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L’indépendance des pays africains et la fin du tutorat postcolonial

             « Nous avons saigné l’Afrique pendant quatre siècles et demi. Ensuite, nous avons pillé ses matières premières. Au nom de la religion, on a détruit leur culture et maintenant, on leur pique leurs cerveaux grâce aux bourses. Puis, on constate que la malheureuse Afrique n’est pas dans un état brillant, qu’elle ne génère pas d’élites. Après s’être enrichi à ses dépens, on lui donne des leçons. On oublie seulement une chose. C’est qu’une grande partie de l’argent qui est dans notre porte-monnaie vient précisément de l’exploitation, depuis des siècles, de l’Afrique. Il faut avoir un petit peu de bon sens. Je ne dis pas de générosité. De bon sens, de justice, pour rendre aux Africains, je dirais, ce qu’on leur a pris. Si on veut éviter les pires difficultés, avec les conséquences politiques que ça comporte dans un proche avenir.» – Jacques Chirac, Président de la République Française de 1995 à 2007

Résumé

Cet aveu résume mieux que cent discours la condition des pays africains anciennement colonisés, et qui ont continué de vivre sous le joug des puissances coloniales après leur indépendance. Encore une remise à l’endroit de l’indépendance véritable. Graduellement, les pays africains osent s’affranchir de la tutelle des puissances qui les ont asservis et spoliés.

C’est surtout une réaction contre les potentats adoubés par la métropole, en dépit du refus des peuples. Le coup d’État du Gabon porterait à huit le nombre de coups d’État en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale depuis 2020.

Nous allons expliquer pourquoi les indépendances des pays africains furent des indépendances bâclées. Le pouvoir colonial, en mettant en place la stratégie de contrôle des matières premières et en imposant une monnaie de sa création, le Franc CFA, est arrivé à garder sous sa tutelle ces pays pendant plus d’un demi siècle après leur indépendance, laissant leurs peuples en proie au désespoir.

Les différents présidents français de la Ve République ont tous cru que le schéma de la Franceafrique allait durer mille ans, par tous les moyens, au besoin en éliminant les patriotes récalcitrants et en installant des troupes d’occupation à demeure, sous prétexte de combattre le terrorisme. La nature ayant horreur du vide, des pays prennent aujourd’hui la relève.

Les militaires, qui ont pris le pouvoir à Niamey, ont déclaré personna non grata l’ambassadeur de France, Sylvain Itté. La France, drapée dans son arrogance, refuse de rappeler son ambassadeur et le force à rester à Niamey, au motif qu’il aurait été accrédité auprès de l’ancien président Mohamed Bazoum. Cette décision est parfaitement illégale au regard du droit international.

Les relations diplomatiques s’établissent entre les États et non entre les régimes. Dans la Convention de Vienne du 18 avril 1961, qui régit les relations diplomatiques et consulaires, l’article 9  précise que si un ambassadeur est déclaré personna non grata, le pays de cet ambassadeur doit obligatoirement le rappeler. Si le blocage persiste, c’est alors l’affrontement, comme l’explique l’analyste François Asselineau. (1)

La CEDEAO et ses vassaux de Paris reçoivent l’ordre d’attaquer avec des sabres nains  

Les rodomontades de la CEDEAO – “on va voir ce qu’on va voir !” –  n’ont pas abouti à l’invasion tant désiré d’un pays qui n’a pas agressé ses Etats membres. Mais comme la décision ne leur appartient pas, ils font semblant…

Ahmed Attaf, le ministre algérien des Affaires étrangères

L’Algérie a proposé sa médiation et exhorte toutes les parties à privilégier la négociation « avant que l’irréparable ne soit commis, et avant que la région ne soit piégée dans la spirale de la violence dont personne ne peut prévoir les conséquences incalculables ».

Mais la CEDEAO, sous l’injonction de ses maîtres occidentaux, ne l’entend pas de cette oreille : elle maintient sa ferme intention de recourir à la force.

Par ailleurs, devant les pénuries de vivres et de médicaments infligées à la population nigérienne, en raison du blocus inhumain mis en place par la CEDEAO, le Burkina Faso a ouvert un corridor humanitaire où une longue file de camions transportent des centaines de tonnes de vivres et autres articles vers le Niger, sous la protection des forces armées des deux pays. (…) Catherine Colonna, la ministre française de l’Europe et des Affaires étrangères, a refusé de retirer les troupes Barkhane, arguant du fait que le pouvoir des militaires est illégitime. (2)

Les six propositions de l’Algérie pour la crise au Niger

Au Niger, la situation est complexe et à enjeux géostratégiques multiples. La volonté de l’Algérie de privilégier le dialogue et de réitérer les mises en garde contre toute intervention miliaire est renforcée par le fait qu’elle partage des frontières avec des pays instables, où sa sécurité est posée, dont la Libye 982 km, le Mali 1329 km, la Mauritanie, 461 km, le Maroc 1739 km, le Niger 961 km, la Tunisie 1010 km et le Sahara occidental 39 km.

La sécurité de l’Algérie pourrait être touchée indirectement via le Mali et la Libye, qui partagent des frontières communes à la fois avec le Niger et l’Algérie. Ahmed Attaf, le ministre des Affaires étrangères, a défini, dans une déclaration reprise par l’APS le 29 août 2023,  les six sorties de crise du Niger proposée par l’Algérie, ayant pour impératif de prioriser la solution politique et d’écarter le recours à la force, au regard des répercussions désastreuses que pourrait entraîner cette option sur la région toute entière.

  • Premièrement, le rejet de tout changement anticonstitutionnel au Niger ;
  • Deuxièmement, le respect d’un délai de six mois pour la mise en œuvre d’une solution politique, devant aboutir au rétablissement de l’ordre constitutionnel ;
  • Troisièmement, l’association et l’aval indispensables de toutes les parties au Niger, sans exclusion ;
  • Quatrièmement, l’octroi des  garanties adéquates à toutes les parties ;
  • Cinquièmement, ces contacts seront noués également avec toutes les parties concernées au Niger, ainsi qu’avec les pays voisins et la CEDEAO ;
  • Sixièmement, l’Algérie se propose d’organiser une conférence internationale sur le développement au Sahel, dans le souci d’encourager l’approche de développement et de mobiliser les financements nécessaires à la mise en œuvre des programmes inhérents.

Pourquoi tous ces putschs ?

Pas moins de huit coups d’Etat en Afrique depuis 2020 ! Cela veut dire qu’une lame de fond est en train de balayer l’ancien ordre colonial d’une façon irréversible, même si quelques combats d’arrière-garde sont toutefois à signaler.

Le général Brice Oligui Nguema, instigateur du coup d’État au Gabon, a prêté serment en tant que président par intérim de la Nation

Pour Anne-Cécile Robert : « Visiblement surprise par les événements au Niger le 26 juillet dernier, la France improvise une réponse au ton martial et sentencieux. Le président Emmanuel Macron ordonne l’évacuation, de plus de mille Européens. Et menace : il répliquera de « manière intraitable » à des attaques contre des ressortissants français ». « Ce putsch est aussi révélateur d’une évolution du rapport à la démocratie et à l’Occident dans la région. «Épidémie », « contagion »…  la succession de putschs laisse les commentateurs désemparés : ces coups d’État en Afrique sahélienne depuis 2020, dans quatre pays   Mali et   Burkina Faso,  Guinée et  Niger, comment penser un tel enchaînement ?   (…)  Le politologue camerounais Achille Mbembe les qualifie de « néosouverainistes ». Tous les putschistes dénoncent en effet les ingérences étrangères, leur illégitimité autant que leur inefficacité. « Ne compter que sur nous-mêmes », affirmait le capitaine Ibrahim Traoré, président de transition du Burkina Faso, dans un discours le 21 octobre 2022. « Notre peuple a décidé de reprendre son destin en main, et de construire son autonomie avec des partenaires plus fiables », indiquait le colonel Sadio Camara, ministre de la défense du Mali, le 13 août dernier à Moscou. La succession de coups d’État au Sahel met surtout en évidence de ces  dix dernières années, la fin de  la gestion de la crise sécuritaire sous la houlette de la France et des Nations unies » (3)

La situation vue à travers le prisme des médias français

Il est intéressant de voir comment les médias français rapportent les faits. Les coups d’État se multiplient au Sahel et en Afrique de l’Ouest. Le récent putsch au Gabon s’inscrit dans une tendance régionale plus large. Une interview de Wassim Nasr par Baptiste Roger Lacan, nous permet d’apprécier la situation au Sahel, à travers les prisme des médias français.

Nous lisons les principaux points : « S’il est vrai que l’héritage colonial a sans doute pesé dans certaines décisions, comme l’entêtement à rester au Mali, même lorsque la situation devenait irrationnelle. Certes, les ombres du passé planent, mais elles ne semblent pas être le seul facteur déterminant dans l’échiquier complexe du Sahel. Au lieu de cela, ce qui se dessine est une mosaïque de choix et de compromis, influencés mais non dictés par l’héritage colonial. (…) La croyance selon laquelle la puissance militaire occidentale peut tout résoudre est une illusion qui se retourne contre la France. La France a perdu sur tous les tableaux, non pour des raisons militaires mais en raison de décisions politiques et d’une grille de lecture dépassée. Le jeu géopolitique en Afrique ne cesse d’évoluer, et il est temps pour la France de réévaluer son approche. Quant à la Russie, elle continuera probablement à capitaliser sur les erreurs des Occidentaux, utilisant tous les moyens à sa disposition pour avancer ses pions sur l’échiquier africain » (4).

Les présidents français et l’Afrique

Il est intéressant de comprendre comment les indépendances des anciennes colonies étaient perçues par les pouvoirs successifs en France. En France, la cinquième République a vu la mise en coupe réglée, après leurs indépendances formelles, des anciens pays colonisés de l’AOF (Afrique Occidentale Française) et l’AEF (Afrique Equatoriale Française).

La France n’avait nullement l’intention de laisser ces pays libres de leurs choix. Seul Sékou Touré osa braver le pouvoir et, de ce fait, être indépendant. La France considérait depuis très longtemps la région du Sahel comme une de ses zones d’influence politique, comme une sorte de chasse gardée économique, riche en ressources naturelles.

Pascal Priestley explique le cheminement depuis 1958 de la politique africaine de la France : « “Pré carré”, “jardin secret” ou plus crûment “chasse gardée”… même s’ils s’en défendent, les présidents de la Vème République française entretiennent le plus souvent avec le continent africain des rapports singuliers qui dépassent la relation diplomatique conventionnelle, voire rationnelle.(…)  L’Afrique est restée, par delà la décolonisation et en dépit de la relativité des enjeux économiques, un territoire symboliquement majeur pour la Vème République.  Des redoutables “réseaux Foccart” au “Papamadit” de François Mitterrand (le fils du président socialiste étant chargé des “affaires africaines”), les relations d’Etats franco-africaines ressortent jusque dans les années 80 implicitement du domaine quasi privé sinon paternel du chef de l’Etat, échappant à la diplomatie classique. Le 20 juin 1990, à  la Baule   sont réunis en sommet 37 chefs d’Etats africains, François Mitterrand déclare : «  La France liera tout son effort de contribution aux efforts qui seront accomplis pour aller vers plus de liberté. Il faut pour cela que l’on vous fasse confiance » (5)

Nicolas Sarkozy, lors de son allocution de Dakar affligeante, fut l’incarnation même de l’outrecuidance coloniale française, et de son mépris pour les peuples africains. Il convoqua Hegel et sa haine de l’Afrique. Voici ce qu’il martela toute honte bue : « Dans cet imaginaire (africain) où tout recommence toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine ni pour l’idée de progrès “Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire. Le paysan africain qui, depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l’idéal de vie est d’être en harmonie avec la nature, ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles[…] Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine ni pour l’idée de progrès” » (5)

C’est le même président qui, quinze plus tard, avec un cynisme sans nom, met en garde l’Europe contre l’invasion des vagues migratoires « d’hier et d’aujourd’hui », qui ne sont « rien à côté de celles de demain ». D’ici à 2050, le continent africain sera passé de 1,3 à 2,5 milliards d’habitants, dont la moitié aura moins de 20 ans. Cette immense population sera voisine d’un continent européen en déclin démographique. ­Hélas, la crise migratoire n’a pas vraiment commencé ! Cela ne l’empêche de proposer un Plan Marshall pour l’Afrique ; Hubris, quand tu nous tiens !!!

Avec François Hollande et Macron, c’est l’occupation sous prétexte de défendre les pays contre le terrorisme… Ce sera les opérations Serval et Barkahane. Dix ans après, ce sera un échec, et François Hollande s’emploiera dans son premier voyage africain à davantage flatter l’avenir qu’à évoquer les ancêtres Dakar, octobre 2012 : « Le temps de la Françafrique est révolu » » (5)

Jacques Chirac : “Nous avons saigné l’Afrique pendant quatre siècles et demi”

Parmi les présidents de la Ve République, Jacques Chirac est une singularité. On se souvient tous de ses déclarations aux relents nauséabonds à propos des émigrés : «  …si vous ajoutez le bruit et l’odeur.. »

Cependant, à sa façon, Jacques Chirac manifestait une empathie certaine envers les Africains. Martin Mateso décrit sa « doctrine », à savoir rendre justice à ces peuples, qui n’a toutefois pas empêché la France de continuer à exploiter sans vergogne les ressources des pays africains. Nous lisons : « Jacques Chirac, durant sa présidence qui a duré 12 ans, a défendu l’Afrique contre vents et marées. Même à la retraite, il a dénoncé ceux qui ont saigné ce Continent pendant des siècles, y compris son propre pays. Malgré les critiques sur le clientélisme de la Françafrique et son soutien aux régimes corrompus, Jacques Chirac garde une image plutôt positive auprès des Africains ». (6)

 « J’aime l’Afrique, ses territoires, ses peuples et ses cultures. Je mesure ses besoins, je comprends ses aspirations.” L’ Afrique, “ce sont des crises, des blessures au flanc du monde dont la communauté internationale ne peut détourner les yeux”. Il mettait alors en garde contre l’abandon de ce continent qui pourrait “une nouvelle fois, être mis au pillage, laissé pour compte de la prospérité et isolé dans ses difficultés”. Tout le temps de sa présidence, Jacques Chirac s’est fait l’avocat de l’Afrique dont les immenses ressources naturelles attisent bien des convoitises. Il a reconnu que les richesses de l’Afrique ont été pillées y compris par son pays. Et il a demandé qu’on rende aux Africains ce qu’on leur a pris » (6) (7)

Les méfaits de la Françafrique

Les anciennes puissances coloniales, régentant les pays nouvellement indépendants d’une main de fer, leurs proposèrent des solutions qu’ils ne pouvaient pas refuser. Le grand maître de cérémonie de cette comédie humaine, visant à adouber des dirigeants africains dictateurs, sera Jacques Foccart et ses réseaux. Ce sera la Françafrique.

Aujourd’hui, nous assistons à la fin de la Françafrique. Pour l’histoire, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les empires coloniaux durent composer avec les désirs d’autonomie et les revendications anticoloniales qui se répandaient. Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, le président français, Charle de Gaulle, dans son discours de Dakar, souligna la montée en puissance de cette aspiration à l’indépendance.

Thomas Deltombe et Mélanie Torrent expliquent le cheminement suivi par le président de Gaulle pour arriver à la formule Françafrique : « À l’heure des décolonisations, la France cherche des solutions pour conserver ses liens avec l’Afrique. Entre 1958 et 1960, le général de Gaulle porte le projet de la Communauté française qui réunit la France et ses ex-colonies africaines.  L’expérience dure seulement deux ans, jusqu’en 1960, mais la Communauté est-elle vraiment l’échec d’un Commonwealth à la française  pour sauver l’empire?” (8)

“(…) Dans les années 1950, alors que l’hégémonie française est ébranlée par la défaite d’Indochine, les “événements” en Algérie ou encore l’humiliation du Canal de Suez, le sujet de la décolonisation des  colonies, se fait pressante. Alors que Charles de Gaulle revient au pouvoir au printemps 1958, il formalise le projet de la Communauté française. Ce dispositif ouvre la voie à un nouveau modèle de relations entre la France et ses ex-colonies africaines, communément appelé la Françafrique. Thomas Deltombe définit cette expression comme “un système de domination qui s’inscrit dans l’histoire longue de l’impérialisme français, qui est fondé sur l’alliance entre une partie des élites françaises et une partie des élites africaines”. Il ajoute que “ce système a deux facettes, l’une officieuse souvent réduite à Jacques Foccart, l’autre officielle, avec la coopération et le franc CFA”. » (8)

Le Commonwealth : un post-colonialisme évolué

Dans le même ordre, le Royaume-Uni proposa une façon de pérénniser le lien avec les anciennes colonies britanniques, mais d’une façon beaucoup plus souple et respectueuse. Ce sera le Commonwealth créé en 1949 : « Côté britannique, le désengagement colonial prend la forme du Commonwealth, qui offre à ses anciennes colonies de peuplement l’indépendance par le statut de dominion Comme le souligne Mélanie Torrent, “le Commonwealth, tel qu’il est conçu au départ par les Britanniques, est un outil de gestion de l’Empire. C’est une manière de faire un certain nombre de concessions de réaménagement de façon à préserver l’ensemble impérial”. Le Royaume-Uni poursuit cette politique après la Seconde Guerre mondiale et l’étend à d’autres territoires de son empire : l’Inde et le Pakistan en 1947, Ceylan en 1948, puis le Ghana, en 1957 » (9).

« De fait Le roi Charles III devient le chef du Commonwealth. Cette association de nations représente environ un tiers de la population mondiale et se compose surtout d’anciennes colonies britanniques. Nombre d’États membres: 56 Etats en 1949. Déclaration de Londres. Autorise les républiques à devenir membres afin de permettre à l’Inde de rester après son indépendance  On compte 21 pays d’Afrique,13 des Caraïbes et Amériques, 11 du Pacifique, 8 d’Asie et 3 d’Europe. Liés par le respect des principes du Commonwealth, engagement en faveur de la démocratie, de l’état de droit et de la bonne gouvernance. Des pays ont quitté le Commonwealth et sont ensuite revenues  Afrique du Sud , Pakistan… » (9)

Le Franc CFA : une décolonisation inachevée des pays africains

Pour pouvoir contrôler l’économie des pays africains, il faut contrôler la monnaie :  « Le franc CFA naît officiellement le 26 décembre 1945. 14 pays utilisent cette monnaie : le Bénin, le Burkina, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo, le Cameroun, la Centrafrique, le Congo, le Gabon, la Guinée Equatoriale et le Tchad. Pourtant, il s’inscrit dans une histoire plus ancienne : celle de l’imbrication des colonies à un système monétaire et économique plus vaste, qui sert avant tout les intérêts de la métropole » (10).

«  Une histoire monétaire qui débute bien avant la Seconde Guerre mondiale, dans les colonies françaises d’Afrique. Le franc CFA, histoire de la “dernière monnaie coloniale”. Dès le XIXe siècle, l’administration française impose la monnaie métropolitaine dans ses colonies d’Afrique subsaharienne. En 1945, la France annonce la création d’une nouvelle monnaie : le franc CFA.  Elle permet à la métropole de sécuriser son approvisionnement en matières premières, en créant des marchés captifs, elle encourage le commerce entre les colonies et la métropole ; en un mot, elle répond aux besoins du colonisateur plutôt qu’à ceux du colonisé. Olivier Vallée nous éclaire sur la portée symbolique de cette nouvelle monnaie : “Le CFA signifie la tache coloniale d’abord. Je tiens à rappeler que le CFA est une monnaie gaullienne » (10).  

«  Rapidement contestée, la nouvelle monnaie est rejetée par certains États africains, comme la Guinée et le Mali, au lendemain des indépendances. Pourtant de nombreux États restent dans la zone franc, et cette monnaie continue de cristalliser de nombreuses appréhensions. Martial Ze Belinga souligne que “le franc CFA est le lieu d’observation de quelque chose d’absolument inédit. Dans tous les pays du monde où il y a eu des décolonisations, l’indépendance a entraîné en général des monnaies locales. Il y a quelque chose de très anthropologique dans cette idée de battre sa monnaie et d’avoir ses institutions. En 1960 toutes les réserves de change restent centralisées au niveau du trésor public. C’est à dire que les pays africains de la zone franc qui souhaitent acheter des biens et services en dehors de la zone doivent aller demander au Trésor public pour pouvoir faire des achats à l’extérieur alors qu’ils sont déjà indépendants depuis une décennie. Cette dimension montre à quel point il était extrêmement difficile pour les dirigeants aux commandes d’accepter ce système là. Oui il y a un problème avec le franc CFA et particulièrement avec les pays d’Afrique subsaharienne”. Alors, le franc CFA est-il le signe d’une décolonisation inachevée ?  (10) Comment sortir aujourd’hui de ce système que certains perçoivent comme une servitude monétaire ? »(11)

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 « Le Franc CFA est une aubaine pour les entreprises françaises implantées en Afrique qui peuvent rapatrier leurs bénéfices en Europe sans aucun risque de change, ce qui profite à des multinationales comme Bolloré, Bouygues, Orange ou encore Total… Outrageusement avantageux pour l’économie française, cette monnaie, entièrement contrôlée par la France, coûte en revanche aux citoyens africains. Insulte à la souveraineté de quatorze nations africaines, le franc CFA (FCFA) est un système anachronique, car la France est le seul pays au monde qui se paie encore le luxe de gérer la monnaie de ses ex-colonies, et ce, plus d’un demi-siècle après leur indépendance. Le FCFA reste néanmoins intégralement sous la tutelle du ministère français des Finances. Le FCFA est donc une aubaine, car la libre circulation des capitaux qui est son corollaire permet aux entreprises françaises implantées dans ces 14 pays d’Afrique de rapatrier leurs bénéfices en Europe sans aucun risque de change, ce qui profite à des multinationales comme Bolloré, Bouygues, Orange ou encore Total » (11)…

« Cette servitude monétaire – et, par-delà, économique – n’est-elle pas confirmée même au sein du Fonds monétaire international (FMI) où c’est le représentant de la France (et non de ces pays africains) qui élabore le rapport annuel dédié à la zone franc ? Cette insulte à la souveraineté de ces nations n’est-elle pas consacrée par leur impossibilité d’imprimer leurs propres billets de banque, lesquels sont fabriqués exclusivement sur territoire français,  Ce néocolonialisme subtil, où la France dispose du droit de vie et de mort sur des économies et sur des pays dits « indépendants », perpétue en fait sa domination sous des formes plus insidieuses » (11)   .

Confusions autour d’un « impôt colonial » et du franc CFA

Une publication rapporte les 11 accords secrets entre la France et ses anciennes colonies, et notamment l’obligation d’un impôt colonial. Le Journal Le Monde, jouant les redresseurs de tort, tel le chevalier Bayard, s’inscrit en faux contre l’impôt colonial qui a fait l’objet d’une publication. Pour les rédacteurs, tout est fait pour le bien des pays à qui on offre le franc CFA. Il admet toutefois que les réserves de changes sont auprès de la banque de France et que ce sont des entreprises françaises qui impriment les billets.

Nous lisons : « De nombreux articles en ligne relaient l’existence d’un « impôt colonial » exigé par la France sur les réserves financières de 14 pays africains. Décryptage. Le franc CFA – d’abord intitulé « franc des colonies africaines françaises » – est depuis régi par quatre règles formalisées dans deux traités signés par ces quatorze pays et la France en 1959 et 1962 : La France garantit la convertibilité illimitée du franc CFA   les transferts de capitaux à l’intérieur de la zone monétaire sont libres et gratuits ; 50 % des réserves de change des pays de la zone monétaire en franc CFA   sont déposés sur un compte d’opération de la Banque de France, à Paris. Les réserves de franc CFA à la Banque de France sont estimées à près de 10 milliards d’euros L’utilisation de ces réserves pourrait financer une partie du développement des pays africains concernés. Symboliquement, le fort lien avec la Banque de France et la marge de manœuvre monétaire réduite des pays africains placent le sujet au centre des débats sur les liens à maintenir avec Paris » (12)

 « Il faut sortir de l’omerta sur le franc CFA »

Un tout autre son de cloche émane de l’économiste Kako Nubukpo, 48 ans, ancien ministre togolais de la Prospective et de l’évaluation des politiques publiques, qui avait été poliment remercié en 2015. Quelques années plus tôt, il avait dû quitter son poste d’économiste de la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO).

Pour lui : « La parité fixe avec l’euro est une entrave au développement des quatorze pays africains de la zone franc. Il appelle au débat. Le franc CFA lui-même, dont la parité fixe avec le franc puis avec l’euro depuis soixante-dix ans demeure un non-sujet. Pis, un tabou dans les débats sur la situation économique des pays de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique centrale qui partagent cet héritage de la colonisation. Je suis en effet un des contempteurs du franc CFA tel qu’il fonctionne aujourd’hui,  Je ne pense pas que nos pays puissent se développer en pratiquant la politique monétaire de l’Allemagne  Le bilan de ces soixante-dix dernières années est dramatique : la productivité de nos économies demeure très faible, nous faisons partie des derniers dans les classements des Nations unies sur le développement humain, nos pays échangent très peu entre eux… » (13)

« Il faut sortir de la « protection » qu’offre le CFA. Le développement n’est pas là et l’enfermement dans une parité fixe nous contraint à un rationnement du crédit alors que nous avons besoin d’investir. Entre ce verrou monétaire et les contraintes budgétaires  le financement de nos politiques publiques repose uniquement sur les flux d’aide au développement. Nous n’avons aucune marge de manœuvre. Pour garantir cette stabilité monétaire, nos banques centrales ont obligation de placer 20 % de leurs réserves auprès du Trésor français. Sous peine de dévaluation. C’est ce qui s’est passé en 1994 avec une dépréciation de 50 % du franc CFA. Depuis ce choc, de 90 % à 100 % de nos réserves sont transférées à Paris. C’est autant d’argent qui ne va pas financer nos économies. Cette situation n’est pas tenable : il faut choisir. Les gouvernants ne peuvent pas tenir des discours sur l’émergence de l’Afrique, avec ce que cela suppose d’investissements en infrastructures, en distribution de crédits » (13)

« la France à intérêt à faire perdurer ce système pour deux raisons. D’abord économique pour les grands groupes français qui peuvent opérer dans la zone sans risque de change et en rapatriant sans limites leurs bénéfices. Pour un groupe comme Bolloré, qui opère dans de nombreux ports africains, on peut imaginer que cela représente des sommes importantes. Ensuite politique. Il existe une logique de pré-carré. Le franc CFA permet à Paris d’exercer une forme de « soft control » sur la manière dont ces pays se développent dans un contexte de concurrence exacerbée avec notamment l’arrivée de la Chine sur le continent. Ce système entraîne aussi un siphonnage des ressources domestiques vers Paris et les autres capitales européennes. Puisque il n’y a pas de limites à la convertibilité, les élites locales ont tout loisir de placer leur argent sur un compte étranger ou d’acheter un appartement parisien. Reprendre cette autonomie monétaire aurait une vertu libératoire. Aujourd’hui, les pays africains qui sont donnés en exemple se situent tous dans la zone anglophone. Peut-être commettrons-nous des erreurs, mais cette liberté nous permettra aussi d’innover, c’est comme cela qu’on construit un monde nouveau » (13)

Montée en puissance de la « Nouvelle Afrique »

Pepe Escobar, journaliste brésilien indépendant, apporte d’autres arguments à cette avalanche de remises en cause de l’ordre ancien, avec une explication détaillée des méfaits du Franc CFA.

Il écrit : « Tels des dominos, les États africains tombent l’un après l’autre  Le Tchad, la Guinée, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et maintenant le Gabon. Le continent est aujourd’hui   confronté à d’énormes difficultés dans sa lutte contre les institutions financières et politiques profondément enracinées de la colonisation, en particulier lorsqu’il s’agit de briser l’hégémonie monétaire française sous la forme du Franc CFA – ou de la Communauté Financière Africaine (CFA).  Pourtant, les dominos tombent les uns après les autres : Tchad, Guinée, Mali, Burkina Faso, Niger et maintenant Gabon. Des officiers militaires ont décidé de prendre le pouvoir au Gabon après que le président hyper pro-France, Ali Bongo, a remporté une élection douteuse qui «manquait de crédibilité ». (12)

«  (…) Le Gabon est un pays de richesses minérales – or, diamants, manganèse, uranium, niobium, minerai de fer, sans parler du pétrole, du gaz naturel et de l’hydroélectricité    Il est absolument impossible pour quiconque dans le Sud mondial, la Majorité mondiale ou le Globe mondial   de comprendre les troubles actuels de l’Afrique sans comprendre les rouages du néocolonialisme français. La clé, bien sûr, est le franc CFA. Le racket du CFA fait passer la mafia pour des punks de rue. Il signifie essentiellement que la politique monétaire de plusieurs pays africains souverains est contrôlée par le Trésor français à Paris. En réalité, plus de 80% des réserves de change des pays africains se trouvent sur des «comptes d’opérations» contrôlés par le Trésor français depuis 1961.  : Le Trésor français utilise les réserves africaines comme s’il s’agissait de capitaux français (…)Les politiques sont élaborées par le président de la République française et sa «cellule africaine »   Il est  essentiel pour le néocolonialisme d’exploitation d’empêcher ces pays riches en ressources d’utiliser leurs propres ressources pour développer leurs propres économies ».  (14) 

Requiem pour le post-colonialisme en Afrique

« Une fois de plus, écrit Philippe Leymarie, la France contrainte de faire ses bagages …  La fin de l’armée d’Afrique. Le putsch militaire au Niger est un nouveau revers pour la France en Afrique de l’Ouest, sa zone de prédilection. Et surtout pour ses forces militaires, restées présentes sur le continent plus de soixante ans après la vague des indépendances, et de moins en moins supportées par les populations et les classes politiques locales. Depuis la défection du Mali, puis du Burkina Faso, le Niger était – avec le Tchad, également gouverné par un régime de type militaire – le seul pays sahélien à accueillir, et même à demander le secours de forces étrangères.  (…)  la France est contrainte en 2022 d’évacuer ses bases au nord et au centre du Mali, puis au début de cette année son emprise de «forces spéciales» au Burkina Faso. Au total, les effectifs des troupes françaises au Sahel auront déjà été divisés par deux en quelques mois.   (…)  Pour la France, déjà évincée de fait en République centrafricaine avant de l’avoir été dans plusieurs pays du Sahel, et dont les principaux alliés en Afrique de l’Ouest et du centre (Cameroun, Congo, Côte d’Ivoire, Sénégal) risquent d’être confrontés à des contextes difficiles de succession, le putsch au Niger fait figure de nouvel échec politique, après plusieurs autres dans les parages. Aucun bilan de la «guerre perdue» au Mali, par exemple, n’a été mené jusqu’ici, à l’échelon militaire comme politique » (15)

Conclusion

Il y a un grand vent de Liberté qui souffle. Les pays du Sud relèvent la tête. Le Continent africain ne fait pas exception ! Les Africains assument pleinement le fait d’avoir des problèmes de prise en charge réelle de leur pays, mais comme l’a clairement signifié le Mahatma Gandhi aux Anglais, en les invitant à quitter l’Inde : « Nous aurons des  problèmes, mais ce sont nos problèmes ».   

La France, malgré ses atouts, a totalement perdu pied, car elle est encore prisonnière de l’image du Bon temps des colonies et du Y a bon Banania… Alors que le Monde a profondément changé, la France, au lieu de développer une nouvelle vision de la coopération dans l’égale dignité des peuples, continue de vivre, de prospérer, sur une “rente” qui a pour graves conséquences de dépouiller les pays africains de leurs matières premières, dans un seul but : pour le plus grand bien de ses propres intérêts et de ses entreprises.

Les coups d’État s’enchaînent, et les réactions diplomatiques françaises sont plus catastrophiques les unes que les autres, comptant désespérément sur la CEDEAO, ce pur avatar de la Françafrique, et son incorrigible forfanterie. Pourtant, plus rien ne sera comme avant !

L’Occident est devenu, peu à peu, un véritable repoussoir pour tous les pays souverains qui aspirent à le rester. Pendant que l’Occident creuse sa tombe, les BRICS, eux, bâtissent le monde de demain, mus par une philosophie de coopération bien différente. Ainsi va le Nouveau Monde.

Professeur émérite Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique Alger

 

Notes :

1.https://www.youtube.com/watch?v=w2t02R7KOdk&ab_channel=UnionPopulaireR%C3%A9publicaine

  1. Mohsen Abdelmoumen https://reseauinternational.net/les-vassaux-de-paris-recoivent-lordre-dattaquer-bruits-de-bottes-au-sahel/ 23 08 2023

3.Anne-Cécile Robert https://www.monde-diplomatique.fr/2023/09/ROBERT/66087

4.Baptiste Roger-Lacan Mali, Niger, Gabon… l’Afrique face aux révolutions kaki, une conversation avec Wassim Nasr | Le Grand Continent 30 août 2023

5.Pascal Priestley  https://information.tv5monde.com/afrique/les-presidents-francais-et-lafrique-paroles-damours-et-de-desamours-27884 24 déc. 2021

6.Martin Mateso  https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/politique-africaine/jacques-chirac-nous-avons-saigne-lafrique-pendant-quatre-siecles-et-demi_3633009.html#xtor=CS2-765-[share]- 26/09/2019

7.Jacques Chirac, 2008  https://youtu.be/fzWvhXRLAYA

8.Thomas Deltombe   Mélanie Torrent  https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-cours-de-l-histoire/la-communaute-ou-l-echec-d-un-commonwealth-a-la-francaise-3351122

9.https://www.lesaffaires.com/secteurs/general/le-commonwealth-relique-du-passe-colonial-du-royaume-uni/635802

10.https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-cours-de-l-histoire/franc-cfa-histoire-de-la-derniere-monnaie-coloniale-1323673

11.Michel Santi https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/franc-cfa-cle-de-voute-de-la-francafrique-807222.html  14 Févr 2019,

12.Simon Auffret  https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2017/02/22/confusions-autour-d-un-impot-colonial-et-du-franc-cfa_5083833_4355770.html.

13.https://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/09/30/il-faut-sortir-de-l-omerta-sur-le-franc-cfa_5006146_3212.html Propos recueillis par Laurence Caramel

14.Pepe Escobar https://reseauinternational.net/pas-de-repit-pour-la-france-face-a-la-montee-en-puissance-de-la-nouvelle-afrique/ 2 09 2023

  1. Philippe Leymarie https://reseauinternational.net/la-fin-de-larmee-dafrique/ 2 09 2023

Article de référence :  https://www.lesoirdalgerie.com/contribution/l-independance-des-pays-africains-et-la-fin-du-tutorat-postcolonial-104707 6 08 2023

 

 

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