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Des musulmans à Wall Street, entre rêve, doutes, et réalité…

Faire carrière dans l’univers impitoyable, spéculatif et très codifié de Wall Street, ou refuser de manger de ce pain-là de peur de vendre son âme au diable, le choix est cornélien lorsque l’on est un musulman américain brillant, bardé de diplômes ès finance obtenus dans les meilleures écoles, et que l’on aspire bien légitimement à pulvériser le plafond de verre du monde des affaires.

A vouloir se frayer un chemin là où l’on voue un culte à l’argent roi, ne risque-t-on pas de mettre ses valeurs à rude épreuve ? A l’instar de Naiel Iqbal, 27 ans, la génération musulmane montante semble creuser son sillon à Wall Street sans encombre, conciliant harmonieusement les exigences professionnelles et le respect des pratiques religieuses dans un environnement où seule la foi dans le profit est vénérée…

Naiel Iqbal incarne ce renouveau générationnel de l’islam américain qui assume pleinement son islamité, en ne fumant pas, ne buvant pas, et en observant le jeûne du Ramadan,  ne craignant pas de contraster avec la culture d’entreprise qui règne à Wall Street, où tout se termine souvent par des dîners arrosés dans un nuage de fumée… C’est par une pirouette que le jeune homme plein d’avenir s’en sort devant ses collègues intrigués ou irrités par ses absences répétées aux déjeuners de groupe pendant le mois Saint : « Rassurez-vous, je suis un grand gourmand », répond-il avec un large sourire, en leur donnant rendez-vous après le Ramadan, comme il l'a confié au New York Times.

A l’impossible, nul n’est tenu ! Mais le challenge n’est-il pas plus inatteignable encore lorsque l’on est une musulmane conservatrice et une analyste financière de talent propulsée chez Goldman Sachs, telle qu’Aisha Jukaku, et que l’on arbore un hijab en refusant de surcroît tout contact physique avec les hommes en dehors de son cercle familial ? La barre est placée très haut, tant les principes de la jeune femme sont en tout point antinomiques avec les us et coutumes de sa sphère professionnelle. Et pourtant, celle-ci n’a pas jeté l’éponge, mue par la passion de son métier, d’autant plus que Wall Street lui a ouvert grand les bras, hijab ou pas. De son côté, elle s’est pliée aux règles élémentaires de bienséance en serrant la main de ses confrères, tout en parvenant à effectuer ses cinq prières quotidiennes. "Ce que je fais n'est pas à 100% licite sur le plan religieux", reconnaît humblement Aisha Jukaku, ajoutant : "Mais au bout d’un moment, vous finissez par déculpabiliser, je suppose".

Pour le cadre supérieur d’origine pakistanaise, Ali Akbar, dont le parcours sans faute l’a hissé, à 34 ans, au poste prestigieux de directeur général de RBC Capital Markets, si jeûner pendant le Ramadan ne lui pose aucun problème, en revanche prier cinq fois par jour est un rythme impossible à tenir, d’autant plus qu’à son niveau de  responsabilité il préfère éviter d’attirer l’attention de ses collègues en se recueillant dans son bureau.

"Nous avons un concept appelé loi de nécessité", a déclaré pour sa part Rushdi Siddiqui, responsable mondial de la finance islamique à Thomson Reuters. "Il faut, à un certain niveau, respecter les lois du pays dans lequel vous vivez, que ce soit les lois formelles ou les lois tacites", insiste-t-il.

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Les musulmans attachés à leurs valeurs qui évoluent dans les banques traditionnelles n’ont d’autre alternative que de déplacer le curseur de leurs limites. En 2006, trois musulmans âgés d’une vingtaine d’années, conscients des cruels dilemmes qui tourmentaient alors leurs coreligionnaires experts en finance, ont formé un groupe d’écoute et d’entraide, afin de prodiguer des conseils avisés à la jeune génération musulmane. Les « Muppies », les professionnels musulmans urbains, ont ainsi vu le jour, Naiel Iqbal en étant l’administrateur général, et ont été rapidement submergés de questions pragmatiques, souvent récurrentes, ayant trait essentiellement à la consommation d’alcool, aux poignées de main, à la mixité dans le monde des affaires.

Les Muppies sont eux-mêmes scindés en trois courants d’idées différents, les libéraux, les modérés et les conservateurs, chaque camp émettant un avis plus ou moins tranché sur telle ou telle question. Concernant l’alcool qui coule à flots dans la sphère professionnelle, les uns estiment que la fréquentation des bars entre collègues est tout à fait permis, tandis que d’autres considèrent que seule la présence à des dîners professionnels où l’alcool est servi est admise, les plus radicaux conseillant de fuir tous les lieux et événements alcoolisés. La poignée de main fait l’objet de préconisations toujours aussi opposées : si certains Muppies exhortent les musulmans à serrer la main de leurs collègues femmes quand ils y sont invités, au risque de paraître discourtois, d’autres recommandent de ruser pour éviter tout contact, en faisant semblant d’être malade ou en portant des gants.

Mohamed A. El-Erian, l’une des plus éminentes personnalités musulmanes de la finance américaine, a affirmé n’avoir jamais rencontré "des obstacles fondés sur la religion" au cours de sa longue expérience, qui fut parfois parsemée d'embûches. Toutefois, il encourage vivement les jeunes musulmans prometteurs d'aujourd'hui à "rechercher les opportunités et les entreprises où ils pourront s’épanouir tant sur le plan professionnel que spirituel, sans redouter de se compromettre".

Ce que Wall Street n’avouera jamais mais que les Muppies ont observé au fur et à mesure, c’est que le fait d’être musulman est non seulement un gage de sérieux et d’intégrité aux yeux des employeurs, mais peut aussi représenter un atout non négligeable dans la négociation de marchés avec les pays arabes. Autant de facteurs positifs que les décideurs de la finance se garderont bien de crier sur les toits, mais qui font la différence quand il s’agit d’opérer une sélection entre plusieurs candidats. Paradoxe saisissant, pour être aux antipodes de l’éthique musulmane, Wallstreet et son capitalisme par trop spéculatif et déviant n’est pas un environnement hostile aux talents musulmans…

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