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De l’islam symbolique ou médiatique aux citoyens réels

Il y a une grande mauvaise foi ou ignorance chez ceux qui qualifient couramment de “communauté musulmane” des citoyens qui eux-mêmes ont des difficultés à se définir vu la diversité des opinions et la complexité sociologique: croyants, athées, agnostiques, cadres supérieurs, classes moyennes, couples mixtes, métisses… et de la même façon pour les musulmans qui se représentent comme tels. Celle-ci est un mythe, un fantasme qui est alimenté aussi bien par les franges islamophobes de la droite et de l’extrême droite que par les pratiquants qui sont tombés dans le piège de l’islam symbolique ou médiatique.

Je m’explique, ces mouvements extrémistes des deux bords ne sont pas apparus de façon spontanée. Ils sont le produit d’un processus historique et sociologique long, et l’ignorer c’est prêter le flan aux théories les plus dangereuses.

Depuis le 11 septembre 2001 et la théorie du choc des civilisations, que ça soit de la part des médias ou de pseudo-experts sur la question de l’islam, chacun y est allé de son refrain. Or, de quel Islam ou islam parlons-nous? D’une civilisation qui débute du VII ème siècle mais qui a des racines plus anciennes et qui a fusionnée avec les aires conquises, s’étendant de l’Andalousie jusqu’aux confins de l’extrême Orient pour former ce que Fernand Braudel a appelé “le premier système-monde”, avatar d’une mondialisation (à ce propos lire les travaux de Maurice Lombard)?

Que nenni! Comme l’a si bien montré Thomas Deltombe dans son livre “L’islam imaginaire, la construction médiatique de l’islamophobie en France de 1975 à 2005”, aux éditions La Découverte, les médias n’ont focalisé et ne prêtent attention qu’aux franges les plus radicales. Pourquoi? Est-ce pour jouer sur les peurs? Ou pour “justifier” les différentes guerres et autres raisons de contrôle géostratégique et énergétique ? Ou jouer sur l’insécurité à l’échéance de prochaines élections présidentielles?

En France, ces mouvements islamistes qui se revendiquent comme les seuls tenants de la « tradition authentique » progressent auprès d’une jeunesse perdue, acculturée, et ignorante. Ils privilégient l’apparence physique (Barbe et tenues ostentatoires, comme si l’islam se réduisait à cela) au lieu de la connaissance réelle de l’islam.

Entre les mains de beaucoup d’ignorants l’islam ne devient pas une religion mais une secte qui exclut ceux qui ne lui ressemblent pas. Ces musulmans connaissent un problème d’interprétation et de priorité. Ils ont un déficit de ce qu’on appelle Akhlaq ou qualités humanistes. Nous sommes loin de la parole prophétique de Muhammad qui dit “N’a pas la foi celui qui n’aime pas pour son frère ce qu’il aime pour lui-même.” ils lui préfèrent le hadith qui dit “Il y aura 73 tendances ou sectes chez les musulmans et la seule communauté qui sera sauvée est celle qui suivra le Coran et la Sunna”. Bien sûr, mais un peu d’humilité ne leur ferait pas de mal,  parce qu’ils jugent comme s’ils avaient la garantie d’être élus pour le paradis et que les autres sont voués à la damnation. Tout ne se définit chez eux que sur l’apparence et sur le  mode binaire: croyant/non croyant ou croyant sincère/hypocrite, alors que le seul à connaître le contenu des poitrines et des intentions n’est ni plus ni moins qu’Allah.

Et  vivre dans un pays dit d’infidèles ou pour reprendre une dénomination obsolète de Dar Al-harb (territoires non islamiques ou littéralement maison de la guerre) en profitant du chômage ou du RSA  en critiquant ceux qui  ne font pas leurs prières à temps, montrent leur degré de contradiction. En effet, alors que, durant une dizaine d’années à la Mecque, le prophète Muhammad (saws) avait formé ses disciples sur le Tawhid (l’unicité de Dieu ou d’Allah), sur la fraternité, l’amour de son prochain, le respect de son voisin croyant ou non-croyant… Et qu’il avait dit que le travail est la moitié de la foi, ou qu’un croyant qui pourvoit aux besoins de sa famille ou à la communauté via la Zakat (aumône obligatoire, pour qui en a les moyens) est préférable au croyant qui vit dans l’oisiveté. Or, ces mouvements d’un seul regard jeté de façon lapidaire excommunient ou jugent du degré d’islamité ou de conformité vestimentaire ou de pilosité de celui qui se trouve face à eux, remettant au goût du jour une forme d’inquisition.

Quant aux médias ils font la part belle à ces groupuscules, amalgamant ainsi tous les musulmans. Mais à qui profite cette politique d’essentialisation afin de justifier sa politique sécuritaire, et d’occupation et coloniale pour « nos alliés atlantistes » en d’autres cieux? Pas besoin de donner la réponse, parce que tout le monde la connait.

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De la même façon, ces mouvements néo-soufis soutenus par des dictateurs en manque de légitimité ne sont que symptomatiques de la crise que connaissent les musulmans d’aujourd’hui face à une modernité et des États-Nations à la dérive et aux soldes de sphères politico-financières corrompues.

Certains musulmans sont vraiment tombés dans le piège du symbolique et du médiatique et ils ne font que servir les intérêts de ceux qui les instrumentalisent (qui ont intérêt à favoriser le communautarisme afin de justifier leurs politiques) et de ceux (régime Saoud) qui vivent une schizophrénie et une illégitimité patente. Il faut le dire une bonne fois pour toute, l’Islam n’est ni le salafisme, ni le soufisme, ni aucun autre mot ou tendance en isme. L’Islam est l’Islam et les musulmans sont des musulmans comme le Prophète Abraham se définit lui-même dans le Coran: soumis à Dieu ou Allah.

Il ne faut plus voir l’islam comme un prêt à porter (barbe et qamis) ou un mode d’emploi, mais bien plutôt comme un cheminement. Bien entendu, on m’a souvent répondu, « Mais l’islam c’est un tout, soit on l’accepte dans sa totalité, soit on est un hypocrite ». Et la véritable question est « qu’est-ce que l’islam ? ». Est-ce seulement un ensemble de codes, de normes, d’interdictions et d’autorisations, et dans ce cas on retombe dans la mise en garde du prophète Muhammad (saws), « Ne refaites pas la même erreur que les Banû Israël » au point de vous écraser sous le poids de la Loi ? Ou plutôt, l’islam, le Coran, la parole d’Allah, ne nous incitent-ils pas à la miséricorde, à l’amour, à la fraternité, à l’écoute, au pardon, sachant que le Leitmotiv et l’un des noms divin qui revient à chaque ouverture de Sourate et à longueur de versets est A-Rahman (Le Tout Miséricordieux) ?

D’aucuns me diront « nos ennemis nous attaquent de toutes parts via leur mode de vie consumériste et ultra libéral », or il serait temps de se voir comme non plus issus d’un système traditionnel et patriarcal mais comme des produits de la modernité. En effet, l’emballage peut-être « traditionnel » ou « muslim wear », mais les comportements du Maghreb à Dubaï jusqu’en Indonésie sont les mêmes que le citoyens occidental lambda. Vouloir revenir à un modèle « mythique » et « idéalisé » du VIIème siècle alors que l’Arabie Saoudite elle-même est traversée par ses contradictions depuis sa constitution en État-Nation: entre modernité et ses effets pervers dont elle paie le prix (dépendante des pétrodollars au point d’accepter l’implantation de bases américaines sur son territoire), et modèle « idéal authentique »  à défaut de légitimité (Bani Saoud mis au pouvoir par les anglais, Cf Lawrence d’Arabie), ce qui explique pourquoi ils sont les premiers exportateurs de cette idéologie pseudo-salafiste où est privilégiée l’apparence au contenu : un islam symbolique ou médiatique dont les chaînes satellitaires nous font l’éloge à longueur de journées.

Il ne faut plus nous définir sur un modèle « idéal » fantasmé et déconnecté de la réalité sociale, sociologique, historique, culturelle du pays dans lequel on se trouve, mais se voir et être en phase avec l’environnement qui nous entoure, comme le prophète Muhammad (saws) et le regard critique d’Ibn Khaldoun. D’aucuns m’objecteront que le prophète Muhammad (saws) avait fait la Hijra ou l’exil pour échapper à l’hostilité et l’oppression des Quraishites (habitants de la Mecque, sa ville natale), mais la question fondamentale qui me vient à l’esprit, « Quelle est la réelle Hijra ou le réel exil lorsque l’on sait la situation des pays arabes et musulmans en mutation depuis le choc colonial sous l’effet de la modernité et du consumérisme à l’échelle mondiale avec les dérives que l’on connaît (corruption, prostitution, délinquance, drogue, etc.)?

Que penser de la situation de pays pseudo-islamique face à cette post-modernité ou mondialisation et l’homogénéisation des comportements consuméristes? Notre priorité n’est-elle pas de nous réformer intérieurement, passer de la victimisation stérile à l’épanouissement et à la quiétude ou la sérénité de l’âme, le propre de l’islam dérivé du mot Salam (Salut) ? Le plus grand Djihad (effort) n’est-il pas le Djihad Nafs (l’effort contre son ego) ? Ne devrions-nous pas admettre la complexité et la diversité comme une volonté divine, et éviter de vouloir à tout prix imposer à l’autre notre vision du monde comme étant la seule vérité? Accepter la diversité, la complexité, le dialogue comme le suggère Edgar Morin?  Voilà le vrai débat.

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