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Les racines du sens moral : la place privilégiée de la religion (partie 2)

Introduction

Dans cette seconde partie, nous allons aborder les autres approches visant à séparer la morale de la religion. Il s’agit principalement des études de cas de Marc Hauser, de la théorie du paysage morale de Sam Harris, et la tentative de Richard Dawkins de démontrer que la violence et les actes immoraux sont encouragés par la religion.

Toutes ces approches sont liées au mouvement du nouvel athéisme qui veut enlever à la religion ses fondements moraux. C’est une féroce bataille entre la croyance et l’athéisme, et nous allons entamer une réfutation de ces approches athéistes.

Etudes de cas aux racines de la moralité : des hypothèses gratuites

Certains auteurs tentent de conforter leur thèse sur l’origine non religieuse de la moralité en s’appuyant sur le livre du biologiste américain, Marc Hauser, intitulé Moral Minds : How Nature Designed our Universal Sense of Right and Wrong[1]. Un ouvrage qui cherche à montrer, expériences de psychologie à l’appui, que la distinction entre le bien et le mal est fortement ancrée dans notre cerveau, et ce, en soumettant des personnes à des expériences qui mettent en relief un dilemme moral imaginaire, à travers des questionnaires sur Internet.

La difficulté éprouvée par ces personnes dans l’explication des réponses dénote, selon cet auteur, que les facultés morales sont indépendantes des croyances religieuses. Ces personnes sont d’accord entre elles et, en même temps, ont du mal à justifier clairement leur choix. Il y aurait donc des structures morales préinstallées dans notre cerveau. Hauser parle d’autre chose. Il dit qu’il y a des universaux moraux incarnés dans un ensemble inné de règles morales. Avant de voir sur quoi bute cette manière de percevoir les choses de ce psychologue, il convient juste de retracer rapidement ses expériences.

Celles-ci sont tellement connues qu’on ne sait pas qui est le pionnier qui a été à l’origine de leur élaboration. L’expérience la plus connue est celle du dilemme du wagon fou : un wagon est hors de contrôle et dévale rapidement une pente. Plus bas, sur la voie ferrée, travaillent cinq ouvriers que personne n’a pas le temps de prévenir de l’imminence du danger qui les guette, et qui vont donc être écrasés.

Toutefois, il existe une issue. Dans la première version, un aiguillage se trouve placé entre le wagon et les ouvriers ; actionné, il ferait dévier le wagon sur une autre voie, où un seul ouvrier travaille. Dans la seconde version, il n’y a pas d’aiguillage, mais une passerelle enjambant la voie ferrée. Sur cette passerelle se trouve un homme obèse ; s’il chutait sur la voie, le wagon le tuerait certes, mais son poids empêcherait le véhicule de continuer à marcher et les cinq ouvriers seraient sauvés.

On demande alors aux personnes qui ont été soumises à ces dilemmes, d’une part, s’ils estiment qu’il serait permis à un individu d’actionner l’aiguillage et, d’autre part, s’ils pensent qu’il leur serait permis de précipiter le gros homme sur la voie. Le résultat de ces deux actions serait le même : un ouvrier serait tué, mais cinq autres seraient épargnés.

Or, la réponse à ces deux types de dilemmes (l’aiguillage et la passerelle) n’est pas la même : alors qu’environ 90% des personnes testées estiment qu’il est moralement permis d’actionner l’aiguillage, ils ne sont que 10% à penser qu’il est permis de pousser le gros homme.

Les valeurs morales sont, selon des auteurs de ce genre, des structures ou des universaux ancrés dans le cerveau et n’ont rien à voir avec la religion. Toutefois, aussi bien Hauser que Dawkins attribuent l’existence de ces structures morales à l’évolution. En fait, cette thèse est gratuite et infalsifiable.

Comment prouver que les structures morales, c’est-à-dire la distinction entre le bien et le mal, sont des résultats de l’évolution et de la sélection naturelle ? Rien ne le prouve. Tout ce qu’on retient des travaux de Hauser est que le refus des personnes, soumises à ces expériences, de voir mourir cinq ouvriers sur les rails, de sacrifier une seule personne qui se trouvait par hasard sur la voie de secours, mais aussi de faire tomber l’homme obèse sur les rails pour stopper le wagon, un acte considéré comme criminel, relève de facultés innées. Elles sont immatérielles.

La distinction entre le bien et le mal est une faculté innée et immatérielle. Elle est étroitement liée à la conscience. En fait, les travaux de Hauser ne prouvent nullement que l’évolution soit à l’origine de ces facultés immatérielles. Tout ce qui a été prouvé est le caractère inné de ces facultés. Cette vérité s’accommode facilement avec une explication toute différente de l’origine de ces valeurs morales. Notre thèse est que ces valeurs sont ancrées dans la conscience qui est une réalité immatérielle. Les révélations religieuses, se rapportant aux valeurs morales, sont venues rappeler aux hommes ce qu’ils savaient déjà de manière innée.

Si Dieu n’existe pas, pourquoi être bon ? Ultime tentative de Dawkins de séparer la religion de la morale

Dawkins s’en prend à un épouvantail plus qu’à une vérité : « Si vous convenez que si Dieu n’existe pas, vous « commettriez des vols, des viols et des meurtres », vous vous révélez immoral « et on serait avisé de faire le vide autour de vous ». Si au contraire vous reconnaissez que vous continuerez à être bon même sans surveillance divine, vous avez porté un coup fatal à votre affirmation que nous avons besoin de Dieu pour être bons… Il me semble qu’il faut avoir une piètre estime de soi pour penser que si la croyance en Dieu venait à disparaître dans le monde, nous deviendrons tous des hédonistes égoïstes et sans cœur, incapable de gentillesse, de charité, de générosité, sans rien qui mérite le nom de bonté[2]».

Ensuite, il veut démontrer que l’existence de fortes croyances religieuses (à supposer que c’est précisément le cas) chez différentes populations n’immunise pas de la violence et des crimes. Il fait d’abord référence à l’expérience personnelle de Steven Pinker, racontée dans le livre Connaître la nature humaine qui a fait comprendre à ce dernier comment une simple grève survenue dans la ville de Montréal, en 1960, provoqua une recrudescence de la violence urbaine, ce qui fit voler en éclats ses convictions néo-anarchistes à la Bakounine.

Il fait aussi référence aux données statistiques de Sam Harris, parues dans Letter to a Christian Nation, qui démontrent que sur les 25 villes américaines dont les taux de criminalité sont les plus faibles, 62% sont situées dans des Etats démocrates et 38% dans des Etats républicains, alors que sur les 25 villes considérées comme les plus dangereuses du pays, 76% sont ancrées dans des Etats républicains, et 24% dans des Etats démocrates. Bien entendu, inutile de dire que dans les Etats républicains, la religiosité est la plus forte.

Sans omettre l’étude parue, en 2005, dans The Journal of Religion et Society, dont la conclusion semble conforter les allégations de Dawkins : « Les taux plus élevés de croyance et de vénération portées à un créateur sont corrélés à des taux plus élevés d’homicides et de mortalités des jeunes, de MST, et de grossesses et d’avortement chez les adolescentes dans les démocraties prospères[3]».

Existe-t-il une corrélation entre ces études et l’existence de Dieu et l’importance de la religion ? Absolument pas ! Nous pensons que de telles études et de telles affirmations relayées par Dawkins reposent sur un parti pris contre la religion, et n’ont rien à voir avec une recherche objective et rationnelle. Nous n’allons pas utiliser contre elles la théorie bien connue de Kahneman et de Tversky sur les biais cognitifs, en affirmant qu’elles obéissent à des considérations irrationnelles, manifestations ultimes de biais cognitifs qui tendent à attribuer des causes à ce qui est statistiquement aléatoire.

 Nous préférons plutôt rappeler une belle citation de Lucien Scuba mentionnée dans un article très intéressant sur le sens réel des religions pour les hommes : «  L’existence d’escroqueries ou d’abus de pouvoir commis par des policiers ne permet pas de conclure que la police est une association de malfaiteurs. De même, les forfaits commis sous couvert de religion n’impliquent pas que le religieux soit, dans son principe, une imposture[4] ». La religion est un exercice de longue durée exercé par de vastes communautés.

Son discours n’est pas forcément lié au comportement des individus les plus détestables ni à ceux qui prétendent la représenter. A vrai dire, le véritable problème est que Dawkins fait reposer sa démarche sur la propension qu’ont certains philosophes, depuis l’époque des Lumières en Occident, à considérer que la religion est un édifice artificiel et coercitif inventé par des institutions, dont l’objectif véritable est de dominer les sociétés en revendiquant un lien avec des puissances supérieures[5].

Comme le rappelle à juste titre Scubla, cette démarche repose sur la thèse du « complot des prêtres », qui a dominé la philosophie occidentale en Europe durant l’époque des Lumières, laquelle considère la religion comme « une fiction et une imposture, que les esprits éclairés doivent combattre et anéantir[6]». Cette philosophie a pris de l’ampleur avec la théorie de Darwin, la philosophie de Nietzsche et d’autres encore. Dawkins est un héritier tardif de cette philosophie.

A vrai dire, cette philosophie était basée, à l’origine, sur le rejet de l’absolutisme de la monarchie française par les philosophes. Un rejet qui a entraîné la révolution française. Ces derniers ont confondu entre l’absolutisme du roi et le clergé catholique qui avait en réalité entretenu des liens étroits avec le premier.

Par conséquent, le rejet de l’absolutisme de la monarchie française a conduit à une hostilité envers la religion, assimilée, à tort, à un système oppressif et absolutiste qui exploite l’ignorance des gens. Dès lors que la science et la philosophie combattent cette ignorance, alors il n’y a nul besoin de religion et de Dieu. Toutefois, il y a eu une confusion entre le clergé et la religion.

Ce rappel est très important, parce qu’il permet de comprendre la démarche de Dawkins. Celui-ci serait tenté de dire : si on ne peut confondre la religion comme institution et comme système et le comportement déloyal et contraire de certaines personnes, il n’en demeure pas moins que la religion repose sur une ontologie et des croyances erronées. La philosophie des Lumières prétendait avoir découvert toutes les lois qui gouvernent les phénomènes de la nature et celles qui sont sous-jacentes aux phénomènes sociaux et psychologiques.

N’hésitons pas à ajouter la morale et la distinction entre le bien et le mal à la longue liste des découvertes de la raison.

C’est l’ignorance humaine de ces lois qui a rendu possible la domination artificielle et illégitime de la religion, qui n’a nul autre objectif que de limiter la liberté des hommes. Ainsi, une opposition entre la raison et la foi est née dans le sillage de la lutte des politiciens et des philosophes contre la tyrannie des rois et des gens de l’église.

Par conséquent, la moralité que les athées appellent de leurs vœux est une moralité naturelle, parce que ces derniers prétendent ne reconnaître que la raison opposée à la religion. Scuba a très bien analysé cette situation.

En faisant référence à la comparaison entre la religion et des institutions modernes comme la police et la justice, lesquelles sont qualifiées d’intègres et d’efficaces, malgré l’existence de violations de leurs règles à toutes les époques, il affirme : « Le philosophe doutera de la pertinence de cette comparaison, car il croit savoir ce qui distingue l’institution religieuse de toutes les autres. Il croit disposer d’une pierre de touche, qu’il nomme la raison, pour faire le tri entre la nature et la convention, entre conventions utiles et conventions nuisibles, et même pour reconstruire toute la société à partir de principes « naturels » et « rationnels ». À cette aune, les religions instituées apparaissent comme des montages artificiels et nocifs, ou aux mieux insignifiants, que les lumières de la raison doivent faire disparaître pour laisser place soit à une « religion naturelle », sans dogmes ni rites et dépouillée de tout culte extérieur, soit à l’agnosticisme ou à l’athéisme le plus franc. La religion est ainsi réduite à une affaire d’opinion, de croyance subjective, et cette conception est devenue une idée rectrice de la conscience moderne[7]».

C’est pour cette raison que Dawkins évoque les tentatives des philosophes rationalistes comme Emmanuel Kant, Jeremy Bentham et John Stuart Mill, qui ont tenté de trouver une origine non religieuse à nos préceptes moraux. Il n’évoque pas Nietzsche, qui est peut-être en tête de liste de cette philosophie prétendument rationaliste, lui qui dans Ainsi, parlait Zarathoustra a appelé à un renversement complet des valeurs morales et à mettre en place une morale sans Dieu, en éliminant toute la métaphysique transcendantale et en inventant ce concept étrange et apocalyptique de volonté de puissance qui a attiré l’attention des dictateurs modernes comme Hitler.

En réalité, ces tentatives philosophiques sont vouées à l’échec et elles méritent d’être critiquées. Scuba rappelle les limites ontologiques de la raison : « …La raison – comme des auteurs aussi différents que Pascal, Hobbes et Hume l’ont montré – est seulement le pouvoir de raisonner, c’est-à-dire de relier correctement les uns aux autres principes et conséquences, causes et effets, moyens et fins. Il n’y a pas de tierce solution. Contrairement à ce que la philosophie scolaire et universitaire feint de croire, Kant n’a pas réfuté Hume. La raison nous fournit des « impératifs hypothétiques », mais nul « impératif catégorique »[8]».

Scuba montre que le concept de raison n’est qu’un dérivé du verbe divin de Malebranche et que la philosophie républicaine française, inspirée de Rousseau et de Kant, a tenté depuis très longtemps de substituer à ce qu’il appelle le fondement religieux de leur pensée le mythe d’une raison triomphante et autosuffisante[9]. Scuba s’appuie sur la lucidité de Hume qui jugeait les limites de la raison, laquelle a été vite transformée en « un dieu omniscient et tout-puissant, juge du bien et du mal, et maître absolu des passions[10] ».

C’est une question fondamentale pour l’origine de la morale. Ces auteurs athées voudraient faire reposer la morale sur la raison humaine. Il nous faut alors voir de près quels sont les philosophes occidentaux qui ont développé cette idée d’autosuffisance de la raison et critiquer leurs approches.

Dawkins est embarrassé par un problème de taille : l’origine de la morale. Mais au lieu de recourir à des approches philosophiques comme celle de Nietzsche contenue dans sa généalogie de la morale qui se veut une déconstruction de l’héritage moral judéo-chrétien et son remplacement par de nouvelles valeurs morales, jugées plus saines[11], il s’adonne à un exercice très superficiel et circulaire.

Voici ce qu’il en dit « Comment alors, décidons-nous de ce qui est bien et de ce qui est mal ? Quelle que soit notre réponse, il existe, concernant notre jugement pratique de la nature du bien et du mal, un large consensus doté d’une prévalence stupéfiante. Bien que sans lien évident avec la religion, il s’étend à la plupart des croyants, qu’ils pensent ou non que leurs principes moraux viennent de l’Ecriture ».

Mais quel est ce noyau dur des valeurs morales qui se situerait hors de la religion ? Voici sa réponse : « Dans l’ensemble, nous ne faisons pas souffrir les autres gratuitement ; nous croyons à la liberté d’expression, et nous la protégeons même si nous ne sommes pas d’accord avec ce qui est dit ; nous payons nos impôts ; nous ne trichons pas, nous ne tuons pas, nous ne commettons pas d’inceste, nous ne faisons pas aux autres ce que nous ne voudrions pas qu’on nous fasse[12]». Il déclare ensuite « On peut trouver certains de ces bons principes dans les livres saints, mais enfouis parmi bien d’autres que nulle personne décente ne voudrait suivre ; et ces livres ne donnent pas de règles pour distinguer les bons principes des mauvais[13] ».

Dawkins ne remet pas en cause l’origine de nos valeurs morales qui sont éminemment religieuses. Si on suit son raisonnement, à chaque fois que l’on cherche une valeur morale au-delà de la religion, on n’y parvient qu’en s’appuyant sur une autre valeur morale religieuse.

C’est un paradoxe et un raisonnement circulaire. C’est le cas de sa première liste : ne pas faire souffrir les autres relève de l’interdiction de faire le mal à autrui, et celle-ci est une valeur religieuse de commandement divin.

Il en est de même de la tricherie, laquelle implique le mensonge qui est un pêché religieux de première instance, du meurtre et de l’inceste qui ont été interdits par la Bible (plusieurs passages du Lévitique 18) ainsi que par le Coran (Sourate 4, verset 23)[14].

Au-delà, on trouve dans le Coran des valeurs morales qui dépassent de loin cette liste. On ne peut les comprendre qu’en citant les versets coraniques concernés : « Nous avons fait prendre aux fils d’Israël l’engagement de n’adorer que Dieu, d’être bons envers leurs père et mère, leurs proches, les orphelins et les pauvres, de tenir des propos bienveillants aux gens, d’accomplir la salât et de faire la zâkat. Mais, à l’exception de quelques-uns d’entre vous, vous avez fait volte-face et vous vous êtes dérobés. Rappelez-vous aussi que vous Nous aviez donné votre engagement de ne pas verser le sang et de ne pas vous expulser les uns les autres de vos demeures. Et vous y avez souscrit avec votre propre témoignage[15] ».

 Voici un verset dont la beauté n’a d’égal que sa haute tenue morale : « Pense-t-il que personne ne pourra rien contre lui ? Il dit : « J’ai gaspillé beaucoup de biens ». Pense-t-il que nul ne l’a vu ? Ne lui Avons-nous pas assigné deux yeux, et une langue et deux lèvres ? Ne l’avons-Nous pas guidé aux deux voies. Or, il ne s’engage pas dans la voie difficile ! Et qui te dira ce qu’est la voie difficile ? C’est délier un joug [affranchir un esclave], ou nourrir, en un jour de famine, un orphelin proche parent ou un pauvre dans le dénuement.

Et c’est être, en outre, de ceux qui croient et s’enjoignent mutuellement l’endurance, et s’enjoignent mutuellement la miséricorde[16]».

 Dans le verset qui va suivre, les valeurs morales concernant le respect des parents est subtilement évoqué : « Et lorsque Luqmân dit à son fils tout en l’exhortant : « Ô mon fils, ne donne pas d’associé à Allah, car l’association à [Allah] est vraiment une injustice énorme. Nous avons commandé à l’homme [la bienfaisance envers] ses père et mère ; sa mère l’a porté [subissant pour lui] peine sur peine : son sevrage a lieu à deux ans. « Sois reconnaissant envers Moi ainsi qu’envers tes parents. Vers Moi est la destination[17] ».

Dans ce verset, on remarque que la modestie et la patience sont érigées en valeurs morales :

    « Ô mon enfant, accomplis la Salât, commande le convenable, interdis le blâmable et endure ce qui t’arrive avec patience. Telle est la résolution à prendre dans toute entreprise ! Et ne détourne pas ton visage des hommes, et ne foule pas la terre avec arrogance : car Allah n’aime pas le présomptueux plein de gloriole [18]».

Ainsi, le répertoire moral des religions est si riche que Dawkins ne pourra rien ajouter de nouveau. Il nous propose deux autres listes : une qu’il a trouvée dans un site web athéiste, et l’autre bricolée par lui. Or, ces deux listes reflètent le fait que leur noyau dur est indiscutablement emprunté à la religion (comme ces propositions trouvées dans ce site web : Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’ils te fassent ; en toutes choses efforce-toi de ne pas nuire ; traite tes frères, les êtres vivants et le monde en général avec amour, honnêteté, fidélité et respect ; ne ferme pas les yeux sur le mal et n’hésite pas à exercer la justice).

Par ailleurs, le reste des propositions n’a rien à voir avec la morale (comme celles-ci : cherche toujours à apprendre du nouveau ; Teste tout : vérifie toujours tes idées à la lumière des faits ; Vis ta vie dans la joie et l’émerveillement). Il y a ici un amalgame dangereux entre la vraie morale et la fausse morale basée sur des convictions philosophiques contemporaines.

Cette première liste n’ajoute vraiment rien à ce que la religion nous enseigne, à condition de consulter les livres saints de toutes les religions, y compris l’Islam et les dits de leurs prophètes.

Par exemple, le prophète Muhammad a dit : « Celui d’entre vous qui a su qu’un mal se pratique, qu’il le change par sa main, s’il est incapable, avec sa langue et s’il est incapable, qu’il déteste cela par son cœur, et ceci étant le minimum que la foi exige ». Dans ce hadith (dit du prophète), il y a une invitation à combattre le mal et l’injustice.

Il y a aussi des versets coraniques qui incitent à l’entraide et à la solidarité dans l’exercice du bien : « Aidez-vous pour le bien et la piété et ne vous aidez pas pour le péché et l’injustice[19] ».

Quant à la liste de Dawkins, elle est vraiment étonnante. Elle a été conçue pour se démarquer avec acharnement de la religion, mais elle n’y parvient pas. Ainsi par exemple, sa proposition « n’exerce pas de discrimination et d’oppression fondées sur le sexe, la race ou (autant que possible) l’espèce[20] » n’est pas supérieure sur le plan moral à ces hadiths du prophète Muhammad : « Les gens sont égaux comme les dents d’un peigne ». « Ô hommes, ceux qui vous ont précédés n’ont été anéantis que parce que lorsqu’un noble parmi eux volaient, ils le laissaient impunis et lorsqu’un faible volait, ils lui appliquaient la peine criminelle [prévue]. J’en jure par Allah que si Fatima fille de Muhammad volait je lui ferais couper la main[21] » ; « Vos sangs, vos fortunes et vos honneurs vous sont sacrés, comme la sacralité de ce jour-ci, ce mois-ci, et cette ville-ci. Que celui qui est présent en informe celui qui est absent, car il se peut que celui qui assiste à un fait le transmette à quelqu’un qui le comprenne mieux que lui[22] ».

Elle est également loin d’égaler ces versets : « Certes, Allah vous commande de rendre les dépôts à leurs ayants droit, et quand vous jugez entre des gens, de juger avec équité. Quelle bonne exhortation qu’Allah vous fait ! Allah est, en vérité, Celui qui entend et qui voit tout[23]» et « Quiconque fait un bien fût-ce du poids d’un atome, le verra ; et quiconque fait un mal fût-ce du poids d’un atome, le verra[24]».

Il y a aussi dans la tradition du prophète Muhammad beaucoup de hadiths qui évoquent l’égalité entre les races en Islam. Parmi ses plus fidèles compagnons, figurent en bonne place Souhaib le Romain, Bilal ibn Rabâh qui était noir ainsi que Salman Al-Fârissi, d’origine perse. Dans le Coran, il y a une sourate entière consacrée à Luqman le sage, l’esclave noir abyssin, qui est doué de sagesse.

Le prophète Muhammad a également considéré Oussama ibn Zeid, qui était un esclave noir affranchi, comme un proche. Il a dit de lui, au même titre que Hassan, fils de sa fille Fatima : « Ô Allah aime-les car moi je les aime tous les deux[25] ». Il a même dit de lui : « Que celui qui aime Allah et Son Messager aime Oussama ».

Lorsqu’une expédition militaire devait partir pour affronter les byzantins, ibn Zied a été désigné commandant en chef et le successeur du prophète et premier calife bien guidé a confirmé cette décision.

Dans le Coran, l’égalité entre les hommes est consacrée. La seule chose qui fait la différence entre eux n’est autre que la piété devant Dieu :

        « Ô Hommes ! Nous vous créons d’un mâle et d’une femelle et Nous vous avons fait peuples et tribus afin que vous vous entre-connaissiez. En vérité, le plus noble auprès de Dieu est le plus pieux ; Dieu est parfaitement savant et informé[26] ».

Par conséquent, il n’y a pas dans la liste de Dawkins quelque chose de nouveau ou de plus profond que ce que la religion évoque sur le plan moral. Lorsqu’il se démarque des commandements moraux de la religion, il s’égare complètement. Par exemple, lorsqu’il propose la chose suivante « trouve du plaisir dans ta vie sexuelle (dans la mesure où elle ne fait pas de tort à personne) », il oublie que l’adultère porte atteinte à la dignité des épouses et crée des problèmes qui entraînent souvent les divorces.

Même lorsqu’il parle de l’évolution dans les croyances morales en faisant référence à l’esprit du temps (Zeitgeist), il surestime la différence entre les valeurs morales du passé et celles d’aujourd’hui. Lorsqu’il évoque l’esclavage par exemple en affirmant qu’il n’a été aboli qu’au XIXe siècle, il ignore peut-être que l’Islam a lancé un processus de libération progressive et graduelle des esclaves et ce processus prévoyait, d’une part, une humanisation nécessaire de l’esclavage et, d’autre part, une invitation aux musulmans de libérer les esclaves.

Au-delà de ces deux actions importantes, rien de plus ne pouvait être fait. Durant le haut Moyen Âge, il était impossible de libérer les esclaves qui étaient une main d’œuvre essentielle et ce fut le cas dans tous les royaumes et empires de cette époque. N’oublions pas que les esclaves n’ont été libérés que lorsque l’industrialisation rendait inutile la possession et l’entretien de milliers d’esclaves pour la plupart non qualifiés.

Il y a d’abord dans la tradition du prophète Muhammad un rejet viscéral de l’esclavage. Voici un hadith qui le révèle : « Au jour de la Résurrection, je serai l’adversaire de trois personnes. Et quiconque est mon adversaire sera vaincu. Parmi les trois personnes, Il a cité un homme qui a vendu une personne libre et utilisé son prix[27] ».

Concernant l’humanisation de l’esclavage, le hadith le plus représentatif est celui-ci : « Ils (les esclaves) sont vos frères qu’Allah a placés entre vos mains. Quand Allah place entre les mains de l’un d’entre vous son frère, qu’il le nourrisse de sa propre nourriture et l’habille comme il le fait pour soi-même et ne lui impose pas un labeur qui dépasse ses forces. Si toutefois il le faisait, qu’il l’aide[28] ».

Il y aussi ces deux hadiths « Quiconque gifle ou frappe son esclave, doit l’affranchir pour expier son acte[29] » ; « Quiconque accuse injustement son esclave d’adultère, sera flagellé au jour de la Résurrection, à moins qu’il ne dise la vérité[30] ».

Ensuite, le programme graduel de libération des esclaves a été annoncé par le Coran lui-même dans ce verset : « Ceux de vos esclaves qui cherchent un contrat d’affranchissement, concluez ce contrat avec eux si vous reconnaissez du bien en eux ; et donnez-leur des biens d’Allah qu’Il vous a accordés[31] ». Dans le Coran, il est même prévu des modalités pour la libération des esclaves comme par exemple l’utilisation des aumônes pour les affranchir. Cette modalité est clairement évoquée dans ces deux versets : « Les aumônes ne sont que pour les démunis, les pauvres…et pour l’affranchissement des esclaves[32] » ;

« Dieu…vous demandera compte quant aux engagements que vous aurez vraiment contractés. Cependant, son expiation en sera de nourrir dix pauvres de ce dont vous nourrissez normalement les vôtres, ou de les vêtir, ou bien que vous libériez un esclave[33] »

Des historiens occidentaux reconnaissent l’existence d’un tel programme initié par le Coran. Gustave le Bon a dit : « Ce que je crois vrai, c’est que l’esclavage chez les musulmans est meilleur que ce qu’il est chez les autres, et le statut des esclaves en Orient est meilleur que celui des domestiques en Europe, et les esclaves en Orient font partie de la famille (du maître) et ceux d’entre eux qui veulent recouvrer leur liberté l’obtiennent dès qu’ils en manifestent le désir. Mais ils ne font pas usage de ce droit[34] ».

En réalité, il n’y a pas que l’esprit du temps qu’il faudrait prendre en considération. Les possibilités matérielles et les contraintes économiques empêchaient de libérer les esclaves au Moyen Âge, comme c’est le cas à l’époque moderne, mais l’appel à leur libération par le Coran et le hadith il y a quatorze siècles est louable. Il ne faudrait donc pas surestimer l’écart entre les valeurs morales du passé et celles du présent.

Il ne faudrait pas aussi surestimer l’esprit du temps à notre époque, puisque des fléaux immoraux sévissent aujourd’hui, encore plus qu’hier, et on assiste au développement du racisme dans tous les domaines de la vie sociale et économique, qui se traduit par toutes sortes de discriminations, y compris à l’embauche. Le racisme est le plus grand fléau de ce siècle et vient succéder aux fléaux immoraux d’un passé pas si lointain, comme la colonisation.

Même si l’époque moderne a vu l’émergence de nouvelles valeurs morales, il y a néanmoins un recul de la tolérance raciale et de l’égalité entre les races dans les pays occidentaux. Le racisme se développe considérablement dans les pays européens, anciennement coloniaux, et prend parfois des formes cruelles et abominables comme le montre le cas de George Floyd aux Etats-Unis, un pays pourtant cosmopolite et non anciennement colonisateur.

Tout est donc relatif, s’agissant de ce concept aussi incertain que controversé qu’est l’esprit du temps. Il ne sert à rien à Dawkins de le survaloriser pour montrer que la religion ne joue aucun rôle dans la propagation des valeurs morales. Si on compare l’attitude du prophète Muhammad, qui a fait d’anciens esclaves noirs des compagnons promus aux plus hautes fonctions, et les policiers qui ont étranglé George Floyd, un ressortissant américain noir, l’esprit du temps vole en éclats et rien ne sert alors de se féliciter des valeurs modernes.

Par ailleurs, le fait que les gens s’indignent d’entendre des surnoms et des stéréotypes racistes, comme le rappelle Dawkins, ne signifie pas qu’ils ne sont pas fréquents. Plus grave encore, des insultes raciales abominables ont vu le jour durant ces dernières années, comme « retourne à ta jungle », « montes sur ton arbre », « mange ta banane ».

Mêmes si elles sont plus diffuses, elles sont néanmoins plus fréquentes et se propagent dans des espaces publics de plus en plus élargis (dans les services de police entre des policiers, dans les stades de football, etc.).

Plus généralement, on peut même remettre en cause le postulat de Dawkins, selon lequel l’esprit du temps progresse. Aux côtés de phénomènes terribles comme le racisme et l’inégalité dans l’emploi, on observe qu’il y a un choc de civilisations entre les nations, une nouvelle guerre froide entre les superpuissances, une hostilité morbide contre l’Islam dans les sociétés occidentales et une résilience de la colonisation dans certaines régions du monde.

Les pays arabes et musulmans et les pays africains subissent toutes sortes de mesures qui affaiblissent davantage leurs économies et leurs sociétés. Certains pays oppriment leurs minorités et contraignent des personnes non protégées à des travaux forcés, comme ce fut le cas lors des plus sombres périodes de la Seconde Guerre mondiale. On a vu aussi des conflits terribles se déclencher au cœur même de l’Europe qu’on croyait pacifiée depuis la fondation de l’Union européenne, à l’image de la guerre de Bosnie-Herzégovine qui débuta en 1996.

Un fléau, tout aussi terrible que ceux du passé, est né de ce conflit meurtrier : le nettoyage ethnique, perpétré de manière impitoyable contre les musulmans et les Croates.

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Concernant les animaux, Dawkins évoque tacitement un progrès notable en affirmant que l’extinction des Dodos à l’Ile Maurice et du Loup de Tasmanie, du fait de l’homme, suscite l’indignation aujourd’hui. Or, même si l’extinction d’animaux est quelque chose de très visible qui fait l’objet d’une attention particulière de nos jours, des comportements moins visibles et tout aussi inhumains, comme la maltraitance des animaux dans les abattoirs par exemple, sont légion. Il ne faudrait donc pas surestimer l’esprit du temps, s’agissant des conflits, des violations des droits de l’homme et des animaux.

Le « paysage de la morale » de Sam Harris : une critique

L’approche de Sam Harris sur le paysage moral qui consiste à dire que la seule structure morale qui mérite d’être examinée, quand « les choses moralement bonnes » font référence à l’augmentation du « bien-être des créatures conscientes »,en rattachant les valeurs morales à des faits empiriques[35], est vraiment superficielle et trompeuse.

En réalité, Harris rattache les valeurs morales à des faits empiriques de la même manière que Dawkins rattache ces mêmes valeurs à ce qu’il appelle les « mêmes » qui sont un néologisme des « gènes ». Il prétend que les croyances religieuses qui sont des entités culturelles se comportent comme les gènes même s’ils ne sont pas de nature biologique[36].  Les gènes sont de réplicateurs de l’information génétique et se multiplient en étant copiés dans le pool génétique.

Nous rejetons ces approches, prétendument scientifiques, pour deux raisons principales : la première est que toute approche matérialiste ou empirique basée sur la sélection naturelle ou sur un processus de vérification empirique sur l’augmentation du bien-être est inapplicable à une explication sur l’origine de la morale, parce que ces processus sont éminemment inconscients.

Ces processus agissent sur des milliers d’années sans que les organismes sachent quoi que ce soit sur ce qui leur arrive. C’est donc un processus matériel, inconscient et silencieux. Les faits empiriques sur l’augmentation ou la diminution de bien-être sont inconscients. En revanche, les valeurs morales sont des phénomènes conscients ou cognitifs. Les individus sont conscients des principes véhiculés par la morale. Lorsqu’on dit que le mal est interdit ou que le corps survit à la mort, les sujets concernés par ces principes les comprennent. La religion interpelle finalement les consciences alors que les faits empiriques bruts et matériels sont enfouillés inconsciemment dans les tréfonds du corps et de la nature.

Les valeurs morales ne sont pas comparées aux faits empiriques sur l’augmentation du bien-être tout simplement dans des systèmes perceptifs figés et purement matériels. Ils sont utilisés dans une relation qui se déploie à la fois entre un être et le monde et entre l’être et lui-même ou son for intérieur. Les valeurs morales impliquent, non seulement, des connaissances et des émotions, mais aussi et surtout une idée de la vérité et une éthique. Elles sont intériorisées dans l’esprit humain en compagnie d’états mentaux. En un mot, la conscience.

Par ailleurs, les valeurs morales sont propres à l’humanité et la caractérise de manière profonde contrairement aux faits empiriques qui ne distinguent pas entre les hommes et les animaux et même les systèmes physiques qui sont indifférents aux corps, c’est-à-dire qu’ils sont « égoïstes ».

Par conséquent, le véritable système dans lequel vivent les valeurs morales est la conscience qui produit des représentations qui lui sont propres et ils font intervenir la conscience parce qu’ils possèdent aussi une nature intellectuelle qui porte vers l’action, le temps et l’histoire. L’action porte sur la croyance et le comportement qui va avec. Le temps est lié au fait par exemple que certaines promesses ou prédictions faites sur le plan religieux (percepts de Dieu) font référence au futur (dans le cas de la sanction qu’elle soit positive ou négative) comme au passé (histoire des peuples croyants par exemple).

En outre, le fait empirique, lié prétendument au bien-être, est matériel et physique, alors que la conscience qui est le réceptacle de ces valeurs est immatérielle. Elle n’est située nulle part dans le corps. Néanmoins, les valeurs morales permettent de construire des représentations de soi-même et du monde. Par exemple, lorsqu’on évoque le bien et le mal, on dit que telle personne a fait le bien ou le mal ou que, dans le monde, il y a ceux qui font le bien et les pêcheurs.

La valeur morale fait référence au bien. Elle est donc associée à des représentations qui sont des constructions mentales très élaborées, alors que les faits empiriques sont projetés une fois pour toute sur la réalité physique. Il y a, par ailleurs, des erreurs dans la perception des faits empiriques qui sont involontaires. En revanche, la valeur morale est un concept à la fois dynamique, conscient et intellectuel. C’est vraiment de l’intellect et de l’intelligence, alors que les faits empiriques sont parfois trompeurs.

On a un bel exemple avec ce que nous dit ce verset du Coran : « Il se peut que vous détestiez quelque chose alors que c’est un bien pour vous. Et il se peut que vous aimiez une chose alors qu’elle est vous est néfaste. C’est Allah qui sait, alors que vous ne savez pas[37] ».

Cette réalité permet de comprendre que les enseignements de Dieu montrent que le jugement humain est hâtif et superficiel devant la tournure complexe des évènements. Il n’y a que Dieu qui connaît le résultat de chaque évènement.

Le croyant se doit d’être patient et attendre ce que Dieu lui donne. Une telle relation dépasse de loin la perception des faits empiriques qui sont le plus souvent trompeurs et superficiels, alors que le jugement moral permet de prendre du recul par rapport à ce caractère aléatoire des faits empiriques.

Plusieurs conclusions nous interpellent sur la véritable nature des valeurs morales, qui sont en fait très différentes d’une simple relation aux faits empiriques qui est au cœur de la démonstration de Sam Harris :

  • Les valeurs morales sont des phénomènes conscients alors que les faits empiriques sont souvent inconscients ;
  • Les valeurs morales ne sont pas essentiellement corrélées au plaisir. Elles sont plutôt liées à l’obéissance des commandements divins qui nous enseignent que l’homme n’est pas exempté des dommages que peuvent engendrer des évènements qui procurent du plaisir comme il n’est pas exclu que des situations dommageables peuvent procurer des résultats positifs.
  • Les valeurs morales reflètent des limites dans la connaissance humaine et surtout de sa perception. La véritable connaissance universelle et totalisante appartient à Dieu seul.
  • Le véritable sens de la valeur morale est l’obéissance aux commandements divins et non à l’augmentation du bien-être qui est souvent une notion trompeuse. Le véritable bien-être n’est pas de ce monde matériel, mais du savoir qui est éminemment d’origine divine et immatériel et de l’autre monde.
  • Le bien-être de l’homme est étroitement lié à l’obéissance aux commandements divins.
  • Le bien-être matériel n’est pas la source du véritable bonheur car souvent ce qui est lié aux plaisirs, c’est de la déception et des tourments de l’âme car ce qui est matériel est toujours contradictoire avec ce qui est immatériel comme l’âme, la morale et le monde divin.
  • Il y a des valeurs morales comme l’humilité, la modestie et le recueillement dans la prière qui n’ont rien à avoir avec l’augmentation du plaisir matériel et du bien-être physique. On remarque très bien que les Athées sont souvent orgueilleux dans leur dessein de remplacer Dieu et à nier ses commandements.

Si Harris est certain que l’augmentation du bien-être humain est une chose essentiellement empirique et scientifique, comment alors expliquer que l’homme, dans sa recherche de ce bien-être, a causé le plus grand dommage à la nature et à l’humanité (armes de destruction massive, guerres sanglantes, changement climatique, organismes génétiquement modifiés, etc.) ? La véritable valeur morale est de reconnaître que l’homme ignore, en fait, son véritable bonheur.

Alors que les faits empiriques immédiats et l’augmentation quantitative du bien-être sont fixés une fois pour toute, la valeur morale n’implique pas nécessairement une conscience complète de soi et du monde. L’individu peut se dire : est-ce que je suis vraiment pêcheur ? Il y a un doute, parce qu’il y a un exercice de prise de conscience mais aussi une connaissance imparfaite, en raison de la double relation à soi-même et au monde.

De plus, les valeurs morales sont liées entre elles dans le cadre d’une relation intersubjective. Les croyants connaissent le sens profond des valeurs morales. Chaque individu rapporte à lui-même, dans sa conscience, les valeurs morales sous formes d’états mentaux, alors que ces derniers sont compris par d’autres individus.

Il y a non seulement une capacité intersubjective de connaître les valeurs morales, mais en plus, cette connaissance est projetée dans le monde extérieur et renvoie à notre capacité d’agir. Il y a donc un prolongement des valeurs morales dans le monde de l’expérience, à travers les actes dont les résultats impliquent une responsabilité devant la communauté humaine dont l’individu fait partie. On peut ainsi parler de conscience immédiate du sens des représentations associées aux valeurs morales, mais aussi d’une conscience morale relative au devenir des actions exigées par celles-ci.

Précisons une chose : les valeurs morales sont associées à notre for intérieur et à notre conscience de soi. Dans ce processus interne, il existe un choix, une sélection, voire une intentionnalité, c’est-à-dire un rapport avec quelque chose d’autre. Je m’explique : la conscience du bien et du mal n’est pas simplement un état mental, donné une fois pour toutes. Elle n’est pas non plus seulement une étape théorique vers l’action : faire le bien ou le mal.

La conscience est en rapport avec d’autres choses comme les sentiments, les émotions ? mais aussi la décision de faire le bien ou le mal. La valeur morale relative au bien et au mal, comme état ou représentation consciente, est en rapport constant avec ces choses phénoménales. Par exemple, l’idée de bien provoque un sentiment de plaisir ou de fierté pour les croyants, ainsi qu’un sentiment de pitié et de peur à l’égard des pêcheurs. La valeur morale n’est donc pas un état de la conscience qui fait intervenir uniquement le moi. Il est en relation aussi avec les autres individus, qui doivent s’exprimer ou agir en rapport avec cette valeur morale.

La valeur morale est également une réalité existentielle. Avant de l’exprimer, on n’est pas conscient de notre existence. Avec les valeurs morales, les individus ont conscience de leur existence. Ils n’ont pas besoin du doute cartésien. Les valeurs morales sont mêmes à l’origine d’un savoir privilégié : c’est-à-dire une science.

De grands philosophes se sont penchés sur la nature morale de la conscience. Jean Jacques Rousseau a jeté son dévolu sur la notion du bien et du mal, qui permet de juger et d’apprécier la valeur des actions qu’elles soient personnelles ou extérieures. C’est donc un sentiment puissant qui nous guide dans ce monde et il se trouve dans chaque individu.

Les valeurs morales interpellent la conscience et engagent l’homme. Voici ce qu’en dit Alain dans un élan de sagesse : « Conscience ! Conscience ! Instinct divin, immortelle et céleste voix ; guide assuré d’un être ignorant et borné, mais intelligent et libre ; juge infaillible du bien et du mal, qui rends l’homme semblable à Dieu, c’est toi qui fais l’excellence de sa nature et la moralité de ses actions ; sans toi je ne sens rien en moi qui m’élève au-dessus des bêtes, que le triste privilège de m’égarer d’erreurs en erreurs à l’aide d’un entendement sans règle et d’une raison sans principe[38] ».

Une dernière critique d’ordre « téléologique » nous interpelle sur quelque chose de fondamental, qui va bien au-delà d’une identification des valeurs morales à des faits empiriques obéissant à la sélection naturelle. Alors que les faits empiriques sont appréhendés par la science, les valeurs morales qui sont étroitement liées à la conscience ne peuvent être appréhendées par aucune science à elle-seule.

On ne sait pas comment des phénomènes physico-chimiques, qui se déclenchent dans les synapses et les neurones du cerveau, peuvent provoquer la conscience des valeurs morales comme par exemple : l’existence de Dieu, le bien et le mal. On ne peut même pas considérer que la conscience soit une réalité matérielle, comme le suggère certaines théories matérialistes. Par exemple, il me semble que Pierre-Changeux considère la conscience comme une substance physique qui prend forme dans les neurones et leurs connexions[39]. Toutefois, personne n’est en mesure de connaître le lien entre les neurones et la conscience, notamment intellective. C’est un mystère qui intimide la science et la philosophie.

Dès lors qu’on ne sait pas vraiment ce qu’est la conscience, on est alors confrontés à une simple ignorance de ce que sont les valeurs morales. Si la science permet d’appréhender les faits empiriques, comme l’augmentation du plaisir, et si la génétique permet de comprendre ce qui se passe avec les gènes, le fonctionnement des idées, de la conscience et des valeurs morales reste en revanche nimbé de mystère, en raison de l’immatérialité de la conscience. On peut simplement recourir, dans ce cas, à la théorie du dessein intelligent et à Dieu qui est la source la plus profonde et la plus transcendantale des valeurs morales.

Conclusion

Dans cette deuxième partie de l’étude, nous avons démontré que les approches prétendument scientifiques, destinées à séparer la morale de la religion, sont vouées à l’échec. Il existe, en effet, toujours un noyau dur des valeurs morales qui proviennent de Dieu et de la religion.

Par ailleurs, les approches athéistes ne reflètent aucune objectivité, ni une quelconque rationalité scientifique. Nous avons parcouru les principales tentatives, à l’image de celles de Harris et de Dawkins, qui sont allés loin dans leurs écrits et leurs vidéos sur Internet, dans le sillage de leur vulgate athéiste. Néanmoins, la morale reste étroitement liée à la religion divine, et ni la biologie, ni la philosophie ne peuvent prouver le contraire.

Nous allons voir, dans la troisième partie, comment les auteurs athées s’attaquent à l’histoire de la religion, en s’escrimant à démontrer que les anciennes écritures monothéistes sont immorales. Nous traiterons de la dynamique historique interne des religions monothéistes, en tant qu’approche novatrice, pour battre en brèche ce point de vue.

 

A lire sur Oumma :

«L’islamophobie intellectuelle : une critique». La saine critique de Rafik Hiahemzizou dans un essai éclairant

 

[1] Marc Hauser : The Nature of Right and Wrong, Harper Perennial, 2006.

[2]Traduit de l’anglais par Marie-France Desjeux-Lefort, Perrin, Paris 2018.  Titre original. The God Delusion, 2006. Traduit de l’anglais par Marie-France Desjeux-Lefort, Perrin, Paris 2018.  Titre original. The God Delusion, 2006, p. 289.

[3]Ibid., p.292.

[4] Lucien Scubla Les hommes peuvent-ils se passer de toute religion ? Coup d’œil sur les tribulations du religieux en Occident depuis trois siècles La Découverte « Revue du MAUSS » 2003/2 no 22, pages 90 à 117.

[5]Ibid., p. 91.

[6]Ibid., p.92.

[7]Ibid., p. 94.

[8]Ibid.

[9]Ibid.

[10]Traité de la nature humaine, II, III, 3 ; III, I, 1.

[11]Je pense que cet essai philosophie de Nietzche a joué un grand rôle dans la propagation de l’athéisme en Europe. Mais la pensée de Nietzche est complexe et elle peut être peu accessible à un biologiste comme Dawkins. De toutes les manières, nous avons critiqué dans le chapitre…l’approche de Nietzche.

[12]Op.cit. Dawkins, p.333.

[13]Ibid. p.333-334.

[14]« Vous ont été tabouisées/harrama vos mères, vos filles, vos sœurs, »

[15]Sourate 1 (Baquara), v.2.83 et 2.84.

[16] Coran, Sourate 90, 3-17

[17] Coran, Sourate 31, 13-14.

[18] Coran, Sourate 31, 17-18.

[19]Sourate al-M ’aida / 2.

[20]Op.cit. Dawkins, p.335.

[21]Rapporté par Mouslim.

[22]Rapporté par Al-Boukhâri vol 1 p 469.

[23]4 An-Nissâ 58.

[24] 99 Az-Zalzalah 7, 8.

[25]Rapporté par Al-Boukhari.

[26], Sourate 49.V13.

[27]Rapporté par al-Boukhari,2227.

[28]D’après Abou Dharr, rapporté par al-Boukhari, 6050.

[29]Rapporté par Mouslim 1657)

[30]Selon Abou Hourayra qui a entendu Aboul Qassim, rapporté par al-Boukhari, 6858.

[31]Coran, 24 :33.

[32] Coran, Sourate, 9.V60.

[33] Coran, Sourate 5.V89.

[34]Gustave le Bon La civilisation des Arabes, p.450-460,

[35] The Moral Landscape : How Science can Determine Human Value, Free Press, New York, septembre 2011.

[36]Op.cit. Dawkins, p.244-245.

[37] Sourate Al Baqarah, verset 216.

[38] Emile, Livre IV.

[39] Jean-Pierre Changeux L’Homme neuronal, Pluriel, 2009.

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