De plus en plus jeunes, les enfants s’exhibent en vêtements de marque, quitte à débourser ou faire débourser des centaines d’euros. Les collèges et lycées se transforment en parade pour les marques. Les multinationales envahissent l’école à grand coup de kit pédagogique ou d’éducation à la consommation. C’est que les enfants et adolescents doivent apprendre très tôt à être de parfaits petits consommateurs.
Dans les banlieues des grandes villes, les jeunes rejetés par l’économie des multinationales adorent leurs bourreaux dont ils portent l’emblème sur leurs vêtements. La perversité de cette réussite aurait fait rêver plus d’un dictateur. “C’est un engrenage, on est obligés de consommer pour être acceptés par nos amis. Il y en a, on se moque d’eux parce qu’ils sont pas bien habillés, ils sont moches, ils ont des vêtements bizarres, pas beaux, pas marqués quoi.”*
Les marques triomphent : les adolescents, qu’ils soient issus de familles pauvres ou aisées se ruent sur les produits marqués. Cet étiquetage de la jeunesse commence de plus en plus tôt, au risque de ruiner les parents les plus déshérités. Il a débuté dans les banlieues, véritables laboratoires de la marchandisation du monde tel que nous le vivrons tous demain.
“Les marques commerciales” sont le symbole et le vecteur d’une soumission au marché mondial. Elles véhiculent des valeurs et des comportements fondés sur une logique de l’ “avoir” et du “paraître” contraire à la primauté de l’”être” que tout enseignant devrait tendre à développer. Comment le maître pourrait-il aider l’élève à acquérir son autonomie, lui faire aimer le savoir et le processus même de son acquisition si son autorité est sans cesse concurrencée par le pouvoir de l’argent et la logique de consommation ? Comment l’école pourrait-elle assumer sa mission de transformer des enfants en citoyens si elle accepte de participer à leur gavage par une monoculture de la consommation que déverse déjà la télévision ?
Ni marques, ni intégrismes, ni blouse grise !
Le combat du Mouvement pour une rentrée sans marques n’a rien de passéiste ou de nostalgique. Nous ne partageons pas le mythe de l’âge d’or d’une école républicaine qu’il faudrait restaurer. Nous poursuivons une longue tradition de luttes pour faire de l’école un véritable lieu d’émancipation. C’est pourquoi nous rejetons, comme contraire à la tradition nationale, la fausse-bonne solution de l’uniforme scolaire. Le combat pour l’accès à l’autonomie vise une auto-limitation et non une limitation imposée.
Ma maîtresse mamie Nova
L’invasion publicitaire concerne aussi bien les écoles maternelles que les lycées : Nestlé fait la pub de son chocolat en poudre Nesquick et de ses céréales sous prétexte de présenter un petit déjeuner équilibré, Kellogs multiplie les opérations dans les écoles maternelles, Colgate-Signal est devenue la championne de l’éducation à la santé, Tampax distribue des dizaines de milliers de tampons dans le cadre d’un programme éducatif concernant les “premières règles”, Danone a conçu un coffret pédagogique “alimentation plaisir”. Liebig propose son kit sur les légumes et l’équilibre alimentaire, McDonald’s est présent dans les salles de classe avec ses spectacles du bon clown “Ronald’s” et jusque dans les cantines, Coca-Cola diffuse un dossier “découverte de l’entreprise”, Candia instrumentalise les professeurs de biologie pour toucher les enfants de 3e, Texas Instruments et Casio organisent des stages pour l’utilisation de leurs calculatrices, Leclerc parraine “La journée de l’environnement”, etc. Les encarts publicitaires se multiplient également dans les campagnes du ministère (comme celle contre la violence à l’école en partenariat avec la marque Morgan) ou dans les plaquettes de présentation des établissements. Que dire des journaux gratuits truffés de pub déposés dans les écoles ? Quid du parrainage de soirées étudiantes par des fabricants d’alcool ?
La pub au piquet
L’introduction de la pub à l’école est ressentie par de nombreux acteurs de l’enseignement comme une agression. Ce sont des enseignants du Pas-de-Calais qui obtiennent la suppression de la diffusion en continu dans leur collège d’une radio commerciale et de ses “éducatives” pages de publicité. C’est un principal de collège à Saint-Denis (93) qui non seulement a bouté les distributeurs de son collège mais fait la chasse aux vêtements de marque. Ce sont ces instituteurs qui demandent à leurs élèves de couvrir tous les logos de leurs vêtements ou des objets éducatifs. C’est le succès de la pétition contre le jeu-concours du CIC lancée par le collectif ATTAC Education et l’association Action-Consommation. Méfions-nous, en revanche, des projets d’éducation à la consommation dont rêvent tout haut publicitaires et pouvoirs publics. On y parle de la nécessité d’inculquer aux enfants une bonne connaissance des mécanismes de crédit, d’en faire de bons consommateurs mais aussi de leur apprendre à distinguer les produits authentiques des contrefaçons, de leur enseigner que leur détention est un délit. Qui veut-on protéger : les enfants ou les marchands ?
Banlieusards en laboratoire
L’introduction des marques à l’école se fait dans le cadre d’un système scolaire et d’une société profondément inégalitaire. Les banlieues fournissent la preuve du caractère dangereux des politiques menées au nom de la mondialisation puisqu’elles sont depuis plus de vingt ans un laboratoire d’expérimentation des politiques néo-libérales : introduction de la précarité avant sa généralisation au reste de la société, casse des structures collectives, démantèlement progressif des services publics, décervelage par la télévision, omniprésence de la publicité, dépolitisation massive et abstention électorale, idéologie “sportive” utilisée comme opium du peuple, racket des grandes marques, dictature des logos, etc.
Ne pensez pas, dépensez
Résister aux marques est dans ce contexte très difficile. “On a été attaqués mentalement par les marques. On sait très bien qu’on se fait exploités, manipulés, mais c’est fini, c’est comme ça. Il y a plus rien à espérer de moi, moi c’est Lacoste et c’est Nike, et mes enfants ce sera pareil. Dès qu’il va naître je vais l’incendier de marque.”*. La culture, seul rempart contre cette idéologie de la consommation est remplacée par la logique de l’entreprise. La crétinisation des masses constitue avec la marchandisation de l’enseignement les deux faces de la mondialisation en cours. L’introduction des marques dans l’enceinte de l’école ne la menace pas simplement marginalement car elle accentue la casse de toutes les valeurs et comportements antérieurs à l’ultra-libéralisme. Seule la mise à distance de l’école des pratiques sociales liées à l’extension du marché lui permettra de remplir sa fonction légitime : cette école que nous voulons institue l’enfant en élève et non en bon petit consommateur.
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