Formation des imams
Il y a aussi le dossier des Imams sur lequel les musulmans de France se sentent particulièrement lésés. Les 1800 imams que compte la France sont confrontés à deux problèmes essentiels : ils ne disposent pas d’un statut juridique qui leurs confère une stabilité sociale et économique et beaucoup d’entre eux n’ont pas en une formation leur permettant de maîtriser aussi bien les disciplines islamiques classiques (dogme, droit musulman, vie du prophète, exégèse….) et d’inscrire l’islam dans l’environnement socioculturel national. Comment un imam peut il faire face au radicalisme qui prospère là ou il n’y a pas la science et la connaissance s’il n’est pas respecté et reconnu ? Comment peut-il être un vecteur de dialogue et un facteur de paix entre les communautés s’il n’est pas formé et s’il vit lui-même dans une situation précaire ?
Les responsables politiques de tout bord connaissent depuis longtemps tous ces problèmes. Malheureusement quand ils ouvrent ce dossier, c’est souvent pour marquer les esprits, occuper l’espace médiatique voire même servir des arrières – pensées électoralistes. Des universitaires de renom ainsi que des responsables musulmans n’ont eu de cesse d’insister sur la nécessité de doter la France d’un institut de formation des imams avec une participation financière de l’État. Pour ne pas enfreindre le principe de la laïcité, ils proposent tous de l’implanter à Strasbourg à côté de la faculté de théologie catholique, la faculté de théologie protestante.
L’idée d’un institut de théologie musulmane à Strasbourg a été émise pour la première fois par le Professeur Arkoun au début des années 80. En 1988, il entreprit une série de démarches auprès de l’Elysée et des ministères de l’Education Nationale et de l’Intérieur pour réaliser ce projet. Malheureusement, le dossier fut bloqué à l’Elysée par un conseiller de François Mitterrand en 1989 au moment ou éclate l’affaire du foulard islamique. Pourquoi continuer à refuser aux Français de confession musulmane ce qu’on accorde aux autres ?
Enfin, durant les deux dernières décennies, il y a eu des initiatives qui mériteraient d’être encouragées. Je pense notamment à l’Institut Al-Ghazâli de la mosquée de Paris et l’institut européen des sciences humaines (IESH) à Château Chinon et à Paris qui forment entre autres des imams et des aumôniers. Les étudiants au sein de ces institutions reçoivent une formation de qualité qui tient compte à la fois de l’authenticité des textes et de la réalité sociale, économique et politique des musulmans de France. Malheureusement, ces instituts souffrent d’un manque de financement qui ne leur permet pas de se développer et de recevoir un nombre d’étudiants pouvant répondre aux besoins des mosquées en France.
Financement étranger
Reste les financements qui viennent de l’étranger et qui inquiètent de façon démesurée certains hommes politiques comme si les lieux de culte musulman étaient les seuls édifices religieux à pouvoir en bénéficier. Bien que beaucoup de musulmans de France soient opposés par principe à tout financement qui viendrait de l’étranger, cette question mérite des éclaircissements. D’abord il faut faire la différence entre les dons privés et les contributions plus ou moins importantes des Etats. Et ce sont surtout ces derniers dons et les influences qui s’en suivent qui peuvent poser des problèmes.
C’est pourquoi, et dans un souci de transparence, le fait de les faire transiter par la fondation pour les œuvres de l’islam de France, créée par décret en Conseil d’Etat du 31 mars 2005 peut être une solution. Enfin les financements étrangers concernent principalement les constructions de mosquées dites « cathédrales ». L’immense majorité des lieux de culte en France sont eux financés intégralement par des fidèles. Cela étant dit, on ne peut pas refuser aux musulmans de France d’avoir les mêmes droits que les autres.
On ne peut pas s’opposer aux financements étrangers et refuser que l’Etat puisse participer à la construction de mosquées en France. On ne peut pas se montrer choqué par l’image des musulmans priant dans la rue et leurs refuser indéfiniment des permis de construire pour qu’ils puissent prier dans des conditions dignes et décentes. Ces discours et attitudes contradictoires deviennent à la longue insupportables et ne peuvent que contribuer à créer un sentiment d’exclusion et de mépris chez les musulmans de France.
Islam de France
Si les responsables politiques se préoccupaient moins de leur réélection et s’intéressaient un peu plus à ce qui se passe chez les français de confession musulmane, ils verraient que l’islam de France est devenu une réalité sociale, culturelle et religieuse. Dans leur immense majorité, ils pratiquent un islam apaisé, moderne, ouvert enraciné dans la culture française et respectueux des Lois de la République dans une France profondément attaché à la laïcité. Ils se définissent comme Français de confession musulmane et sont culturellement Français. Ils parlent et échangent en Français leurs première langue et participent pleinement à la vie publique. C’est avec ces Français de confession musulmane qui représentent les meilleurs vecteurs de l’intégration des musulmans qu’il faut construire l’avenir avec confiance et détermination.
Cette intégration réussie et assumée, se retrouve même dans l’architecture des nouvelles mosquées construites ces dernières années et qui s’inscrivent harmonieusement dans le paysage environnant. Par ailleurs, dans beaucoup de mosquées, une partie du prêche de la prière du vendredi obligatoire se fait en Français et les demandes de carrés musulmans dans les cimetières est en constante augmentation. Tout cela traduit le fait que les jeunes musulmans se sentent pleinement chez eux et que l’islam est désormais une religion Française.
L’islam entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel
L’islam est une religion qui ne fait pas la différence entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel et les musulmans ne distinguent pas la religion de la politique. Voilà ce que nous pouvons souvent entendre à la télé ou lire dans la presse. Il ne faut alors pas être très intelligent pour conclure que les musulmans ne pourront jamais s’intégrer dans une France laïque et une société très sécularisée. Mais alors que faire de ces millions de musulmans qui vivent légalement en France ? Si on poursuit ce raisonnement jusqu’au bout, il faudra soit les renvoyer chez « eux », soit les obliger à changer la tradition qui les a vu naitre, qui les a aimé et qui fait partie de leur identité. Tout cela n’a pas de sens.
Qu’en est-il exactement ?
Que disent les sources musulmanes et que pensent les musulmans eux-mêmes de tout cela ? Tous les savants musulmans font la distinction entre « Al‘ibâdât), les actes d’adoration qui se référent exclusivement aux textes fondateurs de l’islam (Anaql) et qui de ce fait sont considérés comme immuables, et « Al mu‘âmalât » c’est-à-dire les relations sociales qui elles, s’appuient beaucoup sur la raison (Al ‘aql) et sont donc passibles de changement et doivent tenir compte de l’espace, de l’époque, de l’état d’esprit du musulman ainsi que les traditions du pays dans lequel il vit. Il y a donc bien une distinction entre deux domaines en islam.
Il y a bien des hommes politiques qui s’offusquent parfois de certaines déclarations ou comportements de musulmans qui mélangent politique et religion et ils ont raison. Malheureusement, ce sont ces mêmes responsables politiques qui viennent au moment des élections leur proposer des terrains pour y construire de mosquées afin de gagner quelques voix. Qui pratiquent l’amalgame ici ?
En vérité, les musulmans n’ont jamais été autant intégrés dans la société Française. Ils acceptent massivement le modèle de la laïcité et le défendent car il permet aux croyants de toutes les religions d’exprimer et de vivre leur foi dans le respect de la Loi. Ils acceptent la diversité comme un enrichissement mutuel et défendent l’idée que les mosquées doivent être des lieux de spiritualité pacifiques et apolitiques.
Conclusion
Cela fait très longtemps que l’on vit en France comme si les musulmans n’existaient pas. On fait comme s’ils n’avaient pas des préoccupations, des demandes et qu’ils n’avaient pas eux aussi peur de l’avenir comme tous les Français. Malgré l’image négative que véhiculent certains médias et hommes politiques obsédés par les élections, les musulmans se sentent chez eux en France et c’est dans ce pays qu’ils désirent construire leur avenir, éduquer leurs enfants et mourir. L’islam est désormais une religion française au même titre que les autres grandes religions.
Toute initiative qui prend acte des changements qui traversent la société Française, réaffirme l’importance du principe de la laïcité, aide l’islam à mieux s’organiser et donne le droit aux musulmans d’être des citoyens à part entière, de vivre leur foi, de construire leur vie en France avec la même dignité que les autres Français ne peut que servir les intérêts de la France. Tout débat qui instrumentalise les peurs, entretient l’amalgame, sème la confusion et oppose les français les uns contre les autres, ne concourt pas à l’apaisement et desservira la République.
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