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Terreur planétaire et compassion sélective

Les attentats de Bruxelles, à nouveau, jettent la lumière sur cette violence aveugle déchaînée par l'idéologie sectaire du djihad global. Ce meurtre collectif a provoqué à juste titre l'indignation devant sa cruauté, la compassion pour ses victimes, le désir légitime de s’attaquer à la racine du mal. Et pourtant, il faut bien l’admettre, ce nouveau crime odieux n'est que l'arbre qui cache la forêt. Car, depuis une décennie, les attentats meurtriers contre des civils s'enchaînent dans un déferlement de terreur sans précédent. Cette violence dévastatrice a frappé en Syrie, au Liban, en Irak, au Pakistan, en France, au Yémen, au Nigéria, au Kenya, au Mali, en Turquie, et la liste n'est pas exhaustive. Elle représente une nouvelle forme de guerre dont les victimes, dans leur immense majorité, appartiennent à des pays pauvres et sont de confession musulmane.

Peut-on dire, pourtant, que les innombrables victimes du terrorisme bénéficient du même traitement ? L'émotion saisit l'opinion des pays riches au spectacle des attentats qui endeuillent l'Occident. Mais ceux qui, appartenant au reste de l’humanité, ne participent pas de cette dignité originaire, ne sauraient toucher le même dividende compassionnel. Certes, ils font aussi figure de victimes innocentes, mais on oublie le plus souvent cette réalité qui saute aux yeux : les populations d'Asie et d'Afrique, elles, font massivement les frais d'un terrorisme djihadiste dont la politique occidentale a fourni le carburant. En minimisant le préjudice subi par ces populations lointaines, on se donne ainsi doublement bonne conscience. Au fond, pense-t-on, ces victimes n'existent pas vraiment, et si elles existent, nous n'y sommes pour rien. Elles sont la menue monnaie du nouveau péril planétaire.

C'est pourquoi la perception occidentale du terrorisme se coule toujours dans un moule dualiste. Elle scinde docilement la planète en deux hémisphères : celui où les attentats méritent qu’on en parle et celui où ils ne sont que du menu fretin. Sur le marché mondial de la mort en direct, la valeur de la vie humaine connaît des fluctuations. Le temps d’antenne dévolu aux victimes accuse des variations significatives selon leur nationalité. Mais surtout, la causalité supposée de ces morts violentes ne se voit appliquer le coefficient terroriste que si les victimes relèvent à coup sûr du monde civilisé. La mort administrée par attentat ne s’extrait de la banalité planétaire que si les suppliciés en valent la peine. Ainsi, les 180 victimes du triple attentat-suicide perpétré par Daech à Damas, le 22 février 2016, ont fini aux oubliettes du monde occidental. Elles n’ont pas eu droit à la qualification de victimes du terrorisme, ni même à un message de solidarité de la part de gouvernements habituellement prodigues en larmes de crocodile.  

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C'est que l'ombre de la terreur, en effet, ne plane sur nos têtes que parce que la médiasphère lui prête une existence cathodique. Sa réalité est toujours une réalité d’emprunt, octroyée par la représentation qu’en forgent les médias, prisonnière de sa reproduction audiovisuelle. Elle est captive de cet effet-miroir, et seule sa visibilité planétaire, au fond, lui communique une véritable portée. Après tout, un attentat dont on ne parle pas n’est pas un attentat, mais un accident qui ne touche que ses victimes dans l'indifférence du monde. Le traitement médiatique dominant du phénomène terroriste, par conséquent, ne s’embarrasse guère de nuances. Hors d’Occident, la sélectivité des médias frappe le terrorisme d’irréalité, elle le réduit à un furtif alignement de chiffres. Privé de résonance affective (on s'en moque), coupé de toute causalité politique (on aurait des comptes à rendre), la relation des faits se colore d’une froideur statistique qui les condamne à l’oubli.

A l'intérieur des frontières occidentales, au contraire, le traitement médiatique élève l'événement au rang de drame sans précédent, elle lui confère une mystérieuse surréalité. La médiatisation de la terreur, en somme, varie selon un axe qui épouse la division de la planète entre le monde d’en haut et le monde d’en bas. Dans un cas, elle le condamne à l’insignifiance, dans l’autre elle le voue à l’hyperbole. Car les médias ne sont jamais extérieurs à ce qu’ils relatent, ils ne sont jamais étrangers aux images qu’ils diffusent. L’Occident a beau se réclamer de valeurs universelles, la sollicitude de ses médias pour la souffrance humaine est toujours proportionnelle au PIB par habitant, en sorte qu'elle épouse aveuglement ses intérêts et reflète son indifférence criante au reste du monde.
  

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