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Le terrorisme : un spectacle de violence, une recette de la peur

Le ventre est encore fécond d’où a surgi la bête immonde, le drame de Trèbes vient une fois de plus nous le rappeler. Ecrire en ces moments de douleur sur les explications du terrorisme (pas les excuses) en devient entreprise difficile, voire périlleux ; et pourtant…
   Terrorisme, terroriste, terreur. Ces mots, maux d’un XXIe siècle qui cherche un nouveau souffle, nous interpellent et nous interrogent à chaque instant. Ils suscitent en nous incompréhension et indignation ; mais atteints de ce que Shelley Taylor nomme « avarice cognitive », nos interrogations se contentent de brasser sur les vagues de l’actualité spectaculaire faite de manchettes accrocheuses et, malheureusement souvent, de fake news. Nous en sommes devenus des otages de ceux que Pierre Bourdieu nomme les fast thinkers, ces spécialistes autoproclamés de la pensée rapide, qui pensent plus vite que leur ombre. Penser exige un scaphandre qui résiste aux tourbillons spectaculaires et émotionnels de l’actualité, une plongée dans les abysses de la complexité humaine ; c’est à ce prix, et seulement à celui-ci, que nous pouvons comprendre, à minima, des morbidités aussi préoccupantes que le phénomène du terrorisme contemporain.
   Olivier Roy, dans une tribune publiée dans Le Monde (25 novembre 2015), largement reprise et commentée, inversait la tendance de la pensée dominante en ce qui concerne le djihadisme islamiste. Selon lui, c’est la radicalité qui s’islamise et non l’islam qui se radicalise. Cette proposition nous oblige, si nous y adhérons (ce qui est mon cas), à explorer les racines du terrorisme djihadiste, non pas dans les arcanes de la religion musulmane principalement, mais en privilégiant la perspective anthropologique. L’islam n’étant ici qu’un révélateur, propice certes, un larron opportun qui dévoile un mal à la fois sociétal et politique. Car si l’islam était intrinsèquement violent et terroriste, on retrouverait des traces de cette malédiction partout dans le monde musulman et à toutes les époques de son histoire. Or, que constatons-nous ? Que le terrorisme islamiste a une date de naissance : l’avènement de l’islam politique sur la scène internationale avec la révolution iranienne en l’occurrence pourrait en signer le premier déploiement d’envergure. Qu’il a des lieux de naissance : les pays en proie à des soulèvements populaires socio-politiques et les grandes puissances impérialistes initiatrices et partisanes du désormais célèbre « droit d’ingérence ».
   Mais de quoi parlons-nous exactement lorsque que nous brandissons à coup de logorrhée cette « arme absolue de langage » connue sous le nom de « terrorisme ». Entendons-nous et comprenons-nous la même chose ? Mis à toutes les sauces, le mot en finit par perdre tout son pouvoir sémantique. Et l’on sait aujourd’hui qu’il peut être utilisé pour justifier les tyrannies les plus injustifiables. S’il n’existait pas certains dictateurs et autres propagandistes des puissances dominatrices l’auraient vraisemblablement inventé pour mieux asseoir leur pouvoir ou promouvoir leurs idéologies. Mais faisons court, les lignes sont comptées : le terrorisme, c’est l’arme du faible, l’arme de celui qui, conscient de sa faiblesse, de son impuissance à changer quoi que ce soit, chevauche le pégase de la peur. Le terroriste, à défaut de triompher, sème la terreur, mais comme l’on dit très souvent : il fait plus de peur que de mal. Il cherche à affecter notre imagination de sorte qu’on ait le sentiment de régresser dans le chaos d’un temps moyenâgeux. Pourtant, à regarder les chiffres, ceux que nous offrent l’implacable et objective statistique, on se rend bien compte que sa réalité est largement surévaluée, car surmédiatisée. Aussi devons-nous, pour mieux y voir, cesser de figer nos regards sur les titres des médias pour mieux appréhender la réalité des faits nichée dans la dynamique des courbes et les indicateurs chiffrés.
   Que dit l’arithmétique statistique ? Qu’en 2012, autour de 56 millions de terriens sont morts à travers le monde, que 620 000 seulement l’étaient à cause de la violence humaine, que 120 000 ont été victimes de la guerre contre 500 000 victimes du crime. Pendant ce temps le monde a dénombré 800 000 personnes mortes de suicide et 1,5 million du diabète. Le sucre est devenu plus dangereux que les armes à feu. Alors que dans les sociétés anciennes 15% des décès étaient liés à la violence humaine, ce taux est descendu, au XXIe à 1%. Est-il besoin de rajouter les chiffres concernant le tabac ? Philip Morris n’est-il pas, lui aussi un pourvoyeur de mort, plus efficace qu’Al-Qaïda ? Concernant les terroristes proprement dits, en 2012, ils ont fait 7697 victimes dans le monde, la plupart dans les pays en développement. Pour cette même année, l’obésité et ses maladies corollaires ont fait autour de 3 millions de victimes. Coca-Cola et compagnie représentent, au vu de ce que la mathématique dévoile, une menace plus mortelle que ces terroristes qui nous foutent la trouille.
(Source: Global Health Observatory Data Repository, Global Study on Homicide)
   Où l’on voit que ces terroristes, sans être capables de vaincre nos armées, d’occuper nos pays et de détruire nos villes, ont d’une certaine façon gagné la bataille de la communication car ils occupent, à eux seuls, une bonne partie, la plus grande, de l’activité médiatique, politique et policière, voire militaire. On me rétorquera le cas Daech, qui, un moment a occupé une partie du territoire irakien et syrien. Sans doute, mais il faut juste rappeler que derrière cette machine djihadiste mortifère se dissimulent des intérêts de puissances régionales, et même au-delà. Ce qui une fois de plus accrédite l’hypothèse géostratégique et géopolitique comme variables lourdes du terrorisme contemporain. Ce je cherche à dire, au fond, c’est que les terroristes se servent de nous pour arriver à leur fin. Sans nous, ils ne représentent pas grand-chose. L’Israélien Yuval Noha Harari, dans son livre Homo deus, illustre ce fait par une métaphore fort intéressante : « Les terroristes, dit-il, sont pareil à une mouche qui essaierait de détruire un magasin de porcelaine. Elle est trop faible pour bouger ne serait-ce qu’une tasse de thé. Elle trouve un éléphant, se glisse dans son oreille et se met à vrombir. L’éléphant enrage de peur et de colère, et détruit le magasin de porcelaine. » Pour semer le chaos dans la poudrière moyen-orientale, le 11 septembre 2001 a suffi ; depuis ce jour le terrorisme djihadiste essaime comme métastasique sur tous les territoires musulmans porteurs saints d’instabilités politiques.
   Il prospère aussi en Occident, pour des raisons somme toute évidentes : il s’agit de ce que certains appelleront un retour à l’envoyeur. Car n’ayant pas les moyens de faire face à la déferlante puissance de feu des armées occidentales qui opèrent impunément dans les prospères et instables endroits d’un monde musulman en déphasage préoccupant avec le XXIe siècle des Lumières généralisées, les groupes terroristes leur opposent une puissance asymétrique faite de bombes humaines recrutées en Occident même, y opérant surtout. La boucle se boucle. Aussi Michel Onfray, le philosophe qui écrit plus vite que son ombre, n’hésitera-t-il pas, à contre-courant de la pensée dominante, à dire que « l’Occident attaque prétendument pour se protéger du terrorisme, mais il crée le terrorisme en attaquant […] Droite et gauche qui ont internationalement semé la guerre contre l’islam politique récoltent nationalement la guerre de l’islam politique ». Cette guerre nationalement menée par l’islam politique, dans un Occident devenu stressé et peureux, s’appuie sur une cinquième colonne formée par les enfants issus de la diversité migratoire épaulés en cela par des convertis aux parcours et conditions psycho-sociales quasi similaires.
   Qui sont ces guerriers de l’apocalypse djihadiste ? Ce sont essentiellement  des paumés, des suicidaires en puissance, issues de l’immigration trente-glorieuse. On les identifie sous nom d’immigrés de deuxième génération. Olivier Roy constate avec justesse qu’on ne rencontre pratiquement pas de terroristes dans la génération de parents ; et pour cause, celle-ci est faite de laissés pour compte venus des pays pauvres et qui estiment tout devoir à l’Occident de l’opulence. Invités à la table occidentale, ils se sentent tenir sur une chaise éjectable, ils se tiennent à carreau et rasent les murs pour ne pas se faire remarquer. Quant à la troisième génération d’immigrés, elle est complètement dissoute dans la chimie assimilatrice du sol d’accueil : plus occidentale qu’elle, tu meurs. De son héritage culturel ne subsiste que des traces, à peine visibles.
   Reste cette deuxième génération, celle de la transition culturelle. Assise sur un entre-deux-racines, elle se cherche, cherche sa place dans un environnement inconfortable. En conflit avec leurs parents à qui ils reprochent la frilosité, la carence d’éducation et l’assignation à résidence banlieusarde dont ils font l’objet, et tous ces autres déterminismes sociaux qui ont orienté leur orientation scolaire vers les voies garages sociales ; en conflit avec la République qui a oublié leurs territoires, leur a obstrué l’accès à l’ascenseur social, ne les a pas assez protégés des discrimination de toutes sortes, les jeunes de la deuxième génération qui vivent l’adolescence de l’intégration se révoltent, insoumis. Ils deviennent incontrôlables, posent de vrais problèmes politiques, mais faute d’instruction, ils les politisent mal. Orphelins de la République, ils doivent s’inventer, eux-mêmes, des chemins rédempteurs.
   (Je ne parle pas des jeunes de la deuxième génération qui réussissent malgré tout, et il y en a. Je me focalise uniquement et délibérément sur les trains qui n’arrivent pas l’heure.)
   S’inventer un nouveau destin dans une vie vide de toute signification, combler l’espace que l’école n’a pas su remplir demandent une telle énergie résiliente et une telle niaque qu’apparemment ils ne possèdent pas. La marge de manœuvre, la liberté de penser, de mouvement sont si étroites qu’ils vont se contenter, dans leur condition (parce que le moindre effort, comme le bon sens, fait partie des choses les mieux partagées) de céder au plus facile : violer la loi de la pesanteur relève d’un combat de titans que seuls peu d’entre nous gagnent. Désœuvrement, frustration et aigreur emplissent leur quotidien, ils les ruminent du matin au soir ; et pour ne pas devenir fou ou mourir dans ce fond plat où il est difficile de rebondir, dans une tentative désespérée, suicidaire même si on y regarde de près, ils sombrent dans le guêpier de la violence mortifère. A ce stade de leur chute remplie de haine, ils voient s’ouvrir à eux deux trajectoires. Il en existe bien sûr d’autres, mais leur haine les aveugle et grignote jour après jour la part d’humanité et de compassion qu’on éprouverait pour l’autre justement parce qu’il n’est pas des nôtres.
   Deux voies donc, qui ont pour point commun la haine et la violence. Cherchant à s’extirper de la déchéance qui empoisonne leur existence, ils s’enfoncent inconsciemment, toujours un peu plus, dans celle-ci. Un psy attentif trouverait dans cette fuite en avant existentielle beaucoup de choses à dire et redire. A l’image de celui qui trébuche dans les escaliers et court de plus en plus vite pour ne pas se ramasser, les jeunes finissent par se retrouver au sol, celui de l’univers carcéral où les morbidités de la déchéance, loin de s’y amenuiser, s’y remobilisent ragaillardies par les rites de l’initiation carcérale. La première voie qui mène vers la prison et ses quartiers de haute sécurité est le banditisme : du vol à l’étalage à la grande délinquance, du petit trafic au cartel, les jeunes s’ouvrent les portes de l’argent facile qui perce, à son tour, les autres portes dérobées du luxe mal acquis.
   La deuxième voie, plus sournoise, commence par un repli identitaire et confessionnel. On tourne le dos au banditisme quotidien : adieu la luxure, les drogues et les incivilités. On se réfugie derrière le binaire du halal et du haram, réducteur et dogmatique. Ce remède, en apparence salvateur, rassurant, dans un premier temps, pour les parents qui voient leur fils s’éloigner des sentiers du banditisme pour le noble sentier d’Allah, se révèle assez vite comme le pendant inavoué de la cellule de prison à laquelle on vient d’échapper. D’un enfermement l’autre, on tourne le dos au monde qui nous a fermé la porte sous le nez, à ses tentations, sa luxure et ses kouffar voués à la géhenne. L’islam des parents est dénigré car folklorique, naïf et teinté de traditions ancestrales aux antipodes de la pureté de l’islam des débuts, celui que pratiquait Prophète et ses compagnons bien guidés. On élit domicile chez les frères de la mosquée d’en face où l’on rentre dans une nouvelle fraternité sectaire, celle-ci, loin d’apaiser les cœurs meurtris, jouera sur la fragilité psychologique et intellectuelle des oubliés de la république pour attiser en eux une haine encore plus mortifère. Ils deviennent des bombes humaines prêtes à exploser.
   La mosquée donc, celle virtuelle de l’Internet surtout, en devient un terreau favorable aux manifestations terroristes dès lors planétaires. Et si l’islam, le Coran en l’occurrence, n’est ni violent ni terroriste, il est vrai que la plupart des terroristes se réclament de l’islam ; ce qui nous oblige à interroger le texte coranique pour savoir ce qu’il en est réellement. Nietzsche disait, dans Par-delà bien mal : « Ce qui est nourriture ou rafraîchissement pour les individus supérieurs devient presque un poison pour une humanité très différente et inférieure […] Il est des livres qui ont une valeur opposée pour l’âme et la santé, selon qu’ils agissent sur une âme basse et une énergie défaillante ou au contraire sur une âme haute et une énergie vigoureuse ; dans le premier cas ce sont des livres dangereux, débilitants, dissolvants, dans l’autre d’exaltants appels qui provoquent les plus courageux dans le sens de leur courage. » A en croire le philosophe au marteau, toute lecture porte l’empreinte de son lecteur, autrement dit, celle-ci en dit davantage sur celui-là. Point de doute, le Coran, entre les mains d’une âme basse à l’énergie défaillante est soit un explosif dangereux, soit une forge à produire de la niaiserie.
   Je résume. Le terrorisme est une réalité préoccupante qu’il est indécent de nier. Il est un fléau non pas parce qu’il nous dissémine mais par la terreur qu’il cherche à susciter en nous, il nous inocule le virus de la peur. Et comme dit Luc Ferry, la peur, ça rend bête et méchant. Nous devons donc nous efforcer à avoir un regard lucide et posé sur cette réalité qui sape le vivre-ensemble dans les pays qui se veulent démocratiques et « civilisés ». D’où un avertissement à l’égard de ceux et celles qui nous dirigent, d’où un avertissement à ceux qui nous informent. La surévaluation, la surmédiatisation, les surenchères opportunistes discréditent autant ceux qui luttent contre le terrorisme que les terroristes eux-mêmes. Quel meilleur moyen que celui-là pour mettre de l’eau dans le moulin conspirationniste ? Le terrorisme pousse sur un terreau approprié et bien identifiable, celui de l’injustice sociale, des inégalités criantes, du manque d’instruction et d’éducation. L’instruction nuit gravement à la niaiserie, religieuse surtout ; elle nous libère et nous rend autonomes, c’est l’esprit des Lumières tel que le déclinait Emmanuel Kant dans un article qui date de 1784. Sapere aude, rappelait-il. C’est à ce prix qu’un pays protège ses jeunes et moins jeunes contre les dangereux gourous qui, au nom de lectures ignares des textes religieux, leur sucent le cerveau.
 

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3 commentaires

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  1. Oumma.com devrait rendre la lecture de ce texte obligatoire à quiconque veut intervenir sur ce sujet. Et un exercice de contrôle permettrait de vérifier que TOUT a été compris …
    Bon, je blague. Mais c’est à partir de ce niveau là qu’il faudrait situer les débats !
    Chapeau l’auteur. Rien n’y manque.

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