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Appel du père jésuite syrien Nebras Chehayed aux Evêques de Syrie

La crise que traverse la société syrienne prend souvent des intonations confessionnelles. Les médias du régime s’acharnent à nier l’évidence, à savoir que cette crise est née de la répression brutale d’une revendication initialement très pacifique et très profane de « liberté ». Ils persistent à défendre contre toute vraisemblance la thèse d’une réaction  légitime que leur aurait imposé le « complot » de « bandes d’extrémistes » « infiltrés» de l’étranger pour attiser une guerre confessionnelle destinée à miner l’unité syrienne au profit de ses ennemis de toujours.

La configuration internationale qui voit, une fois n’est pas coutume, des puissances occidentales très illégitimes surfer une révolte populaire pour se débarrasser de l’un des seuls acteurs régionaux à n’avoir pas encore cédé aux sirènes de la Pax Americana avec l’Etat hébreu nourrit – par crainte d’une nouvelle ingérence armée – de regrettables désaveux réactifs de la dynamique protestataire. Pour diverses raisons, en Syrie, la hiérarchie des Eglises chrétiennes a jusqu’alors choisi de ne pas se départir publiquement de la thèse grossièrement manipulatrice des autorités.

Les Chrétiens de Syrie, tant s’en faut, et pas davantage  le clergé ne se soumettent pas tous pour autant à cette interprétation hasardeuse. L’appel lancé dès le début de l’été 2011 par le père jésuite Nebras Chehayed aux évêques de Damas témoigne de la précocité de ce refus courageux de tous ceux qui, toutes appartenances confondues, refusent de se laisser emprisonner dans une lecture sectaire du douloureux « printemps syrien ».

Une tache de sang sur nos autels

L’Eglise a toujours prôné le droit pour chacun à la liberté et à la dignité. Elle a toujours incité les laïques à lutter sans relâche pour ce noble objectif. Elle a demandé aux hommes de religion de faire leur cette obligation, sans toutefois s’impliquer directement en politique pour qu’ils restent capables de jouer leur rôle de référence collective.

En Syrie, où en sommes nous de cet engagement ? Parmi nos prêtres, il y en a qui sont membres du Baath, parmi nos évêques il y en a qui n’hésitent pas à accepter de ne voir que des traîtres dans tout opposant et parmi nos patriarches, il y en a qui ne cessent de chanter les louanges du régime. Et pas un de nos prêtres n’ose laver les blessures de notre passé ; et pas un évêque n’ose se dresser face aux services de sécurité pour redire les paroles de l’Immortel : «Cessez de tuer !». Le 23 juillet, au lieu d’être un jour de prière et de jeûne comme l’avait demandé l’appel des évêques de Damas, le rassemblement des croyants à l’Eglise de La Croix s’est transformé en un festival de discours politiques ; et les larmes n’en sont devenues que plus brûlantes.

On ne consulte pas notre peuple. Quelques évêques parlent en son nom pour affirmer que « seuls ceux qui ne savent qu’approuver (le régime) ont raison ! Quand à « la liberté »…elle n’est rien d’autre que le fait d’un « complot » organisé par des «bandes». Comme si des êtres humains, chaque jour, ne sortaient pas de chez eux pour ne jamais y revenir. Les voix de ceux qui portent les dépouilles mutilées s’élèvent : « Pacifiquement, pacifiquement ». Mais le prédicateur leur répond en écho : « Des infiltrés », ce ne sont que « des infiltrés !».

L’armée a beau entrer dans les villes et les clameurs s’élever au dessus des rues, l’Eglise demeure plongée dans son silence approbateur : « Oui, oui ! ». Et les larmes n’en deviennent que plus brûlantes encore. L’avenir du mouvement en cours ? Rien d’autre que la création « d’Emirats Salafis » !

Comme si jamais aucun Chrétien ou aucun laïque ne sortait des mosquées le vendredi (pour se joindre aux manifestations), comme si les militants civils n’étaient pas enlevés à leur domicile, comme si nous n’étions pas voisins, comme si nous n’avions aucun passé en commun, comme si nous n’avions jamais partagé le pain, le sel ou le café. De la bouche de certains de nos prédicateurs les mots claquent comme autant de balles. Et de leurs gorges montent des expressions de haine qui tentent de faire taire ce que l’on ne peut pas faire taire : la voix d’Ibrahim Qachouche * (le larynx du chanteur révolutionnaire de Hama a été arraché par ses tortionnaires ndt).

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Et du corps du Messie sur les autels ce sont Hamza et Hajar qui saignent ; et du flanc de ce Nazaréen ce sont Hama et Deir ez-Zor qui se vident de leur sang !

L’église, au lieu de réaffirmer les valeurs humanistes, au lieu de laisser à ses fidèles la liberté de leurs choix politiques, selon leur conscience, au lieu de conseiller aux responsables de cesser la répression, et aux manifestants de garder leur sang froid pour que le pays ne soit pas entrainé vers le pire. Au lieu de resituer le soulèvement de la rue dans son cadre historique, celui de décennies répétées de corruption et de privation de libertés, quelques hommes d’église ont opté pour l’allégeance en faveur du régime. Ils jouent de la musique, font la fête et entrainent nos jeunes dans les concerts organisés sur la place des Omeyyades à l’heure où ils devraient porter le deuil de ceux qui viennent de tomber, approfondissant ainsi les blessures.

De loin, la voix du Messie répète : « Donnez à Dieu ce qui est à Dieu et à César ce qui est à César ». Mais le prédicateur se contente de répéter : « Des infiltrés », des « infiltrés » ! Comme si rien ne s’était passé. Comme si notre peuple n’avait aucun souvenir, comme si tous les manifestants n’étaient que vénalité et crime. Comme si la peur avait crucifié l’espérance.

Pardonnez, messieurs et messeigneurs les évêques, les complaintes d’un petit moine comme moi qui connaît encore peu de chose de la vie, excusez les voix de ceux de vos enfants qui refusent le parti pris d’un grand nombre de vos hommes de religion. Dans le monde arabe, un printemps vient de jaillir et il sera la lumière de l’Eglise (« nuwwar », très lumineux, est également le surnom du mois de Mai).

« Nous sommes les deux yeux à travers lesquels sa miséricorde regarde ceux qui sont dans le besoin. Nous sommes les mains tendues pour la bénédiction et la guérison, nous sommes les pieds qui les portent pour aller faire le bien. Nous sommes les lèvres qui prononcent sa parole » a dit Thérèse d’Avila.

La paix, cela ne veut pas dire vivre loin du vacarme, des problèmes ou des corvées. Cela veut dire être capable d’affronter tout cela et de garder tout de même son âme en paix. (anonyme)

(Traduit de l’arabe par F B)

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