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Réflexions sur la France “de souche”

Dernièrement des vidéos circulant sur Internet ont montré des hommes politiques célèbres, tel Brice Hortefeux, Manuel Valls ou encore Jacques Chirac, tenir des propos mettant en doute l’identité française de certaines personnes, du fait de la couleur de leur peau.

Des propos qui prennent évidemment une signification toute particulière dans le contexte du « Grand débat sur l’identité nationale[1] » initié actuellement par le gouvernement Sarkozy.

Pour rappel, Brice Hortefeux, lors de l’université d’été 2009 de l’UMP, posant pour une photo au côté d’un militant d’origine maghrébine, a exprimé son doute sur l’identité française de cette personne en ces termes : « Il ne correspond pas du tout au prototype ». Et le Ministre poursuit « Il en faut toujours un. Quand il y en a un, ça va. C’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes[2] ».

Quant au Député-maire Manuel Valls, c’est lors d’une brocante dans sa ville d’Evry, le 7 juin 2009, qu’il prononce des paroles allant dans le même sens : « belle image de la ville d’Evry… Tu me mets quelques blancs, quelques white, quelques blancos[3] » parmi les exposants et le public.

Plus récemment c’est au tour de Jacques Chirac, en compagnie d’Alain Juppé, lors d’une visite à Bordeaux le 20 novembre 2009, d’exprimer des propos similaires. Juste après qu’un homme, au teint mate, lui affirme qu’il est bel et bien natif de Lormont, une ville française située non loin de Bordeaux, Jacques Chirac dubitatif, en s’éloignant, souffle à son ex-premier ministre : « à mon avis, il est pas tout à fait né… natif de… enfin bon ». « Il est pas Corrézien » lui répond Alain Juppé.

Les propos tenus par ces personnalités politiques, indiquent clairement que l’identité française est nécessairement une identité française de souche. Donc plutôt que de perdre son temps à se demander, à l’instar du gouvernement Sarkozy, « Pour vous qu’est-ce qu’être français », demandons nous plutôt « qu’est-ce qu’être français de souche ? », car c’est de ça dont il est évidemment question dans ce « Grand débat sur l’identité nationale »[4]

Si pour le dictionnaire est de souche celui « Qui appartient à un groupe national donné depuis de nombreuses générations, au point de ne plus être considéré comme un immigrant ni un descendant d’immigrant[5] », pour nous, en observant la réalité des faits, la chose est claire : est de souche celui qui est « blanc » et qui porte un nom, un prénom, à consonance européenne, pour ne pas dire chrétienne ».

D’où vient « l’Homme de souche » ? Selon nous, deux évènements historiques importants permettent dexpliquer son origine  :

 –  Primo, l’expulsion massive des Juifs et des Musulmans d’Europe au 16èmesiècle, donne à « l’Homme de souche » son identité exclusivement chrétienne  ;
 –  Secundo, les théories sur l’inégalité des races humaines produites au 19ème siècle, affirmant la supériorité des « blancs », lui donne son identité exclusivement blanche.

Le 16ème siècle et la « limpieza de sangre » (purification du sang)

Au 16ème siècle l’Europe, via le Portugal et l’Espagne, promulgue des lois de « limpieza de sangre » (« purification du sang ») contre ses propres populations juives et musulmanes.

A la suite de la chute de Grenade (1492), la dernière ville musulmane d’Espagne, les autorités politiques et ecclésiastiques décident d’expulser tous les juifs et tous les musulmans refusant de se convertir au christianisme. Ceux qui choisissent de se convertir auront le droit de rester.

Néanmoins le Tribunal de l’Inquisition ne cessera de les suspecter de vivre une chrétienté de façade, et de continuer, en privé, à pratiquer leur foi. En effet, « Les morisques (les chrétiens d’origine musulmanes) conservent leur langue (l’arabe), leurs modes vestimentaires, leurs habitudes culinaires et hygiéniques (ils ne mangeaient pas de porc et se lavaient souvent, choses mal tolérées par les chrétiens de l’époque), et leurs jours de fête ».

De surcroît, ils sont aussi perçus, comme une cinquième colonne, « c’est-à-dire comme des alliés actifs de l’Empire ottoman » et donc comme « une menace pour la République chrétienne ».[6]

En 1609, il ya exactement quatre cents ans, l’Inquisition décide d’en finir définitivement avec les morisques. Les autorités politiques et cléricales hésitent un moment entre l’extermination physique et la déportation. En effet certains proposent « (…) explicitement le génocide, soit par la pendaison, soit par les travaux forcés (…)[7] ». Ce sera en fin de compte la déportation : « 500 000 personnes – hommes, femmes et enfants, seront déportées (hors d’Europe) avec, au moins, 75 % de « pertes » ».[8]

Avec cette histoire tragique, l’Europe et la France par conséquent s’est bâtie une identité amputée de ses Juifs et de ses Musulmans

Le 19ème siècle et la « supériorité des blancs »

Le 19ème siècle européen érige les blancs en dieux. Joseph Conrad (1857-1924) le proclame en ces termes : « C’est à nous occidentaux de décider qui est un bon ou un mauvais indigène, parce que tous les indigènes n’existent que par la grâce de notre reconnaissance. C’est nous qui les avons créés, qui leurs avons appris à parler et à penser, et quand ils se révoltent ils ne font que confirmer l’image que nous avons d’eux : des enfants stupides (…)[9] »

En France, comme ailleurs en Europe, la tendance est la même. Dans son « Essai sur l’inégalité des races humaines », Joseph-Arthur, comte de Gobineau (1816-1882), diplomate et écrivain français, examine l’origine de l’humanité et celle des races, puis « démontre » qu’on peut établir un classement entre elles. Dans le contexte de l’époque où l’idée d’une hiérarchie entre les races est très généralement admise, son objectif est de prouver la supériorité de l’homme blanc en adoptant une démarche, non pas religieuse, mais historique et scientifique[10].

Gobineau soutient l’existence de races humaines très fortement différentiées et inégales. Et pour lui la couleur de la peau est un critère décisif, le blanc étant la couleur supérieure. Il écrit qu’à « mesure que toutes ces races s’éloignent trop du type blanc […] [elle] finissent par produire cette excessive laideur, […][11]. »

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Il affirme une hiérarchie en force, en beauté et en intelligence dans laquelle la race blanche, et singulièrement sa variété européenne « aryenne » et française, occupe l’échelon le plus élevé. Ces inégalités sont, pour lui, « logiques », expliquées, permanentes et indélébiles[12].

Jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale ces théories dominent l’anthropologie européenne et française. Il faut attendre la fin de la deuxième guerre mondiale, suite au génocide des juifs, et ensuite, vers la fin des années 1950, les luttes anticoloniales, pour que les Etats européens, dont la France, commencent à basculer peu à peu dans une conception de l’Homme qui ne soit plus fondée sur l’idée de la supériorité de la race blanche[13].

Aujourd’hui tout le défi du Grand débat sur l’identité nationale c’est de questionner les origines exclusivement chrétiennes et blanches de l’identité Française, une conception de l’identité qui reste pourtant bien ancrée et dont les sorties inacceptables de Brice Hortefeux, Manuel Valls et Jacques Chirac sont des preuves plus qu’éloquentes.



[1] http://www.debatidentitenationale.fr/

[2] https://www.dailymotion.com/video/xafxrd_quand-brice-hortefeux-derape_news

[3] https://www.dailymotion.com/video/x9jtav_manuel-valls-aimerait-plus-de-blanc_news

[4] https://www.dailymotion.com/video/xb9dg2_apres-hortefeux-jacques-chirac-dera_news

[5] http://fr.wiktionary.org/wiki/de_souche

[6]Rodrigo de Zayas, Le Monde diplomatique, Mars 1997. (http://www.monde-diplomatique.fr/1997/03/DE_ZAYAS/8003)

[7] Ibid.

[8] Ibid.

[9] Joseph Conrad in Edward W. Said, Culture et impérialisme, Paris, Fayard Le Monde diplomatique, 2000, p.20.

[10] Bertrand Jordan, L’humanité au pluriel : la génétique et la question des races, Paris, Edition du Seuil, 2008, p. 17.

[11] Joseph-Artur Gobineau, Essai sur l’inégalité des races, p. 152. Edition accessible sur Internet : http://classiques.uqac.ca/classiques/gobineau/essai_inegalite_races/essai_inegalite_races_1.pdf

[12] Bertrand Jordan, op.cit.p. 25.

[13] Extrait de la Déclaration des experts sur les questions de race faite à l’UNESCO en 1949, dénonçant les conséquences du racisme : « Le mythe de la race a fait un mal immense sur le plan social et moral ; récemment encore, il a coûté d’innombrables vies et causé des souffrances incalculables ». (http://unesdoc.unesco.org/images/0017/001794/179478fb.pdf).

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