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Où donc s’en est allé le Peuple ?

Selon M . Georges Frêche : « Pour être accessible au peuple, il ne faut pas être trop intelligent » (1)

Une telle appréciation du peuple (mais un peuple a-t-il encore existence ?) témoigne assurément du respect requis pour être le chantre de la défense des droits de l’Homme. Du moins a-t-elle le mérite d’éclairer les propos inqualifiables de M. Frêche (2) visant un ou les harkis : le nombre est ici insignifiant au regard de la teneur du propos. Ce dernier est constitué en l’espèce d’une bordée d’injures portant atteinte à l’intégrité humaine. Qu’on en juge : « Vous faites partie des harkis qui ont vocation à être cocus jusqu’à la fin des temps …faut-il rappeler que 90.000 harkis (3) se sont fait égorger comme des porcs » Ouvrons un intermède : c’est là une image certes ! mais d’autant plus significative que, à notre connaissance, les porcs sont saignés et non égorgés. Aussi, comment voir dans le recours à l’image du porc une simple maladresse de langage ? Continuant sur sa lancée, M. G. Frêche assène : « vous êtes des sous-homme, vous n’avez rien du tout, vous n’avez aucun honneur ».

Les mots, aussi efficients que des armes, tuent, à un autre niveau, certes !, mais ils tuent assurément.

Dès lors, le problème, d’ordre éthique pour une part, nécessite une position de principe ne supportant pas la moindre dérogation : l’inacceptable est irrecevable et injustifiable et son auteur doit être condamné. On ne transige pas lorsqu’il s’agit de dignité humaine. Mais les droits de l’Homme existent-ils encore, en fait, en acte ?

Par ailleurs, le débordement de M. Frêche renvoie à la crédibilité du pacte social : à quoi bon édicter et multiplier les lois contre les discriminations, le racisme si des élus sont les premiers à les bafouer ? N’est-ce pas ouvrir grand les portes que l’on prétend fermer ? Dès lors quel crédit accorder à la loi, censée régir les rapport sociaux condition sine qua non du vivre ensemble : Peut-on la ravaler au rang de simple exercice formel, démagogique et cynique ?

M. G. Frêche, contrevenant à ce qui est censé être la loi, relève de la justice. C’est là l’autre versant du problème.

Les harkis et descendants de harkis sont nombreux ( et leur nombre ira croissant) à porter plainte et se constituer partie civile. Et ce, non pas parce que blessés – ils ne se situent pas, ici, au niveau de l’affect mais du social : le respect de la légalité établie. Ils réclament d’abord et avant tout sanction (4), seule réparatrice ou tout au moins compensatrice.

Le PS, interpellé sur l’attitude d’une de ses plus éminentes figures, se défausse du problème (5) en se satisfaisant d’excuses publiques, prétendument adressées à la population harkie lors d’une conférence de presse (6). Mais qu’on se réfère au texte et juge encore une fois ! M. G. Frêche avance « J’ai blessé par maladresse et je vous demande de me le pardonner. J’ai été maladroit mais nourri de mes convictions du respect que l’on doit à ces hommes et ces femmes. »

M. G. Frêche demande pardon… aux journalistes. Ces derniers seraient-ils habilités à l’accorder au nom de la population harkie ou, on n’ose y le croire, M. Frêche solliciterait-il une connivence de bon avec ses propos incendiaires ?

Quoi qu’il en soit, et n’en déplaise aux instances dirigeantes du PS, dans le cas d’une violation de la loi, le pardon s’accorde après la sanction.

Cette dernière fut sollicitée auprès du PS par une délégation d’enfants de harkis, conduite par Abdelkrim Klech (7)… sans succès.

Insatisfaits de la fin de non recevoir les membres de la délégation ont refusé de quitter les lieux. Ils furent alors éconduits, sans ménagement par le service d’ordre du parti, déterminé à casser du « Harki », cet empêcheur de tourner en rond.

Il se conçoit que 2500 voix de « rapatriés européens » du Languedoc-Roussillon, constituent un enjeu électoral d’importance. Mais, doit-on brader les valeurs inhérentes aux droits de l’Homme pour se les rallier ?

Si tel est le cas, où se situe la rupture avec l’UMP, engagée sur une pente glissante, propice à toutes les dérives à force de concessions à l’extrême droite ?

Enfin, il est étonnant que G. Frêche tienne pour infâmant et déshonorant d’être gaulliste en référence au chapitre algérien. Le Général de Gaulle eut le mérite face au conflit franco-algérien de faire preuve du courage qui fit cruellement défaut à la quatrième république, gouvernement de coalition mais à forte composante de gauche et notamment SFIO.

L’histoire, autrement dit les faits, atteste que les instances dirigeantes de la gauche française consentirent plus qu’il ne fallait au colonialisme et ses tenants, au point de mettre en péril la république française tout en engageant une guerre totale propice à la décimation du peuple algérien, si besoin était.

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Reconnaissons au Général de Gaulle d’avoir été, dans un contexte périlleux, un artisan de la paix sans oublier pour autant les modalités du désengagement, meurtrières pour les harkis sacrifiés en la circonstance sur l’autel des intérêts matériels de la France.

Les hiérarques d’une gauche, ayant engendré pour une part non négligeable le fait harki, sont peut être mal placés pour donner des leçons de morale. Ce, d’autant plus qu’ils ne montrèrent aucun empressement à assumer une responsabilité vis à vis du fait harki. Ce dernier concernait toute une population – composée majoritairement de femmes et d’enfants – vouée par l’abandon des forces progressistes, à un statut social indigne et infâmant. Mais précisément , le fait Harki, à ce jour encore préfabriqué, vaut surtout par sa position sociale de bouc émissaire. Alors que produit d’une guerre sale et sans gloire, les harkis se sont vus chargés de toute son horreur….Eux qui ne furent pour l’essentiel que chair à canon, utilisés, la guerre se faisant impopulaire en France dès fin 55, pour épargner la vie des appelés. Un usage initié par la 4éme république et déjà porteur d’un mépris sans nom.

Quand donc la Gauche fera-t-elle l’inventaire de son passé porteur de son présent et de son avenir ?

Une fois parvenus sur le territoire français, comment les harkis et leur famille auraient-ils pu échapper à la mauvaise conscience française et à leur désignation en victime expiatoire nécessaire au bon fonctionnement de la société et notamment à la bonne conscience de la gauche ? Cette dernière se fit silencieuse (de crainte d‘être interpellée sur sa réalité ?) laissant toute une population condamnée à la relégation, à l’exclusion du droit commun au profit d’une administration parallèle, à la clochardisation sociale et psychologique. Il est donc malvenu de déplorer, comme le fait M. Frêche, les effets d’une déstructuration psychosociale résultant d’une politique sociale délibérée et jamais dénoncée.

Dans les faits, les harkis ne sont que le miroir de notre réel et nous informent plus sur notre société et son mode de régulation qu’ils ne donnent à voir d’eux. Il est donc vain d’agonir d’injures ou de déplorer. Mieux vaut tenter de remédier aux effets d’une gestion sociale commandée par l’indifférence et calamiteuse à tous les niveaux. Pour cela, encore faut-il faire montre d’une réelle volonté et d’un dessein socio politique.

N’est-ce pas là précisément le devoir et le rôle d’un élu avant toute chose ?

Notes :

(1) Propos rapporté par Libé du 9-02-2006 repris par le Canard Enchaîné du 15-02-2006.

(2) Discours de G. Frêche du 11-02-2006.

(3) Donnée non étayée par les faits et significative exclusivement de l’usage idéologique fait de la guerre d’Algérie du côté français. Mais, du côté algérien, ce n’est guère mieux.

(4) Comme ce fut le cas en son temps pour M. Le Pen. En l’occurrence, le rapprochement s’impose de lui-même.

(5) Communiqué de presse du 17-02-2006.

(6) Déclaration du 13-02-2006.

(7) Président du Collectif National Justice pour les Harkis et leur Famille.

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