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Référendum : de l’affirmation citoyenne des musulmans à l’aveuglement des élites politiques

Le 29 mai dernier, les Français ont souverainement décidé de rejeter à 55% le projet de Traité constitutionnel sur l’Europe qui leur était présenté. La nette victoire du « non » portée par une vague populaire sans précédent, a ébranlé la caste « politico-médiatique » dirigeante qui sommait les Français de voter « oui » pour leur propre bien. On l’aura vu, la majorité de la classe politique, les grands médias nationaux et locaux, les principaux éditorialistes de la presse écrite, les intellectuels médiatiques, tous s’étaient mobilisés pour le « oui ».

Cette « France d’en haut » arrogante et sûre d’elle-même, enfermée dans sa tour d’ivoire, haute et inexpugnable, était coupée des réalités et des difficultés de la « France d’en bas » davantage préoccupée par la persistance d’un chômage de masse, par la détérioration du pouvoir d’achat et par la remise en cause des acquis sociaux.

Ce référendum sur l’Europe aura été l’occasion d’un débat national de fond qui aura passionné et mobilisé l’ensemble des Français. Le taux de participation exceptionnel, en particulier celui des classes dites « populaires » qui d’habitude s’abstenaient le prouve amplement. Le 29 mai revêt donc une signification particulière qu’on ne peut évacuer, comme le fait le Chef de l’Etat, par un simple changement de gouvernement -où on reprend les mêmes et on recommence- et par les mêmes promesses qui s’apparentent à des slogans.

Les musulmans de France se sont aussi appropriés ce débat sur l’Europe dont ils ont été partie prenante. Par ailleurs, on constate avec la nomination d’un « beur  » chargé des « problèmes beurs  » dans le nouveau gouvernement la persistance des représentations « néo-coloniales » au sein de la caste « politico-médiatique » dirigeante, représentations situées à des années lumières de cette réalité musulmane citoyenne.

L’appropriation du débat par les musulmans et le rejet des élites

Les Français musulmans se sont appropriés le débat sur l’Europe qu’ils ont contribué à enrichir en émettant des critiques et en proposant des pistes de réflexion originales. A ce titre, le site « oumma.com » aura été la vitrine de ces échanges féconds. Quels enseignements en tirer ? Tout d’abord, on retrouve au sein des musulmans de France aussi bien des partisans du « oui », que des tenants du « non ». Les deux se sont exprimés sur ce site.

Les Français musulmans ont fait preuve de leur pleine maturité citoyenne, de leur intégration dans la Cité dont ils sont aujourd’hui des acteurs à part entière. On le voit, contrairement aux fausses représentations véhiculées par la caste « politico-médiatique » dirigeante, les musulmans de France ne forment pas un bloc monolithique, mais sont une somme d’individualités citoyennes. Il y a des musulmans qui étaient pour le « non » parce qu’ils souhaitent voir l’avènement d’une autre Europe plus sociale, moins libérale, plus démocratique et moins technocratique. De même, qu’il y a des musulmans libéraux qui sont europhiles et qui ont défendu le «  ; ;oui », parce qu’ils ont été séduits par la Charte des Droits fondamentaux et par la défense des libertés en général et des libertés religieuses en particulier qui y sont contenues.

Pour résumer, il y a des musulmans de « gauche  », progressistes, qui défendent des idéaux de justice sociale et d’égalité. Il y a aussi des musulmans de « droite », conservateurs, qui sont attachés à la défense de certaines valeurs traditionnelles. Ces clivages se retrouvent dans l’ensemble de la société française et ils reflètent la position de chacun dans le champ politique et social.

Un sondage pour La Vie a montré que 56% des musulmans de France avaient voté « non », ce qui montre bien que la communauté musulmane reproduit les fractures qui traversent la société française.

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Ensuite, les observateurs se sont accordés à dire que les résultats du référendum illustraient un divorce entre les citoyens et leurs élites dirigeantes majoritairement favorables au « oui ». A l’échelle de la communauté musulmane, on pourrait faire le même constat. Les principales grandes fédérations musulmanes représentées au sein du Conseil Français du culte musulman (CFCM), avaient ouvertement pris position en faveur du Traité constitutionnel. L’ « Union des organisations islamiques de France » (UOIF) avait discrètement appelé à voter « oui », tout comme le Président du CFCM, Dalil Boubakeur, qui l’avait fait publiquement.

Ce désaveu des élites musulmanes par la base aura un impact bénéfique car les musulmans ont montré qu’ils ne sont pas des moutons qu’on mène à la baguette mais des citoyens vivant en osmose avec leur environnement non-musulman dont ils partagent les préoccupations. C’est aussi l’occasion pour les membres du CFCM de se rappeler qu’ils ne sont pas les délégués politiques des musulmans de France, mais simplement les représentants du culte musulman.

La persistance de représentations « néo-coloniales »

Ce sont les questions sociales qui ont pesé dans le vote des Français. Chirac en a-t-il tenu compte ? Quelles mesures entendait-il prendre pour recoller les morceaux et redonner confiance aux Français dans la politique ? Il a simplement décidé de changer de gouvernement en nommant un nouveau Premier Ministre, Dominique De Villepin et en rappelant Sarkozy à l’intérieur.

Pour ce qui est des musulmans de France, un mauvais remake de Tokia Saïfi a été opéré avec la nomination du sociologue « beur » Azouz Beggag au poste de Ministre délégué à « la promotion de l’égalité des chances ». On le voit, la caste « politico-médiatique » dirigeante reste enfermée dans une vision « néo-coloniale » de ses citoyens musulmans complètement déconnectée de la réalité.

A quand un ministre de confession musulmane à un poste qui n’aura aucun lien avec sa condition de musulman ou ses origines ? La « promotion de l’égalité des chances » ça renvoie à quoi ? Aux « jeunes des banlieues », à l’ « immigration » et en fin de compte à l’islam. Un « Arabe » pour s’occuper des problèmes d’ « Arabes ». Pourquoi ne l’a-t-on pas nommé aux affaires étrangères ? Après tout, Philippe Douste-Blazy n’est pas diplomate de formation, il est cardiologue.

Et puis à Perpignan, on a vu Sarkozy parader et dire qu’il ne tolèrerait pas les « comportements de voyous », qu’il ferait preuve d’une « tolérance zéro ». C’est ici qu’un problème de fond se pose. Avec la « promotion de l’égalité des chances », on donne le sentiment qu’on considère que ceux qu’il faut aider ont des difficultés, des handicaps, des déficiences (intellectuelles ?) et qu’ils ont besoin d’être assistés. N’est-ce pas là le propre de toute logique coloniale ? Pourquoi Jacques Chirac et Dominique De Villepin n’ont-ils pas plutôt créé un ministère de « la lutte contre les discriminations » pourvu de moyens considérables. Pourquoi ne les voit-on pas tenir des discours fermes et intransigeants sur les questions du racisme au quotidien, à l’embauche et aux logements dont sont victime s les musulmans de France, racisme structurel et non simplement conjoncturel comme a pu l’être la récente poussée antisémite ? La « promotion de l’ égalité des chances » nous montre à quel point la « tolérance zéro » est à géométrie variable.

On le voit, la société civile musulmane existe, se développe, s’émancipe et participe à la vie de la Cité. La caste « politico-médiatique » dirigeante, elle, est coupée des réalités de la « France d’en bas » et plus particulièrement des aspirations citoyennes des musulmans de France.

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