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Au cœur du brutal siège de Jénine

Des Palestiniens marchent au milieu de destructions massives à Jénine, alors que les forces israéliennes poursuivent leur opération militaire dans le nord de la Cisjordanie, le 2 septembre 2024. (Wahaj Bani Moufleh/Activestills)

L’armée israélienne détruit les infrastructures civiles, bloque l’accès aux soins médicaux et procède à des arrestations massives dans le cadre de sa plus grande opération en Cisjordanie depuis des années.

Le 28 août, Israël a lancé l’opération « Camps d’été », la plus grande invasion militaire observée dans le nord de la Cisjordanie depuis plus de vingt ans. À Jénine, les forces israéliennes ont d’abord pénétré dans la ville avant d’imposer un véritable siège au camp de réfugiés quelques heures plus tard ; l’armée a simultanément mené des opérations à Tubas, Naplouse, Ramallah et Tulkarem.

Depuis 2021, l’armée israélienne a pris pour cible à plusieurs reprises le camp de réfugiés de Jénine, sous prétexte de combattre des groupes de résistance armés. La plupart des victimes de ces attaques sont des civils palestiniens non combattants et des mineur·es, selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA).

Des résident·es palestinien·nes et des journalistes affirment que l’assaut actuel est le plus intense et le plus violent depuis des années, avec au moins 19 Palestinien·es tué·es à Jénine, y compris des enfants. Ces événements surviennent dans le contexte d’une augmentation spectaculaire des opérations militaires israéliennes et de la violence des colons dans toute la Cisjordanie après le 7 octobre, qui ont tué brutalement près de 700 Palestinien·nes dans le territoire – 185 dans la seule ville de Jénine.

L’armée aurait également tiré sur Tawfiq Qandeel, 83 ans, dans le camp de Jénine le 30 septembre, le laissant mourir dans la rue sans accès à des soins médicaux. Deux jours plus tard, une vidéo a circulé sur les réseaux sociaux, montrant des véhicules militaires israéliens roulant sur le corps de Qandeel.

Bombes, bulldozers, balles

Alors que l’armée israélienne prétend combattre les Brigades de Jénine et d’autres mouvements de résistance palestiniens, l’opération en cours a dévasté de larges pans de l’infrastructure civile du camp de réfugié·es, constituant une forme évidente de punition collective.

« Ils ont fait sauter notre maison, ils l’ont fait sauter ! » répétait à +972 Khayriyeh Khrayneh, 72 ans, quelques instants après avoir été contrainte de fuir sa maison près du quartier est du camp de réfugié·es de Jénine.

Quatre jours après le début de l’opération, la ville est devenue une ville fantôme, tandis que le camp se transformait en champ de bataille. Les Palestinien·es ont été contraint·es de rester cloitrés chez elles et eux alors que les soldat·es israélien·nes transformaient les bâtiments en bases militaires et envoyaient des tireur·ses d’élite sur les toits. Les civils, y compris les enfants, les personnes âgées et les malades chroniques, se sont vu refuser l’accès à l’eau, à la nourriture et aux médicaments dans le cadre du siège total du camp.

« Nous n’avons même pas eu droit à un verre d’eau », raconte Khrayneh, alors qu’elles étaient coincées entre les bombes, les bulldozers et les balles réelles. Khrayneh et sa petite fille se sont échappées de leur maison sous la menace des armes, n’emportant rien d’autre qu’un petit sac à main noir contenant ses cartes d’identité et passeports.

Ses trois fils (dont le plus jeune a 16 ans) et son mari ont tous été emmenés par l’armée israélienne, dans le cadre de ce que les témoins oculaires du camp décrivent comme une campagne d’arrestations massives visant les hommes et les garçons de Jénine. Le mari de Khrayneh est diabétique et a besoin de soins médicaux constants ; son fils aîné, âgé de 41 ans, se bat contre le cancer.

« Il venait de terminer une séance de chimiothérapie », se souvient Khrayneh, retenant ses larmes alors que la fumée s’élève au-dessus des décombres de sa maison, située à quelques mètres de là.

Bien que l’accès au camp ait été refusé à la presse, le bruit des explosions et des tirs de mitrailleuses résonne dans toute la ville de Jénine. Un grand nombre de bulldozers israéliens D-9, de véhicules blindés de transport de troupes et de jeeps blindées se sont déplacés dans les rues de la ville. Le ciel de Jénine était envahi de drones ; il pourrait s’agir de drones de surveillance ou de quadcoptères meurtriers, qu’Israël a couramment déployés à la fois à Gaza et en Cisjordanie.

Certain·es Palestinien·nes ont réussi à s’échapper du camp – principalement des femmes et des enfants, souvent chassé·es sous la menace des armes par les soldat·es israélien·nes qui avaient envahi leurs maisons et détenu les hommes et les jeunes garçons des familles.

Celles et ceux qui ont fui décrivent la férocité des tactiques militaires israéliennes au cours de la semaine écoulée : grenades antichars qui détruisent les infrastructures civiles, chiens d’attaque lâchés contre les familles, détenu·es palestinien·nes utilisé·es comme boucliers humains et tirs à balles réelles sporadiques et inconsidérés.

Blocage des hôpitaux et des ambulances

Alors que l’opération militaire fait rage à l’intérieur du camp de réfugié·es, les habitant·es de la ville et de ses environs n’ont pas été épargné·es par les effets du siège. L’armée parcourant les rues et tirant sur les voitures, les Palestinien·nes de Jénine ont été soumis·es à un couvre-feu strict, et l’accès à la ville depuis l’extérieur a été fortement restreint.

« Nous sommes enfermé·es dans nos maisons depuis des jours », a déclaré à +972 Saed Souki, de la ville d’Al-Batal, juste à l’extérieur du centre-ville de Jénine. « Nous n’avons pas eu accès aux produits les plus élémentaires, comme la farine et les aliments pour bébés, depuis des jours. » Toute tentative de contourner le siège a été accueillie par une force brutale : le 1er septembre, l’armée israélienne a bombardé et tué trois enfants palestinien·nes de Seela Harthiya, à l’ouest de Jénine, alors qu’ils et elles roulaient sur leur vespa après avoir livré du pain aux habitant·es de Jénine

Même les ambulances n’ont pas pu traverser la ville pour atteindre le camp de réfugié·es. Selon le responsable du Croissant-Rouge palestinien à Jénine, Mahmoud Al-Saadi, « les ambulances ont été mitraillées et le personnel paramédical s’est vu refuser l’accès à Jénine, même pour récupérer les corps des Palestinien·nes tué·es, malgré l’obtention de permis en coordination avec l’armée israélienne ».

Au début de l’opération, l’armée a également imposé un verrouillage total de l’hôpital gouvernemental de Jénine, le seul hôpital général public de la ville. La police israélienne des frontières, le Magav, a été chargée de contrôler les entrées et les sorties de l’hôpital et a déclaré les environs immédiats « zone fermée par ordre militaire ».

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L’hôpital gouvernemental a continué à recevoir des patient·es par l’intermédiaire des ambulances, mais seulement après qu’elles aient été arrêtées et contrôlées par les officiers du Magav, qui ont parfois forcé les patient·es à sortir pour vérifier leurs papiers d’identité.

Depuis l’extérieur de la ville, la route vers Jénine est parsemée de postes de contrôle et de barrages routiers imposés par l’armée, ce qui entrave les déplacements non seulement des Palestinien·nes, mais aussi des journalistes et du personnel médical. Les opérations israéliennes s’étendant à toute la Cisjordanie, quitter Jénine devient aussi dangereux que d’y rester.

« Je suis ici depuis quatre jours et je n’ai pas pu rentrer chez moi à cause des événements en cours », déclare Huda Badran, infirmière à l’hôpital Al-Amal, adjacent au camp de réfugiés de Jénine. Badran, qui est originaire de Tulkarem – à 60 km au sud-ouest de Jénine – explique que c’est la première fois en 18 ans de travail à la clinique qu’elle n’a pas pu rentrer chez elle pendant près d’une semaine.

« On ne peut pas savoir ce qui va se passer », explique-t-elle, et compte tenu de l’opération militaire simultanée à Tulkarem, “je cours des risques en partant d’ici, mais aussi en rentrant chez moi”.

L’armée israélienne affirme que les groupes de résistance palestiniens ont été la cible principale de l’assaut sur Tulkarem ; parmi les personnes tuées ces derniers jours figurent un cofondateur de la brigade de Tulkarem, Mohammad « Abu Shuja » Jaber, ainsi que les combattants Majd Daoud et Dousom Srouji.

Mais comme à Jénine, les résident·es des camps de réfugié·es de Nour Shams et de Tulkarem ont été placé·es en état de siège, sans accès pour les médias ou le personnel médical. En se retirant des camps de Tulkarem le 30 août, l’armée israélienne a laissé derrière elle une traînée de destruction, faisant au moins trois mort·es et des dizaines de blessé·es.

L’armée a repris son assaut sur les deux camps le 2 septembre, tuant au moins un adolescent, Mohammad Kanaan, 15 ans, et blessant son père d’une balle dans la taille. Cette fois-ci, l’armée israélienne n’a pas seulement empêché les journalistes d’accéder aux camps, mais elle a également pris directement pour cible le personnel des médias.

« Un autre Gaza »

On ne sait toujours pas combien de temps l’armée israélienne a l’intention de poursuivre l’opération « Camps d’été ». Le gouverneur de Jénine, Kamal Abu Al-Rub, aurait tenté de coordonner un cessez-le-feu avec l’armée pour permettre l’acheminement d’une aide urgente dans le camp de réfugié·es, mais ses efforts ont été rejetés.

Après que les Brigades de Jénine ont tué un soldat israélien dans une embuscade commune au quatrième jour du siège, les opérations israéliennes se sont intensifiées. « Nous n’avons pas l’intention de laisser le terrorisme (…) relever la tête », a déclaré Herzi Halevi, chef des forces de défense israéliennes, dans un communiqué. « C’est pourquoi l’initiative consiste à aller de ville en ville, de camp de réfugié·es en camp de réfugié·es. »

Pourtant, ces attaques militaires israéliennes n’ont fait qu’accroître le ressentiment de la population civile palestinienne – qui subit le plus gros des attaques – et favoriser le recrutement des groupes de résistance.

« Que pensez-vous qu’ils font ? Ils poussent à l’escalade pour pouvoir nous dépeupler complètement », explique A., un habitant de Jénine âgé de 30 ans, qui a demandé à parler sous le couvert de l’anonymat par crainte de la campagne d’arrestations massives menée par Israël.

« Ils nous rendent la vie insupportable », ajoute A.. « Cela nous pousse naturellement à la confrontation, et lorsque nous le faisons, l’armée israélienne intensifie encore ses pratiques abusives. »

Au moment où A. s’adressait à +972, les forces israéliennes avaient mis le feu au marché des agriculteurs de Jénine, détruit au bulldozer au moins 70 % des rues du camp et des zones environnantes, et coupé complètement l’accès à l’eau du camp et de 80 % de Jénine. Alors qu’Israël aurait l’intention de désigner l’ensemble de la Cisjordanie comme « zone de combat », les responsables israélien·nes de la sécurité préviennent que « l’opération de Jénine n’est qu’un début ».

« Vous savez ce qu’est Jénine ? C’est un autre Gaza, et Gaza, c’est la Palestine », affirme A.. « Nous ne pouvons pas continuer à les séparer, car on nous prend pour cible en tant que Palestinien·nes, et on utilisera le même raisonnement ici et là-bas pour continuer à repousser les Palestinien·nes de leurs terres. »

L’IDF n’a pas répondu aux demandes de commentaires de +972 au moment de la publication ; leurs déclarations seront ajoutées si elles sont reçues.

Mariam Barghouti est une écrivaine palestinienne basée à Ramallah. Twitter : @MariamBarghouti.

Traduction : JB pour l’Agence Média Palestine

Source : +972 Mag

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