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Russie : le port du foulard au travail

Peut-on porter un symbole religieux, foulard (hidjab), kippa ou grande croix à l’école, dans un établissement officiel ou un autre lieu public ? Cette question, qui fait actuellement l’objet de vifs débats en Europe occidentale, s’est posée avec force en URSS il y a bien des années de cela. Le port d’une croix, je m’en souviens, était prohibé dans les écoles soviétiques, où son interdiction faisait l’objet de campagnes, orchestrées aussi bien par les enseignants que par la presse. Dans les années 80, quand j’allais encore à l’école, si l’on ne vous envoyait plus au goulag pour une croix, on vous donnait clairement à comprendre qu’en arborant ostensiblement sa foi, on devenait un paria, un ennemi de l’idéologie athée totalitaire “admise par tous”.

Je ne veux pas croire que c’est ce qui attend des pays qui n’ont jamais connu le totalitarisme. Je ne pense pas qu’ils y gagnent à réglementer strictement ce que doivent ou ne doivent pas porter les écoliers, les enseignants, les fonctionnaires. On trouverait, bien entendu, stupide, de voir un policier exhibant une énorme croix par dessus l’uniforme ou prêchant dans la rue au lieu d’assurer son service. Mais nous ne devons pas oublier que les religions et les Eglises sont nombreuses à imposer à leurs ouailles un style de vie qui transparaît d’une certaine façon à l’extérieur. Même s’il semble “barbare” aux peuples occidentaux, il est naturel et des plus habituels pour ses adeptes. Tout refus du droit à s’y conformer est ressenti comme un agression, culturelle et philosophique.

Chaque peuple doit comprendre que ses idées sur ce qui est convenable et inconvenant en public ne sont pas forcément une donnée universelle et acceptable par tous. Bien plus, le lien entre les normes religieuses et la structure sociale est différent selon les traditions. Si, dans la société occidentale que l’on qualifie déjà de post-chrétienne, la religion devient toujours davantage une “affaire privée”, pour les chrétiens orthodoxes, la plupart des musulmans, les juifs orthodoxes et de nombreux autres, la religion est indissociable de l’organisation de la société.

J’ai lu, un jour, dans une revue distribuée à bord des avions, que certains sujets – le sexe, la politique et la religion – ne devaient pas être abordés par téléphone portable quand on se trouve dans un lieu public. Ainsi, l’élément religieux dans la vie d’une personne est quasiment qualifié d’inconvenant. On peut être croyant, mais il vaut mieux ne pas en parler en dehors de chez soi ou de sa communauté religieuse. Il ne faut pas engager la foi dans les débats publics, les grands média, le monde de l’éducation ni même dans le secteur social. Elle ne doit pas, en un mot sortir ” des murs des églises et du domicile”. Telle était, d’ailleurs, l’exigence des autorités communistes de l’URSS.

Pourtant, le rôle social de la religion perce au grand jour, comme l’herbe à travers l’asphalte. Le débat sur le hidjab en témoigne avec éclat. Il me semble d’ailleurs que les partisans d’une laïcisation à outrance sont à bout d’arguments, s’en tiennent de plus en plus à la volonté d’”interdire, un point c’est tout”, position tellement semblable à celle du régime soviétique vieillissant des années 80. Que craignent donc tant les adeptes d’un ordre public laïc ? De découvrir un jour que le roi est nu, que toutes les considérations sur “la neutralité de pensée” de l’humanisme ne sont qu’un poncif imposé par les politiciens et les journalistes ?

La laïcité est aussi pour moi une religion, qui croît en l’homme qu’elle place au centre de sa conception du monde. Pour une personne pieuse, une femme très maquillée ou un homme arborant un noeud papillon manifestent également leur “foi” en public. Ne serait-il pas temps d’accorder les mêmes droits à des styles de vie reposant sur des conceptions du monde différentes ?

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Le foulard fait également l’objet de discussions en Russie. Dans notre Eglise, il est d’usage que les femmes aient la tête couverte durant les services religieux. Elles sont de plus en plus nombreuses, y compris chez les jeunes, à porter un foulard dans la vie quotidienne, même quand elles sont chez elles. Les musulmanes ont demandé à porter le hidjab sur les photographies d’identité. La Cour suprême leur a reconnu ce droit après de longs palabres.

Cela a évidemment déplu à certains journalistes et fonctionnaires libéraux. Comme en Occident, leur argumentation est des plus faibles. Leur principale objection est qu’une “manifestation active de la religion divisera la société”. Mais le hidjab n’a encore provoqué aucun affrontement interconfessionnel. Dans mon pays, en outre, les adeptes d’un islam rigoureux et les adeptes d’un christianisme orthodoxe non moins rigoureux vivent en paix depuis des siècles. Dans plusieurs régions de l’empire russe, certaines dispositions du droit islamique sont même restées en vigueur jusqu’en 1917, sans que cela entre en conflit avec le mode de vie adopté par la majeure partie de la population.

Je suis convaincu, d’une manière générale, que les adeptes des diverses religions et conceptions du monde peuvent et doivent vivre en paix. Il faut pour cela que nous tous, chrétiens, musulmans, juifs, humanistes, apprenions à nous respecter les uns les autres. Il faut reconnaître à chaque groupe de pensée le droit non seulement à son propre sous-espace, mais aussi à sa propre part d’espace public, y compris l’école, la politique et les média. C’est à cette seule condition que les gens de convictions et de styles de vie différents se sentiront des citoyens à part entière de leur Etat et du monde. C’est à cette seule condition qu’ils pourront se considérer comme les maîtres de leur sort, et non comme des marginaux “tolérés”. C’est à cette seule condition que nous échapperons à un conflit de civilisations.

Merci à l’agence RIA – Novosti

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