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Européen de l’année !

Je ne m’attendais pas à gagner le prix de l’Européen de l’année (dans la catégorie des personnalités n’étant pas citoyens d’un pays de l’Union Européenne). Pour deux raisons principalement : d’abord, parce que les autres nominés de la catégories étaient prestigieux (Mahmoud Abbas, Kofi Annan, Bill Gates, Alan Greenspan et Orhan Pamuk) mais surtout à cause des controverses et parfois des pures calomnies qui ont entouré mon travail et mon engagement durant ces dernières années, et particulièrement en France (aux Etats-Unis, j’ai essentiellement des problèmes avec les néo-conservateurs dans et autour de l’administration Bush)…

Le comité établi par le magazine European Voice (www.ev50.com) n’a pas tenu compte de cette nébuleuse de rumeurs et semble s’en être tenu aux écrits, aux actions et aux faits. Ils ont décidé de m’attribuer ce prix, a-t-il été indiqué, pour saluer mon travail et mon engagement autour de la question de l’islam européen, de l’identité et de la citoyenneté européennes. Outre les remerciements d’usage à la suite de cette heureuse surprise, j’aimerais simplement dire et répéter ici combien cet engagement est et demeure essentiel pour pouvoir vivre ensemble de façon sereine et respectueuse tout en construisant ensemble notre avenir.

J’ai pu rappeler, lors de la soirée des remises de prix, mardi 28 novembre 2006, combien il était important de reconnaître que l’islam est une religion européenne, que nous avons des valeurs communes et que l’avenir se construira si nos prenons tous conscience de nos responsabilités partagées. Sortir de nos ghettos intellectuels, religieux et sociaux respectifs ; établir la confiance au niveau local, travailler sur l’éducation, ouvrir des espaces de débats critiques en évitant les provocations inutiles et la surémotivité qui finit par nous rendre sourds et polariser dangereusement les positions.

Après la crise des caricatures, les débats autour de la liberté d’expression, les déclarations du Pape – et à l’heure où celui-ci se rend à Istanbul – , il est urgent de prendre une distance critique et de poser les termes d’un débat profond et raisonnable. L’Europe a un rôle crucial à jouer en cette période clef de notre histoire… sur son sol autant qu’au niveau international. Nous avons les moyens d’éviter les « conflits de perceptions » et la construction d’identités exclusives, réactives et fermées, nous avons la responsabilité de ne pas tout mélanger et de ne pas nous tromper de diagnostique. La visibilité nouvelle des musulmans, la réalité de l’immigration continue et du terrorisme ont installé la peur parmi nous et nous finissons par tout confondre : tout reviendrait à un défaut « d’intégration » et à un « conflit de civilisation et de religion ».

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Or, rien n’est moins vrai : nous avons à revisiter nos programmes d’enseignement pour les rendre plus inclusifs et établir une « histoire commune des mémoires », nous avons à travailler sur le sens de l’appartenance en encourageant les partenariats sur le terrain citoyen. Nous devons surtout reconnaître que l’intégration religieuse et culturelle est déjà acquise pour des millions d’Européens et qu’il faut encore et toujours se concentrer sur les vrais problèmes : l’intégration sociale, la lutte contre le racisme, les discriminations à l’emploi et à l’habitat. Il faut cesser d’islamiser les problèmes, de les essentialiser et il faut enfin demander aux politiciens de se réconcilier avec la politique.

Nous avons besoin, l’Europe a besoin, de politiciens courageux qui agissent contre les peurs et travaillent sur le long terme en affirmant la pluralité des identités des Européens, le pluralisme assumé de nos sociétés et surtout l’urgence de circonscrire les vrais problèmes sociaux plutôt que de se cacher, à l’approche des élections, derrière la peur des citoyens, leur besoin de sécurité et les explications simplistes et populistes sur la cause de nos crises identitaires et sociales.

Depuis plus de vingt ans, je travaille sur cette question avec de nombreux intellectuels et des femmes et des hommes de terrain. Ce discours est de plus en plus entendu et cette approche de plus en plus partagée comme le prouve la réception très positive qui a accompagné le Manifeste pour un nouveau « Nous » (http://www.tariqramadan.com/article.php3 ?id_article=738). Le prix qui m’a été décerné est un signe de plus qu’il faut continuer sans relâche loin des controverses mais en gardant cette même ligne qui exige le respect de soi et d’autrui, l’écoute et la critique, l’engagement et la patience. La route est longue et ce prix est un simple signe que quelque chose a été entendu et est acquis mais il indique également qu’il faut continuer et que rien ne sera facile. L’optimisme ici ne peut être synonyme de naïveté.

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