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Musulmanes et journalistes : entre malentendus et gâchis. Et maintenant on fait quoi ?

The European Forum Of Muslim Women et l’Alliance des Démocrates et des Libéraux pour l’Europe et d’ Europe organisaient ce 15 mai une matinée de séminaire au parlement européen de Bruxelles sur : « Les femmes musulmanes dans les médias, entre mythes et réalités ».Voici en substance les propos que j’y ai tenus, réflexions et observations à partir de mon expérience de journaliste. J’aimerai qu’une discussion s’engage.

La « représentation » est l’action de rendre sensible quelque chose au moyen d’une figure, d’un symbole ou d’un signe ». Elle se distingue donc de la réalité et implique la variété et la diversité des approches.

L’autre sens fort du mot évoque le spectacle, la mise en scène devant un public.

La « représentation médiatique » renvoie d’une part à l’audiovisuel (télévision et radio) d’autre part à la presse écrite et internet.

Aujourd’hui, qu’on le veuille ou non, c’est bien le petit écran qui construit les « représentations collectives » et le poids de l’image est devenu plus lourd que jamais. A la radio ou en presse écrite, le public ne sait pas si la femme qui parle porte ou pas un foulard. C’est la première chose qu’on remarque en télévision et elle ne sera pas écoutée de la même manière…

L’information journalistique (le « news », le journal, les magazines) possède des « codes » professionnels différents de ceux du documentaire qui renvoie au regard d’auteur cinématographique. Mythe de l’objectivité pour les premiers, de la subjectivité assumée de l’autre…

Hormis le livre de Thomas Deltombe « l’islam imaginaire » écrit en 2005 et publié aux éditions de la découverte, il semble qu’aucune analyse de contenus de presse n’ait été réalisée en France sur la question du traitement médiatique des musulmanes. Nous réagissons donc davantage à partir de sentiments, d’intuitions et d’exemples que de travaux scientifiques.

Quelques informations basiques sur le mode de fonctionnement des médias :

Il faut garder à l’esprit que les médias de presse et la télévision en particulier s’intéressent avant tout « aux trains qui n’arrivent pas à l’heure », c’est-à-dire aux « accidents », à ce qui fait « événement dans le réel », à « l’extra-ordinaire » c’est-à-dire ce qui sort de l’ordinaire : la célèbre « actualité ».

Caractéristique principale de la télévision : son aspect avant tout « émotionnel ». Ses ressorts ne sont pas intellectuels ni rationnels, ils jouent avant tout sur l’affect, l’épidermique, les tripes et très peu sur l’analyse ou le décryptage. La télévision en particulier est un miroir déformant et grossissant. Elle simplifie, elle caricature.

Média du « plus petit dénominateur commun », du consensus mou, elle est donc avant tout conservatrice. En cherchant à donner du sens, en alimentant le débat démocratique sans arrière pensée, elle prend le risque de fragmenter l’audience.

L’historique du traitement médiatique des « musulmans » en France.

Long et profond fut le décalage entre la présence de musulmans en France d’une part et leur « reconnaissance médiatique » de l’autre. Depuis les années 70, les fidèles de l’islam sont restés « invisibles » pour les médias comme pour la société française.

Très peu d’articles ou de reportages traitent des « travailleurs immigrés » en tant que tels et encore moins sur leur vie hors de leur fonction économique.

Il est ensuite impossible de sous-estimer, dans l’imaginaire collectif de la société comme dans celui des journalistes, le poids de la révolution iranienne de 1979, l’arrivée de Khomeiny puis la guerre entre l’Iran et l’Irak. Les manifestations de femmes en tchador noir nous ont « impressionnés » un sens propre là-encore, elles ont laissé une trace profonde.

Ces iraniennes devenues le symbole de la révolution font peur et dérangent. L’une des caractéristiques du traitement médiatique des musulmanes en particulier reste le prisme « international ». Jusque la fin des années 80, les musulmanes évoquées dans la presse ne sont ni françaises, ni habitantes de notre pays. Les musulmans ne sont d’ailleurs pas davantage évoqués. Pendant la « marche pour l’égalité » en 83, aucun journaliste ne s’intéresse aux leaders qui font la prière. Silence, l’islam et les musulmans restent des « non-sujets » dans tous les sens du terme.

De nombreuses « images fortes » viendront nourrir ces sentiments plutôt négatifs : les afghanes en burka, l’émergence du FIS puis des GIA en Algérie, une série d’attentats en France puis celui des twin towers en septembre 2001…

Jusqu’à ce qu’on a fini par appeler « l’affaire des foulards de Creil » en1989. A la lumière de l’actualité internationale, les médias et la France semblent brutalement découvrir non seulement qu’il existe des musulmanes sur le territoire national mais « qu’en plus » elles émettent des revendications.

Et depuis 15 ans, la presse traite le plus souvent les musulmanes sur deux tons : comme des militantes provocatrices ou alors comme des victimes. Etrangère à elles-mêmes, elles sont presque systématiquement vues et présentées comme des objets manipulés.

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Les journalistes ne sont pas moins imperméables que n’importe qui aux clichés, aux simplifications, aux idées reçues ou aux fantasmes. Ils ont simplement le pouvoir de les reproduire ou les amplifier, la plupart du temps sans même en avoir une conscience claire.

Parce que nous n’avons pas l’habitude professionnelle de nous interroger sur nos responsabilités individuelles ou collectives. Parce que nous n’avons pas été formés à l’auto-critique. Parce que nous ne rendons pas de compte.

Un journaliste peut aussi se tromper en toute bonne foi. D’un côté l’ « angélique », le plus touchant, tente de « rétablir un équilibre » et refuse de voir les mauvais côtés, les aspects négatifs de la réalité. Il se donne le rôle de redresseurs de tort, quitte à tordre les faits ou les analyses pour ne « pas ajouter d’huile sur le feu. » De l‘autre côté, le va-t-en-guerre, qui sans doute dans la même bonne volonté s’attribue la mission de sauver la république et la société française de l’islamisation. Lui traque la faute, le négatif comme le premier cherche uniquement le positif.

Comme les versants d’une même médaille, les deux catégories ont « choisi » un camp et ne s’intéressent qu’à ce qui va dans leur sens. Blanc ou noir. Pour ou contre le voile. Pour ou contre Tariq Ramadan.

La complexité a disparu de la plupart des ambitions journalistiques. Il faut dire qu’elle réclame des connaissances profondes d’un sujet compliqué et en constante évolution, il faut rappeler qu’elle demande du temps de travail, il faut souligner que la position médiane, celle du ni-ni est la plus inconfortable. Etre libre et accepter de se tromper, refuser la récupération et l’instrumentalisation, accepter de ne pas plaire reste très lourd. Le journaliste n’est pas plus héroïque que n’importe qui.

Mettre le doigt là où ça fait mal

L’article premier de la constitution de 58 évoque dans le désordre une république « indivisible, laïque, sociale et démocratique ».

Les musulmanes interrogent l’un de ces piliers : la laïcité. D’aucuns considèrent qu’un dépoussiérage n’a jamais tué une idée au contraire, qu’elle la revivifie à l’intelligence d’une époque, une majorité estime qu’elle est gravée dans le marbre à tout jamais, quelque soit les changements de contexte.

La France, sérieusement ballotée dans la dynamique de mondialisation se sent fragile et n’a pas envie de se remettre en question. D’autant que les questions et les revendications sont posées par un groupe social nouveau sur la scène publique : les enfants et petits enfants des travailleurs immigrés… Aujourd’hui ils prennent aux mots tous ceux qui leur demandaient d’être citoyens, de participer activement et de prendre une place qui n’est jamais offerte.

Les musulmanes, avec toutes leurs diversités, avec les revendications et les envies de certaines d’entre elles, participent donc au débat public. Elles proposent, elles réclament, elles manifestent parfois. Mais ce ne serait pas le moment.

Les réactions sont épidermiques chez les journalistes comme dans le reste de la population : les musulmanes qui revendiquent des droits à la république française font-elles vraiment partie de la nation ? Sont-elles l’ennemies intérieures ?

Les professionnels de l’information ne sont pas moins peureux ou manipulables que n’importe qui.

La visibilité des musulmanes a fait ressurgir une thématique qui avait si vite été oubliée : le féminisme. Comme pour la laïcité, il n’était plus un sujet de discussion et sa ré- interrogation a souvent été très mal vécue, provoquant une agressivité inimaginable. Qui fait monter la sauce ? Les médias ? Le public ? Les politiques ? En tous cas les journalistes n’ont pas été épargnés par l’ambiance de perte de sang-froid généralisée. La presse et la communication entretenant toujours davantage de liaisons dangereuses, quelques belles campagnes ont été organisées avec « succès » et des associations comme « ni putes ni soumises » ont atteint des sommets médiatiques.

Donc dans un contexte mondial de développement des pratiques religieuses, dans un contexte de développement des aspirations individuelles et en même temps d’interrogations sur les identités, les musulmanes symbolisent les questions que nous n’avons pas envie de nous poser. Elles dérangent et elles bousculent. Elles introduisent partout de la complexité, si difficile à traiter de manière générale.

Que chacun, chacune prenne ses responsabilités

Nous journalistes ne sommes donc pas assez formés sur le thème particulier de l’islam mais surtout sur les conséquences de nos productions. Pas nécessairement conscients des enjeux de société ni de notre pouvoir, nous restons peu soucieux de nos responsabilités.

La thèse du « complot médiatique » contre les musulmanes est non pertinente. Les faiblesses journalistiques sont généralisées et structurelles au métier. Ce qui n’est sans doute pas plus rassurant mais permet de proposer quelques pistes :

  •  Apprendre la façon dont se fait un journal, rencontrer honnêtement des journalistes qui sont aussi des individus singuliers pour essayer de devenir « sujet » des reportages
  •  casser les représentations monolithiques des musulmanes « modernes et acceptables » ou des « mauvaises rétrogrades »
  •  faire accepter aux journalistes comme aux musulmanes les singularités, les différences, les oppositions, les débats d’idées.
  •  Ne pas se boycotter. Au contraire, banaliser la présence médiatique des musulmanes, qu’elles s’expriment et que nous relayons leurs paroles sur d’autres sujets que les religieux au sens strict. Des musulmanes doivent pouvoir donner leurs avis ou revendiquer en tant que femmes, citoyennes ou consommatrices sur les questions d’emplois, de logements, d’éducation, de politique, de culture, d’économie, de sécurité…

    Arrêtons d’opposer les unes aux autres et travaillons activement ensemble pour faire évoluer les représentations médiatiques des musulmanes. Nous qui vivons au même endroit à la époque y avons tous intérêt.

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