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Quand s’organise la guerre des civilisations…

Peut-on discuter de l’islam sereinement ? A regarder la télévision française, à lire la « Une » des hebdomadaires, on se prend à en douter. La production éditoriale submerge les librairies où le meilleur (rare) côtoie (toujours) le pire. Le nombre de « spécialistes » autoproclamés (ou plutôt intronisés par les médias) s’est accru de manière exponentielle depuis le 11 septembre 2001. Même la fin du débat sur la loi sur le foulard à l’école ne semble pas avoir apaisé les esprits.

Au contraire… De très médiatiques intellectuels et journalistes, de Bernard-Henri Lévy à Philippe Val, ont lancé un appel repris par « L’Express » , « contre le nouveau totalitarisme », qui, après le fascisme, le nazisme et le stalinisme, représente « une menace globale de type totalitaire : l’islamisme ». Pour eux, la troisième guerre mondiale a commencé. Pour une partie des opinions occidentales aussi : en mai 2006, 56% des Allemands pensait qu’une guerre des civilisations était en cours.

En miroir, dans le monde musulman, s’enracine le discours d’Oussama Ben Laden sur la « guerre contre les Croisés et les juifs », qui trouve un écho d’autant plus favorable qu’il est alimenté par la guerre américaine en Irak et par l’injustice persistante faite aux Palestiniens.

En deux mots, le « choc des civilisations » que beaucoup condamnent avec leur raison s’installe dans les têtes. Il devient la grille d’analyse qui structure notre compréhension du monde. N’importe quel incident, grave ou non – des menaces sur un musulman converti en Afghanistan à la demande de nourriture hallal dans un collège de Seine-Saint-Denis –, n’importe quelle crise, larvée ou ouverte – de l’Algérie à l’Irak – prend des allures d’affrontement planétaire entre « eux » et « nous », entre le Bien et le Mal, entre le Diable et le Bon Dieu.

Dans les débats sur l’islam, si on peut parler de débat, les arguments se déclinent en noir et blanc. Toute analyse un peu nuancée est bannie, toute prise en compte de la complexité réduite à une volonté de trouver des excuses au terrorisme ou à l’islamisme…

La publication au Danemark de caricatures du prophète Mahomet est un bon exemple de l’engourdissement de la raison. L’onde de choc a soulevé le monde musulman dans son ensemble, suscitant des émeutes et des attaques contre des ambassades, faisant des morts et des blessés. D’innombrables intellectuels occidentaux se sont mobilisés contre l’obscurantisme qui menaçait les sociétés libres, contre la vague totalitaire qui risquait de les submerger.

Pourtant, ne peut-on affirmer à la fois le droit à la libre expression, soumis dans chaque pays à certaines restrictions – ainsi pour le blasphème, interdit en Grande-Bretagne contre le christianisme (mais pas contre l’islam) ou même, pour l’expression d’opinions racistes, rejetée en Europe mais admise aux Etats-Unis – et reconnaître que le Danemark est tout sauf un Etat laïque, qu’il y existe une religion d’Etat, le protestantisme luthérien, que les prêtres sont des fonctionnaires, que les cours de christianisme sont obligatoires à l’école, etc. . Reconnaître aussi que la tolérance est sérieusement écornée dans ce pays où la majorité de centre-droite ne tient que grâce à l’appui d’une formation d’extrême droite, le Parti du peuple danois, qui n’a rien à envier au Front national français.

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Enfin, que le quotidien « Jyllands-Posten », qui a fait paraître les caricatures de Mahomet, avait refusé, il y a quelques années, de publier une caricature qui montrait le Christ, avec les épines de sa couronne transformées en bombes, s’attaquant à des cliniques où étaient pratiquées des interruptions volontaires de grossesse.

Dans ce contexte, il faut insister : il n’existe pas UN islam ou UN Occident qui se font face. En témoigne la multiplicité des réactions à la publication des caricatures de Mahomet, selon les pays, selon les situations : si les Pakistanais se sont mobilisés et ont massivement manifesté, les Egyptiens sont restés bien silencieux et les musulmans d’Europe plus encore… Les actions violentes qui se sont déroulées en Palestine, menées pour l’essentiel par des groupes liés au Fatah, avaient plus à voir avec une condamnation de la politique européenne au Proche-Orient qu’avec l’islam… Et les attaques contre certaines ambassades occidentales à Beyrouth ou à Damas relevaient de la politique du gouvernement syrien baasiste et « laïque » qui voulait desserrer la pression contre lui…

C’est cette diversité qu’il faut essayer de comprendre, c’est la polysémie du mot islam qu’il faut savoir décrypter. Il n’existe pas « une civilisation » musulmane homogène, dans laquelle les êtres humains agiraient de la même manière, penseraient de la même manière, vivraient de la même manière. Il est aussi faux que dangereux d’enfermer les musulmans dans une définition étroite et dogmatique qui les réduirait à une seule des multiples dimensions de leur vie. L’islam a mille et un visages, les musulmans aussi…

Préface inédite du livre d’Alain Gresh “L’islam, la Republique et le monde” aux editions Hachette, 2006.

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