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Vers une révolution spirituelle

Politesse du politique

La situation des musulmans de France est absurde à plus d’un titre… Est « absurde », selon le Robert :« Ce qui est contraire à la raison, au sens commun… »  S’oppose, par exemple, à la raison et au sens commun – dans le cadre d’une République animée par des principes d’égalité et de justice – que des mesures gouvernementales portent délibérément atteinte au droit de ses sujet citoyens, au nom, précisément, des droits de l’homme et du citoyen.
La politique discriminatoire qui, depuis trop longtemps dans notre pays, touche des catégories de citoyens Français sur la base de leur origine ethnique et religieuse doit être combattue avec la dernière énergie pour autant que, selon les termes de  Robin Wood : « Un ordre social qui échoue à mettre en oeuvre ses principes éthiques fondamentaux amorce inéluctablement le processus de destruction de ces mêmes principes… »
Les musulmans de France sont actuellement les victimes d’un crime éthique. Aussi est-ce la puissance du concept qu’il nous faut convoquer d’urgence pour désarmer les jûnûd de la finance mortifère qui aspirent plus que jamais à condamner, coûte que coûte, les musulmans à la mort sociale et à l’impasse de la haine viscérale.
Quand le premier Hegel affirme que la société civile est la sphère d’intégration éthique garante de la reconnaissance sociale et de la dignité des individus, le corollaire implicite de son affirmation est que les acteurs qui se retrouvent exclus de ladite sphère par une domination quelconque disposent du droit de se révolter.
Et, de fait, la résistance à l’oppression est un droit naturel, inaliénable et sacré de l’Homme prévu dès l’article second de la Déclaration Universelle de 1789. Mais si, sur le papier, les musulmans français disposent bien du droit de résister à l’oppression, il semblerait que dans les faits – et ce dans la mesure même où l’on récuse de manière tacite chaque jour davantage dans la sphère publique la légitimitéde leur droit à l’expression politique – les musulmans de France soient désormais contraints de vivre l’expérience d’une oppression croissante.
Cela étant, l’islamophobie d’Etat repose sur une armature idéologique trop rigide et sophistiquée pour qu’on se risque à la défier de manière frontale. Prendre d’assaut la forteresse de l’idéologie raciste en installant le rapport de force là où les défenses de l’adversaire sont les plus massives – nommément, le champ du militantisme politique – est à tout le moins une stratégie discutable.
Si comme je le pense, c’est dans le champ de la spiritualité que le bastion du système dominant présente la faille la plus importante, c’est ce même champ qu’il nous faut investir en priorité pour tenter de reprendre le chemin de la conquête de nos droits civiques – qui est également celui de la conquête de notre dignité.
Aussi est-ce sur le terrain d’un « activisme intérieur » que la sagesse de l’islam soufi nous invite à fixer, en premier lieu, le cadre de notre engagement politique. L’arme dont nous disposons pour combattre la bêtise ne réside pas dans les slogans et les mots d’ordre réactifs, lesquels, le plus souvent, ne font qu’ajouter à la confusion et à la bêtise ; mais dans la prière et l’apprentissage de la Sunna de notre Modèle par où l’intelligence de l’esprit s’éveille pour éclairer le chemin du dialogue serein et équilibré.
Les accents iréniques de ce propos agaceront sans doute les plus militants d’entre nous. Mon intention toutefois pas tant ici de jeter le discrédit sur l’option militante que de tenter de la mettre en question ; en perspective. Mona Chollet, que l’on ne peut sans doute pas trop soupçonner de quiétisme, d’escapisme ou d’agnosticisme en politique, observe ainsi que : « La source du dysfonctionnement est en nous, à travers la conception que nous nous faisons de notre identité, de notre place dans le monde, des relations que nous entretenons avec les autres, avec notre environnement…C’est elle qui sert de pivot au système actuel. Le levier décisif du changement se situe donc au cœur de chacun et non plus dans l’adhésion à un programme politique jugé meilleur qu’un autre. » (Je souligne)
Je rejoins volontiers M. Chollet pour penser que le levier de l’émancipation politique ne réside plus dans l’action militante. Celle-ci demeure selon moi, dans l’état actuel des choses, une voie contre-productive pour les musulmans dans l’exacte mesure où inter-ditsdans l’interlocution de la vie citoyenne de même que dans un débat sur l’islam qui se tient quotidiennement sur eux sans eux, les sujets musulmans, tels qu’il sont désormais purement et simplement réifiés dans la sphère sociale, sont dorénavant contraints et forcés, s’ils veulent être entendus et reconnus, d’élever leur voix par-dessus la mêlée et d’initier des actions, des manifestations et des revendications qui ne peuvent, par définition, faire l’économie d’une certaine forme de violence, qui, fût-elle symbolique, n’en reste pas moins – émanant de musulmans – interprétée par une opinion publique plus que jamais conditionnée à associer l’islam à la violence, comme l’expression d’une haine potentiellement destructrice.
Ou dit autrement : la violence symbolique de la revendication, du slogan, de l’hyperbole rhétorique et du « coup de poing » dont une action militante qui se respecte ne saurait faire l’économie, retient davantage l’attention du public que le contenu sémantique de la revendication. Tel est le cercle de l’engagement improbable des musulmans dans l’arène du militantisme politique : nous militons et nous nous politisons pour nous faire entendre et reconnaître, tandis que notre « lutte pour la reconnaissance » actionne, toujours plus rapidement, la roue de la politique discriminatoire.
Tant que le stéréotype selon lequel tout musulman est porteur du gène de la violence fanatique prêt à se manifester à tout moment – sacrifiant dans le même mouvement la paix civile sur l’autel de sa soumission – continuera de structurer l’opinion publique occidentale, ces mêmes musulmans continueront de subir oppression et disqualification dans leur être et dans leurs actes.
Ou pour reprendre la dialectique du philosophe Alain Badiou : l’êtrede la minorité faisant l’objet d’une disqualification morale systématique dans la sphère médiatique, son évènementfait nécessairement l’objet d’un discrédit symétrique. Ou dit autrement encore : quoiqu’elle fasse ou quoiqu’elle dise, la minorité musulmane a tort.
De là, la pertinence d’une méthode relevant de la pratique religieuse comme gouvernement de soi permettant au sujet, avant de prendre part à l’action politique, de maîtriser ses passions, de contrôler son égo. Advenir aux parages de l’illumination par la mise en œuvre de la méthode de la Sunna, tel est selon moi le sens de l’engagement politique qui vient.
Le droit à revendiquer d’urgence contre les courants qui nous oppriment est celui que nous octroie l’adhérence à la voie du Prophète : le droit de nous libérer de ce que nous sommes pas pour nous faire advenir à nous-mêmes au cœur même de ce que nous sommes dans la noblesse d’une âme apaisée par la grâce.
La révolution spirituelle communique l’ouverture (fath) en vertu d’un principe de transduction : après avoir suscité le changement en soi-même, le principe de la transfiguration se communique de proche en proche, aux membres de sa famille d’abord, puis, ensuite, à ses voisins.
L’islam soufi, en somme, nous enseigne la politesse de la politique. Si le Coran nous affirme que Dieu ne change pas l’état d’un peuple tant que les individus qui le composent ne sont pas individuellement engagés dans une dynamique personnelle de transfiguration, n’est-ce pas pour nous faire entendre que la politique est la plus noble des affaires humaines ?

Structures du stéréotype

Des auteurs comme Jacques Derrida et Gil Anidjar nous livrent de précieuses amorces pour mettre en chantier l’entreprise de déconstruction théorique de l’islamophobie dont nous avons besoin pour localiser la faille du discours dominant avec précision.   L’enjeu de cette entreprise est considérable sachant que c’est la mise à nu théorique de cette faille inhérente à la construction du racisme islamophobe qui suscitera le plus durablement l’intérêt émancipatoire dans l’esprit des musulman(e)s : lorsque nous aurons clairement identifié le mensonge sur lequel repose le socle idéologique de l’édifice islamophobe, nous n’aurons de cesse d’œuvrer pour le confondre ; et l’édifice finira par s’écrouler de lui-même.
La faille dans le discours appert donc à l’examen minutieux des structures de ce stéréotype dont le caractère péjoratif est suffisamment consistant pour justifier dans la conscience collective occidentale la mise à mort sociale d’une minorité culturelle au nom des principes de liberté, d’égalité et de fraternité…   Une simple esquisse de cette déconstruction exigerait à elle seule des développements que je ne peux poursuivre dans le cadre nécessairement condensé de cette intervention.
Nous nous bornerons donc à rappeler l’essentiel : l’islam étant traditionnellement perçu en Occident comme une religion formaliste, fixée sur la Loi et résistante à l’Esprit – et en cela intrinsèquement hostile à la philosophie du sujet libre – le musulman observant, au prisme de ce stéréotype, n’est pas éligible au statut de l’agent rationnel de plein exercice.
Demeurant en l’état un système de pensée précritique, verrouillé à double-tour dans un univers mental hétéronome, l’islam, sauf à se nier en tant que tel, est – toujours selon ce même préjugé – structurellement insusceptible de produire dans la psychologie de ses adeptes les conditions subjectives et cognitives de la citoyenneté moderne. Si l’Etat campe si fermement sur ses positions impérialistes, c’est que certains des concepts qui l’animent participent de dynamiques aux racines anciennes, profondément implantées dans l’histoire européenne.
Aussi l’islamophobie s’inscrit-elle dans la filiation  directe de l’antisémitisme.
Seule une reconnaissance officielle des méfaits du colonialisme, actée au plus niveau de l’Etat (au travers d’institutions commémoratives par exemple) pourrait faire émerger, dans la société civile française, les conditions objectives d’un recul significatif du racisme anti-arabe, du racisme anti-noir, et de l’islamophobie.
Or, il est clair pour tout le monde que l’équation idéologique du pouvoir n’intègre pas la variable de la repentance. Les musulmans, en revendiquant le droit d’être eux-mêmes, revendiquent le droit à la différence ; un droit qui – par la force d’un principe qui relève de la raison d’état – leur est pourtant aujourd’hui proprement refusé ; l’altérité est donc ici déniée et ce déni n’est pas posé ni dans des discours, ni dans l’idéologie,  ni encore dans des actes déterminés, mais dans des affects et dans le non-dit et l’exclusion : le déni de reconnaissance auxquels les musulmans sont aujourd’hui confrontés se solde ainsi par un « déni du déni ».
(À suivre)
 
 
 
 
 
 
 

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