Un bien étrange silence a entouré une information pourtant capitale qui nous vient de Turquie : La Cour Constitutionnelle turque a invalidé le 21 janvier la réforme judiciaire adoptée par le Parlement turc en juin 2009.
Que proposait cette loi ? Simplement d’obliger les militaires en exercice à répondre de leurs crimes devant des tribunaux de droit commun. A l’époque saluée par l’Europe à Bruxelles, cette annulation n’a suscité aucun commentaire chez nos élus, plus préoccupés à traquer d’imaginaires « burqas »[1] et à pourfendre « l’islamisme rampant de nos sociétés » qu’à défendre les valeurs démocratiques.
Car c’est bien de cela qu’il est question ici : toujours régie par la constitution (1982) issue du coup d’Etat militaire du 12 septembre 1980, soutenue par les partis laïcs, la situation est aujourd’hui bien embarrassante pour la classe politique qui, à la veille des élections qui ont porté l’AKP au pouvoir craignait pour la « démocratie » et la « laïcité », qui sont deux choses bien différentes en Turquie.
La manière dont la « question turque » est aujourd’hui abordée chez nous relève en effet de l’imposture intellectuelle : on donne souvent dans l’incantation, rarement dans l’analyse. On lie, par simple décalque de ce qui s’est fait en France, « démocratie » et « laïcité », alors que les choses sont là très différentes : alors que la laïcité, en France, a été un processus social qui a accompagné l’établissement de la démocratie, en Turquie elle a été un processus imposé du haut vers le bas, et est restée liée à une conception autoritaire et nationaliste. Qui, à l’exception de l’extrême droite chez nous, souscrirait au « six flèches » d’Atatürk, intégrées à la constitution de 1937 et qui sont le Républicanisme, le Nationalisme, le Populisme, l’étatisme, la Laïcité et le Révolutionarisme ?
M.BESSON peut-être ? et encore…
Qui nous parle ensuite des dossiers qui secouent les milieux militaires turcs, soutenus par les partis « laïcs », impliqués dans de troubles affaires que révèlent précisément en ce moment une enquête judiciaire, et qui ont pour nom « Ergenekon » et « plan massue » (balyoz), en lien avec Al-Qaïda, qui étaient un véritable programme de guerre civile, visant à semer la terreur en Turquie afin de justifier une intervention militaire massive ? Il y a mieux : les opérations « burqa » et « barbe » – je n’invente rien ! – consistaient à déclencher des séries d’explosions lors de la prière du vendredi dans les mosquées les plus fréquentées d’Istanbul[2] afin de créer un mouvement de panique, sans parler d’agressions ethniques et religieuses avec les minorités, ainsi qu’un incident aérien avec la Grèce.
Faut-il dire que pour ce que l’on appelle en Turquie « l’Etat profond », c’est-à-dire la magistrature, l’armée et une partie de la haute administration, trouve insupportable les réformes entreprises ces dernières années comme l’abolition de la peine de mort en toutes circonstances, l’abolition des tribunaux de sûreté de l’Etat, l’inscription du principe d’égalité des genres dans la constitution, l’élimination du principe du secret quant à l’audit des biens de l’Etat en possession des forces armées, la suprématie des traités internationaux relatifs aux droits de l’homme sur la législation nationale, sans parler de l’élection de 6 Arméniens aux dernières élections municipales, efforts salués par le Conseil de l’Europe dans son rapport du 24.06.2008. L’Assemblée parlementaire du Conseil, cohérente, vient d’ailleurs d’élire pour la première fois un député turc, Mevlüt Çavusoğlu, co-fondateur de l’A.K.P. comme président.
Comme l’Espagne est sortie du franquisme, espérons que la Turquie réussira sa transition démocratique. Un soutien à ce processus pourrait être l’honneur de la France. Notre pays n’a à ce jour, sur ce dossier, pas de politique, juste une position. Il pourrait aussi un jour ne plus avoir d’honneur.
Somme toute, le (non) traitement de cette information révèle un paradoxe : le non attachement de la classe politique française à la démocratie et sa satisfaction d’un discours d’apparence, et pas seulement dans les relations internationales, signe d’une démocratie essoufflée, qui tourne de plus en plus à vide.
« L’herbe ne repousse pas sous les sabots de mon cheval » aurait dit Atila. La démocratie repoussera-t-elle sous les sabots de cette législature ?
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