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De l’islamo-gauchisme ou le tabou de la critique du nouvel ordre oligarchique ?

Nous republions cet article paru sur Oumma il y a 3 ans et qui conserve toute son actualité. 

« En France, l’esprit est plus fort que tout, et les journaux ont de plus que l’esprit de tous les hommes spirituels, l’hypocrisie de Tartufe. »

Balzac, Illusions perdues, éd. Poche.

Fukuyama avait prédit la fin de l’Histoire suite à la chute du bloc soviétique, et d’aucuns avaient vu l’effondrement de toutes les critiques du système via les théories marxistes, gramsciennes, pasoliniennes, etc. Un monde semblait s’écrouler, et la gauche dans un silence résigné, voire complice, se pliait aux exigences de la droite libérale (Ronald Reagan), à l’instar de Margaret Thatcher. L’école de Chicago (Milton Friedman) imposait sa vision du monde (Goldman Sachs, Banque Européenne, entre autres).

Or, depuis quelques décennies, traiter les uns de gauchistes, voire d’islamogauchistes, est devenu l’insulte suprême, rien de mieux pour disqualifier un opposant politique. D’autant plus que ce terme peut avoir plusieurs déclinaisons, telles qu’islamo-fasciste, islamo-terroriste, qui sont toujours perçues de façon négatives.

A quand sur le devant de la scène des islamo-démocrates, ou islamo-libéraux, ou islamo-laïcs ? Quand bien même ils existent ! Même si, comme le souligne Rachid Benzine et Delphine Horvilleur, le piège est grand depuis ces dernières décennies de ne réduire certains citoyens français qu’à leur judaïté ou à leur islamité (Des mille et une façons d’être juif ou musulman, éd. Seuil).

L’affaire Ramadan semble-t-il, selon Manuel Valls, n’est en réalité que l’arbre qui cache la forêt. On l’aura compris dans le viseur de l’ancien ministre qui cherche les projecteurs et le buzz, après un échec cuisant et humiliant à la présidentielle, l’islamogauchisme est en réalité sa cible principale. De cette affaire, il en aura fait une pierre deux coups, en amalgamant Edwy Plenel, Pascal Boniface, et toute cette gauche insoumise à l’affaire Ramadan, en la taxant d’islamogauchiste, afin de dire qu’il y a une fracture inconciliable de la gauche.

Mais qu’est-ce que l’islamogauchisme au fond ? Et quelle réalité sociale, économique et politique revêt cette acception ? D’aucuns parlent d’islamisation de la France, du Grand Remplacement, et d’autres de reflexes colonialistes de la France (couvre-feu lors des émeutes de 2005, Etat d’urgence, Fiches S… autant de mesures sécuritaires et liberticides).

En somme, le débat ne serait-il pas situé dans cet entre-deux, à savoir, les Français de confession ou de culture musulmane ont-ils le droit d’avoir des idées politiques critiques, quand bien même celles-ci s’attachent à des valeurs islamiques et altermondialistes, et par conséquence dans la continuité des valeurs judéo-chrétiennes ?

Saïd Branine et Haoues Seniguer ont raison de dire qu’il ne faut pas islamiser l’affaire Ramadan (Médiapart, 26/11/2017), mais encore faudrait-il ne pas taxer d’islamogauchisme toute critique politique de l’ordre ultra-libéral et l’interventionnisme militaire au Proche-Orient ou en Afrique, et la gestion de nos « Territoires perdus de la République », avec cette question lancinante et toujours pas résolue : les citoyens de culture musulmane sont-ils considérés comme des citoyens français à part entière ?

Comment s’en étonner lorsqu’en France, des polémistes et des journalistes ont fait de la question de l’islam et des musulmans leur fonds de commerce, surtout lorsque celle-ci renvoie à une réalité géopolitique, voire géostratégique en Centrafrique (Françafrique) et au Proche-Orient, où la cartographie des richesses pétrolières ou autres, pour le grand malheur des musulmans de ce monde, correspond à la cartographie des groupes terroristes.

On reviendra sur les origines ou l’étymologie du terme islamo gauchisme, et sur les problématiques que cela soulève, surtout venant de la part de quelqu’un qui prétend défendre les citoyens musulmans de France, dans un climat d’Etat d’urgence, de Fiche S, et surtout lorsque ceci est défendu au nom de la Laïcité.

Déjà, Elisabeth Badinter expliquait : «  Il [est] déraisonnable de mettre sur le même plan la violence contre les femmes observée dans les Etats patriarcaux, non démocratiques. Dans ces derniers, la violence contre les femmes est une violence fondée sur des principes philosophiques, traditionnels et religieux qui n’ont rien à voir avec les nôtres. […] En revanche, la violence à l’égard des femmes dans nos sociétés est tout à fait contraire à nos principes […] elle révèle avant tout une pathologie […], qui nécessite des soins. » (In, Christine Delphy, Classer, dominer, qui sont les autres ?, éd. La Fabrique, 2008).

Et cela est aussi valable, on l’aura constaté, dans la gestion du terrorisme, quant à savoir l’affaire d’Anders Breivik où l’on essayait de trouver des pathologies psychologiques, en comparaison d’autres affaires et d’autres attentats dits « islamistes » ou « djihadistes » qui eux ne s’expliquent pas de façon rationnelle : Cf, Zemmour et son exégèse du Coran pour expliquer le terrorisme (à ce propos lire plutôt Tobie Nathan, Les âmes errantes, éd. Iconoclaste).

Pourquoi la gauche altermondialiste, tiers-mondiste, anticolonialiste, celle de Jean-Paul Sartre ou de Jean Genet, est-elle attaquée si durement depuis ces dernières années par l’intelligentsia ou la classe politique dirigeante ?

L’islamogauchisme qu’est-ce que c’est ?

Selon Leyla Arslann, le terme, d’origine anglo-saxonne, consiste à soutenir « que l’islam peut contribuer à faire émerger un souffle révolutionnaire ». Pour elle, c’est Chris Harman, dirigeant trotskiste du «Socialist Workers Party», qui le premier affirme dans son article The prophet and the proletariat (en 1994) que « les islamistes, en reprenant la vulgate anti-impérialiste, construiraient des groupes sociaux importants dont la colère devrait être canalisée vers des objectifs progressistes ».

Il est employé, en 2002, par le sociologue Pierre-André Taguieff dans son ouvrage La Nouvelle Judéophobie. L’auteur explique qu’il l’a utilisé pour essayer de « montrer qu’un certain tiers-mondisme gauchiste se retrouvait côte à côte dans les mobilisations pro-palestiniennes notamment, avec divers courants islamistes ».

Selon Laurent Lévy, le terme connaît son premier grand essor en 2003, lorsque des personnalités en faveur de l’adoption de la loi sur les signes religieux dans les écoles publiques françaises l’utilisèrent régulièrement pour qualifier leurs opposants, qu’ils considéraient comme des gauchistes, « idiots utiles » de l’islamisme.

« Il est difficile de retracer l’origine de cette nouvelle expression, qui semble avoir été d’abord utilisée par les intégristes laïques de l’UFAL et de la feuille électronique ResPublica, mais le fait est qu’elle s’est répandue comme une traînée de poudre dans de larges secteurs de la mouvance prohibitionniste, et a été reprise telle quelle par des auteurs aussi “divers” que Alain Finkielkraut, Pierre-André Taguieff ou Caroline Fourest. »

Selon Olivier Christin — qui a dirigé avec Marion Deschamp — le Dictionnaire des concepts nomades en sciences humaines (Métailé, 2016), l’islamo-gauchime appartient à ces expressions dont les « usages montent en flèche mais [qui] subissent une usure accélérée. Ils vieillissent terriblement vite ! » Des mots qui, selon Libération, appartiennent à la novlangue. Olivier Christin estime que cette prolifération de termes dans la langue politique peut être considéré « comme un signe de sa vacuité […] », mais également comme « un indicateur de la vitalité démocratique du pays […] ».

Selon Geoffrey Bonnefoy (L’Express), l’expression est devenu, en 2017, un concept à la mode qui qualifie « des personnalités de gauche accusés d’être trop laxistes vis-à-vis de l’islam », des adversaires n’ayant pas la même approche de la laïcité, jugés complaisants à l’égard du communautarisme. Le journaliste considère que le terme est péjoratif et rapporte les propos du sociologue Marwan Mohammed qui déclare : « En qualifiant quelqu’un d’islamo-gauchiste, l’idée n’est pas de débattre avec lui, mais bien de le disqualifier […] Ceux qui l’emploient refusent d’envisager la complexité des phénomènes sociaux et se contentent d’excommunier leurs adversaires. » Pour Bonnefoy, le terme « réducteur et insultant […] qui est apparu dans le débat public au début des années 2000 selon Libération, est progressivement devenu l’équivalent du point Godwin », il permet « d’asséner une accusation, sans preuve, et de clore le débat sur un sujet politiquement sensible »

L’expression revient régulièrement dans le discours des partisans d’une laïcité « parfois qualifiée de “combat”, qui revendiquent un “parler vrai” sur l’islam et l’islamisme », et qui se voient, pour cette raison, parfois accusés d’islamophobie. En réponse à cette qualification, un « procès en islamo-gauchisme » est renvoyé aux accusateurs — les deux termes vont souvent de pair dans ces débats.

En France, Caroline FourestÉlisabeth BadinterAlain Finkielkraut et Bernard-Henri Lévy utilisent le terme et en assurent la diffusion. Selon Shlomo Sand, des personnalités comme Edwy PlenelMichel TubianaAlain Gresh, et Raphaël Liogier sont devenus des islamo-gauchistes archétypiques.

Plusieurs essayistes tel que Pascal Bruckner, vont reprendre le terme qui est aussi employé par les médias. D’aprés Libération, il est, pour ceux qui l’utilisent un « mot “choc” pour décrire l’alliance contre-nature d’une partie de la gauche avec un islamisme réactionnaire ». Selon Caroline Fourest, qui l’emploie régulièrement, « Il désigne ceux qui, au nom d’une vision communautariste et américanisée de l’identité, combattent le féminisme universaliste et la laïcité. »

En 2013, Michel Onfray écrit qu’il ne communie pas « dans l’islamo-gauchisme d’un Nouveau Parti anticapitaliste dont le héraut intellectuel est Tariq Ramadan. »

Pour Jacques Julliard,

« Il y a un problème de l’islamo-gauchisme. Pourquoi et comment une poignée d’intellectuels d’extrême gauche, peu nombreux mais très influents dans les médias et dans la mouvance des droits de l’homme, ont-ils imposé une véritable sanctuarisation de l’islam dans l’espace politique français ?. »

Le journaliste Alexandre Devecchio, animateur du FigaroVox, écrit que cette partie de la gauche appelée « islamo-gauchiste » est « une nébuleuse rouge-verte pour qui “la lutte des races” a remplacé la “lutte des classes”. Elle défend les “colonisés” qui subissent l’oppression du “mâle blanc occidental”, “les musulmans“, nouveau prolétariat, victimes d’un État français “raciste et islamophobe”. » Il voit dans « cette logique victimaire » des « conséquences dévastatrices. Elle assigne à résidence identitaire la jeunesse désintégrée des banlieues. Elle nourrit son ressentiment à l’égard de la France. Elle entretient le déni de l’antisémitisme des “quartiers” et du racisme anti-Blancs. Dans ce système de pensée, en effet, les minorités ethniques sont forcément victimes tandis que les “sous-chiens” (Houria Bouteldja avait qualifié ainsi les Français de souche) et les juifs sont forcément coupables ».

Pour l’avocat et essayiste Gilles-William Goldnadel :

« L’islamo-gauchisme a très peu à voir avec l’islam et tout avec le gauchisme. Il faut y voir la complaisance coupable d’une grande partie de la gauche à l’égard de la radicalité islamique. Les pires errements coupables sont altérés au nom des souffrances subies et des culpabilités occidentales. Dans ce cadre plus névrotique que raisonné, tout esprit critique est aboli envers les premiers et la sévérité est de rigueur à l’égard des seconds. Dans le creux de cette idéologie réflexe, il faut moins déceler de l’amour pour les populations islamiques qu’une haine inconsciente envers l’Occident coupable non seulement de la colonisation, mais encore du plus grand génocide traumatique de tous les temps. Ce qui est piquant, ou plus urticant, pour les islamo-gauchistes, c’est précisément cette appellation dont ils nient farouchement toute réalité : ils veulent bien évoquer à tout propos le fascisme, pourtant mort et enterré, mais l’islamo-gauchisme, non merci ! Bref, le déni. »

Pour Bernard-Henri Lévy, « il suffit de lire (Foucault donc) pour prendre la mesure de la tentation identitaire, racialiste et, au fond, darwinienne qui n’a jamais cessé, depuis, de hanter la gauche française – et pour retracer la longue et, hélas, très puissante généalogie de cette façon d’assigner les opprimés à leur origine, de les enfermer dans leur couleur de peau et leur ethnie, de renverser et singer, en un mot, le racisme de l’extrême droite : l’islamo-gauchisme. »

L’Encyclopædia Universalis note, dans sa page Islam (histoire), que les mouvements des islamistes modernes sont un produit du xxe siècle :

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« Ils ont repris une rhétorique anti-impérialiste propre jusqu’ici aux mouvements d’extrême gauche du Tiers Monde (cet islamo-gauchisme a été particulièrement virulent dans les premières années de la révolution islamique d’Iran). »

Franz-Olivier Giesbert écrit qu’une partie de la gauche a collaboré avec l’islamo-fascisme, donnant naissance à un islamo-gauchisme qui « a des relais partout » et qui est — lié à la « décomposition intellectuelle d’une certaine gauche » française.

14 ans après avoir utilisé le terme dans dans La Nouvelle Judéophobie, Pierre-André Taguieff estime, en 2016, que « ce genre d’amalgame se justifie à condition d’en définir le sens précisément […] Mais le sens devient de plus en plus vague à mesure qu’il devient un terme polémique. » En 2017, rappelant la tenue de réunions non-mixtes — notamment le camp d’été décolonial (Reims, août 2016) —, il écrit, dans L’Islamisme et nous : « D’une façon croissante, l’antiracisme est mis au service de l’islamisme et de l’islamo-gauchisme, ou instrumentalisé pour la défense de causes ethnicisées. »

Lors des élections législatives de 2017, le député PS sortant François Pupponi note : « Ce qu’on appelle l’islamo-gauchisme, je l’ai vécu en direct. » Opposé au second tour à Samy Debah, fondateur du Collectif contre l’islamophobie en France, qui se présentait comme candidat « indépendant », il affirme que la candidate de La France insoumise (éliminée au premier tour) a appelé à voter contre lui. Il ajoute par ailleurs que les « réseaux salafistes » ont tenté d’infiltrer plusieurs villes de son département : « Ça a commencé par du soutien scolaire dans une maison de quartier, puis dans une MJC, puis ils ont présenté des candidats aux élections de parents d’élèves. »

En 2017 pour Jean-Pierre Le Goff (sociologue),

« les réactions aux meurtres et aux attentats ont fait apparaître au grand jour l’existence d’un “islamo-gauchisme” qui, comme le dit justement Jacques Julliard, est un “parti intello-collabo” »

Le 6 octobre 2017, les journalistes Judith Waintraub et Vincent Nouzille dénoncent, dans une enquête sur « les agents d’influence de l’islam » publiée par Le Figaro Magazine, les relais « intellectuels, responsables politiques ou acteurs associatifs » de l’islamo-gauchisme qui selon les auteurs « investissent l’espace médiatique ». Sous des formes différentes et à des degrés divers, ils classent notamment dans cette catégorie les sociologues Edgar MorinGeoffroy de Lagasnerie et Raphaël Liogier, l’islamologue Tariq Ramadan, l’historien Jean Baubérot, le démographe Emmanuel Todd, le géopolitologue Pascal Boniface, les journalistes Alain Gresh et Edwy Plenel, les personnalités politiques Benoît HamonJean-Louis BiancoDanièle ObonoClémentine Autain et Caroline De Haas ou encore les personnalités associatives Marwan MuhammadSihame AssbagueHouria Bouteldja et Rokhaya Diallo.

Selon LibérationClémentine Autain revendique l’appellation — qui pour le quotidien, appartient à la famille des « insultes policées et intellectuelles » — :

« Je ne comprends pas exactement ce que veut dire le mot, mais si ça désigne l’intersectionnalité des luttes, alors oui, c’est ça qui me préoccupe. Je suis de gauche, et je me bats contre le rejet des musulmans en France. »

Edwy Plenel, qualifié lui-même d’islamo-gauchiste, considère que c’est « une expression valise qui sert simplement à refuser le débat et à stigmatiser. »

Pascal Boniface est également critique sur l’usage du terme :

« L’originalité du concept pourrait plaider en sa faveur, mais c’est en réalité un non-sens, comme l’étaient par le passé les expressions “hitléro-trotskistes” ou “judéo-bolcheviques”. Elles aussi se voulaient disqualifiantes. Elles aussi ne reposaient que sur des fantasmes. »

Pour Shlomo Sand, le terme d’« islamo-gauchisme », stigmatisant, est « une formule qui permet de faire diversion ». Dans son usage rhétorique, l’historien israélien établit un lien avec l’emploi du « judéo-bolchevisme »des années 1930 — une « symbiose propagandiste [qui] s’avéra très efficace ». Il considère que « l’état de crise permanent du capitalisme, et l’ébranlement de la culture nationale, consécutif à la mondialisation, ont incité à la quête fébrile de nouveaux coupables. » En notant que les deux termes ne sont pas identiques, il s’interroge sur le devenir de l’expression :

« Il se pourrait qu’elle constitue une contribution rhétorique, non marginale, vers l’approche d’un trou noir supplémentaire dans l’histoire moderne de l’Europe. »

(Source Wikipedia)

 Déligitimation ou confiscation du débat démocratique ?

Il est clair que derrière l’affaire Dreyfus, tous les antisémites à l’instar de Drumont et sa France Juive (aujourd’hui Zemmour) ou Mauras incarnaient une époque où la laïcité était perçue comme une tentative d’infiltration politique ou de judaïsation des élites (Pierre Birnbaum).

Il aura fallu la dénonciation via le cinéma, la littérature et les documentaires durant des années pour mettre à jour et faire prendre conscience de l’antisémitisme ambiant dont le point d’orgue a été la collaboration du Régime Vichyste ou Pétainiste… Or, dans ce climat anxiogène actuel, voire hystérique en France, partout en Occident avec la montée de l’extrême droite et la banalisation de ses idées, comment ne pas s’inquiéter que de tels réflexes de suspicion (ennemi intérieur), de délation (Fiches S, Etat d’urgence), que les citoyens musulmans en soient à être stigmatisés comme ceux que l’on avait affublés d’une étoile de David ?

L’enjeu n’est pas encore une fois de tuer Charlie Hebdo, journal qui a le droit à la satire et à la caricature, mais ô combien plus grave, de tuer les citoyens français de culture ou de confession musulmane, et cela en les stigmatisant comme inaptes à nos valeurs et à la démocratie. Le fond du débat est là.

Plus récemment lors dans un débat filmé le mardi 21 novembre 2017, organisé à Madrid par le grand quotidien espagnol “El Pais”, Manuel Valls, natif de Barcelone et parfait hispanophone, évoque la question de l’identité espagnole et appelle à « construire un nouveau patriotisme en Espagne ». Et déclare qu’ « en France il y a un complexe de supériorité. En Espagne, d’infériorité ». C’est le moins que l’on puisse dire.

Et il poursuit avec ce développement :

« Tous les pays souffrent d’une crise d’identité, d’identité culturelle. Parce qu’il y a la mondialisation, il y a la crise politique, il y a les réseaux sociaux, il y a le problème des réfugiés. Surgissent dans nos sociétés, par exemple dans la société française, le problème de l’islam, des musulmans. Tout cela nous interroge sur ce que nous sommes. »

Et bien entendu, en bon défenseur des musulmans, il affirme «  Ce que je dénonce, c’est le poison salafiste qui ronge l’islam », surtout quand on pense à la récupération politicienne qu’il avait déjà fait à l’égard des programmes de déradicalisation (Dounia Bouzar), voulant interpréter les résultats dans un sens culturaliste voire ethnique, fidèle à ses critère de catégorisation et de différenciations (ex, Blancos ou White).

Pourtant, tous ceux que l’ancien ministre qualifie d’islamo-gauchistes ne sont pas des pro-salafistes, loin de là ; la plupart se revendiquant de mouvements citoyens et réformistes, à l’instar des musulmans démocrates de France (UDMF) ou de partis engagés dans des luttes anti impérialistes (PIR ou Parti des Indigènes de la République), voire de tendance Frères musulmans, ou autres.

En dépit des sous entendus fait à l’encontre d’Edwy Plenel, de Pascal Boniface ou d’Edgar Morin, comme quoi ils savaient les supposées tendances sexuelles de Tariq Ramadan du fait d’avoir débattu lors d’un colloque ou publié un livre avec lui, quand bien même ces derniers comme ils l’ont expliqué, n’ont jamais fait le rapprochement entre les actes de DSK dans l’affaire Nafissatou Diallo et les élus du PS, dont Valls est un représentant. Ou encore le soutien politique et médiatique de Polanski (http://lmsi.net/Roman-Polanski-a-beaucoup-d-amis) De même que l’accusation d’islamo-gauchisme serait du même acabit qu’une stigmatisation de certaines personnalités (Ex, Meyer Habib, Arno Karlsfeld) à un supposé judéo-gauchisme ou Israëlo-gauchisme ou pro-sionisme, surtout lorsqu’on sait le lien indéfectible qu’ont les deux hommes politiques pour la Terre Sainte (DSK qui disait penser à Israël chaque matin, ou encore Valls qui par sa femme reconnaît un lien indéfectible avec l’Etat hébreu) ; ce qui aurait provoqué un tollé général, et des accusations d’antisémitisme.

Pour conclure

Le livre de Michel Houellebecq, son dernier roman “Soumission” où le personnage inspiré de la figure de Tariq Ramadan, un certain Abbès tête de liste d’un obscur parti appelé Fraternité Musulmane (en référence aux frères musulmans), reflète bien ce refoulé, cette peur collective de la participation des citoyens de culture musulmane au débat et au récit national.

On peut se demander pourquoi cette obsession et cette « peur » ? La réponse est simple, il est plus facile d’avoir des ennemis qui ne nous ressemblent pas, voire barbares et antipathiques, plutôt que d’avoir des « barbares romanisés » intégrés voire assimilés, appellation que choisit Eric Zemmour lorsqu’on lui demande pourquoi il ne va pas au bout de son assimilation pour se convertir au christianisme.

De plus, la gauche anticolonialiste, qui critique et dénonce les dérives de l’ultra-libéralisme, n’est pas islamo-gauchiste, et quand bien même, elle a le droit d’exister et de dire ce qu’elle pense, car c’est ce qui fait le cœur de notre démocratie. Taxer les uns d’islamogauchisme est du même acabit que de qualifier les autres de pro-sionistes, de pro-atlantistes ou américanistes, ce qui en soit lors d’affaires privées comme celles de Dominique Strauss-Khan, Roman Polanski, Harvey Weinstein, ou Tariq Ramadan, est nulle et non avenue, si ce n’est mettre en exergue la prétendue origine ou confession ou inclination politique de la personne (ce qui d’un point de vu strictement républicain n’est pas laïc).

Il serait temps que nos dirigeants politiques réalisent enfin la lourde responsabilité qu’ils ont dans ce climat anxiogène, et que l’instrumentalisation des couches populaires traitées d’islamo-gauchisme versus les identitaires (Front National ou autres), risque de précipiter notre pays, voire le continent vers des scénarios catastrophiques qui, hélas, avaient conduit le monde vers les deux guerres mondiales, tout cela pour les mêmes raisons d’intérêts nationaux (pétrole, croissance, géostratégie, etc).

Le fait de ne pas dire ouvertement que nous sommes en guerre économique contre la Russie, la Chine, l’Inde, les USA, et que l’Afrique et le Proche-Orient (notamment l’Arabie Saoudite soutenue par les USA et Israël, et l’Iran soutenu par la Russie et la Chine) sont des zones de batailles par factions interposées ou idiots utiles, risquera d’être lourd de conséquences et de quiproquos, et de haine. Il est enfin temps de parler vrai.

Amine Ajar.

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