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Quand l’identité nous est contée

Quand je dis que je suis français, j’applique au problème de l’identité l’expérience historique et culturelle d’un espace défini, la France, et le rapport à mon vécu. L’identité est dès lors ce que l’on met en oeuvre quand on parle du passé, par exemple la colonisation du pays de mes ancêtres, l’Algérie, et l’habitude d’être, c’est-à-dire l’acquis personnel incorporé dans le présent. En gros, l’habitude qui fait qu’on ne se pose pas de questions, jusqu’au jour où l’on est montré du doigt.

L’idée de soi se fonde dans le principe qu’elle l’est toujours. Personne ne se lève le matin en supputant que ce jour là il se sent plus ou moins français. Bien sûr, on peut changer de nationalité, mais cela ne fait qu’exalter la représentation, parfois le privilège. L’identité, elle, est agisssante : elle remonte sans cesse la pente de l’être. Il y a comme une parenté indissoluble entre ce que l’on croit et ce que l’on vit. Chacun à sa manière habite son propre mythe, idéologique, régionaliste, religieux, économique, artistique, peu importe sa nature.

Rabelais nous explique que Gargantua est né de l’oreille de sa mère, et c’est vrai puisque cela est écrit en français. Sacrée langue maternelle qui ressortit à notre naturalisation à tous. La démocratie, elle, ne demande pas que nous nous aimions mais plutôt que nous nous reconnaissions. Libre aux politiciens de rêver leurs concitoyens comme des êtres rancuniers, ignorants, frustrés, médiocres, jaloux, grognons, ou dont l’esprit critique se résumerait aux nuances des programmations de plus en plus débiles de la télévision.

La panoplie culturelle ou politique de l’usage de l’identité française fait qu’au bout du compte les polarités se recoupent, qui dans les fantasmes (la mission civilisatrice), les ratages (la colonisation), les heures de gloire (la Révolution), les états d’âme (le droit d’ingérence), les malaises (le chômage chronique), ou bien dans la jouissance (la Coupe du monde 1998). On va même jusqu’à se sentir chez soi dans la polémique. Règne en France effectivement le syncrétisme d’une familiarité nationale de la différence. Ainsi, nonobstant son épisode vichyste, la France n’est-elle pas la seule démocratie occidentale à s’être choisie trois premiers ministres juifs au cours du XXème siècle ?

On doit à la Révolution d’avoir imposé l’idée vraie du citoyen. Être français nous exhorte à ce double signe historique et juridique. Aussi est-il incompréhensible qu’aujourd’hui on veuille refaire de l’identité un procès national. Serait-ce que pour l’individu, comme pour le pays, l’identité est devenue le maillon faible de l’existence ? L’ironie de l’Histoire est que justement le racisme français a une histoire.

Sa factualité se pose là dans toute son évidence. Pendant les Trente Glorieuses, les arabes et les noirs, après avoir versé leur sang pour le drapeau tricolore, ont reconstruit la France. Le quartier de la Défense (bien nommé pour les apologues du syndrome identitaire) n’est-il pas l’expression du mariage de raison entre capitalisme et immigration ? Et ce à une époque où il était impensable et impossible de se passer de la main d’oeuvre nord-africaine ?

Aujourd’hui parce que la France se sent vulnérable face à sa diversité ethnique et confessionnelle, on voudrait que ces gens là et leurs enfants deviennent invisibles. N’est-ce pas cela le discours de l’intégration : inventer une expulsion de l’intérieur pour ne plus souffrir de cette présence étrangère à nous-mêmes ? Il est remarquable que pour le monde politique le concept d’identité soit de moins en moins associé au droit, cette unité vivante de l’esprit et de l’Histoire qui jadis fit de la France la référence.

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Dans cette séquence xénophobe et obscurantiste que traverse l’Hexagone aujourd’hui, l’identité a été promue en avatar électoraliste, en un prolongement dogmatique. La nouvelle quadrature du cercle pour les candidats dits républicains se rapporte alors à une question : comment faire entendre le discours sur la distinction sans être taxé de racisme ? Créer un ministère, agiter son petit drapeau, ou pourquoi pas porter un croissant jaune sur le revers de la veste, qui sait la morale du conte nationaliste ?

Ce que l’on veut dire lorsque l’on prétend distinguer les Français entre eux est qu’on a perdu le mode d’emploi de l’identité. L’intervention de Nicolas Sarkozy se greffe exactement sur ce débat, où l’on entend un fils d’immigrés jouer du flou hexagonal contemporain (mondialisation, intégration européenne mais échec du projet de Constitution, disparition de la monnaie nationale, visibilité islamique, repli du catholicisme dans sa pratique, affaiblissement de la stature politique internationale, une francophonie peau de chagrin, etc.) pour sommer d’autres enfants d’immigrés de se justifier face au déficit identitaire national.

Ce fameux “ministère de l’identité nationale” propose la fable de la cohésion. Être français serait surtout cela : se regarder ensemble dans le miroir de l’universel républicain. Se dire : “Nous sommes cela et rien de plus”. Fiers d’être quand même sur le Titanic, lorsqu’en vérité c’est le radeau de la Méduse.

Le pire est que la proposition du candidat de l’UMP n’a rencontré quasiment aucune résistance, ni dans le monde politique ni parmi les intellectuels. Un tel consensus nous renvoie à des évidences contradictoires. C’est comme affirmer que vouloir tirer la question au clair ne ferait que brouiller les pistes. Plus je dis que je suis français, plus il m’est impossible de prouver mon identité.

Je me dois donc d’interpréter : certains sont Français, d’autres sont Français d’origine-quelque-chose. Ce glissement entre deux états est l’expression de la défaillance qui domine les élites politiques hexagonales. Ils n’ont pas encore compris qu’il n’y a plus de désir d’identité au sein d’une mère-patrie qui s’arrogerait le droit de nommer ses enfants. Dans l’idéal, l’image de soi, en tant que Français, devrait fonder le deuil la complaisance nationaliste élevée au rang de programme politique. Ainsi cesserait-on de déguiser la peur en valeur. En est-on revenu à ce qu’écrivait Chateaubriand au sujet de la bourgeoisie politicienne, que l’esprit français se présente “la liberté à la bouche et le servage au coeur” ?

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