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Djamel Mousli, enseignant à Amiens, témoigne de son agression islamophobe

Si le Sarkozysme a produit un effet libérateur, c’est bien celui d’avoir désinhibé une parole fielleuse, nationaliste et islamophobe, qui a infecté le débat public, à droite, à la droite de la droite, mais aussi à gauche, et enfiévré les esprits, jeunes et moins jeunes. 

La recrudescence des violences anti-musulmanes, qui puisent leur légitimé dans le discours officiel, n’est pas une illusion d’optique. Les chiffres, en hausse constante, (33,6% d’augmentation en 2011), en attestent, tandis que leurs nombreuses victimes témoignent de leur brutalité inouïe, verbale ou physique.

Mardi 8 mai, Djamel Mousli, enseignant à Amiens, et sa famille, ont été les cibles de prédilection de ce déchaînement de haine. Un témoignage fort, où le cri d’indignation est aussi celui du cœur d’un citoyen français, de confession musulmane, pour son pays, patrie des droits de l’Homme.

 Djamel Mousli, mardi, votre famille et vous-même avez été victimes d’une agression verbale à caractère islamophobe. Pouvez-vous nous relater cette fin d’après-midi particulièrement traumatisante ?

Vers 17h15, ma femme, deux de mes enfants, ma belle-sœur, ma belle-mère, habillée en tenue traditionnelle marocaine, et moi-même, nous revenions tranquillement à pied de la braderie traditionnelle du coin. Je marchais devant avec mes enfants, quand quatre jeunes gens d’une vingtaine et trentaine  d’années, deux femmes et deux hommes, à bord d’une Citroën Berlingo, ont abordé mon épouse, sa sœur et sa mère, et les ont copieusement insultées et menacées. Ils ont dû croire qu’elles étaient seules, et donc plus vulnérables, mais c’était sans compter la réaction de ma femme qui les a rattrapés, alors que leur voiture était bloquée au stop un peu plus loin. Exigeant des explications, l’un des deux hommes a sorti un crick en croix et a menacé de la frapper.

En convalescence suite à un accident du travail, je suis arrivé non sans peine à la hauteur de ma femme pour la protéger. Bien sûr, je ne souhaitais pas que cela dégénère, mais je ne me suis pas laissé faire pour autant, et j’ai montré aux quatre énergumènes,  que je prenais des photos de leur plaque d’immatriculation. Je leur ai lancé qu’ils devraient avoir honte de leurs propos racistes. Au moment de démarrer et de prendre la direction d’Amiens, ces lâches nous ont de nouveau traités de « sales arabes », en nous faisant un doigt d’honneur!

Vous avez fait preuve d’un grand sang-froid, et vous avez immédiatement porté plainte à la gendarmerie. Etes-vous soutenus par des associations contre le racisme? Avez-vous bon espoir que votre plainte aboutisse ?

La raison doit l’emporter sur les passions, c’est une question de maîtrise de soi et d’expérience professionnelle, aussi bien pour mon épouse qui est assistante sociale que pour moi, qui suis enseignant. Il est clair aussi  que  nous connaissons les lois de notre pays concernant la légitime défense, ainsi que les lois contre le racisme. C’est pour cela que je me suis rendu de suite à la brigade de Gendarmerie qui se trouve à 300 m de notre pavillon. J’ai porté plainte à la fois pour « injures publiques envers un particulier en raison de sa race, de sa religion ou de son origine », mais aussi pour « menace matérialisée par objet de violence ».  Vous savez, c’est l’école de la République qui nous permet de connaître les lois de notre pays. Et croyez-moi, on peut être musulman et avoir beaucoup d’admiration pour nos institutions. Mais ça, c’est un autre débat…

 Maintenant, écoutez-moi bien,  porter plainte est une décision difficile et grave, ce n’est pas un réflexe naturel, ni un jeu pour beaucoup de  nos concitoyens, certains ont peur, d’autres méconnaissent la loi… Permettez-moi, sur Oumma, de pousser un coup de gueule : Ras-le-Bol ! Y’en a marre, y’en a vraiment marre de ces catégorisations, stigmatisations, infantilisations dont les gens comme « nous »  sont les victimes désignées ! Et croyez-moi, je ne fais pas de victimisation, les faits sont là. Il suffit simplement d’ouvrir sa télévision et de regarder, c’est pathétique !

 Oh !  Un oubli, et pas des moindres, le 6 janvier 2011, ma fille de 14 ans s’est faite traitée de « sale bougnoule » dans son collège et en plus devant témoins, c’est d’ailleurs là que j’ai porté plainte pour la première fois. J’avais le devoir d’être  un homme combatif pour mon enfant, et j’ai bien fait, car cette plainte s’est finie en lettre d’excuses, parce que l’agresseur était mineur. 

Pour en revenir à mardi, je tiens à saluer le professionnalisme exemplaire des gendarmes, et j’en suis même venu  à m’excuser d’avoir été aussi épineux et impatient… Je suis natif d’Amiens, j’ai donc rapidement pris contact avec Lucien Fontaine, un délégué départemental de la LICRA, ex-victime dans le passé d’une grave agression raciste, qui a proposé à l’association de se porter partie civile.

 Concernant l’aboutissement de la plainte, je m’en remets pleinement à notre justice. Par contre,  il faut espérer que nos agresseurs assumeront leurs responsabilités de « bons Français » : soit ils reconnaissent leur agression, soit ils mentent, et joueront alors les victimes « de trois femmes arabes, trois enfants arabes et un homme arabe en convalescence »…

 Sincèrement, du fait de mon éducation républicaine et des valeurs religieuses qui m’ont été inculquées, des excuses publiques adressées aux miens pourraient me conduire à retirer ma plainte. Ce n’est pas de l’arrogance de ma part, c’est une demande légitime de  réparation. Par contre, ce serait  très arrogant de la part de nos agresseurs de refuser de s’excuser du mal qu’ils ont fait à une famille,  mais aussi à un peuple, et à la République. Mais là encore, c’est un autre débat !

 Votre agression survient quelques jours après celle de deux personnes âgées, rouées de coups par des activistes  de l’extrême droite. Ces actes de violence sont-ils exceptionnels à Amiens et comment les analysez-vous ?

Encore un oubli de ma part, historique celui-ci, nous avons été victimes d’une agression le 8 mai 1945, un jour sacré pour notre République, un jour de deuil pour l’Algérie, des milliers d’algériens ayant été massacrés par l’armée française. Coïncidence de dates, c’est plutôt ce deuxième évènement qui me reste à l’esprit, plus que le mardi 8 mai 2012…

J’ai bien évidemment suivi l’affaire des agressions des deux « chibanis »  battus par des malades mentaux. Savez-vous pourquoi j’emploie le terme malades mentaux ? C'est très simple, je considère que ces deux hommes sont en souffrance, une vraie souffrance pathologique. Loin de moi l'envie de donner des leçons, mais à mon sens, il serait judicieux que nos hommes de lois fassent un peu travailler leurs méninges en  légiférant, par exemple, pour imposer à toute personne condamnée pour injure raciale un suivi  et  une thérapie  psychologique, en les éloignant de leurs enfants.  Ce que je dis peut paraître dur, mais cela dissuaderait peut-être les  passages à l’acte.

Mais ils ne sont pas les seuls responsables de leur haine raciste et islamophobe. J’accuse catégoriquement certains représentants et élus de la République d’être à l’origine de ce climat. Nous avons tous et toutes été témoins quasi quotidiennement des incitations et provocations de ces gens. C’est une honte ! C’est une trahison ! Mais  le pire dans cette histoire de racisme que je considère comme institutionnel, c’est  ce silence complice d’une grande partie de la classe politique, gauche et droite confondues…  Sans vouloir  vous faire peur, on n’est pas dans la « mouise » !

Comme l’a si bien formulé Hicham Djait : « Les préjugés médiévaux sur l’Islam sont  si solidement  implantés dans l’inconscient européen, qu’ils  peuvent à la moindre occasion, au moindre conflit, resurgir avec la même violence qu’il y a des siècles. » 

Concernant Amiens, c’est la première fois que nous entendons parler d’agressions aussi ouvertement islamophobes. Le racisme est une réalité qui frappe les musulmans et non-musulmans issus de ce que les schizophrènes laïco-islamophobes appellent « l’immigration ».  Il y aurait aussi beaucoup à dire sur notre pseudo laïcité. Mais ça aussi, c’est un autre débat !!

J’aimerais néanmoins avoir une pensée émue pour les deux personnes âgées brutalisées.  L’une d’elle, traumatisée par son agression, vient de partir pour le Maroc, et selon la rumeur, ce départ serait définitif. 

Vous êtes enseignant à Amiens, vous êtes français, votre père a combattu dans l’armée française,  mais votre islamité est visée. Que vous inspire cette montée de l’islamophobie ?

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Effectivement, je suis né en France, je suis français et je suis chez moi ici, n’en déplaise à tous ces haineux !  Oui, mon père a été marié à l’armée française, et ce depuis son arrivée en France en 1942. Je ne suis pas vraiment engagé politiquement, car je n’ai pas envie d’être en proie à des conflits mentaux et de risquer à passer mon temps à me contredire…

Le pire pour moi, aujourd'hui, ce sont ces concitoyens qui ont sacralisé la parole des hommes et des femmes politiques…Regardez cette vénération qu'ils ont pour le « Nerveux »,  la « Marine »… C’est grave !  C’est pathétique !  C’est même eschatologique, mais ça, c’est encore un autre débat, mais celui-ci plus  apocalyptique, certains me comprendront !

 Sinon oui, je suis un patriote mais pas n’importe lequel et pas n’importe comment ! A mes yeux, le patriotisme n’à rien à voir avec cette pathologie qu’est l’idéologie de race. Le patriotisme, c'est aimer son pays pour sa justice, son équité, son unicité et son humilité face à l'histoire. Et ce patriotisme-là est tout à fait compatible avec mon islamité !  Par contre, le nationalisme est un désastre, il propage partout la cruauté et la guerre, c’est  une maladie honteuse pour notre humanité. Il me donne envie de vomir.

 Vos enfants ont hélas assisté à l'agression. Quels messages peut-on transmettre aux jeunes générations, pleinement françaises, mais renvoyées constamment à leurs origines et à leur religion ?

Depuis mardi,  ma femme a fait un petit travail personnel de reconstruction, et on est vite passé à autre chose. De toute façon, les épreuves font parties du quotidien des hommes. Pour le message, j’en ai un notamment pour les adultes imparfaits que nous sommes. J’ai lu un jour, dans un livre sur l’éducation spirituelle, qu’il y avait trois états pour l’âme :"L'âme qui incite au mal, elle rend le mal séduisant à ses yeux et lui suggère de s'y adonner. L'âme qui se blâme, il s'agit de l'âme qui s'interroge sans cesse sur ses propres intentions…L'âme apaisée, elle est à l'abri de l'ennui, de la tristesse, de la peur, de la mélancolie, de l’agitation psychologique et de la tension nerveuse…" Et à l’attention de tous les jeunes, voici ce petit poème trouvé sur l’un des premiers sites musulmans de la toile des années 90 :

"Il y avait une fois un rosier,

Les soins qu'il avait

reçus permirent à ses

racines de s'enfoncer

profondément dans le sol.

Ces racines étaient Ibrahim (PSL).

Il était nécessaire de le tailler pour qu'il remplisse son rôle

et ne retourne pas à l'état sauvage.

Avec le temps, son tronc devint large et robuste.

Ce tronc était Moussa (PSL).

Un jour le bouton d'une rose exceptionnelle s'ouvrit.

Ce bouton était Issa (PSL).

La fleur était Mohammad (PSL)."

Enfin, un dernier message pour conclure, mais cette fois-ci à l’adresse de tous les racistes et islamophobes : «La liberté, la justice et l'égalité,par tous les moyens nécessaires», signé Malcolm X.

Propos recueillis par la rédaction

         
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