Cédant à un emballement qui présente tous les symptômes de l’islamo-paranoïa aiguë, l’établissement secondaire belge « L’Athénée royal de Jette » a manqué cruellement de discernement, vendredi 4 décembre, en s’imaginant que derrière le jeune Yassine, 16 ans, sommeillait un « islamiste » en herbe faisant l'apologie du terrorisme en classe.
C’est au détour d’un débat scolaire portant sur les attentats de Paris et la religion que l’adolescent a été encouragé à s’exprimer par son professeur, mais en se libérant, sa prise de parole, sans arrière-pensée et émise à l’unisson de l’opinion générale, a inspiré de bien mauvaises pensées à l’enseignant, avant d’affoler l’équipe éducative, jusqu’au sommet de la hiérarchie. Cette véritable tempête dans un verre d’eau prêterait à sourire si elle n’avait été aussi lourde de conséquences pour Yassine et sa famille…
De là en déduire que la liberté d’expression d’un lycéen musulman est un peu moins libre, et davantage sujette à caution, que celle de ses petits camarades de classe non musulmans, il n’y a qu’un pas que l’on franchit allègrement en apprenant l’irruption fracassante de policiers à l'école, dès le lendemain d’un débat qui avait scellé le sort de Yassine, à son insu.
"Le professeur insiste alors pour que mon fils Yassine participe. Et ce dernier lâche: je suis d'accord avec les autres. Les autres, à ce moment-là, évoquaient l’éventualité d'attentats à Bruxelles, notamment dans le centre-ville, à De Brouckère. En fait, ils ne faisaient que répéter ce qu'ils avaient entendu aux informations pendant qu'on était plongé dans le niveau 4 d'alerte terroriste », relate Sophie dans un entretien à la RTBF, la mère bouleversée de Yassine qui n’en revient toujours pas de l’hystérie collective qui s’est emparée de l’Athénée royal de Jette et de l’interpellation traumatisante subie par son fils.
Celui-ci, bien ingénument, pensait qu’il allait se faire remonter les bretelles pour ses retards en cours, mais l’incroyable réalité l’a fait brutalement revenir sur terre. Conduit au poste manu militari et soumis à la question lors d’un interrogatoire mené sans ménagement, Yassine a eu le temps, pendant près de deux heures, de réaliser qu’il était suspecté d’apologie du terrorisme pour avoir simplement relayé, comme nombre d’autres élèves, ce dont les médias se faisaient l’écho à longueur de journaux télévisés : la possibilité que des répliques des attentats de Paris aient lieu en Belgique.
"On leur demande de parler de leur situation familiale, comment ça se passe à la maison, de leur parcours scolaire… On leur demande aussi de répéter ce qu'ils ont dit en classe",a précisé sa mère, en indiquant que la police poussera le bouchon jusqu’à lui demander s’il mesurait la gravité de ses dires…
"J'aurais préféré que le professeur vienne m'en parler pour qu'on puisse éclaircir les choses", dira Yassine aux policiers. "Je ne pensais pas que cela allait avoir de telles conséquences", a-t-il confié, ressortant très éprouvé de son arrestation abusive et d’un placement en garde à vue humiliant qui en a fait, sans l’ombre d’un doute, le coupable idéal aux yeux de tous. Fort heureusement, Younès, son frère jumeau, a été finalement épargné par la police, alors que l’épée de Damoclès de la garde à vue pesait également sur lui.
"On nous dira que ce n'est plus la peine", a poursuivi leur maman, en s’insurgeant contre les dérives sécuritaires alarmantes de la psychose du terrorisme : "Mes fils assistent à un cours où il est question de débat, de citoyenneté. Et lorsqu'ils se mettent à discuter, on ne les écoute pas, on les juge, on les prend pour des terroristes et on appelle la police, sans le moindre discernement. A ce rythme-là, toutes les classes du pays seront vidées de leurs élèves! Ce qui me surprend, c'est qu'alors que toute la classe participe à ce débat, on a ciblé mes fils qui sont de confession musulmane et leur copain d'origine turque. Pourquoi?"
Après avoir vainement tenté de joindre la directrice de l’établissement scolaire ainsi que le Préfet, murés dans un silence assourdissant, Sophie a accueilli avec un immense soulagement la conclusion de la police, évoquant un malheureux « malentendu », et c’est un doux euphémisme, pour expliquer la peur panique irrationnelle d’un enseignant qui, comble de l’ironie, est un fervent défenseur de la libre expression.
Pour cette famille ébranlée par une épreuve qui paraissait, il y a peu encore, inimaginable, une chose est certaine désormais : le fameux débat d’idées, aussi contradictoire soit-il, prôné par les esprits éclairés des Lumières a ses limites quand les débatteurs sont musulmans…
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