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Entretien avec l’écrivaine A. Reyes: «Le Coran m’est apparu comme le livre le plus nouveau, le plus poétique, le plus inépuisable»

Auteure prolifique d’une trentaine de livres, dont plusieurs ont rencontré leur public jusqu’à devenir des best-sellers, Alina Reyes, que la spiritualité passionne et inspire, se singularise par une oeuvre littéraire unique. Une oeuvre en quête de sens et d’horizons nouveaux, tant sur le plan politique que spirituel, et traversée par un souffle poétique vivifiant. 

Entrée dans le club très fermé des écrivains dont le succès a dépassé les frontières, Alina Reyes a découvert l’islam au gré de ses pérégrinations, et s’est plongée avec délectation dans la lecture du Coran. Une lecture très personnelle qui lui ressemble, empreinte de mysticisme, dont elle nous dévoile le cheminement intellectuel dans cet entretien accordé à Oumma.

Avant votre lecture du Coran, que connaissiez-vous de l’islam, de ses préceptes et du monde musulman ?  

J’ai rencontré l’islam en 1973, à Istanbul. J’avais dix-sept ans, j’étais partie avec de jeunes  adultes pour un premier grand voyage, une sorte de pèlerinage en Grèce, une terre bénie à mes yeux d’enfant qui avait étudié le grec ancien au collège, et la littérature de la Grèce antique. Nous avons  traversé l’Europe, visité la Grèce et la Crète. Et puis, ce n’était pas prévu, mais avec notre minibus,  nous avons repris le bateau et poussé jusqu’à Istanbul.

Et là, ce fut comme franchir une porte insoupçonnée et arriver dans un tout autre monde, absolument fantastique, avec son Bosphore et son incessante navigation, avec sa folle circulation dans les rues, ses montreurs d’ours, ses charmeurs de serpents, ses porteurs d’eau, ses mosquées et leurs appels à la prière…

Détail plein de sens : dans le très pauvre hôtel où nous étions descendus, je me suis fait voler le très peu d’argent que j’avais, je me suis retrouvée sans rien pour toute la suite du voyage. Ce dépouillement ne m’a pas accablée, j’ai ressenti confusément que c’était une nécessité spirituelle. À Sainte-Sophie, j’ai été saisie par une profonde expérience mystique. Entendant sonner comme des gongs les grands panneaux ronds suspendus dans la basilique, avec leurs inscriptions dorées en arabe, je me suis mise à pleurer. 

Quatre ans plus tard, je suis partie en voyage au Maroc, toujours dans des conditions très pauvres, avec mon premier enfant et son père. Alors qu’un soir nous nous apprêtions, comme d’habitude, à dormir dans notre 2CV, nous avons été invités par des paysans de l’Atlas à les suivre, par des pistes de terre, jusque dans leur village. Nous y sommes restés quelques jours, merveilleusement accueillis par les uns et les autres, dormant sur des tapis dans les maisons de terre rouge. Là j’ai découvert la spiritualité musulmane incarnée dans des personnes extrêmement paisibles, généreuses, gentilles. Beaucoup plus tard, j’ai vécu un temps dans le Sud marocain, où j’ai retrouvé ce trésor humain. 

Beaucoup plus tard aussi, j’ai eu l’occasion d’aller à Tamanrasset et dans le désert algérien, où j’ai dormi une nuit à la belle étoile, éprouvant cette fois la joie du désert et de la communion avec le cosmos. Voilà, de façon très résumée, ce qui m’a préparée à ma lecture du Coran. 

Qu’est-ce qui vous a poussé à vous plonger dans la lecture du Livre saint, dont vous dites qu’il est le livre le plus fascinant que vous ayez jamais lu ? En quoi précisément est-il fascinant ? Des versets résonnent-ils particulièrement en vous ?

Plusieurs chemins m’ont amenée à la lecture du Coran, à commencer par mes rencontres avec le monde musulman et le grand désir de prière que m’inspirait la Grande Mosquée de Paris, devant laquelle je passe très souvent. Il y eut aussi ma lecture de la Bible, qui fut une découverte pour moi qui fus élevée dans une famille athée, et un mysticisme “naturel” développé dans ma vie à la montagne.

Le Coran m’est apparu comme le livre le plus nouveau, le plus mystérieux, le plus poétique, le plus inépuisable que j’aie jamais lu. Les versets qui résonnent le plus en moi sont ceux des toutes premières sourates révélées.

Comme cela a été le cas pour la Bible, votre lecture du Coran est libre et non pas profane.  Pouvez-vous nous éclairer à ce sujet ? 

Ma lecture est libre dans le sens où elle ne se base pas sur des sens admis par des lectures  précédentes normatives, mais sur une approche très personnelle, très intime des textes, telle que je  la pratique aussi pour la littérature profane, par une sorte d’incorporation au texte. J’aborde les  textes comme je peux aborder des terres ou des êtres, avec un désir aimant de les connaître, de les  embrasser spirituellement et de me donner à eux (en les commentant ou en les traduisant, en les donnant à étudier et à comprendre, etc.).

Mais j’estime que pour les textes religieux, et tout  particulièrement pour le Coran, cela ne suffit pas. Puisque ces textes se présentent comme venant de Dieu, d’une façon ou d’une autre, c’est du point de vue de la foi qu’il faut les aborder. Cela peut  paraître paradoxal, mais c’est seulement ainsi qu’ils peuvent accomplir leur fonction, qui est d’aider à libérer l’humain. L’humain seul n’a pas le pouvoir de libérer l’humain. L’humain est libéré par ce qui le dépasse. 

Il n’est nul besoin d’être « croyant » pour aborder les textes du point de vue de la foi. Je veux  dire « croyant » au sens où l’on devrait croire en Dieu, parce que la croyance serait le seul moyen  d’aborder quelque chose qui ne peut pas être prouvé : dans ce sens, la croyance devient superstition ou occultisme, on décide de fermer grand les yeux pour se rassurer artificiellement. Trop souvent,  nous constatons que la « croyance » détruit son objet. Combien de fois ne voyons-nous pas des gens piétiner l’amour ou la liberté, tout en proclamant leur croyance en l’amour ou en la liberté, par  exemple ?

À mon sens, l’être de foi est un être de connaissance. Non qu’il possède la connaissance,  mais il la pratique. Il cherche à connaître, et sur son chemin il apprend à connaître. Cela peut passer  par une démarche scientifique ou par une démarche de foi, c’est-à-dire, selon le Coran, une adhérence, une adhésion. Une adhésion à ce qui est. Une communion avec l’Être, c’est ce que recherchent toutes les religions. Le Coran n’exclut pas pour autant la réflexion, l’intelligence, au contraire il en rappelle la nécessité. L’être de foi ne doit pas être fainéant dans sa foi ! 

Mais pour revenir à votre question et y répondre plus précisément, je dirais que faire une lecture profane d’un texte sacré serait comme vouloir commenter un match de foot en partant des règles d’un match de rugby ou d’un autre sport. Ou essayer de lire une démonstration mathématique sans connaître l’écriture mathématique, ou une partition sans connaître l’écriture musicale. On  n’arrive à rien ainsi.

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Pour comprendre un texte spirituel, il faut apprendre à connaître et expérimenter la spiritualité en soi. Alors seulement, il pourra y avoir une conversation fructueuse avec le texte. Sinon, on reste comme ceux qui, dans la Caverne de Platon, regardent des ombres défiler sur un mur, tandis que le réel est derrière eux et que, ne se retournant pas, ils l’ignorent.

C’est le mal dont souffrent tous ceux qui font des lectures plates et littérales de la Bible, du Coran  ou d’autres textes sacrés. Un mal dont ils souffrent et qu’ils projettent à leur tour sur le monde, un  mal qu’ils infligent à l’humanité. 

Quel est, pour vous, le message essentiel du Coran ? Quels grands enseignements en avez- vous tirés à titre personnel ? 

Je n’ai pas la prétention de savoir quel est le message essentiel du Coran. Même si j’étais  omnisciente, je ne le saurais pas, car ce n’est pas un message fixe, fixé. Le Coran est message, et il  est message de l’Essence. En somme, il dit que l’Être est, et qu’il se manifeste. La manifestation de l’être n’est pas une chose fixe, morte, elle est changeante, vivante. La lecture du Coran doit être  vivante.

Le grand enseignement que j’en tire est que le rapprochement avec l’Essentiel, le rapport avec l’Essentiel, la communion avec l’Essentiel, est ce qui nous aide à vivre, ce qui peut nous sauver quand nous sommes en danger. À chacun, à chacune de savoir quel est l’essentiel, quels sont les dangers qu’il ou elle affronte. Cela peut prendre des formes différentes au cours de l’existence,  jusqu’au dernier moment, qui est celui de la mort. J’ai remarqué, dans ma lecture du Coran, que ce  livre tourne autour de la question de la mort, évoquée au centre physique du livre. 

Vous avez également lu les écrits de grands mystiques musulmans, notamment d’Ibn Arabi, Halladj ou encore Attar. Ont-ils des points communs avec les textes des mystiques d’autres religions ?  

Tous et toutes les mystiques ont un Point commun. Autour duquel, ils et elles tournent. 

Vous dénoncez le règne du consumérisme et de l’argent roi qui gangrènent toutes les sociétés, y compris le monde musulman où, paradoxalement, la pratique religieuse est prépondérante. Estimez-vous que l’Islam a été réduit à un juridisme desséchant et à une orthopraxie mécanique dénués d’une tradition spirituelle vivifiante, pourtant inscrite dans ses fondements mêmes ?  

Je suis attristée de voir des gens en quête de sens et de spiritualité devoir chercher, avec  toutes les errances et les erreurs que l’éparpillement de l’esprit et la fausse guidance de faux guides  peuvent entraîner… chercher souvent mal et dans des ailleurs douteux, parce que dans les grandes spiritualités fondées, parce que la tradition d’où ils viennent, que ce soit le catholicisme, l’islam ou  le judaïsme, pour ne parler que des religions les plus représentées dans notre pays, s’est trop  dévoyée.

Il est aussi toujours choquant de voir des gens présentant tous les signes de religieux, dans l’islam comme ailleurs, accomplissant leurs prières etc., vivre en fait dans le culte de l’argent, de l’ego, de la représentation, des plaisirs incontrôlés, dans le souci de soi, la paresse mentale, le goût  du pouvoir, l’irrespect, voire l’abus d’autrui ou même le crime.

Sans doute n’est-ce pas un phénomène nouveau, et c’est pourquoi il nous faut toujours nous rappeler les uns aux autres de ne pas nous tromper de chemin. De rester intéressés par l’ailleurs, par l’autre, par l’inconnu, mais aussi d’apprendre toujours de nouveau à connaître ce que nous croyons connaître.

Propos recueillis par la rédaction Oumma

Quelques livres publiés par Alina Reyes

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