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Va-t-on cesser d’enseigner l’arabe en France ?

L’enseignement de l’arabe en France vit aujourd’hui une situation inquiétante. Depuis vingt ans, la question de la place de la langue arabe dans le système scolaire français est posée sans qu’aucune solution ne soit réellement apportée, ni par les pouvoirs publics, ni par les associations, ni même par les parents.

Un tour d’horizon très rapide sur le statut de l’arabe en France illustre bien cette situation.

En France nous sommes devant trois types d’enseignement de l’arabe. Le premier type est organisé dans l’espace scolaire, dans le dispositif de l’enseignement de la langue et culture d’origine (ELCO). Il est adressé essentiellement aux élèves de l’enseignement primaire. Le deuxième type est organisé aussi dans l’espace scolaire, dans les établissements d’enseignement primaire dans le dispositif de l’enseignement à l’initiation aux langues étrangères (EILE) et dans l’enseignement secondaire dans le dispositif de l’enseignement des langues vivantes (LV1 ; LV2 ; LV3). Le troisième type est organisé dans le cadre des associations à caractères religieux (mosquées) et associations culturelles de quartiers. Cet enseignement est adressé essentiellement aux enfants qui fréquentent l’école élémentaire.

L’enseignement de l’arabe dans le cadre des ELCO

L’enseignement de langue et culture d’origine (ELCO) a été instauré pour répondre à la volonté des pays d’émigration de donner aux enfants des travailleurs étrangers un enseignement de langue et culture d’origine. Il est réglementé par des accords bilatéraux conclus avec chacun des principaux pays sources d’immigration.

Plusieurs points caractérisent cet enseignement : l’organisation, les programmes, les manuels et le financement sont assurés par les pays d’origine. Les enseignants étrangers assurant les cours sont recrutés et rémunérés par leur gouvernement. Ils sont fonctionnaires détachés ou ont un statut consulaire spécial. Les enfants bénéficient de trois heures par semaine d’ELCO. Les cours sont organisés soit en dehors du temps scolaire (différés) soit sur le temps scolaire (intégrés). Dans ce dernier cas les cours se substituaient à d’autres enseignements. Il faut préciser qu’il s’agit d’un enseignement facultatif.

Les ELCO ont fait l’objet de plusieurs critiques qui ne sont jamais suivies d’effets. Plusieurs rapports ont analysé le fonctionnement de cet enseignement et proposé une réforme du système qui était donné au départ comme provisoire et qui se voit pérennisé. Parmi ces rapports nous pouvons citer celui de Jacques Berque (1985), de l’Inspection générale de l’Education nationale (I.G.E.N.,1991) et enfin celui du Haut Conseil à l’intégration (1995). Nous n’entendons pas revenir sur ces rapports, ce n’est pas notre propos, mais citons l’essentiel des critiques adressées au système des ELCO.

Ce type d’enseignement ne connaît pas un accueil des plus chaleureux dans le contexte scolaire, il y est minorisé, voire les enfants qui le suivent sont marginalisés. La marginalisation du dispositif dans l’Education nationale y contribue.

Sur le plan culturel, les contenus de cet enseignement se rapportent au pays d’origine, ignorant la plupart du temps les caractéristiques culturelles du milieu de vie actuel dans lequel baignent les enfants d’origine maghrébine.

Concernant les enseignants étrangers, ils sont rarement intégrés à l’équipe pédagogique. Leur fréquente dispersion entre plusieurs écoles ne facilite pas leur intégration. On note leur manque de formation en didactique des langues vivantes et leur utilisation de méthodes d’enseignement inadaptées. Ceux-ci ayant été élaborées pour l’enseignement en contexte arabe ne peuvent de fait convenir dans la situation présente où l’arabe est une langue minoritaire. Il convient de dire que les enfants issus de l’immigration maghrébine sont de plus en plus francophone et s’expriment entre eux en français. L’usage de l’arabe à la maison se perd de plus en plus. Une enquête réalisée par l’INED avec le concours de l’INSEE (INSEE, 1994) notait cette mutation de la langue d’origine en langue étrangère. Pour cent parents d’origine arabe, le taux de pertes, c’est-à-dire le nombre de parents ne s’adressent pas à leurs enfants dans la langue arabe est de 50 %. Continuer donc à considérer ces enfants comme des arabophones empêcherait les enseignants d’utiliser des méthodes pédagogiques adéquates et risquerait de dissuader ces enfants de poursuivre cet enseignement. L’optique enseignement de langue étrangère n’a pas été posée comme principe.

On note aussi la faible sensibilisation de ces enseignants à la dimension de l’apprentissage interculturel. Il ne faut pas oublier que l’enseignant d’arabe, à côté de sa fonction d’enseignement, doit remplir de plus en plus une fonction d’intégration.

La langue arabe dans le cadre des ELCO n’est pas valorisée puisqu’elle n’est pas reconnue par l’institution scolaire et qu’elle ne s’adresse pas aux enfants de toutes origines. Elle n’intéresse que les enfants de la population immigrée.

Cela nous conduit à évoquer brièvement les quelques propositions qui ont été formulées pour réformer le système des ELCO. Il y a tout d’abord celle de Jacques Berque (1985) qui, dans son rapport, proposait pour tous les enfants de l’école élémentaire un enseignement d’initiation à la pluralité des civilisations du monde, dans lequel se seraient insérés les ELCO. « La culture française, dit-il, doit sans pour autant cesser d’être notre culture nationale, s’enrichir de l’apport de la culture arabo-musulmane, dont les enfants d’origine maghrébine sont les vecteurs. La culture française possède une ancienne tradition humaniste qui permet cette ouverture des perspectives » (p. 17). Il propose aussi de changer l’appellation de langues et cultures d’origine et de la remplacer par langues et cultures d’apport, en raison de ce qu’elles sont susceptibles d’apporter à l’ensemble français. J. Berque déplore que l’arabe, en France est un enseignement hébergé plutôt qu’intégré par le système.

Contre ceux qui demandent de supprimer les ELCO, l’inspecteur générale de l’Education nationale, évoque deux séries de raisons pour maintenir ce dispositif : des raisons cognitives et d’autres sociopolitiques. Concernant les premiers, les ELCO constituent « un capital linguistique et culturel considérable », qu’il faut mettre en valeur. Quant aux seconds, supprimer les ELCO, c’est créer un vide qui sera « comblé par une prolifération d’activités d’associations dont les objectifs pourraient être bien plus éloignés de ceux de l’Education nationale que ceux des ELCO ».

Le Haut Conseil à l’intégration (1995) propose, quant à lui, une transformation du contenu des ELCO. Pour lui le développement de l’arabe est important pour le développement des relations de la France avec le monde méditerranéen. Compte tenu de la généralisation à venir de l’enseignement à l’initiation aux langues étrangères (EILE), le Haut Conseil à l’intégration souhaite un passage de l’enseignement de langues et cultures d’origine à l’enseignement de langues et cultures étrangères. Il s’agirait non plus d’un enseignement de langues dite « d’origine » mais de l’enseignement de ces langues et cultures de pays partenaires de la France.

L’arabe dans l’enseignement primaire

L’arabe figure parmi les langues enseignées dans le cadre de l’enseignement à l’initiation aux langues étrangères (EILE). Le coup d’envoi de ce dispositif a été donné par les circulaires du 6 mars et du 14 juin 1989 de l’Education nationale. En 1995, le Nouveau contrat pour l’école propose une initiation à une langue vivante étrangère pour les élèves de CE1, sous forme de séquences quotidiennes d’un quart d’heure. La note d’information statistique 95.47 publiée par le ministère de l’Education nationale sur l’enseignement des langues vivantes étrangères à l’école primaire et portant sur l’année 1994 – 1995 fait état de 807 000 élèves qui ont suivi en 1994 des cours de langues dans 18 600 écoles primaires de France métropolitaine et dans les DOM soit 11,9% des élèves du premier degré. L’anglais reste la langue la plus étudiée (71,9%), suivie par l’allemand (22,6%), l’espagnol (2,6 %), l’italien (1,8%) le portugais (0,2 %) et l’arabe (0,1 %). Soit pour l’arabe 1017 élèves qui ont suivi cet enseignement.

Observons que l’enseignement de l’arabe dans ce cadre reste encore minorée et marginal.

Une autre expérience dans le primaire et qui mérite d’être cité est l’école bilingue de la rue de Tanger à Paris. Environ 250 élèves de cette école (sur 380) sont inscrits dans des classes bilingues français-arabe. L’école compte dix-sept classes : dix classes bilingues et sept classes francophones. La langue arabe enseignée est l’arabe moderne à raison de cinq heures hebdomadaires. Elle est reconnue à part entière et conçue comme un véhicule d’enseignement des mathématiques, de l’histoire, de la géographie, de l’enseignement artistique et de la gymnastique.

Concernant l’intérêt de l’enseignement de l’arabe dans ce cadre, il est souligné par G. Besson, directeur de l’établissement : « L’enseignement de l’arabe, dit-il, apporte un plus aux élèves. Il participe à la mise en place d’un certain nombre de mécanismes intellectuels qui favorisent leur scolarité et notamment l’apprentissage d’autres langues » (Kaplun, 1995, p. 38). « Ces enfants, ajoute-t-il, retrouvent leurs racines, ce qui engendre une plus grande motivation et, partant, une meilleure réussite ».

Les résultats des évaluations au niveau de la troisième année d’école primaire (CE2) montrent qu’en français et en mathématiques, les résultats sont de 15% supérieur à la moyenne chez les élèves qui ont suivi cet enseignement bilingue.

Les enseignants d’arabe sont originaire du Maghreb. Ce recours à des intervenants de langue maternelle arabe permet ainsi de familiariser les élèves aux sons, intonations et rythme de la langue arabe dans des conditions de qualité optimales.

L’expérience de l’école bilingue de la rue de Tanger à Paris prouve que la valorisation de la langue arabe permet d’assurer la réussite scolaire et la maîtrise de la langue officielle.

L’arabe dans l’enseignement secondaire

La langue arabe est enseignée dans le cadre de l’enseignement des langues vivantes. C’est un enseignement qui s’adresse à tous. La langue arabe peut être choisie par les élèves en classe de sixième comme première langue vivante (LV1). En classe de quatrième, elle peut être choisie comme deuxième langue vivante obligatoire (LV2). Enfin en classe de seconde, la langue arabe peut être choisie comme troisième langue vivante (LV3). Elle est aussi susceptible d’être choisie aux épreuves obligatoires ou facultatives du baccalauréat.

Un bref aperçu sur le nombre d’élèves ayant opté pour cette langue dans le secondaire, sur une période de 10 ans, peut nous donner une juste idée de son appréciation.

En 1984-1985, ils étaient 12000 élèves. En 1995, ils ne sont plus que 6258 élèves sur l’ensemble du territoire français (seulement 2134 élèves dans la région parisienne). En 10 ans, la régression est importante. Aujourd’hui la situation stagne. Mais d’ores et déjà, comme le fait remarquer Marie Lorenzin (1997), professeur d’arabe au lycée Louis-le-Grand à Paris, on ne répond pas ou on ne répond plus dans ce domaine aux demandes. « Entre le moment, dit-elle, où l’élève émet le souhait d’apprendre l’arabe et celui où on lui donne un lieu et un horaire, il se passe beaucoup de choses. Subitement, on manque d’argent pour financer les heures du professeur, on conseille à l’élève d’apprendre autre chose ». « Dans l’académie de Lille, ajoute-t-elle, un principal a fermé des classes de collège malgré un effectif très important. Les demandes d’ouverture en lycée, tout aussi importantes, n’aboutissent pas ». Les blocages institutionnels sont également liés à certains regards portés sur la langue arabe. Benoît Deslandes (1993) parle lui d’une sorte de boycott que subit l’enseignement de l’arabe de la part du public français du fait de sa minorisation.

En 1995 Brigitte Tahhan, alors inspecteur régional d’arabe, a tracé un constat inquiétant concernat le statut de l’arabe dans les trois académies de la région parisienne. Malheureusement, huit après, nous pouvons observé le même constat :

– le manque d’intérêt pour l’arabe dont l’enseignement dépend largement de l’attitude des chefs d’établissements. Certains d’entre eux portent un intérêt particulier à l’arabe, mais d’autres en sont franchement hostiles. Ce qui explique cette attitude hostile c’est le fait que les élèves qui étudient l’arabe sont en grande majorité d’origine maghrébine. « L’hostilité à l’arabe, dit-elle, est souvent liée aussi au désir d’éviter un certain type de public » (p. 7). Certains n’hésitaient pas à proposer de supprimer l’arabe « qui attire des élèves indésirables venus uniquement pour cette LV2 » (p. 8).

Les professeurs sont recrutés à l’instar des autres langues par la voie classique des concours (CAPES, agrégation). Mais, vu leur fréquente dispersion entre plusieurs écoles, il est très rare qu’ils soient impliqués dans le projet d’établissement qui « oublient souvent la culture arabo-islamique ».

Le manque d’outils pédagogiques adaptés (manuels scolaires, documents, matériel audio-visuel, logiciels informatiques, etc…), signalé par tous les professeurs, entrave aussi le bon déroulement de l’enseignement de l’arabe.

Interrogés sur l’avenir de l’arabe dans le secondaire, la plupart des professeurs sont pessimistes. Ils sont inquiets à la fois de la régression qu’a subit l’arabe et aussi de leur statut professionnel et de leur avenir. « Un enseignant d’arabe, qui n’a jamais ou presque la charge d’une classe entière, n’a aucune chance d’être professeur principal ».

L’arabe dans le cadre associatif

A l’inverse de la situation dans le système scolaire, la prise en charge de l’enseignement de la langue arabe dans les mosquées et les associations culturelles ou de quartier, connaît une progression remarquable ces dernières années.

Il faut reconnaître que cet enseignement répond en partie à l’attente des parents qui y voient non seulement une revalorisation de leur culture d’origine, mais surtout le maintien d’un lien avec la culture arabo-musulmane. La non-pratique de la langue arabe constitue en effet, aux yeux des parents une perte identitaire non négligeable. De plus, le choix de l’arabe est considéré par eux comme un atout, un moyen d’accès pour leur enfants à une culture religieuse. Enseignée dans les mosquées ou dans des salles de prière, la langue arabe est ainsi un moyen d’accéder au texte coranique.

Mais malgré les bonnes volontés des gens qui veillent sur cet enseignement, et malgré la grande dynamique qui le caractérise et le grand nombre d’enfants qui le fréquente, l’arabe dans ce cadre souffre de beaucoup de manque : des enseigants en grande majorité non qualifés, des moyens faibles, un grand manque d’outils pédagogiques diversifiés, un surcharge de travail pour les enfants qui le suivent (le mercredi, le samedi et le dimanche). Ajoué à cela le fait que cet enseignement n’est pas ouvert à tous les enfants. Il ne s’adresse la plupart du temps qu’aux enfants d’origine maghrébine d’ou le risque du guettoisation.

L’arabe est une langue délaissée en France.

Nous avons vu que la langue arabe occupe une place marginale dans le système scolaire en France. Elle est très peu enseignée et mal reconnue. C’est une langue délaissée et dévalorisée.

Dévalorisée dans le cadre de l’enseignement des langues et cultures d’origine (ELCO). S’adressant seulement aux enfants d’origine maghrébine, l’arabe n’est pas reconnue par l’institution scolaire. Elle est minorisée voire marginalisée. C’est la langue des immigrés.

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Ne touchant qu’une minorité dans le dispositif de l’enseignement d’initiation aux langues étrangères (E.I.L.E.), l’arabe n’a pas encore trouvé sa place à côté des autres langues étrangères.

Objet d’hostilité de la part de certains chefs d’établissements, l’arabe est à la fois marginal et mal reconnue dans l’enseignement secondaire. Il ne cesse de régresser depuis des années.

Il convient de signaler que dans ce tableau négatif, la seule expérience notable où l’arabe est reconnue à part entière et véhiculaire d’enseignement, c’est l’enseignement bilingue français-arabe dans l’école élémentaire de la rue de Tanger à Paris 19ème. Cette expérience prouve que la valorisation de l’arabe permet d’assurer la réussite scolaire des enfants d’origine maghrébine et contribue à une meilleure intégration à la société d’accueil.

Un certain nombre de facteurs pourrait, nous semble-t-il, expliquer la situation de dévalorisation que subit la langue arabe.

Il y a tout d’abord une explication historique d’ordre général. C’est « la résistance aux langues étrangères dont témoigne le système éducatif français résolument monolingue » (Groux D., 1996, pp. 47-55). Cette résistance s’explique par l’histoire de la France. « L’unité linguistique a été un facteur important de constitution de l’unité nationale » d’où cet attachement à la langue comme objet d’identité nationale. Ce qui explique l’attitude adoptée face aux langues des migrants « celles-ci ont d’abord été niées, puis enseignées aux seuls migrants ».

G. Vermes (1991) fait remarquer qu’actuellement en France, 4/5 de la population est monolingue en français. Elle note aussi que ce « monolinguisme sociétal » est récent et qui ne date que du début du siècle. Nous vivons maintenant dans une situation où « 1/6 de la population (environ 9 millions de personnes) est traversé par d’autres langues que le français ». Ce qui servirait de base pour certains pour lancer « la question des identités linguistiques et de la place et fonction de celles-ci dans le corps politique » (p. 341).

Une deuxième explication liée à la première est l’attitude de méfiance à l’égard de l’enseignement des langues étrangères naît du sentiment de menace en direction de la langue française. C. Hagège (1989, p. 241) réfute cette attitude en affirmant que « non seulement le français n’a rien à perdre à une politique encourageant ouvertement et sincèrement partout l’essor des langues nationales et de leur enseignement, mais il a tout à y gagner ». L’exemple de l’école bilingue de la rue de Tanger nous a montré que l’enseignement de l’arabe permet d’améliorer les compétences en français et donne ainsi accès à la maîtrise de cette langue.

La troisième explication concerne l’image de la langue arabe. Celle-ci souffre d’une image très dégradée à la fois de la part de la société française et aussi de la part des Maghrébins.

En effet l’arabe est la langue des immigrés maghrébins qui focalisent l’hostilité. Du fait que les immigrés maghrébins occupent un statut économico-social inférieur, leur langue en subit le contrecoup en occupant un statut socialement dévalorisé.

L’arabe aussi subit la dévalorisation de la part de ses propres enfants. Dans une société qui méprise cette langue, il n’est pas rare de voire des parents maghrébins incitant leurs enfants à apprendre l’allemand, l’anglais ou le latin au détriment de l’arabe, jugé inutile pour leur devenir scolaire et professionnel. De nombreux enfants d’origine maghrébine intériorisent cette dévalorisation de leur langue maternelle, alors ils cherchent à se débarrasser d’une identité dévalorisée, « jugée encombrante et inutile dans la société française » (M. Sghiri, 1996, p. 74). Sghiri montre que cette façon de se définir en rejetant la langue et la culture d’origine ne s’effectue pas sans conflits et crises.

Conditions de valorisation de la langue arabe

Quelles sont donc les conditions de valorisation de la langue arabe afin qu’elle occupe la place qu’elle mérite ?

1. La reconnaissance de l’arabe par la France constitue une condition primordiale. Brigitte Tahhan (1995) souligne, à ce propos, l’importance de mener une politique des langues cohérente. « Une politique, dit-elle, doit être définit au niveau national. À l’heure actuelle il n’en existe pas. On laisse la situation des langues vivantes se dégrader, avec la mise en place d’un quasi-monopole de l’anglais LV1 et d’une prédominance accrue de l’espagnol LV2 ». Une politique claire qui encourage le développement de l’arabe s’impose.

2. Pour être valorisée et reconnue, l’enseignement de l’arabe doit être solidement intégré à l’ensemble de l’action éducative. C’est le cas de l’enseignement de langue et culture d’origine (ELCO) qui doit être intégré au cursus scolaire. Cela donnerait un élan à cet enseignement qui risquerait d’être concurrencé par l’enseignement à l’initiation aux langues étrangères (EILE).

3. L’enseignement de l’arabe doit être aussi ouvert à tous. Cela permettrait d’éviter sa marginalisation. Il faudra veiller à susciter l’intérêt des élèves autochtones pour les cours de langue arabe de leurs camarades issus de l’immigration maghrébine. Il en résultera pour eux un enrichissement qui facilitera le dialogue et le respect de la culture arabe et permettra de neutraliser les effets pervers des préjugés. Comme l’a bien souligné M. Lorenzin (1997), « l’enseignement de l’arabe, très éloignée de la langue française démultiplie les capacités intellectuelles par l’enrichissement culturel et l’ouverture d’esprit qu’elle apporte, par le développement des capacités cognitives ». L’enseignement de l’arabe, avec sa dimension culturelle, constitue une excellente façon de rapprocher les deux peuples. À l’acquisition de compétences purement linguistiques s’ajoute une vraie ouverture sur l’altérité et une meilleure compréhension des autres. Comment peut-on pénétrer véritablement la culture arabo-musulmane si l’on ne parle pas la langue arabe qui est nourrie des valeurs de cette culture ?

4. La formation des enseignants constitue aussi l’une des pierres angulaires de l’enseignement de l’arabe. Nous savons que la plupart des maîtres des ELCO n’ont pas eu de formation initiale en didactique et pédagogie de l’arabe langue vivante étrangère. Cette formation didactique et méthodologique doit répondre aux besoins spécifiques de cet enseignement.

Les besoins en formation peuvent se caractériser de la manière suivante :

– Un enseignement de qualité rend indispensable une formation pédagogique à l’enseignement de l’arabe langue étrangère.

– Sensibiliser les enseignants à la dimension de l’apprentissage interculturel et leur donner les connaissances nécessaires.

– Faire découvrir et sensibiliser à la dimension de l’échange.

– Sensibiliser les enseignants à bien profiter du capital linguistique et culturel des enfants d’origine maghrébine et à utiliser l’atout du dialecte pour apprendre plus tôt et mieux l’arabe et renouer avec la culture arabe.

5. Sur le plan culturel, les contenus de l’enseignement d’arabe doivent avoir comme objectif de donner aux enfants d’origine maghrébine les moyens de mieux se situer à la fois par rapport à leur culture d’origine et par rapport à la société française dans laquelle ils vivent. Les familles maghrébines sont, pour la majorité, définitivement installées en France. Leurs enfants sont de plus en plus conscient que leur vie va se dérouler en France et non pas dans leur pays d’origine. Le mythe du retour est de moins en moins une réalité. Cela doit servir de base pour l’élaboration de nouveaux contenus qui répondront à cette nouvelle situation. C’est dans ce cadre que j’ai élaboré un ensemble pédagogique d’enseignement d’arabe pour enfants à partir de 5 ans. Notre méthode propose des situations liées à la vie scolaire et à la vie familiale et sociale des enfants issus de l’immigration maghrébine. Les thèmes, le vocabulaire abordé conduisent d’une part les élèves d’origine maghrébine à avoir un contact avec leur culture d’origine ; et d’autre part conduisent les autres élèves à prendre contact avec cette culture.

6. Les rencontres culturelles sont une dimension intégrante de l’apprentissage d’une langue vivante considérée comme un moyen d’appréhender une culture. Elles nourrissent et enrichissent l’apprentissage de la langue et montrent les interférences entre l’arabe littéral et le dialectal. Ces rencontres culturelles sont très profitables à la fois pour les élèves d’origine maghrébine, car elles leur montrent une image valorisante de leur culture et pays d’origines et pour les autres élèves, car elles ouvrent leurs esprits à des réalités culturelles différentes contribuent à effacer des préjugés et favorisent le sentiment de respect face à l’altérité.

Notes :

Berque J., (1985). L’immigration à l’école de la république. Rapport au ministre de l’Education nationale, La documentation française – CNDP.

D.E.P., (1995). « L’enseignement des langues vivantes étrangères à l’école primaire ». Note d’information 95.47, Ministère de l’Education Nationale.

Deslandes B., (1993). « A propos de l’enseignement de l’arabe », postface à Où apprendre l’arabe, Paris, Institut du Monde arabe, pp. 139-147.

Groux D., (1996). L’enseignement précoce des langues. Des enjeux à la pratique, Lyon, Chronique sociale.

Hagège C., (1989). Le français et le siècles, Paris, Points.

Haut Conseil à l’intégration, (1995). Liens culturels et intégration, Rapport au Premier ministre, Paris, La documentation française.

I.G.E.N., (1991). Evaluation de l’enseignement des langues et cultures d’origine dans le premier et le seocnd degrés, Rapport de l’Inspection Générale de l’Education Nationale, septembre 1991.

I.N.S.E.E., (1994). Les Etrangers en France, Paris.

Kaplun C., (1995). « L’arabe, une arme contre l’échec scolaire », in Le Monde de l’Education, n° 231, novembre 1995.

Lorenzin M., (1997). « L’arabe, langue délaissée », interview dans La Vie, n° 2682 du 23 janvier 1997, p. 75.

Sghiri M., (1996). « Environnement social, trajectoires familiales, stratégies individuelles et réussite scolaire », in Les perspectives des jeunes issus de l’immigration maghrébine, Paris, l’Harmattan et Licorne, pp. 27-131.

Tahhan B., (1995). Le statut de l’arabe dans les trois académies de la région parisienne, Ministère de l’Education nationale.

Vermes G., (1991). « L’identité linguistique : une gestion symbolique du sens de l’Etat, du groupe, de l’individu ? » in Identité, culture et changement social, Actes du troisième colloque de l’ARIC, Paris, L’Harmattan, pp. 339-344.

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