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Critiquer l’islam est salutaire !

Les référents cultuels de l'islam peuvent jouer un rôle crucial dans la transformation positive de l'image de l'islam. Encore faut-il que ces différents personnages – imams, prédicateurs et conférenciers, aumôniers, dirigeants des lieux de cultes, hommes et femmes – que je nomme personnellement les « diffuseurs de discours musulmans », soient en mesure de relever le défi.

Nous devons en effet admettre que la libre critique des religions, comme de toutes les idéologies, est une caractéristique fondamentale de la société démocratique, et l'islam ne peut pas échapper à cette règle. Aussi, les musulmans auront tout à gagner s'ils entrent dans l'arène du débat pour mieux rebondir, à partir des critiques de leur religion, sur une approche plus globale du vivre-ensemble dans un monde en recherche continuelle de sens. Pourtant, force est de constater qu'à part les condamnations de principe et les appels au respect de la religion, les diffuseurs de discours musulmans souffrent d'un cruel et flagrant déficit de communication, entre eux tout d'abord, et également avec l'environnement.

Cette carence touche l'ensemble des manières de « donner à voir » l'islam au monde, et elle n'est pas une simple conséquence de la pression exercée par de quelconques forces occultes sur les musulmans. Le problème est plus profond et renvoie aux différents éléments qui composent le paradigme structurant la façon dont la majorité de ces diffuseurs de discours, de par le monde musulman, voient Dieu, le monde et la place de l'Homme en son sein, et l'organisation de la vie sociale.

Deux défauts majeurs dans la manière de « donner à voir » l'islam

A ces trois plans, ces référents religieux donnent l'impression d'être prisonniers de deux défauts majeurs qui sont, tout d'abord, une « approche péjorative du divin », et ensuite une « sacralisation prohibitive » des sources et des personnages de l'islam. Par approche péjorative du divin, je vise le sens littéral de « jugement négatif » sur Dieu. Depuis les chaines satellitaires jusqu'aux mosquées de quartiers, une rhétorique bien spécifique s'est imposée : elle est centrée sur l'idée d'un Dieu exigeant à outrance, comptable intransigeant, vindicatif au moindre faux-pas, et accessoirement magnanime.

On ne peut pas nier cette omniprésence de l'approche péjorative du divin, laquelle s'est construite sur un détournement de la sémantique et du cheminement soufi pour amener le musulman sur le sentier de la peur continuelle du châtiment. Cela produit des croyants obnubilés par l'idée de pureté et de perfection de l'acte, non pas pour communier avec Dieu sur la base du « désir ardent » (al-shawq ou al-'ishq), mais uniquement par crainte du courroux divin et de son couperet vengeur.

De même, par « sacralisation prohibitive » des sources et des personnages de l'islam, je vise la façon dont il est devenu quasiment blasphématoire d'opérer un jugement critique sur les sources scripturaires, leur interprétation et leur diffusion. S'y ajoute le très faible niveau de connaissance religieuse des musulmans, dont usent et abusent une bonne partie des diffuseurs de discours. Cela rend très problématique le simple fait de citer des exégèses du Livre désormais méconnues, que ce soit en matière théologique, cultuelle ou concernant les relations sociales.

A titre illustratif, j'ai parfois l'occasion d'exposer aux musulmans un aspect basique et connu de la théologie musulmane : il n'existe pas en islam une conception unique de Dieu, de sa relation au monde, ni même de l'au-delà. En retour, j'ai toujours le regard interrogatif de musulmans qui me rétorquent « mais c'est impossible, notre imam – ou le cheikh untel, ou tel livre apologétique – nous a dit qu'en islam il n'y a jamais eu de divergence sur Dieu, et affirmer cela c'est remettre en cause le Coran ! » Ces musulmans n'ont jamais eu accès à une approche plurielle du divin car les bien-pensants – de l'islam cette fois – ont fait les bons choix et ont déterminé la Vérité à leur place.

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Les diffuseurs de discours, quant à eux, affirment de manière trop téméraire que les musulmans de la « base » ne seraient pas aptes à distinguer le bon grain de l'ivraie en matière de religion. Il faudrait donc leur mâcher le travail. Ce faisant, on ôte aux musulmans la possibilité d'interagir avec le divin à partir de leur ancrage culturel, de leur vie et de leurs aspirations personnelles, comme cela était le cas chez les premières générations de l'islam.

Ces domaines relèvent aujourd'hui d'une véritable chasse-gardée de référents religieux revendiquant le titre de Cheikhs. Une bonne partie d'entre-eux disqualifie d'ailleurs d'une façon un peu trop suspecte les empêcheurs de tourner en rond, en particulier ces « musulmans qui font le jeu de l'adversaire ». Ils instillent l'idée qu'en islam, à chaque question il n'y a qu'une réponse se situant dans la Vérité, la leur au passage… Cette attitude ne sort pas du néant et n'est pas le fruit d'une pression de la société ; elle possède un arrière-fond propre à l'histoire des musulmans.

De même, elle est propagée par des diffuseurs de discours qui trouvent là un moyen de conforter leur ascendant sur les publics fréquentant les sphères cultuelles. Concernant la France, il faut savoir que la majorité des personnes affichant le titre de « diplômé » d'une université islamique sont en fait titulaires d'une Licence, parfois d'un Master. Cela signifie qu'elles n'ont jamais conduit de recherche académique au cours de laquelle elles auraient pu mettre en œuvre un protocole d'approche critique ou de contextualisation des sources de l'islam. Il en résulte une espèce de mimétisme caricatural où, après un cursus d'études islamiques courtes, des référents religieux arborent l'habit du « savant », signe d'une légitimité non sujette à discussion.

Renouer avec la Tradition pour redonner du sens au monde

Ces deux défauts majeurs influencent fortement la façon dont les musulmans, particulièrement ceux qui entretiennent un lien avec les sphères cultuelles, se pensent et agissent dans un islam hyper-normatif. J'entends par là un islam où chaque fait et geste est systématiquement renvoyé à
une source scripturaire censée déterminée « La » bonne façon de l'accomplir sous peine de s'exposer à un châtiment divin. Je vise également un islam où les dés sont pipés dès le départ puisque le musulman ne peut pas se projeter dans un champ pluriel de possibilités d'interagir avec la religion.

Si l'on n'y prend garde, le risque de voir se multiplier des « parcours de fragilisation » est là, devant nous. Cette fragilisation a pour caractéristiques majeures la peur exagérée du courroux divin, une approche maladive de la « pureté » et une exacerbation du caractère sacré des sources scripturaires. Cela entraine, a minima, un sentiment épidermique d'agression dès lors qu'une critique de l'islam, fusse-t-elle émise par un musulman, effleure ce « tout sacré ». A maxima, elle peut entraîner le musulman fragilisé dans la spirale infernale du repli sur soi et du rejet d'un monde considéré comme fondamentalement hostile.

En conséquence, c'est toute la façon dont les musulmans « donnent à voir » l'islam qui est plus ou moins impactée. Aussi, il n'est pas normal qu'un musulman soit persuadé que la vérité théologique s'incarne dans une approche du monde univoque ; depuis la vision de Dieu jusqu'à la façon de se mettre au lit, en passant par une manière unique de se vêtir et la séparation avec un environnement jugé corrompu.

Les diffuseurs de discours, quant à eux, tiennent leur part de responsabilité dans la diffusion tous azimuts – Internet et paraboles aidant – d'une vision négative et prohibitive du divin. Ils doivent avoir à l'esprit qu'ils sont une partie du problème et de la solution. Le temps est venu qu'ils reviennent à la Tradition, la vraie tradition critique et polémique, afin qu'ils offrent au monde une nouvelle perspective de sens parce qu'ils donneront à voir un islam porteur d'un sens nouveau.

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