Il y a cinquante ans, le 8 juillet 1972, à Beyrouth, c’est une grande plume et une grande voix de la Palestine que le Mossad a tarie et fait taire à tout jamais. Ghassan Kanafani, l’illustre porte-parole du Front Populaire de Libération et écrivain palestinien, rédacteur en chef de l’hebdomadaire « Al Hadaf » , mourait à l’âge de 36 ans dans l’explosion de sa voiture, aux côtés de sa jeune nièce de 15 ans, malheureuse victime collatérale d’un assassinat politique ciblé et signé.
Il aura fallu 32 ans à lsraël pour reconnaître, en 2005, avoir du sang sur les mains, en l’occurrence celui de cette éminente personnalité palestinienne, dont l’oeuvre littéraire féconde, dédiée à la défense de la cause palestinienne (son livre le plus emblématique fut « Retour à Haïfa »), et l’engagement farouchement anti-colonialiste, en faveur de la souveraineté de la Palestine, sont passés à la postérité.
Nous vous invitons à visionner l’interview édifiante qu’il accorda, en 1970, au journaliste australien Richard George Carleton, lequel lui suggérait avec insistance de « parler avec les Israéliens ». Voir la traduction Oumma ci-dessous.
Pourquoi votre organisation ne s’engage-t-elle pas dans des pourparlers de paix avec les Israéliens ?
Ghassan Kanafani : Vous ne voulez pas dire exactement des «négociations de paix». Vous voulez plutôt dire de capitulation, de reddition.
Pourquoi ne pas juste parler ?
Ghassan Kanafani : Parler à qui ?
Parler aux dirigeants israéliens.
Ghassan Kanafani : C’est le type même de conversation entre l’épée et le cou, c’est ce que vous entendez par là ?
Et bien, s’il n’y a pas d’épée, ni d’arme dans la pièce, vous pourriez toujours parler.
Ghassan Kanafani : Non, je n’ai jamais vu de dialogue possible entre une cause colonialiste et un mouvement de libération nationale.
Mais malgré cela, pourquoi ne pas parler ?
Ghassan Kanafani : Parler de quoi ?
Parler de la possibilité de ne pas se battre.
Ghassan Kanafani : ne pas se battre contre quoi ?
Ne pas se battre du tout, peu importe contre quoi.
Ghassan Kanafani : généralement, les peuples se battent pour quelque chose. Et ils arrêtent de se battre pour quelque chose. Donc, vous n’êtes même pas capable de me dire de quoi nous devrions parler. Pourquoi devrions-nous parler de la possibilité de cesser de combattre ?
Parler pour qu’il n’y ait plus de morts, de misère, de destruction et de souffrance.
Ghassan Kanafani : La misère, la destruction, la souffrance, la mort de qui ?
Des Palestiniens, des Israéliens, des Arabes.
Ghassan Kanafani : Des Palestiniens qui sont déracinés et jetés dans des camps, qui souffrent de la famine, sont massacrés depuis vingt ans et oubliés au point de ne plus utiliser le nom de Palestiniens ?
Ils sont mieux toutefois ainsi que morts.
Ghassan Kanafani : Peut-être pour vous, mais pas pour nous. Pour nous, libérer notre pays, préserver notre dignité, être respectés et jouir de nos droits humains les plus élémentaires, c’est aussi essentiel que la vie elle-même.
Né à Acre, au nord de la Palestine, le 9 juillet 1936, Ghassan Kanafani grandit à Jaffa jusqu’en mai 1948, quand il fut contraint à l’exil avec sa famille, lors du désastre incommensurable que fut la Nakba. Il vécut et travailla à Damas, puis au Koweït et, à partir de 1960, à Beyrouth. Son père, avocat de son état, fut un opposant de la première heure à l’occupation britannique de la Palestine et à son soutien apporté à l’immigration juive sur sa terre. Il fut emprisonné pour cela.
Ayant vécu dans un camp de réfugiés, Ghassan Kanafani commencera à enseigner, plus tard, dans un camp de réfugiés de l’UNRWA, afin de subvenir aux besoins de sa famille et de pouvoir poursuivre ses études. Son expérience en leur sein transparaîtra dans une grande partie de ses écrits.
Au cours de ses études de littérature arabe à l’université de Damas, il s’intéressa à la politique et fit une rencontre importante : celle avec Georges Habache, alors chef du Mouvement des nationalistes arabes (ANM) ; il se mit à travailler à ses côtés. Après avoir enseigné quelques années au Koweït, où on lui diagnostiqua un diabète sévère, Kanafani s’installa à Beyrouth, à l’invitation de Habache, et rejoignit la rédaction du magazine al-Hurriyya (Liberté).
Ghassan Kanafani fut aussi un romancier prolifique, auteur de plusieurs pièces de théâtre, dont l’œuvre est profondément enracinée dans la culture arabe palestinienne. Il a inspiré une génération entière, de son vivant jusqu’à aujourd’hui, à la fois par ses actes et ses écrits.
Réaliste, il fut le premier à prêcher la reconversion de la guérilla pour qu’elle limite son action à l’intérieur du « petit et grand Israël », tout en restant fidèle à Georges Habache.
Déjà sous influence, la presse occidentale de l’époque ne consacra que quelques lignes à l’assassinat de Ghassan Kanafani, passant sous silence la forte onde de choc émotionnel qu’il provoqua dans le monde arabe, ainsi que les quelque 40.000 personnes qui suivirent ses funérailles à Beyrouth.
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