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Or-Tunisie: une opération de diversion ?

Telle l’arlésienne (1), l’affaire des lingots d’or dérobés par la Famille du dictateur tunisien Zine el Abidine Ben Ali a refait brutalement surface à la mi-Février 2013, en France, en plein conflit du Mali, alors que la Tunisie connait un regain de violence entre islamistes et progressistes, dans la foulée de l’assassinat du dirigeant démocratique tunisien Choukri Belaid.

Le vol des lingots d’or tunisien avait été évoqué une première fois dans la presse par le Journal Le Monde, en janvier 2011 (2-A), dans la foulée de la fuite du président déchu. Son surgissement, via Nice Matin (2-B), deux ans plus tard, pose le problème des enjeux de pouvoir que l’affaire sous-tend.

Me William Bourdon, Président de Sherpa, association anti-blanchiment d’argent et avocat de Transparency international, a critiqué « une faille dans le dispositif français et européen ». Au-delà de cette condamnation, en l’absence de toute réaction officielle des divers protagonistes, cette affaire ténébreuse à bien des égards pourrait apparaitre comme une opération de diversion à une lutte de pouvoirs transméditerranéens, en superposition à des enjeux internes.

Un ancien haut fonctionnaire français, grand spécialiste du Maghreb, a fait preuve de scepticisme devant la narration journalistique de l’affaire suggérant d’autres pistes. «Pas sûr que l’origine de cet or soit la Banque Centrale de Tunisie, établissement à l’image de la Banque de France ou du Liban, sérieux et rigoureux, capable de traverser les turpitudes des politiques et même les guerres.

«Des lingots proviennent-ils de Ben Ali ou de son clan ? Tout est possible avec eux, mais ce type de trafic a besoin de nombreux complices. Pourtant, il n’y a pas d’indiscrétions sur les passeurs. Pourquoi acheminer du métal encombrant depuis la Tunisie vers la France? Pour blanchir? Pour transférer? Vers où? En France, les douanes et la DNED dépendent de Bercy (ministère des finances). Pourquoi passer par Paris ou Nice qui sont très surveillés. Pourquoi ne pas aller directement à Zurich, capitale mondiale des transactions d’or?

«Il ne faut pas oublier que la Tunisie est au sud de la Sicile! De plus, le pays n’est plus du tout contrôlé. Les frontières sont totalement perméables avec la Libye et avec l’Algérie. Ainsi à El Menzah, banlieue de Tunis, l’essence de contrebande venue d’Algérie est en vente à la sauvette», a-t-il expliqué à l’auteur de ces lignes.

Sur la foi des élements disponibles, il n'est pas interdit de déduire six hypothèses de départ:

Primo: La divulgation de l’affaire par Nice Matin, trois mois après son passage sous contrôle de Bernard Tapie, tendrait à accréditer l’idée d’un possible repositionnement politique du repreneur d’affaires dans l’échiquier régional et national dans la perspective des prochaines élections municipales de 2014. L’ancien directeur de l’Olympique de Marseille avait déjà brigué la Mairie de la cité phocéenne, dans la décennie 1990, à l’époque où il était membre du gouvernement socialiste de François Mitterrand.

La sophistication des sources citées par l’enquête de Nice Matin «sources de la Douane française de Nice, Marseille et Paris, qui ont saisi le Groupe opérationnel de lutte contre le terrorisme (Golt) de la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED)» tendrait, là aussi, à suggérer le sérieux de l’enquête, ou à l’inverse, noyé l’identité du ou des informateurs. Avec l’objectif de suggérer que «Tapie, c’est du lourd désormais et non du pipeau, Coco». Une force avec laquelle il faudra compter. Un relayeur efficace. Si cette hypothèse se vérifiait, Bernard Tapie aurait opéré là une entrée subliminale dans le débat public de la région PACA (Provence-Alpes-Côte d’Azur), particulièrement à Nice (Sud de la France), fief du féal sarkozyste Christian Estrosi.

Deuxio: L’Elysée avait fuité l’affaire du vol de l’or tunisien, en janvier 2011, via Le Monde, avant que le quotidien ne se rétracte, sans explications convaincantes.  Nicolas Sarkozy a-t-il voulu garder cette carte en main en vue d’une éventuelle collaboration avec les néo-islamistes, alors au seuil du pouvoir dans le Monde arabe?  D’une manière subséquente, le pouvoir français avait-t-il alors fermé l’œil en raison de la proximité de Rached Ghannouchi, le chef du mouvement islamiste tunisien d’An Nahda avec l’Emir du Qatar, alors chouchou de Nicolas Sarkozy?

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Tertio: Le trafic s’est arrêté en avril 2012. En fuitant l’affaire un an après, les services français veulent-ils suggérer une complicité entre Ben Ali et An Nahda pour déconsidérer le parti islamiste, d’autant plus vraisemblablement que M. Ghannouchi avait noué connaissance avec Sakr Matari, à Londres, du temps où le prédicateur y vivait  en exil et le futur gendre présidentiel y séjournait d’abord en tant qu’étudiant d’abord, en tant qu’hommes d’affaires, ensuite.

Quarto: En portant l’affaire une nouvelle fois sur la place publique, dans un contexte  radicalement différent, le pouvoir socialiste a-t-il voulu adresser un signal au Qatar pour «siffler la fin de la partie» et lui signifier de se calmer avec ses manigances avec  Ansar Eddine que la France combat au Mali ? Ce faisant, le pouvoir socialiste a-t-il voulu se dédouaner à bon compte auprès de l’opinion française de l’accusation de duplicité dans ses rapports avec le djihadisme salafiste, qu’il combat au Mali, qu’il encadre et conseille en Syrie.

Quinto: Le trafic s’est arrêté en avril 2012. S’agit-t-il d’une torpille socialiste contre Nicolas Sarkozy en ce que le trafic s’est déroulé sous sa mandature;  révélation bienvenue pour le pouvoir socialiste pour autant que l’affaire vienne encombrer et compliquer encore plus le paysage politique et judiciaire du «premier président de sang mêlé de France» en lui coupant définitivement l’envie de rêver d’un retour au pouvoir en se rasant tous les matins?

Dernier et le moindre des arguments: Occulter le plus important, selon le principe de la lettre volée (3), les comptes bancaires du trio infernal— Ben Ali-Moubarak-Kadhafi placés dans les institutions financières occidentales.

De l’ordre de 120 milliards de dollars, infiniment plus lourd que cette peccadille de lingots d’or, séquestrés en toute quiétude et pour leur plus grand bénéfice dans les coffres des banques occidentales, à un moment de leur plus grand besoin en cette période de crise de l&rsq
uo;endettement européen.

Se référant aux estimations de la CNUCED, Me Fabrice Marchisio, avocat spécialisé dans le recouvrement d’actifs frauduleux, précise que 400 milliards de dollars ont fui l’Afrique entre 1970 et 2005 vers d’autres continents et se fondant sur les estimations de la banque Mondiale, il indique que le montant des détournements des dictateurs arabes déchus lors du «printemps arabe», Hosni Moubarak (Egypte), Zine El Abidine Ben Ali (Tunisie) et Mouammar Kadhafi (Libye) serait d’une ampleur oscillant entre 100 milliards et 200 milliards, une variation qui intègre dans ses estimations des actifs dissimulés (4).

Références

1-L’Arlésienne est  une nouvelle d’Alphonse Daudet  publiée en 1866 dans les Lettres de mon moulin; Une Arlésienne est une personne constituant le sujet principal d’une intrigue mais que l’on ne voit jamais (comme dans la nouvelle de Daudet). Par extension, c’est devenu un type de personnage de fiction.

2- L’affaire des lingots d’or de Tunisie

La version du Journal le Monde

Le journal Le Monde rapportait, en janvier 2012, dans la foulée de la fuite du dictateur tunisien, que La famille Ben Ali aurait fui avec 1,5 tonne d’or, soit 45 millions d’euros, se référant à des soupçons en provenance de l’Elysée.

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