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« Nous devons porter sur le soufisme un regard critique »

Le soufisme séduit de plus en plus. Beaucoup voient en lui l’antidote contre le salafisme, le radicalisme, l’islam politique qui alimentent la violence au nom de l’islam. Dans les pays musulmans, comme l’Algérie, l’Égypte, le Maroc, Ouzbékistan on encourage le retour au soufisme et on réhabilite les confréries soufies mises à l’épreuve depuis l’expansion wahhabite. Aussi pour se distinguer le l’islam radical beaucoup de personnes préfèrent-elles se présenter comme étant soufies. En Occident, la fascination pour le soufisme connaît également une grande ampleur.
La fascination pour le soufisme réside dans le fait qu’il se veut un islam spirituel. Il se présente ainsi comme une solution à la suprématie de la dimension sociale en islam, c’est-à-dire la charia considérée par la grande majorité des musulmans comme sacrée et intemporelle, ce qui constitue un obstacle à l’évolution des sociétés musulmanes et entrave leur passage à l’ère de la modernité. En Occident et notamment en France où la laïcité connaît une difficulté face à ce corpus législatif, de plus en plus revendiqué, encourager le soufisme se présente comme la meilleure façon d’aller vers un islam plus compatible avec les valeurs de la république.
Le soufisme est également connu pour être une doctrine de tolérance, ce qui ne peut que séduire alors que la violence au nom de l’islam inquiète. Ce critère de tolérance lui est attribué par le fait qu’il fait prévaloir la dimension spirituelle de l’islam. Or, dans une spiritualité, ayant comme seul objectif l’adoration du divin, non seulement tous les islams se valent mais aussi toutes les religions. Toutefois, l’élément le plus séduisant dans le discours soufi est sa théorie sur l’amour ; quoi de meilleur que l’amour pour contrer la violence et le fanatisme ?
Cependant, reconnaître ces aspects positifs du soufisme ne doit pas nous empêcher de l’aborder avec davantage de réalisme et de porter sur lui un regard critique. Tout d’abord, il est important de souligner, que quel que soit le caractère universel du soufisme, il s’agit d’une doctrine qui appartient à l’islam ; c’est une manière de le concevoir et de le pratiquer. Bien qu’elle se veuille spirituelle, elle ne rejette pas la dimension sociale de l’islam. Depuis le compromis qu’il y a eu entre les soufis et les juristes aux environs du XIIe siècle, les maîtres soufis rappellent l’intérêt que leur doctrine donne aux recommandations de l’islam. Certains comme Ruzbehan et al-Ghazali étaient des maîtres dans la jurisprudence. Le Cheikh Khaled Bentounes, le père spirituel de la confrérie soufie al Alawiya, écrit à ce sujet : « L’islam, comme toute religion, a un aspect extérieur, fait de lois, de doctrines, de préceptes, etc. Mais, les soufis ne se suffisent pas de cela. ».
Ensuite, concernant le principe de l’amour dans le soufisme, qui est très intéressant, Nacer Hamed Abou Zaid met en garde, dans son livre Ainsi parlait Ibn Arabi, contre la sublimation d’Ibn Arabi icône de l’amour soufi. Il s’appuie sur des textes de ce dernier pour montrer que dans des circonstances particulières celui-ci a tenu des propos qui vont à l’encontre du principe de l’amour qu’il évoquait dans ses poèmes.
Sans doute, l’élément le plus important dans la doctrine soufie est la théorie des saints. Elle est fondée sur l’idée que la vérité n’est accessible « ni par la spéculation intellectuelle ni par les perceptions sensibles. Elle ne peut l’être que par l’inspiration et le dévoilement spirituel. C’est donc, une fois encore, Dieu qui dévoile la vérité à ceux qui ont atteint la pureté intérieure, c’est-à-dire aux initiés, aux saints. » (Razika Adnani, Islam : Quel problème ? les défis de la réforme, p.32 UPblisher).
Selon cette théorie, celui qui reçoit la vérité ne doit pas chercher à la démontrer par le raisonnement, il doit se contenter de la déguster et de la transmettre telle quelle à ses adeptes. La connaissance dans le soufisme ne relève donc pas de l’humain ni de ses facultés intellectuelles. Ainsi, sur le plan épistémologique, le soufisme est fondé sur des principes ne permettant pas l’épanouissement intellectuel et n’encourageant pas la pratique de la raison comme faculté rationnelle
Quant à l’histoire, elle nous rappelle qu’entre le XIIe siècle et le XIXe siècle, le monde musulman a sombré dans la superstition et l’esprit magique alors que cette période constitue celle de l’épanouissement du soufisme. Lorsque, à la fin du XIXe siècle les musulmans se sont réveillés de leur long sommeil, ils étaient abasourdis par leur retard par rapport à un Occident très avancé. Aujourd’hui, au Maghreb, avec le retour au soufisme et ses confréries, ce phénomène de superstition et d’esprit magique connaît un regain inquiétant. Assurément, la valeur d’une théorie ou d’une idée se mesure par ses effets sur la réalité des personnes qui croient en elle et sur leurs comportements.
C’est pour tout cela qu’il est important et indispensable de préciser que le retour au soufisme et ses confréries ne peut pas être la solution à la crise que traversent l’islam et les musulmans. La situation de l’islam et des musulmans est une conséquence de la position négative que les musulmans ont prise face à la pensée créatrice et rationnelle et le soufisme ne propose rien pour leur épanouissement. C’est pour cela que le discours sur la tolérance et l’amour que prônent les soufis, qui ne peut être qu’intéressant, ne doit pas empêcher de porter sur le soufisme un regard critique, d’être prudents afin de ne pas ajouter un obscurantisme à celui qui existe déjà.

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10 commentaires

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  1. Razika Adnani : “non seulement tous les islams se valent” : tout bon chercheur et spécialiste de l’islam ne parle pas de l’islam au pluriel !!!! Mme Adnani devrait porter son regard critique en premier lieu sur la faiblesse et l’imprécision de ses connaissances (“aux environs du XIIe siècle” : quelle rigueur historique !!!). Quand on réclame une pensée rationnelle, on s’applique en premier lieu une rigueur intellectuelle. Les références à l’islam et au soufisme sont imprécises et subjectives. Copie à retravailler avant de la publier !

  2. Je pense que vous devriez d’abord vous intéresser à
    Slimane Rezki et à Tayeb Chouiref pour les préliminaires,ensuite, faire un détour par Ibn Arabi, Al Rumi, Al Ghazali…etc.
    Mais avant tout cela, la chose la plus difficile est d’arriver par des raisons X et Y qui relèvent peut etre de Dieu à chercher à vous connaître: “Connais toi toi même” ‘est le début du cheminement ardu d’un soufi.
    Pas besoin de confrérie et merci d’éviter de relier le mot “obscurantiste” à l’islam en général et au coeur de l’islam qu’est le soufisme, l’islam n’est pas les musulmans.
    Après, en ce qui concerne la rationalité, pitié.
    Je suis 3 fois bac +5 en des matières scientifiques et ma rationalité ne m’a pas beaucoup aidé pour comprendre certaines choses…
    Je pense que le site Oumma devrait plus ouvrir ses tribunes à des gens qui maitraisent les sujets dont ils parlent.

  3. Nous commettons très souvent cette erreur de confondre le soufisme et les gens qui prétendent être soufi. La même chose est valable avec l’islam et les musulmans. Certains convertis à l’islam ont remercié Dieu de connaitre l’islam avant de connaitre les musulmans. Donc on peut se permettre de critiquer les comportements des personnes se prétendant soufi mais de grâce soyons respectueux vis à vis de cet enseignement spirituel.

  4. un documentaire pour les arabophones: khafaya takaya que je traduits par” les non-dits des “couvents” des confrérie( takaya est un pluriel de tkiya qui désigne le batiment où se tient une confrérie soufie) Cela se passe en Turquie et sur Al Mayadeen TV
    .http://www.almayadeen.net/episodes/929299/%D9%88%D8%AB%D8%A7%D8%A6%D9%82%D9%8A-%D8%A7%D9%84%D9%85%D9%8A%D8%A7%D8%AF%D9%8A%D9%86_%D8%AE%D9%81%D8%A7%D9%8A%D8%A7-%D8%A7%D9%84%D8%AA%D9%83%D8%A7%D9%8A%D8%A7/

  5. Assez d’accord avec vous merci et sans commettre l’injustice de généraliser, j’avoue être également d’accord avec l’essentiel de ce que développe Pierre plus bas dans ses deux coms. J’ajoute juste que quand les karamat tardent à venir, le système de hiérarchie à tout prix lui-même impose de pactiser avec d’autres forces pour -à défaut de miracles divins-, qu’au moins des prodiges mensongers viennent donner le change devant ses ouailles… c’est ce qui explique la lévitation entre autres et puis le fait que certaines mosquées soufies soient devenues des antres du démon.
    https://www.youtube.com/watch?v=nt73vK2Hf3Y&pbjreload=10
    Sinon, l’une des phrases les plus pertinentes, les plus profondes de sens qu’il m’ait jamais été donné de lire est dans votre article :
    « Assurément, la valeur d’une théorie ou d’une idée se mesure par ses effets sur la réalité des personnes qui croient en elle et sur leurs comportements »
    Il suffirait en effet, que soufi, salafi, rafidi ou trucmuchi quelles que soient ses convictions se demande un jour en tête-à-tête avec lui-même, qu’a fait de lui son madhab, son école de pensée, ses « vérités matraquées » un être meilleur ? accompli, bon, sincère, altruiste, utile, apaisé, bienveillant, raisonnable, avisé, heureux ? Ou alors un fou furieux inquisiteur ou encore un suffisant à ornières ou même un lunatique à l’affût de la moindre trace de poudre de perlimpinpin.

  6. Au nom d Allah clement et misericordieux
    Merci pour votre article il est tres interessant. Et de fait il faut remettre la question du soufisme a sa place d autant plus que, disons cette ecole, se trouve de nos jours doublement instrumentalisee: par des gouroux ou charlatans pour leurs besoins personnels et par les etats pour affaiblir les autres ecoles de l islam. Mais les ecoles passent et l islam reste. D ailleurs faut il rappeler que le prophete abraham nous a appele “les musulmans-al muslimuun” ? Il n a dit ni les freres ni les soufis ni les salafis ni les wahabbis ect. Dans tous ces noms il y a donc forcement de l ego-nafs, celle de gens a qui il fut ou est difficile de se contenter du nom de musulman qui satisfaisait entierement le prophete et les compagnons. Mais ne jetons pas non plus le bebe avec l eau du bain. L islam est une religion de l equilibre du mizan. Pour ne pas soutenir sans en avoir conscience les courants nihilistes et mortiferes du monde contemporain il faut rappeler cette image d un vieux sage musulman qui disait s agissant des ecoles de l islam: soyez des abeilles, butinez partout mais revenez dans votre ruche. Votre miel disait il ce sont les larmes que vous versez dans vos prieres nocturnes et l effort que vous faites toutes les nuits pour vous reveiller lire le coan prier …. parce que le probleme avec ses debats sur les ismes, de nos jours, c est que fondamentalement ils sont politiques. Et les questions du jugement dernier (celles la meme qui font pleurer les vrais croyants) me porteront pas sur nos choix politiques mais sur des details comme notre respect de l obligation de prieres, le jeune le coran nos rapports aux liens familiaux (silat rahim) aux pauvres (sadaqa) a l argent (zakat) etc. Les ecoles de l islam sont des experiences collectives mais historiquement datees. Certaines sont mortes d autres perdurent encore la plupart ce sont developpees a une epoque ou l acces a l information etait rare et cher, une periode ou l illetrisme etait la regle plutot que l exception. Aujourd hui les choses ont change et l alphabetisation est en voie de devenir la norme. L information est libre. Ce qui n a pas change par contre c est le fait que le sujet musulman, en lien direct avec son createur, sait aussi qu il est a SON egard Totalement Transparent. Peu importe qu il persiste des gouroux ou des etats manipulAteurs, celui qui Voit (al bassir) est aussi celui qui entend (al samii3). Et la mort est une convoncation sans appel a un jugement impartial. Il faut donc toujours veiller lorsqu on critique les ecoles a ne pas faire aussi le jeu de ceux qui en realite travaillent pour la marchandisation complete de nos societes contemporaines. Et merci a Oumma pour le travail que vous faites.
    Un dernier point. Le prophete (s) a entrevu un temps ou la preservation de la foi serait aussi difficile que de tenir un tison dans la main. Il n y a pas de doute que ces temps sont advenus. Priere ( Salat) sur notre prophete bien aime salutation (SALAM) Et soumission ( taslim)

  7. «« position négative que les musulmans ont prise face à la pensée créatrice et rationnelle et le soufisme ne propose rien pour leur épanouissement.»»
    Peut-être nécessaire de contextualiser ? Exemples, chiffres, statistiques…
    Le soufisme n’a-t-il pas inspiré les califats abbasside et ottoman ? On connaît les effets.
    Aujourd’hui, le soufisme (du moins une émanation d’une confrérie soufie) est à l’ONU… et propose au plus haut niveau de la planète notamment une révision de fond de des systèmes d’éducation de par le monde afin de construire autrement (que via la compétition qui est forcément contre l’autre) les hommes de demain qui apprendront à fonctionner avec l’autre.

  8. De plus, beaucoup reprochent au soufisme cette forme de panthéisme, où d’aucuns disent que Dieu est partout.
    Et l’ultime reproche qui est formulé contre un certain soufisme, est cette affirmation que lors de la Hadra il peut s’effectuer une union ou une fusion avec Dieu.
    Certains pour les Qotb affirment qu’ils ont la capacité de se téléporter ou de traverser les murs, d’être en lévitation.
    Bref, à la lecture de certains textes ou discours de cheikh de zaouïa (siège confrérique), on nage en plein délire.
    Je sais de quoi je parle, j’ai fréquenté une confrérie et été même un mouride (disciple), et grâce à Dieu me suit rendu compte de la supercherie, et du pouvoir qu’avait le cheikh sur les disciples complètement soumis à ses ordres… Et comme toute secte, il y a des manipulations, des lavages de cerveau, des destructions de couples, de l’incitation au péché via l’argument de la Miséricorde divine, et le sentiment de culpabilité lorsque vous décidez à les quitter, et le harcèlement pour vous inciter à rester parmi eux, etc, etc.

  9. L’un des problèmes du soufisme c’est qu’au final il se distingue de la définition de l’islam qu’en donne le Coran et ce fameux Hadith, lorsque l’ange Gabriel a répondu à cette question du prophète Muhammad (saws), dis-moi qu’est-ce que l’islam? (Hadith Nawawi, sahih).
    De plus, ses asnade (chaînes de transmission) remontant par Ali montre des liens avec le chiisme et la notion de Mahdi. Dans le soufisme on parle Awlya (saint). Tout musulman doit croire au Mahdi (sauveur) ou aux Awlya (saints), mais le problème c’est lorsque cela prend une dimension ésotérique où certains cheikhs (maîtres) qui sont plutôt des gourous ont la prétention de connaître le Ghayb (le mystère divin).
    Et là où on nage en plein délire c’est lorsqu’ils croient que les Qôtb (Pôles de sainteté) maintiennent l’équilibre du monde, ou encore via la Hadra (pratique extatique) qu’ils fusionnent avec Dieu pour atteindre Al-Fana… Ils prétendent avoir le Sire (secret divin) et connaître les degrés de sainteté (Maqam), et faire une typologie des anges (voir Henry Corbin et l’angélologie). Ou inversement la démonologie (Cf, Salomon et le don de commandé les Djinn ou esprits). D’aucuns, parlent même de liens avec la franc-maçonnerie ou la kabbale (Bruno Etienne).
    La galaxie soufie a tellement développé de courants hétérodoxes et basés sur des superstition via des charlatans, que le vrai soufisme ou la vraie spiritualité comme l’a indiqué Ibn Arabi Ou Al Ghazali qui ont été très critique à son égard, n’a pas besoin de passer par le biais d’une Tariqa (Confrérie) qui sont autant de sectes, à l’instar du salafisme, le Tablir, les frères musulmans, et plusieurs tendances chiites… Certes ce sont des manifestations de la diversité de la pratique de l’islam et qu’il faut porter un regard critique lorsque celles-ci portent sur des dérives qui confinent à des superstitions éculées… N’est pas Al-Khadir (Le verdoyant, personnage mystérieux qui a rencontré Moïse) qui veut… Combattre l’égo serait déjà par commencer à avoir un peu d’humilité. Personne ne peut avoir la prétention d’avoir accès au Ghayb (mystère divin) si ce n’est le Kadir (Le puissant et le connaisseur) qui agit sur le destin et que Lui seul connaît le contenu des poitrines.
    Wa Allahou A”lam (Seul Dieu sait).

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