Il est 21h30, le vendredi 22 février 2002. Je me rends chez mes parents qui habitent aussi le XIXème. J’ai invité un ami à dîner ce soir là. Je suis donc attendu pour le repas. C’est une soirée familiale importante puisque c’est le jour de l’Aïd El Kébir.
Je suis en voiture, et je suis contraint de m’arrêter au niveau du 28, rue Rébéval, car des cars de police bloquent la rue. La concentration de forces de l’ordre y est importante. Je me demande ce qui se passe.
Je descends de voiture, inquiet, afin d’obtenir des renseignements. J’ai des petits frères et des petites soeurs, et je me sens très concerné par la vie de mon quartier. A la vue d’une concentration aussi importante, je me dis qu’il a du se passer quelque chose de très grave, j’envisage le pire, qui sait peut-être un meurtre ! Je m’approche donc du 28, rue Rébéval, et je vois des jeunes se faire contrôler, je reconnais deux d’entre eux que je salue, et Je demande aux policiers :
’Bonsoir, pourriez-vous me dire ce qui se passe ? ’, en toute politesse, comme un citoyen qui s’intéresse à la vie de son quartier. J’entends un : « De quoi tu te mêles, allez dégage, casse-toi ! » , Surpris et choqué, je demande au policier de me vouvoyer.
Intervient alors un des policiers, qui me demande de me soumettre à un contrôle d’identité. J’obtempère : « Bien sur, Monsieur ! » Je me fais donc fouillé, de manière assez « appuyée », et un des jeunes réagit, « pourquoi vous le traitez comme ça ? » Sur cette remarque du jeune, insultes d’un membre des forces de l’ordre, « Ferme ta gueule petit con, on t’a pas demandé de la ramener ! » Je lui réponds alors, « Excusez moi, mais comment voulez vous que les jeunes vous témoignent du respect si vous leur parlez de la sorte, et si vous les insultez ! Le respect est quelque chose de réciproque ! »
Sur ce, un des policiers me prend à parti, et me dit ’C’est quoi ton problème, tu veux jouer aux hommes ce soir ?’. Il s’avance vers moi, et me fait reculer vers un petit escalier qui se trouve à l’angle de la rue Rébéval et de la rue Jules Romain, là il me pousse dans l’escalier, je suis déséquilibré, j’essaie désespérément de me rattraper au mur, et là, il sort sa matraque, me vise à la tête. Le policier en question mesure plus d’1m90, et doit peser plus de 110 KG. Je réussis à éviter le coup de matraque qu’il veut me porter à la tête, en me protégeant avec la main gauche. Je suis sauvagement touché à la main gauche, je tombe dans l’escalier, en essayant de ma rattraper avec la main droite, mais ma main droite et ma jambe droite frotte les escaliers, j’ai horriblement mal. J’entends le policier hurler, il se rue sur moi, la jambe la première, et essaie à nouveau de ma frapper au visage, mais cette fois ci avec sa jambe. Je réussis par miracle à éviter son coup, sa jambe frappe le sol, entre ma tête et mon épaule. Je suis terrifié, je sens presque le sol vibrer entre ma tête et mon épaule, et je commence à crier au secours. Je me traîne en catastrophe à quelques mètres des escaliers, de peur qu’il me frappe contre les escaliers. Et là l’horrible se produit, j’ai l’impression de vivre un cauchemar. Les policiers se ruent sur moi, je me recroqueville en me protégeant le visage. Les déluges de coups et d’insultes commencent.
Coups de poings, coups de pieds, coups de matraques, sur fond de « Sale arabe, espèce de fils de putte, espèce de bâtard… » Je puise en moi ce peu d’énergie qui me reste, je les supplie d’arrêter, leur dit que je suffoque, que je suis asthmatique, rien n’y fait, le déluge de coup continue. Cela fait plus d’une minute que je suis sur le point de perdre connaissance, et je n’ai plus en moi la force de crier, c’est alors que cessent les coups. On me relève le visage, certains se délectent du spectacle de mon visage tuméfié, à moitié inconscient. On me passe les menottes, j’agonise, je souffre le martyr, mais je n’ai plus en moi la force de me plaindre, je leur murmure « vous allez me casser les poignets ». Ils me menottent en serrant les menottes jusqu’au dernier cran. Je sens le fer des menottes me pénétrer les os.
Je titube, cherche en moi la force de lever un pied devant l’autre. Un des policiers s’approche de moi, et me dit « Espèce de petit connard, lèves les pieds quand tu marches, arrête de les traîner par terre, et puis regarde moi quand je te parle, t’as compris, je veux entendre OUI MONSIEUR, t’as compris OUI MONSIEUR ! ». Je murmure « OUI MONSIEUR ! ».
On me ramène quelques mètres plus haut, prés des escaliers d’où mon drame, mon cauchemar avait commencé, et là on me plaque contre le mur, « Allez colle ta sale face contre ce putain de mur, embrasse le mur, lèche le mur, espèce de bâtard ! Alors tu veux jouer aux hommes ce soir ! » On me traîne, ou plutôt je me traîne jusqu’au car vers lequel on me demande de me diriger. Derrière moi, le même policier en manque de « OUI MONSIEUR », qui me demande de répéter cette phrase qui résonne encore aujourd’hui en moi à chaque instant, à chaque minute du jour et de la nuit, m’interdisant de trouver le sommeil, et d’oublier ainsi ne serait ce que quelques heures, quelques minutes ce cauchemar que j’ai vécu ce soir là, ce vendredi 22/02/02, qui restera à jamais gravé dans ma mémoire, et qui continuera à hanter mes nuits pendant longtemps encore. J’ai cru que j’allais y passer ce soir là.
Ma vie ne tenait plus à rien, et était entre leurs mains, ceux dont la mission est d’assurer ma sécurité, et de veiller au respect de la justice dans mon pays.
Je titube jusqu’au car de police, j’essaie désespérément de m’asseoir sur la banquette, je sens alors une main me ramener en arrière, et j’entends « Où est ce que tu vas espèce de bâtard, tu crois pas que tu vas t’asseoir sur nos banquettes, espèce de sale arabe, ces putains de bicots, on les instruit et ils viennent nous casser les couilles. Ta place elle est par terre , t’as compris, j’entends rien ». Je réponds « OUI MONSIEUR »
Je suis conduit au commissariat de la rue Eric Satie près du métro Laumière. On m’installe sur le banc à l’entrée du commissariat, toujours menotté, et à moitié inconscient. Je suffoque, j’ai du mal à respirer, je demande de l’eau. Refus. Après plusieurs insistances, on finit par m’emmener à un lavabo.
Ma sœur, alertée par un des jeunes appelle le commissariat. Le lieutenant vient alors me voir, et surprise, c’est la première fois de la soirée que quelqu’un me vouvoie. J’en retrouve presque mes esprits.
Un policier me parle : ’écoutez’. Je suis surpris : il me vouvoie.
Il me dit : ’je ne retiendrai rien contre vous, je vais vous libérer dans 15 minutes’. Il me raccompagne jusqu’à la sortie, je suis toujours à moitié inconscient, je lui demande où est ce qu’on se trouve, il me répond que l’on est rue Eric Satie, prés du métro Laumière . Il me rend mon sac, et me précise qu’il y a placé les clefs de mon véhicule, qui a été garé prés du lieu de l’interpellation. Je le remercie, il rentre dans le commissariat, et après quelques minutes, alors que je venais de réaliser que mon cauchemar était terminé , et que j’étais « libre », je rentre de nouveau dans le commissariat pour demander le nom de la personne qui m’avait raccompagné jusqu’à la porte, on m’a répondu « Monsieur le lieutenant ».
Je marche jusqu’à la rue Rébéval.
Je constate que les policiers ont arrosé ma voiture de gaz lacrymogènes. A Une heure du matin, avec un ami, je suis à l’hôpital de l’Hôtel Dieu : examens jusqu’à six heures 30. Douleurs genou gauche, céphalées.
Le lendemain, je rends visite à mon médecin, Bertrand Decour dans le XIX ème : il constate une érosion de la face dorsale, une érosion nasale, un traumatisme nasal (nez cassé), des hématomes de la cuisse. J’ai une interruption d’arrêt de travail de 15 jours. Je ne dors plus, j’ai des insomnies, je ne réalise pas ce qui m’est arrivé.
Pour signer la pétition de soutien, cliquez ici : http://www.efrance.fr/soutienklatifi
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