonstratives des philosophes.

Pourtant, les jurisconsultes musulmans dont nous avons parlé se sont contentés de la révélation et de la tradition prophétique en lui ajoutant l’analogie, la notion de l’intérêt général (Istîslâh) ainsi que celle du bien. Bien que cette dernière notion puisse être rapprochée de la loi naturelle et de la justice naturelle d’Aristote, il n’en demeure pas moins que ces jurisconsultes ont trouvé leur voie dans l’édification de la législation islamique sans le recours à des lois naturelles. On peut dire également que ces jurisconsultes ont recouru à la raison humaine lorsque les textes scripturaux ne fournissent pas de réponse à des questions qui se posent dans le déroulement de la vie économique et sociale et ce, de manière réflexive et non seulement approbative.

Or, Ibn-Rûshd ne parle pas de la raison humaine lorsqu’il évoque l’accessibilité des lois naturelles pour les gens ordinaires. Il reprend fidèlement le récit d’Aristote pour qui la notion de justice naturelle est liée à l’inclination naturelle au bien. Ainsi, la compréhension de la justice naturelle par le public n’a rien de réflexif.

Il y a vraiment dans le raisonnement rushdien deux problèmes : le premier est l’aspect contreproductif de la distinction élite/public en relation avec les lois écrites et non écrites. Les grands jurisconsultes musulmans ont utilisé la raison humaine pour compenser les limites des textes vis-à-vis des nouveaux problèmes auxquels faisait face la communauté musulmane.

Leurs conclusions ont été proposées au public musulman, à travers des ouvrages pouvant être lus par tous. Dans le Fiqh et la Sh’aria islamiques, la distinction élite/public par rapport à l’approbation/démonstration ne s’applique pas.

Le second problème est la portée légale de la loi naturelle. Pour Ibn-Rûshd, la loi naturelle se situe au-dessus de la loi écrite[53]. L’exigence du respect d’une loi provenant de la nature est supérieure à la nécessité de l’application d’une loi écrite. Or, parmi les lois écrites, il y a celles provenant de la révélation.

Si une loi naturelle fait face à une loi écrite, la première prend le dessus. Cette position d’Ibn-Rûshd n’a aucun sens dans une société régie par la loi islamique. La loi naturelle peut devenir une source de législation si les textes ne parlent pas de la chose juridique. Les jurisconsultes ont d’ailleurs prévu le Qiyâs (l’analogie), l’intérêt général (Istîslâh) et la notion de bien (Istîhsân) qui sont des concepts rationnels et non pas seulement naturels. Logiquement, la loi naturelle viendrait en cinquième position.

Mais Ibn-Rûshd ne voit pas les choses de cette manière : il propose plutôt une association (Ijmaâ) entre la loi naturelle et la loi écrite en s’inscrivant en porte à faux contre tout le Fiqh musulman. Cette situation est vraiment paradoxale puisque Ibn-Rûshd fut pour un temps le qâdî al-qûdât à Séville.

La seule explication de cette contradiction entre la jurisprudence islamique en vigueur durant cette époque et même au-delà et la vision séparationiste rushdienne est le confinement de la pensée du savant andalou dans le cadre aristotélicien stricto sensu qui a évolué initialement dans une société païenne n’ayant pas connu la révélation monothéiste.

Pour Aristote, il n’y a pas en principe de conflit entre les lois naturelles et les lois écrites de son époque qui ont été édictées par des juristes et des dirigeants civils et militaires à l’instar de la Loi Solon à Athènes au ve siècle avant J.-C.

Ibn-Rûshd ne devait pas transposer la loi naturelle aristotélicienne dans le monde islamique qui a connu la révélation. Cette initiative « anachronique » est d’autant plus contreproductive que ce philosophe accorde à la loi naturelle un statut supérieur aux lois islamiques en vigueur.

Par ailleurs, l’argument qui est souvent avancé pour justifier le recours à une telle juxtaposition entre la loi naturelle et la loi écrite est que la naturalité de la première permet de limiter les excès des législateurs et de corriger si nécessaire la loi écrite. Cependant, nous avons vu qu’un jurisconsulte comme Abu Hanifa a annoncé aux musulmans que son recours au Qiyâs repose sur son jugement personnel, lequel peut être corrigé par quiconque possédant des arguments plus valables. Par conséquent, les jurisconsultes se sont déjà protégés contre les excès probables et n’avaient donc pas besoin d’une source supplémentaire pour prévenir de tels dangers. En plus, les qualifications de ces jurisconsultes puisent dans les meilleures sources des hadiths et des usûl al-fiqh permettant de donner des fûtwas.

Il faudrait ajouter la confrontation a priori des jurisconsultes traditionnels avec les mêmes questions qui relèvent en principe de la loi naturelle non écrite. Par exemple, Ibn-Rûshd cite l’exemple d’al-hîlm (clémence) qui permet d’alléger des peines[54]. Dans le Coran, la peine pour le vol est la main coupée.

Mais Omar Ibn Khâtab, le deuxième calife « bien guidé », a déjà fait preuve de clémence en supprimant ce châtiment durant les périodes de disettes. La clémence est donc déjà incluse dans le corpus de textes islamiques.

La loi naturelle d’Ibn-Rûshd n’ajoute donc rien à ce corpus. Par conséquent, le concept de loi naturelle qui est de nature à accentuer la distinction élite/public vis-à-vis des lois écrites et non écrites est un élément qui s’ajoute dangereusement au séparationisme rushdien dont le résultat est le lancement d’un processus de marginalisation du public de la philosophie démonstrative, du sens profond des lois et de la métaphysique.

Le déterminisme d’Ibn-Rûshd : un héritage embarrassant pour le monde musulman

Le dernier thème que nous allons aborder, qui est étroitement lié à la démarche aristotélicienne d’Ibn-Rûshd, est celui de la prédestination ou du déterminisme qui a divisé les philosophes et théologiens musulmans pendant des siècles. Le débat sur le Qadar ou prédestination porte essentiellement sur la liberté humaine, ainsi que les pouvoirs et les attributs de Dieu (connaissance omnipotente et justice divine).

Les hommes sont-ils ou non libres dans le choix et le déclenchement de leurs actes, et sont-ils donc responsables ou pas de ces mêmes actes ? Par ailleurs, si Dieu ne détermine pas les actes humains, est-il alors omnipotent ou pas ? Est-il également juste, s’il est la source des actes mauvais des hommes ?

On remarque ici l’importance de ce débat sur les deux plans : religieux et philosophique.

Les mu’tazilites ont affirmé que les hommes accomplissent leurs propres actes et, pour cette raison, sont responsables lors du jugement dernier. Autrement, leur responsabilité ne s’appuie sur aucun fondement. Par opposition à cette doctrine, les jabariyya (déterministes) soutiennent que les actions des hommes sont déterminées entièrement par Dieu (majbr ‘al af‘lihiwa-maqhr[55]).

Les acharites ont opté, quant à eux, pour une position médiane qui est en fait une version déguisée du déterminisme, mais qui tente de concilier entre les deux doctrines : Al-Ash’ari a élaboré la notion de l’iktisâb qui désigne une action créée par Dieu, mais qui est réalisée par l’homme. Ce dernier est rendu donc responsable de son action[56]. La notion de l’iktisâb provient du mot Kasaba qui désigne l’acquisition. Selon ce théologien, l’homme « acquiert le fruit de chaque acte bon ou mauvais » et généralise cette définition en désignant le fait de « mener une action ».

Ibn-Rûshd n’admet pas ces positions. Selon lui, la doctrine du mu’tazilisme sous-entend qu’il y a un autre créateur puisque les hommes peuvent créer des actes, ce qui n’est pas conforme à la volonté de Dieu (mash’a[57]) alors que celle des acharites développe un déterminisme strict qui oblige directement les hommes à agir. Il considère que la première n’est pas acceptable par la loi divine (Sh’ar) alors que l’autre n’a pas de sens.

Dans un ouvrage intitulé Kashf ‘an-manâhij al-adilla fi ‘aqâ’id al-milla (Dévoilement des voies pour découvrir les preuves concernant les croyances de la communauté), il propose une quatrième voie qui est expliquée en ces termes : « Il apparaît que Dieu… a créé en nous des facultés/pouvoirs (quw) à travers lesquels nous sommes capables (naqdiru) d’acquérir des choses contraires.

Cependant, étant donné que l’acquisition de ces choses n’est possible que grâce à l’accord de causes externes qui ont été mises à disposition pour nous par Dieu (sakhkhara) et par la levée de leurs obstacles, les actions dont nous sommes attribués sont réalisées à travers ces deux choses[58] ».

Dans cette citation, nous remarquons qu’Ibn-Rûshd utilise deux notions : les actions et les causes externes qui rendent possibles ces actions. Sa solution est que la volonté interne à l’homme d’engager des actions n’est pas suffisante, car autrement il serait difficile de se passer du libre arbitre et de la responsabilité qui en découle. Il lui ajoute des causes externes qui limitent et encadrent cette liberté.

L’utilisation de la notion de contraintes est une astuce d’Ibn-Rûshd pour trouver le seuil à partir duquel nous agissons dans l’engagement des actions. Si l’on choisit une action plutôt que son contraire, c’est parce que des causes externes ont contribué à ce choix[59].

Il y a donc une traçabilité de l’action humaine qui permet la rencontre entre les causes externes et la volonté. « Ces causes créées par Dieu pour nous ne permettent pas seulement les actions que nous désirons ou refusons. Ils sont plutôt la cause du choix entre deux choses qui s’opposent (mutaqbilayn[60]) », a-t-il affirmé.

Par ailleurs, cette opposition entre deux choix contraires permet de dissimuler la causalité déterministe qui se cache dernière ces causes externes. On sait qu’Aristote dont Ibn-Rûshd est le commentateur a développé toute une théorie de la causalité qui est assez contraignante.

C’est cette théorie qu’Ibn-Rûshd utilise contre Al-Ghazâli, lequel refuse toute causalité aristotélicienne.

Il est bien entendu que ces causes sont une création divine. C’est comme si Dieu incite les hommes à prendre des décisions ou au contraire dissuade de le faire. Ainsi, il affirme : « La réalisation des actions qui nous sont attribuées dépend de notre volonté avec l’accord d’actions qui sont extérieures à notre volonté.

C’est ce qui est désigné par le [concept] de qadar de Dieu[61]. » On remarque ici que le savant andalou encadre la volonté humaine par quelque chose qui lui est extérieur, qui la délimite et qui lui impose un champ pour se déployer. La volonté humaine n’est donc pas, comme le diraient les mu’tazilites, créatrice ou productrice des actions.

Elle ne peut agir que grâce à une causalité externe et à l’absence d’obstacles qui est un facteur contingent de moindre importance.

Par une telle causalité, il évite la difficulté imposée par les partisans de la Djabrriya et les acharites qui provient de leur incapacité à laisser aux individus la moindre liberté d’action. Ibn-Rûshd concilie donc entre ces doctrines de manière assez ingénieuse.

Toutefois, la solution d’Ibn-Rûshd est de nature déterministe. On le voit clairement dans son explicitation de la relation entre les causes externes et la volonté humaine. À ce sujet, il affirme :

« La volonté est essentiellement un désir (shawq) qui se déclenche en nous en imaginant (takhayyul) quelque chose, ou en ayant un penchant pour quelque chose (tadq bi-shay’). Ce penchant n’est pas dû à notre choix (ikhtiyr). Il est plutôt quelque chose qui est provoqué en nous (ya‘riu) à travers des événements extérieurs. Par exemple, si quelque chose qui est désirable par son apparence extérieure se présente à nous, nous la désirons nécessairement (bi-l-arra) sans aucun choix (min ghayrikhtiyr). De même, si quelque chose de répugnant (mahrb) se présente devant nous, nous la rejetons et nous l’évitons nécessairement. Par conséquent, notre volonté est préservée et elle est limitée par des choses extérieures (mahfûża bi-l-umûrallatï min khârijwamarbûta bi-hâ[62]). »

On remarque que le mécanisme par lequel Ibn-Rûshd explique la relation entre les causes externes et la volonté humaine est purement déterministe. Le choix de l’individu est escamoté en faveur d’un instinct qui est automatiquement déclenché en nous pour de bonnes choses et non pour de mauvaises choses. C’est donc un déterminisme psychologique qui remplace un déterminisme physique. Les individus ne sont pas condamnés à prendre ou à ne pas prendre des actions par des causes directes.

Ils sont plutôt conditionnés par des causes externes, qui sont appelées par Ibn-Rûshd « causes secondaires[63] » pour les distinguer de la cause première qui est Dieu.

En réalité, le déterminisme du savant andalou n’est pas un déterminisme physique strict qui ne laisse aucune échappatoire à la liberté humaine.

Mais c’est un déterminisme qui ressemble un peu à celui inhérent à la théorie moderne de l’évolution. Cette théorie énonce que les actions et les désirs des individus sont le résultat d’une longue évolution déterministe de l’espèce humaine face aux contraintes du milieu naturel.

De même, Ibn-Rûshd propose un déterminisme psychologique basé sur la dépendance des actions humaines aux stimuli ou aux inhibiteurs du milieu environnant. Il y a des stimuli positifs qui provoquent une incitation pour certaines choses.

Au contraire, des inhibiteurs des choses mauvaises déclenchent un refus d’accepter ces choses.

Toutefois, ce déterminisme reflète une opposition par rapport à la liberté humaine. Les hommes peuvent parfois opter pour des choses non pas en réaction à ces stimuli ou à ces inhibiteurs, mais par rapport à des convictions profondes enfouies dans l’âme humaine. Des individus peuvent parfois opter pour des actions altruistes qui sont des actions désintéressées et non provoquées par les causes psychologiques et physiologiques externes puisqu’elles n’offrent pas des gains ou une satisfaction pour les individus directement, mais plutôt pour d’autres individus.

Les actions altruistes sont avant tout des actions non liées à des contraintes et à des causalités externes. D’ailleurs, je ne pense pas que les mu’tazilites et les adeptes de la Djabrriya ont pensé à des actions purement matérialistes lorsqu’ils ont évoqué les actions humaines.

Les actions dont ils parlent sont celles qui aboutissent à la récompense de l’Au-delà ou inversement à son châtiment. On peut donc dire que la majorité des actions bonnes attendues des individus qui sont susceptibles d’une récompense dans le paradis sont les actions « altruistes » qui bénéficient aux autres individus et non à eux-mêmes, c’est-à-dire à la communauté musulmane dans son ensemble tandis que les actions mauvaises sont celles qui nuisent à la communauté. En revanche, les actions dont parle Ibn-Rûshd possèdent une nature égoïste : on est enclins à réagir aux désirs et aux réactions négatives face à des événements ou des personnes selon une logique mécanique.

Bien plus que cela, les bonnes et les mauvaises actions ne sont pas du tout provoquées par des causes externes du milieu environnant.

Elles sont définies par la loi divine elle-même qui a été conçue par Dieu pour le bien de la communauté. C’est ce que les mu’tazilites ont bien compris et à ce titre la perte de leur doctrine a été un désastre pour la pensée islamique dont elle ne s’est jamais relevée.

La philosophie d’Ibn-Rûshd concernant le déterminisme est vraiment contradictoire avec les notions du bien et du mal qui sont bien relatées dans la doctrine mu’tazilite. Ils sont le fondement de l’Islam parce qu’ils permettent de sauvegarder la religion.

Les musulmans sont astreints à un devoir de faire le bien et de combattre le mal par tous les moyens possibles et non de se laisser diriger par l’appel de leurs désirs et des incitations de leur environnement. Une telle attitude a été citée maintes fois dans le Coran.

Voyons seulement ces trois versets :

« Vous êtes la meilleure communauté, qu’on ait fait surgir pour les hommes. Vous ordonnez le convenable, interdisez le blâmable et croyez à Allah. Si les gens du Livre croyaient, ce serait meilleur pour eux, il y en a qui ont la foi, mais la plupart d’entre eux sont des pervers[64] » ;

« Ceux qui suivent le Messager, le Prophète illettré qu’ils trouvent écrit (mentionné) chez eux dans la Thora et l’Évangile. Il leur ordonne le convenable, leur défend le blâmable, leur rend licites les bonnes choses, leur interdit les mauvaises, et leur ôte le fardeau et les jougs qui étaient sur eux. Ceux qui croiront en lui, le soutiendront, lui porteront secours et suivront la lumière descendue avec lui ; ceux-là seront les gagnants[65] » ;

« Les croyants et les croyantes sont alliés les uns des autres. Ils commandent le convenable, interdisent le blâmable, accomplissent la Salât, acquittent la Zakât et obéissent à Allah et à Son messager. Voilà ceux auxquels Allah fera miséricorde, car Allah est Puissant et Sage[66]. »

Ces trois versets expriment la quintessence de la volonté humaine, libérée de toute causalité externe. Par conséquent, la doctrine d’Ibn-Rûshd n’est pas très conforme avec l’esprit de la religion islamique, parce que sa pensée est dominée par l’aristotélisme en tant que système complet[67].

Le fait qu’il ne partage pas l’opinion de l’acharisme et de la Djabrriya en séparant quelque peu les désirs des actions humaines (on peut désirer quelque chose sans pour autant engager une action dans ce sens) ne signifie pas que le rôle des causes externes secondaires n’est pas automatique ou déterministe.

La qualité de quelque chose est pour lui l’indicateur d’une action certaine, bien que l’individu puisse reporter ou suspendre son action. La causalité est toujours présente. Les actions ne peuvent s’affranchir des désirs des individus qui sont des causes externes et secondaires selon le principe qui énonce que chaque action à une cause.

Selon Ibn-Rûshd, ces causes externes sont hiérarchiquement ordonnées selon une chaîne impliquant des causes intermédiaires et une cause première qui est Dieu. Là aussi, le parallèle avec la théorie de l’évolution peut servir à comprendre le raisonnement de ce philosophe et commentateur aristotélicien.

Les causes génétiques de l’évolution d’une espèce remontent à un ancêtre commun qui est la cause première de l’espèce en question. De même, les actions humaines auraient des causes qui peuvent remonter à la cause première qui est Dieu en passant par de nombreuses autres causes intermédiaires. Cette chaîne de causalité est telle qu’il n’y a pas d’action provoquée spontanément, ce qui veut peut-être dire que les actions ne proviennent pas directement de l’individu selon son bon vouloir. Là, il s’attaque au mu’tazilisme qui est basé sur le libre arbitre.

Cette chaîne causale relie les causes externes avec les causes internes des individus en excluant toute autonomie des actions humaines. Il considère également que Dieu comme cause première de la longue chaîne des causes des actions humaines connaît exactement toutes ces causes dans le temps[68].

Ainsi, la prédestination chez Ibn-Rûshd prend une dimension particulière aux côtés d’un déterminisme dans l’espace et le temps intégral. Le déterminisme d’Ibn-Rûshd, bien que légèrement différent de celui de la Djabrriya et des acharites (tandis que la causalité chez ces derniers est directe entre Dieu et les individus, celle d’Ibn-Rûshd passe à travers les causes externes secondaires), est néanmoins un déterminisme philosophique. Les autres doctrines comme la Djabrriya hormis le mu’tazilisme ne sont pas vraiment philosophiques.

Ibn-Rûshd est fidèle dans sa propre doctrine à la métaphysique d’Aristote qui établit une stricte et nécessaire causalité. Chaque événement ou effet a quatre types de causes : formelle, efficiente, finale et matérielle[69].

Cependant, ce déterminisme ne résout pas le problème de la responsabilité des actes étant donné l’étroite relation entre les causes externes et les causes internes des actions humaines.

Enfin, ce déterminisme occulte le sens profond de la théodicée qui est basée sur le fait que l’homme est une création particulière de Dieu et non pas cet agent dépendant d’une causalité sans limites. L’homme a été créé libre de ses actions pour que Dieu découvre si la foi de ce dernier est le résultat d’un choix souverain. Les créatures qui n’ont pas ce choix ont existé avant l’homme.

Rappelons aussi l’impact dévastateur de ce déterminisme/prédestination rushdien sur la mentalité des musulmans. Si nos actions sont le résultat implacable de la mécanique causale sans qu’il y ait la moindre autonomie et la moindre liberté, que reste-t-il alors à l’effort, à l’amour du travail, à l’attente du fruit de notre labeur dans ce monde et au terrible désarroi devant l’échec ?

Là aussi, Ibn-Rûshd n’a pas laissé un grand héritage pour le monde islamique. Il a été un grand penseur et un grand rationaliste, mais son héritage n’est pas fécond pour la civilisation islamique.

Enfin, comme on l’a affirmé dans les pages précédentes, les actions humaines ne sont pas des phénomènes indivisibles : celui qui prend une action, il a choisi d’entreprendre cette action et par conséquent, il lui a donné naissance. L’action ne peut pas être provoquée par un agent et exécutée par un autre agent. Ceci est impossible. L’agent qui crée une action la contrôle et l’exécute en même temps. Cette première réalité est contradictoire avec le principe d’une causalité externe. Celui qui cause l’action n’est autre que son auteur.

Par ailleurs, les actions ne sont pas des choses tangibles et matérielles pour qu’il ne soit pas possible que les agents créent leurs actions. Les actions humaines ne sont pas en fait des créations comme si elles étaient des choses matérielles. Ce sont des phénomènes sociaux et comportementaux. Ainsi, les actions sont des créations des individus et ils n’obéissent à aucune causalité externe.

Le contraste entre le génie d’Ibn-Rûshd et l’absence de tout héritage rushdien laissé au monde musulman sont symbolisés par l’affirmation d’Ibn-Arabi, qui a assisté au transfert de la dépouille d’Ibn-Rûshd de Marrakech à Cordoue. Ce dernier disait que es livres avaient le même poids que son corps et, ce qui est encore plus surprenant, que ces livres ont accompagné la dépouille mortelle d’Ibn-Rûshd[70]. Ce geste reflète l’état d’esprit des musulmans vivant au Maghreb concernant les œuvres du savant andalou.

Ce que nous avons développé dans les pages précédentes donne toute la mesure de ce rejet : les musulmans n’avaient pas assimilé la pensée d’Ibn-Rûshd parce qu’elle entrait en contradiction avec bon nombre de leurs croyances en plus de sa cristallisation de l’aristotélisme qui est devenu avec lui très rigide et incapable d’évoluer pour devenir autre chose de plus compatible avec la tradition.

Ibn-Rûshd est resté aristotélicien jusqu’au bout, lui qui a été le commentateur par excellence en refusant de l’adapter à la culture religieuse de son époque. L’exemple le plus clair de cette incapacité est son refus de reconnaître les miracles des prophètes cités dans le Coran.

Par ailleurs, la non-survivance de sa rationalité et de sa célébration de la démonstration s’explique en partie par la disparition du règne almohade en Andalousie et l’avènement des Mérinides qui ont jeté leur dévolu sur la gnose (i’rfan) célébrée grâce à l’héritage d’Al-Ghazâli et d’Avicenne.

En revanche, en Occident, Saint Thomas a entrepris d’adapter l’aristotélisme à la religion chrétienne par tous les moyens en prétendant que le véritable Aristote n’est pas incompatible avec cette religion. De cette manière, il a fait prospérer la métaphysique d’Aristote dans le monde occidental contrairement à Ibn-Rûshd qui n’a pas réussi à la transmettre à des successeurs en Andalousie et surtout au Maghreb et au Moyen-Orient. Saint Thomas a également réhabilité l’empirisme, lui qui a très bien compris l’empirisme d’Aristote alors qu’Ibn-Rûshd n’a pas retenu de l’aristotélisme cet empirisme en lui préférant la réflexion théorique.

Toutefois, la pensée d’Ibn-Rûshd a été, sur le plan des principes et sur un plan intellectuel, progressiste, au regard de sa défense des philosophes. Rappelons que l’un de ses livres majeurs fut une réponse au Tahâfut al-tahâfut d’Al-Ghazâli.

Ce dernier, qui a apporté un regain d’intérêt à l’acharisme et l’a renforcé considérablement, fut un véritable adversaire des philosophes. Malheureusement pour le monde musulman, le public a vraiment apprécié ses idées en matière de critique de la métaphysique et de la philosophie.

Al-Ghazali est lui aussi un paradoxe historique : alors que sa critique de l’aristotélisme n’a peut-être pas laissé indifférents les penseurs occidentaux, lesquels rompirent bien plus tard avec la pensée d’Aristote en physique par exemple, le monde musulman n’a retenu de son héritage intellectuel que l’opposition entre la révélation et la philosophie, ce qui entraîna l’échec de la conciliation entre la raison et la foi. En revanche, l’Occident a réussi cette conciliation à merveille, grâce aux travaux de Saint-Thomas qui fut un grand critique d’Ibn-Rûshd.

Il faudrait vraiment prendre l’exacte mesure du double résultat négatif pour la pensée islamique, si on veut comprendre le déclin de la pensée islamique au Moyen Âge. Il est également illusoire de croire que la pensée occidentale a vraiment pris son envol durant la Renaissance. Sans la conciliation opérée par Saint-Thomas, les scientifiques, les philosophes et les artistes non religieux auraient été anéantis et l’Occident ne serait pas arrivé à ce haut degré de civilisation et de développement.

 

[1] Zeinab Mahmoud el-Khodeiry, Ibn-Rûshd entre le pluralisme et l’unification. Alif : Journal of Comparative Poetics, No. 16, Averroès and the Rational Legacy in ‎‎(1996) , pp. 36-51  Université américaine du Caire Press

[2] Ibid.

[3] Ibid.

[4] Ibid.

[5] Ibid., p. 41.

[6] Ibid., p. 40.

[7] Ibid., p. 41.

[8] Ibid., p. 42.

[9] Ibid., p. 44.

[10] Ibid.

[11] Ibid.

[12] Ibid., p. 45.

[13] Ibid.

[14] Epitomé (EP fol. 37v, 1. 21-27).

[15] Henri Hugonnard-Roche, Remarques sur l’évolution doctrinale d’Averroès dans les
commentaires au de caelo : le problème du mouvement de la Terre, dans : Mélanges de la Casa de Velázquez, tome 13, 1977, p. 107.

[16] Ibid.

[17] EP fol. 37v, 1. 27-fol. 38, 1. 2 (op. cit., Hugonnard-Roche).

[18] Ibid., p. 111.

[19] Op. cit., Hugonnard-Roche.

[20] Ibid., p. 112.

[21] Ibid., p. 117.

[22] Averroès, Commentarri in libros, De Cælo, lib. II, comm. 35.

[23] Ibid., p. 238.

[24] Ibid., p. 610.

[25] Alexandre Koyré, Du monde clos à l’univers infini, traduit de l’anglais par Raissa Tarr, Gallimard, Paris, 1993. p. 31.

[26] D’autant plus que le fondement cosmologique de l’aristotélisme est la finitude de l’Univers. Aristote rejette l’existence de mondes semblables au nôtre dès lors que son système repose entièrement sur l’existence de deux entités : la région céleste et le monde terrestre.

[27] Op. cit., Alexandre Koyré, Du monde clos à l’univers infini, p. 118.

[28] Ibid., p. 73.

[29] Ibid., p. 118.

[30] Ibid., p. 121.

[31] Averroès (trad. Alain de Libera), L’Intelligence et la Pensée sur le De anima, Paris, Flammarion, Coll. « GF », 1998.

[32] Op. cit., Jom’a, p. 162.

[33] Ibid., p. 163.

[34] Ibid.

[35] Saint Thomas, Somme contre les Gentils, II LVII.

[36] Ibid.

[37] Anouk Barberousse, Max Kristler, Pascal Ludwig, La Philosophie des sciences au xxe siècle, Flammarion, 2011, p. 128.

[38] Isra Yazicioglu Redefining the Miraculous : Al-Ghazâli, Ibn-Rûshd and Said Nursi on Qur’anic Miracle Stories, St Joseph’s University, p. 100.

[39] Ibid.

[40] Ibid.

[41] Ibid., p. 1.

[42] Ibid.

[43] Ibid., p. 102.

[44] Sections 13-15 de la partie I.

[45] Karen Taliaferro, Ibn-Rûshd and Natural Law : Mediating Human and Divine Law, James Madison Program, Princeton University Journal of Islamic Studies 28 :1, 2017, p. 6.

[46] Ibn-Rûshd, Commentaire moyen à la Rhétorique d’Aristote, 1.13.2 (Maroun Aouad [ed. and Trans.], Paris, Vrin, 3 vols., 2002).

[47] Op. cit., Taliaferro, p. 7.

[48] Ibid., p. 9.

[49] Ibid., p. 11-12.

[50] Ibid.

[51] Ibid.

[52] Ibid., p. 13.

[53] Ibid.

[54] Ibid., p. 17.

[55] Catarina Belo, Ibn-Rûshd on God’s Decree and Determination (Al’qa ’ Wa’l-Qadar), L’Qanara (AQ) XXVII 2, julio-diciembre de 2006, p. 250.

[56] Ibid., p. 251.

[57] Ibid.

[58] Ibn-Rûshd, Kashf ‘an-manhîj al-adilla fi ‘aqâ’id al-milla (Dévoilement des voies pour découvrir les preuves concernant les croyances de la communauté), p. 188.

[59] Op. cit., Belo, p. 253.

[60] Ibn-Rûshd, Kashf, p. 189.

[61] Ibid., p. 189.

[62] Ibid.

[63] Op. cit., Belo, p. 255.

[64] Sourate 3 :110.

[65] Sourate 7 :157.

[66] Sourate 9 :71.

[67] L’aristotélisme est utile, mais pas l’ensemble de ses dogmes. On a vu que la cosmologie aristotélicienne est en grande partie erronée. Il en est de même de l’Intellect. Mais son unification des vérités premières et des vérités universelles est très utile pour la pensée et il a été adopté par les scolastiques occidentaux.

[68] Op. cit., Belo, p. 257-258.

[69] Ibid., p. 256.

[70] Ali Mabrook, The Evasive Defeat of Rationalism : From Ibn-Rûshd to Ibn-Khaldoun, Source : Alif : Journal of Comparative Poetics, No. 16, Averroès and the Rational Legacy in ‎‎(1996)p.89-90.

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Un commentaire

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  1. Salam à tous, salam à l’auteur de ce développement de qualité. On a l’impression que vous pénétrez bien l’oeuvre d’Ibn-Rouschd, trop fasciné par l’objet de son étude, Aristote, au point d’en oublier un peu suggérez-vous son rôle de savant Musulman. Thomas d’Aquin faisant des commentaires à partir d’Ibnou-Rouschd n’a pas oublié son rôle de savant Chrétien, et donc son travail fut mieux reçu et la philosophie et la raison ainsi mieux défendue. On trouve même des ocurrences selon lesquelles l’église catholique considérait Ibnou-Rouschd comme athé. En tout cas cette affaire de l’intellect agent d’où viendraient tous les intelligibles selon Aristote, contrevient au principe du libre arbitre puisqu’ainsi, nous ne serions pas individuellement responsables et donc comment serions-nous jugés chacun séparément, puisque c’est ainsi que le jugement est selon le Coran, personne ne portant la charge d’un autre?

    Il a frustré les religieux, au-dessus desquels il a établi les philosophes, comme il a frustré le peuple renvoyé à l’ignorance et à l’observance sensée lui suffire. Ainsi, en heurtant les religieux, voire la religion et le peuple, il n’a pas fait bonne oeuvre si son propos était de propager la philosophie et la rationalité. Bon, il s’est appuyé sur un monarque, qu’il fréquentait régulièrement étant son médecin, c’est le monarque qui lui a suggéré et l’a invité à commenter Aristote. Cela pouvait être une agréable vie studieuse, au détriment de la prédication.

    Mais je ne comprenez pas une chose, vous suggérez que les Mu’tazhilites en ont fait autrement. Pas tant que ça, ils entouraient un monarque partisan, ils ont tenté d’imposer que le Coran soit parole d’homme inspirée de Dieu et non parole de Dieu, ce qui jure avec le Coran lui-même et devait susciter des oppositions. Eussent-ils été plus avisés eux et leur calife, ils se fussent contenté d’émettre des opinions peut-être permises et de controverser librement avec leurs adversaires, or, ils ont imposé, tenté d’imposer un dogme et non pas une opinion. Dans les deux cas, l’échec vient du fait qu’on détienne pour un temps une partie de l’autorité. C’est dommage.

    Donc pour réconcilier la foi et la raison, il ne faut pas heurter la foi ni la déprécier. Si la raison ne peut prouver la foi c’est peut-être parce que la raison humaine est contingeante, limitée.

    Croissant de lune.

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