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Equivoques autour du défunt Pape Jean Paul II

Le décès et les obsèques du Pape Jean Paul II ont donné lieu en Europe et particulièrement en France, à une semaine de déferlement médiatique hors du commun qui a mobilisé la quasi-totalité des organes de presse et de communication.

La démesure dans le traitement de cet événement a été diversement appréciée dans les milieux intellectuels et politiques.

Certains ont parlé de « déferlement idolâtrique »,de méthodes soviétiques de médiatisation, de « paganisme des images » (1), d’autres ont estimé qu’on avait enfreint les dispositions de la loi sur la laïcité et versé dans la pratique du « deux poids deux mesures », en référence aux campagnes contre le port du voile par des adolescentes musulmanes ;des philosophes comme Régis Debray ou Filkinkrault ont signalé ce qu’il ont appelé, la substitution du représentant au représenté dans l’adoration.

Cependant la plupart des acteurs institutionnels et autres « politiquement corrects » qui se sont prononcés, ont trouvé naturel que l’on parlât autant ,et de manière si fervente et si élogieuse d’un personnage qui a marqué son époque par son charisme, son autorité morale et par l’influence qu’il aurait exercée sur de grands événements du dernier quart du vingtième siècle.

Le commun des musulmans quant à lui, en référence au comportement de son Prophète, et à l’instar des nombreuses personnalités politiques et religieuses du monde arabo-islamique, se devait de marquer sa déférence et son recueillement au moment où le souverain pontife des chrétiens catholiques, parmi lesquels on compte un nombre appréciables d’Arabes, rejoignait ce qu’ensemble nous croyons être le séjour de l’éternité.

Les convenances étant respectées, les larmes séchées et l’anneau papal brisé, il demeure que dans le contexte civilisationnel occidental caractérisé par la sécularisation et un matérialisme envahissant, dans le contexte mondial de fortes tensions entre des intérêts géostratégiques majeurs teintés de confessionnalisme, la déferlante médiatique a pris l’allure subversive d’une véritable propagande.

Car après tout, hormis la valeur intrinsèque de Karol Wojtila, le pontificat de Jean Paul II est d’un certain point de vue, jonché d’équivoques.

L’équivoque de la nature « judéo-chrétienne » de la civilisation occidentale en constitue l’une des plus remarquables.

Depuis la dernière manifestation de forte hostilité de l’Eglise à l’égard des nouvelles valeurs de la modernité , exprimée en 1864 par le Pape Pie IX dans le « syllabus errorum » et entérinée par le concile Vatican I, le Pape Jean Paul II ,comme ses prédécesseurs, s’est bien accommodé de l’identification de la civilisation industrielle rationaliste à la civilisation « judéo-chrétienne ».

Or, l’Ancien, puis le Nouveau Testament, ont surtout instauré des cultures originales, établi une morale spirituelle et donné un certain sens à la vie, dont on retrouve l’empreinte dans beaucoup de sociétés-y compris au Moyen-Orient. Ils n’ont certainement pas produit de civilisation au sens de bon qualitatif significatif dans la vie matérielle et sociale des gens, et ce, pas plus chez le peuple juif durant cinq mille ans(2), que dans les sociétés chrétiennes durant mille cinq cents ans.(3)

Il est même parfaitement établi aujourd’hui, que la civilisation européenne contemporaine a pris ses racines à partir du quinzième siècle dans le bagage intellectuel et les novations de la civilisation arabo-islamique. Elle a ensuite produit ses propres valeurs selon des paradigmes sécularistes qui l’ont conduite entre autre à l’affranchissement de tous les dogmes religieux, à commencer par les doctrines chrétiennes.

Mais depuis la fin de la seconde guerre mondiale on a pu observer que cette situation historique a donné lieu à un double phénomène .D’une part, confrontés continûment à de fortes identités confessionnelles en phase de renaissance comme celles des populations musulmanes, et cédant par ailleurs au sentiment de culpabilité agité sans scrupule et sans modération par le mouvement sioniste, les idéologues sécularistes et humanistes ont laissé apposer au produit du « siècle des lumières »l’étiquette anachronique « judéo-chrétienne ».

D’autre part, l’Eglise dans sa tentative d’enrayer l’insoutenable perte d’influence sur les sociétés modernes, a laissé croire abusivement que le progrès matériel et « existentiel »de l’Europe occidentale- qui s’est fait contre elle-,a, en vérité, pris sa source dans la christianisme.

Cette ambivalence a été particulièrement servie dans les pays du tiers monde, et véhiculée par le prosélytisme tous azimuts des missionnaires de l’Eglise, des colonisateurs d’hier, comme des impérialistes d’aujourd’hui.

Elle est en filigrane dans les multiples déplacements de feu Jean Paul II , organisés à grands frais sous forme de grands spectacles hollywoodiens, pour mieux impressionner et convaincre des foules écrasées par la misère et en butte à des questionnements sur leur triste sort.

Elle accompagne le « sauve qui peut »des populations rescapées du communisme au lendemain de l’effondrement de leurs régimes despotiques et de leurs systèmes restrictifs qui les avaient plongés dans le dénuement matériel et spirituel ; des généraux du KGB aux péripatéticiennes en passant par les brigades de sportifs, des foules de « repentis » se sont précipitées sur les biens de consommation et dans les Eglises, la croix au coup et le dollar ou l’euro dans la poche.

Une autre équivoque transparaît dans les nouveaux rapports établis avec le judaïsme.

Jean Paul II a effacé d’un trait de plume le fait que pendant deux milles ans les chrétiens ont vécu avec le credo selon lequel les juifs étaient un peuple déicide. On pourrait à juste titre s’interroger sur les raisons de cette importante décision et sur certaines de ses conséquences.

Etait-ce pour l’Eglise une manière de se dédouaner du silence assourdissant qu’elle a gardé au moment où les chrétiens allemands massacraient les juifs en tant que tels ? Etait-ce comme l’écrit le défunt Pape une manière de faciliter « le cheminement du peuple de l’Ancienne Alliance vers l’Alliance Nouvelle » (4), ce qui reviendrait à projeter la conversion des juifs.

Toujours est-il que nous musulmans, qui savons depuis la Révélation coranique que Benou Israël n’ont pas eu à crucifier Sidna Aïssa,(5) constatons hélas que le sionisme a trouvé dans cette exonération missionnaire, un appui inattendu pour sceller une alliance mythologique et aventureuse avec tous les chrétiens illuminés de la terre (6),dans une entreprise de nuisance contre l’islam et de mainmise sur des territoires et des ressources arabo-musulmanes, qui viendraient s’inscrire dans une perspective de parousie.

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Plus formellement, sous la plume de son défunt représentant, la position de l’Eglise reste ambiguë par rapport à l’Islam.

Dans son livre « Entrez dans l’Espérance »,Jean Paul II estime « qu’en raison de leur monothéisme, ceux qui croient en Allah »,sont particulièrement proches des chrétiens, que « le Dieu du Coran est appelé des plus beaux noms connus dans le langage humain »,que « la religiosité des musulmans est digne de respect »et devrait même constituer un modèle pour les catholiques ;cependant, dans un curieux retournement, adoptant une attitude proprement polythéiste, il proclame qu’Allah ne serait que le Dieu des musulmans, qu’il ne serait donc pas le Vrai Dieu, qu’il reste étranger au monde, que dans sa Parole le Coran est réducteur quant à la Vraie Révélation(Bible et Evangiles) et que le Dieu du Coran n’a pas compris( ?) ce que le Vrai Dieu a dit de lui-même dans l’Ancien et le Nouveau Testament. Autant de postulats révélateurs aussi bien de dogmatisme intolérant que de méconnaissance de la Révélation islamique et notamment de la pureté et de l’universalisme de son monothéisme.

L’effondrement du communisme dans les pays de l’Est européen, a donné lieu à une autre équivoque ;ce serait le Pape Jean Paul II nous dit-on qui serait l’artisan principal de la chute du mur de Berlin et de ce qui s’en est suivi !

Au mépris de la réalité, on occulte le fait que le système a d’abord été miné irrémédiablement par les contradictions majeures où l’ont conduites les idées fausses de la doctrine ;comme par exemple « le dépérissement progressif de l’Etat communiste »qui s’est mué en un Moloch omnipotent, « la dictature du prolétariat »et le pouvoir des « soviets » qui se sont incarnés dans la tyrannie d’une « nomenklatura »rentière et embourgeoisée, le « développement des forces productives libérées » qui a tourné à la régression économique et sociale…

On a passé sous silence, le fait que l’Islam a verrouillé de façon quasi-étanche la progression d’une doctrine athée sur ses frontières sud, ainsi que la réalité de la lutte décisive des résistants afghans qui, armés d’une foi inébranlable et de quelques « stingers » fourgués par la CIA ont mis en échec la deuxième superpuissance mondiale dont ils ont gravement ébranlé les certitudes. On a également perdu de vue que Gorbatchev a précipité le tout en commettant une monumentale erreur d’appréciation dans sa réforme du système.

Les laudateurs de Jean Paul II nous le présentent souvent comme un défenseur infatigable de la paix et des causes justes.

Force est de reconnaître que sa voix ne fût pas très audible et que son poids moral ne s’est pas beaucoup fait sentir ;dans l’éradication des Palestiniens et la colonisation de leur pays ,dans le massacre des musulmans en Europe centrale et dans le Caucase, dans les deux agressions successives contre l’Iraq, dans les velléités de dépouillement des peuples de leurs ressources par la force etc….Mais quand bien même c’eût été le cas, ne lui aurait-on pas attribué alors, des prises de positions qui le mettaient en contradiction avec l’Evangile selon Saint Mathieu (X ,34-37)où Jésus aurait dit : « Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur terre ,je ne suis pas venu apporter la paix mais l’épée. Car je suis venu mettre la division entre l’homme et son père entre le fils et sa mère ». 

Il en de même de la liberté et des droits de l’homme à propos desquels on a laissé entendre sans nuance que le Pape disparu en était le champion. Si l’on se réfère à la lettre encyclique de Jean Paul II intitulée « evangelium vitae »publiée le 25 mars 1995, il n’en est rien. Pour l’auteur, la conception de la liberté où l’individu est exalté de manière absolue constitue une source de contradictions entre l’affirmation des droits de l’homme et leur négation tragique dans la pratique. Il écrit : « la liberté se renie elle-même, elle se détruit et se prépare à l’élimination de l’autre quand elle ne reconnaît plus et ne respecte plus son lien constitutif avec la vérité. »La vérité étant en l’occurrence celle des textes révélés. Continuant à disserter sur le concept de droit en tant que garant des libertés dans les systèmes démocratiques, il note : « le droit cesse d’en être un parce qu’il n’est plus fermement fondé sur la dignité inviolable de la personne mais qu’on le fait dépendre de la volonté du plus fort. Ainsi la démocratie en dépit de ses principes, s’achemine vers un totalitarisme caractérisé. L’Etat n’est plus la maison « commune » où tous peuvent vivre selon les principes de l’égalité fondamentale, mais il se transforme en Etat tyran qui prétend pouvoir disposer de la vie des plus faibles et des êtres sans défense…au nom d’une utilité publique qui n’est rien d’autre, en réalité, que l’intérêt de quelques uns. »

Nos fouqaha sont souvent traités d’intégristes, fourriers du terrorisme pour des propos bien plus conciliants.

Bien d’autres équivoques sur d’autres thèmes pourraient encore être débusquées. Souhaitons que le successeur sur le trône de Saint Pierre entreprenne de les lever pour apporter sa contribution à un peu plus d’ordre et de justice dans le monde.

Il y’a les équivoques qui sèment le trouble dans les consciences des croyants à force d’opportunisme, il y’a celles qui suscitent le rejet et l’irrespect envers les Livres, tous les Livres révélés ;il y’a celles dont peuvent s’emparer les esprits pervers pour inciter à la haine et à la discorde entre les Fils d’Adam.

« N’ayez pas peur ! » répétait souvent Jean Paul II, reprenant les paroles du Christ pour apaiser les Apôtres effrayés par le miracle de sa résurrection. Les angoisses de notre monde aujourd’hui sont d’un autre ordre ; elle sont provoquées par une civilisation qui non seulement ne maîtrise plus le développement « miraculeux » de « sa science sans conscience »mais qui tient à entraîner toute la planète dans ses dérives nihilistes .Elle dispose pour ce faire, d’une puissance telle, que la délivrance eschatologique s’impose irrésistiblement à l’esprit.

Hadj Habib Hiréche

1) J.F.Kahn sur France 5

2) Selon le calendrier judaïque

3) Jusqu’à la Renaissance

4) J.Paul II. « Entrez dans l’Espérance ».Ed :Plon-Mame

5) Nom Coranique de Jésus Fils de Marie

6) Parmi lesquels 84 millions d’Américains,évangéliques, Born Again Christians et autres pentecôtistes,selon Barbara Victor dans « La dernière Croisade » Ed Plon 2004

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