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Brice Hortefeux, libre de tout remord

Brice Hortefeux était convié lundi soir par le CFCM (Conseil français du culte musulman), en sa qualité de ministre des cultes, pour participer à la rupture du jeûne du ramadan. Loccasion pour le gaffeur de Seignosse de mettre en scène un semblant de repentance devant un parterre de notables policés, en évoquant des regrets sans présenter pour autant la moindre excuse.

Crépuscule sur le bois de Boulogne. Aux alentours, les sirènes des cars de CRS retentissent avec fracas, perturbant la quiétude des riverains affairés à leurs discrètes occupations. Le Pavillon Dauphine sapprête à accueillir celui qui agite les esprits depuis quelques jours, pour ses propos tenus à légard dun militant UMP au teint basané qui ne correspondrait pas, dès lors, à un mystérieux « prototype ». Peu avant 20h, Brice Hortefeux arrive en terre conquise pour une rencontre prévue de longue date. Ce soir, il sait quil pourra compter sur laccueil chaleureux et bienveillant des dirigeants du CFCM, visiblement honorés de le recevoir parmi eux.

La sécurité est sur le qui-vive. Comme si cela ne suffisait pas de faire bloquer les sorties du métro par des policiers plastronnés, au cas où déventuels sauvageons djihadistes viendraient prendre dassaut la forteresse, la méfiance vise également les journalistes, tenus à bonne distance du ministre, quitte à provoquer des bousculades. Les cameramen en particulier seront priés de rester parqués à lautre bout de la table dhonneur. Dans leur viseur : Mohammed Moussaoui, l’affable Président du CFCM, entouré, à sa droite, de Brice Hortefeux, maître de soi, et, à sa gauche, de la secrétaire dEtat à la Ville, Fadela Amara, toujours égale à elle-même, pétulante et hilare par moments sans que lon en sache exactement la cause. Plus loin, le président PS de la région Ile-de-France, Jean-Paul Huchon, lair absent, malgré sa voisine disserte et camarade de parti, la réalisatrice Yamina Benguigui .

Rompre le jeûne et le silence

Fastueuse réception, à mille lieues de laustérité que lon pourrait prêter à la tradition dépouillée du jeûne. Une quinzaine de tables généreusement pourvues, pouvant accueillir chacune jusquà dix âmes affamées de victuailles terrestres. Chorba, poissons, filets de veau, haricots et pommes sautées au menu. Le gratin du tout-Paris religieux, quelques parlementaires, des ambassadeurs du monde arabe, une poignée de journalistes vedettes du Moyen-Orient : près de 200 personnes sont réunies pour l’Iftar. Un modèle embryonnaire du dîner du CRIF, avec davantage de seconds couteaux . Sous la coupole du Pavillon, lunique star de la soirée, le personnage controversé sur qui tous les regards sont tournés, réussissait finalement à afficher la fausse décontraction de celui qui aurait préféré être ailleurs.

Dordinaire roublard et bavard, lhomme est méconnaissable. Presque effacé. Brice Hortefeux souffre désormais dun mal quon ne lui connaissait pas. En lespace dun week-end, il est devenu aphone. La preuve ? Il suffit de lui braquer une caméra à moins dun mètre de distance pour que ce grand gaillard soit tout à coup tétanisé. « Monsieur le ministre, un mot pour apaiser la polémique ? », a-t-on à peine, avant le discours officiel, l‘occasion de lui demander, les yeux dans les yeux, alors qu‘il se lève momentanément pour se diriger vers une table voisine saluer d‘autres convives. Brice Hortefeux vous dévisage alors avec stupéfaction, comme si la question était formulée dans une langue barbare, ou, plus probablement, hors de propos. Aucun commentaire n’émane de ses lèvres, si ce n’est un étrange sourire, difficilement retenu. Crainte de commettre une nouvelle bévue ? Consigne directe du pouvoir- de Nicolas- déviter de proférer toute nouvelle saillie ? Le ministre paraît groggy .Et, surtout, désireux de se maintenir sur ses gardes.

Le florilège de ces derniers jours laura sans doute quelque peu malmené : se donner en spectacle arabophobe pour plus d’un million dinternautes qui ont consulté la vidéo du scandale, devenir la cible dune partie de lopposition qui le somme de démissionner, être publiquement soutenu par l’extrême droite, se faire sermonner par son vieil ami Nicolas, figurer piteusement en couverture de nombreux quotidiens étrangers, subir la plainte du MRAP, être désapprouvé par sa populaire collègue Rama Yade, n’en jetez plus.

L’ombre de lui-même

Harassé, le trublion caustique qui paradait autrefois à fière allure, à la rencontre des journalistes, fait désormais profil bas, les préférant au loin, surtout sils sont munis dun quelconque micro. Nul ne sait sil sagit de le préserver ainsi des questions indélicates ou bien de le protéger de lui-même et de sa propension à vouloir « faire le malin » comme lui aurait récemment reproché le chef de l’Etat.

Après le discours lénifiant du président du CFCM, place au ministre. Dentrée de jeu, la séquence rhétorique ciselée au mot près, option « fendre larmure » : « Je suis ému de penser que, du fait d’un certain tohu-bohu médiatique, et d’une interprétation totalement inexacte, des personnes ont pu être blessées dans leur être et leurs convictions ». Un ange borgne passe. « Je veux donc dire mes regrets, au delà d’une polémique inutile et injuste », précise Hortefeux, à l’attention, sans doute, des interprètes qui, par incompétence ou malveillance, sont « totalement  » dans l’erreur.

Dans sa grande mansuétude, le CFCM accueille ses déclarations avec satisfaction. Pour atténuer la polémique, le vice-président du Conseil, Haydar Demïryurek, évoque le « devoir d’hospitalité » qui sied, selon lui, aux musulmans pour accueillir, « comme il se doit », leministre de l‘intérieur chargé des cultes. Interrogé sur d’éventuelles dissidences au sein même du Conseil sur le sujet, il botte en touche, indiquant néanmoins que s’il consentait à répondre à cette question, les journalistes en feraient leurs choux gras. Merci, précisément, pour cette réponse, monsieur le vice-Président.

Tendre l’autre joue

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Quant à Mohammed Moussaoui, s’exprimant au nom de la communauté musulmane, il esquive le fond de l‘affaire, préférant dénoncer les « médias », coupables de jeter de l’huile sur le feu, tout en s’attaquant à la « dame de la vidéo », en l’occurrence Marie Apathie, secrétaire départementale de l’UMP dans les Landes, qui aurait tenu, d’après lui, des propos autrement plus graves. C’est elle, notamment, qui s’était réjouie de « l’originalité » d’Amine Benalia-Brouch, ce jeune Franco-Kabyle inscrit à l’UMP , qu’elle décrit comme « catholique, aimant le cochon et la bière » avant de le désigner comme étant « notre petit Arabe ».

Moussaoui ne voit pas de faute dans l’absence d’indignation, à ce moment précis de l‘échange convivial, de la part de Brice Hortefeux ou de Jean-Francois Copé. Et pour mieux défendre le ministre, il rappelle que celui-ci lui aurait témoigné personnellement de sa profonde aversion lors de la profanation d’une mosquée de Toul, peu avant le début du mois de Ramadan. « L’erreur est humaine », ajoute Moussaoui qui pardonne implicitement à Hortefeux, jugeant qu’il a été dans l’incapacité de saisir la nature exacte des commentaires proférés par d’autres, autour de lui, allant même, comble de la mauvaise foi, jusqu’à le féliciter pour avoir « contredit » Marie Apathie sur la notion du bon « prototype » de l‘intégration.

De la poudre aux yeux qu’un certain Jean-Pierre Elkabbach était pressé de semer mardi matin : un reporter d’Europe 1 a vivement sollicité en aparté le dirigeant du CFCM pour l’interview matinale du journaliste sarkophile, qui serait très motivé, selon l’intermédiaire, pour le recevoir, escomptant, sans doute, propager de la sorte la bonne parole du pardon, quitte à décommander l’invité prévu initialement. Et ce fut chose faite dans la nuit. Comme Jean-Pierre Elkabbach le voulait, Moussaoui s’est exécuté, accordant une interview calibrée afin de pouvoir attester, au micro de l’ami du président de la République, de la « sincérité » d’Hortefeux, cet honnête homme cruellement lynché par de vils médias.

Ancienne gloire chiraquienne de l’islam gallican, le recteur de la Grande Mosquée de Paris, l’inénarrable Dalil Boubakeur, s’est fendu pour sa part d’une déclaration d’amour inattendue pour Brice l‘incompris : indulgent, il reconnaît le « lapsus » d’Hortefeuxmais insiste, extatique, sur le « bilan positif » de ses déclarations, préférant conclure par une pirouette, un brin sybilline : « L’affaire est close, et plus que close ! ». Une affaire embarrassante qu‘il s‘agit donc de clore définitivement. L’Iftar républicain prend dès lors un tout autre sens : celui d’une belle cérémonie pour un enterrement programmé.

L’allégeance plutôt que la défiance

Organisateur de ce rituel mondain, le CFCM avait le choix entre la défiance et l’allégeance, suite aux commentaires d‘Hortefeux sur les Arabes, « problématiques quand ils sont nombreux ». Mais n’ayant sans doute ni la volonté politique ni l’audace morale de déplorer avec vigueur le « dérapage » de leur ministre de tutelle, ses représentants ont joué la carte de la conciliation. Des propos arabophobes que Jean-Paul Huchon, assis, non loin du ministre, à la table principale du repas, qualifiera, mezzo voce, de « grande vulgarité d’âme ».

Quant à l‘intéressé, outre son discours taillé sur mesure, il ne pipe mot quand on le harcèle à nouveau pour qu‘il daigne répondre, face à face, aux journalistes. Nulle remarque sur l’éventualité de présenter un jour de réelles excuses, ou sur sa vision du rôle qu’aurait joué Internet, bouc émissaire idéal pour ses compères de l‘UMP, machine diabolique et coupable des pires vicissitudes, comme celle de mettre rapidement en ligne l’objet journalistique tabou de la vidéo capturée, et aussitôt censurée, par Public Sénat et La Chaîne Parlementaire.

La pièce s’achève vers 23H. Sortie générale du Pavillon Dauphine, sous une pluie battante. Brice Hortefeux quitte le bunker d’un soir, escorté par une garde improbable, composée, entre autres, de Mohammed Moussaoui et Dalil Boubakeur. Le ministre des cultes quitte ses ouailles républicaines, s’en allant comme un ami que l’on accompagne à sa voiture avant de le voir disparaître, au loin. Pour cet au revoir mis en scène, de manière expéditive, à destination des caméras, ils sont « nombreux, les Arabes », à lui tenir compagnie. Pourtant, curieusement, cela ne semble pas poser de « problème » pour Brice Dupont Lajoie. Comme le personnage homonyme du film, Hortefeux pratique avec désinvolture un racisme souriant, débonnaire, parfois condescendant, souvent gras. Son ancien collègue de gouvernement, Azouz Begag, dit avoir été « traumautisé » par les saillies xénophobes, grossières et répétées, de l’Auvergnat sans langue de bois.

A la bonne franquette

Et quand, devant un auditoire trop bien éduqué pour se révolter, on assène des doubles phrases, incongrues et équivoques, comme « la République combat l’islamophobie tout comme elle combat l’islamisme », on peut tout se permettre. Y compris de passer à l‘antenne, entouré de quelques vénérables théologiens inoffensifs, si éloignés de l’image entretenue, toujours efficace sur un plan électoral, de ces jeunes Arabes, Français paraît-il, souvent nombreux et, par essence, problématiques. Depuis la récente annonce par Jean-Marie Le Pen de sa retraite politique en 2010, une place est à saisir, à droite de la droite. Afin d’attirer à lui les électeurs orphelins du Front national, nul doute que Brice Hortefeux continuera d’appliquer, plus subtilement, la recette démagogique de son mentor Nicolas Sarkozy. « Kärcher…racailles…les moutons égorgés dans la baignoire », entre autres perles sémantiques. Plutôt que le charabia d’un langage nuancé, la franchise du « parler vrai », dans toute sa splendeur.

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