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Le Pen à Valmy : réflexions sur la récupération d’un symbole

Première bataille décisive de la Révolution française, la victoire de Valmy du 20 septembre 1792 symbolise la nation républicaine victorieuse face aux puissances étrangères. Dans la foulée de cet événement retentissant, la Convention proclamait la République française « une et indivisible ».

La récente tentative de récupération de ce symbole par Jean-Marie Le Pen (1) et, plus généralement, la place importante qu’occupent les références à l’histoire de France dans les discours du vieux leader nationaliste m’a inspiré les réflexions suivantes qu’on peut voir comme une tentative d’explication (partielle) du phénoménal succès électoral qu’a rencontré ce personnage anachronique, succès qu’il pourrait bien – hélas – connaître à nouveau en 2007 et qui illustre a contrario l’extrême difficulté pour la gauche à refonder son identité sur le thème de « la République ».

En instaurant l’école laïque et obligatoire, les Pères fondateurs de la troisième République ont déployé un effort sans précédent pour donner une instruction élémentaire aux classes populaires (ouvriers et paysans). Celle-ci a indéniablement favorisé l’unité linguistique et culturelle de la France ; elle a permis l’émergence, en un temps record, d’une élite républicaine issue du petit peuple grâce à la multiplication des bourses d’études. Elle fut particulièrement efficace pour faire évoluer vers la modernité une société française à 70% rurale et largement arriérée, subissant encore – particulièrement dans les campagnes – l’emprise de l’Eglise catholique.

L’idéologie faussement universaliste de la troisème République

Cependant, le système mis en place par la troisième République ne s’est pas contenté de « lettrer » un pays et de soustraire les jeunes consciences à la férule du catholicisme. Sur le plan idéologique, il a habilement construit un omniprésent discours scolaire de légitimation de la colonisation/expansion « à la française » : un véritable récit fictionnel n’ayant qu’un lointain rapport avec l’histoire mais qui, en magnifiant les conquêtes de nos armées, flattait le sentiment de supériorité nationale des petits Français, tout en prenant bien soin de lui donner une coloration universaliste (2). « France et humanité ne sont pas deux mots qui s’opposent l’un à l’autre ; ils sont conjoints l’un à l’autre. Notre patrie est la plus humaine despatries » proclamait ainsi « l’instituteur national » Ernest Lavissedans son Cours d’Histoire de France (le fameux « Petit Lavisse » 75 foisréédité de 1884 à 1950) qui, pour justifier la conquête de l’Algérie, inculquait aux écoliers l’idée belle et simple selon laquelle « La France veut que les petits Arabes soient aussi bien instruits que les petits Français. Cela prouve que notre France est bonne et généreuse pour les peuples qu’elle a soumis » (3).

Le Pen dernier « instituteur national » ?

Les millions de Français d’origine modeste qui sont séduits par le charisme de Le Pen sont nostalgiques de ce type de discours appris à l’Ecole, aussi simple et rassurant que 2+2 font 4. Par ses constantes références à l’Histoire de France, Jean-Marie Le Pen est l’homme politique qui, paradoxalement, tient le discours le plus « républicain  », dans le sens où il est le plus authentiquement fidèle à ce qui était enseigné il y a encore moins de 60 ans dans les écoles laïques, à savoir  : colonisation = oeuvre de civilisation, colonisation = grandeur de la patrie, avec son corollaire implicite : l’ inégalité « évidente » des races.

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Le Pen est ainsi devenu au fil des ans le dernier « instituteur national », capitalisant sur la nostalgie de l’oeuvre civilisatrice de la France « grande et généreuse » et comblant le vide psychologique créé dans la conscience collective par la décolonisation.

Par sa capacité à revendiquer sans complexe toute l’histoire de France, de Jeanne d’Arc à la guerre d’Algérie en passant par Valmy, Le Pen aura donc parfaitement réussi là où précisément un homme de grande qualité intellectuelle et morale comme Chevènement a échoué, faute d’avoir pu assumer l’héritage colonial de la troisième République et son racisme plein de bonne conscience faussement universaliste.

Notes :

(1) « Au pied du moulin de Valmy, le président du Front national a souhaité que la prochaine élection présidentielle soit “un nouveau Valmy”, un sursaut face au risque de “disparition” de la France. “Dans sept mois, il s’agit de vaincre ou périr“, a-t-il lancé.” Soit la France met en déroute les puissances hostiles” qui la menacent, “soit elle abandonne par un simple vote son histoire et son âme aux armées ennemies du libéralisme mondialisé, du communautarisme, de l’immigration sauvage, de la régression”, a déclaré M. Le Pen. » (Le Monde du 22 septembre).

(2) Voir Gilles Manceron, « construction d’un discours scolaire », dans Marianne et les colonies. Une introduction à l’histoire coloniale de la france, éd. La Découverte, 2005.

(3) Ernest Lavisse, Histoire de France, cours élémentaire. Chapitre XXII- LES CONQUÊTES DE LA FRANCE. éd. Armand Colin, 1913.

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