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Le Liban face à Israël

On en parle peu ou pas du tout dans nos grands médias ; pourtant, l’affaire est grave. La découverte de gisements de gaz naturel au large des côtes libanaise et israélienne est devenue une question majeure.

En cause : le gisement de Karish (39,6 milliards de m³ de réserve) revendiqué pour une partie par le Liban. Au début de juin dernier, Israël a fait acheminer sur ce champ une plateforme de forage de la société grecque Energean Power à qui l’État hébreu a attribué l’exploitation de ce champ gazier. Immédiatement, le président libanais Michel Aoun a mis en garde Israël en déclarant que toute activité dans cette zone sera considérée « comme une provocation et un acte hostile ».

Pour une fois, les trois principaux dirigeants actuels sont unis : avec le président Aoun, le Premier ministre, Najib Mikati, et le président du Parlement, Nabih Berri. En 2018, le Liban avait signé un premier contrat de prospection avec un consortium international, comprenant le groupe français Total, l’italien Eni et le russe Novatek. On comprend l’importance de ce gisement gazier pour un Liban exsangue.

Mais si le Liban, avec sa petite armée, ne peut songer à s’opposer à l’armée israélienne, le Hezbollah, lui, en a les moyens. On se souvient qu’en juillet 2006, le Hezbollah a infligé un échec humiliant à l’armée israélienne (Je reviendrai dans un article ultérieur sur cette guerre qui dura du 12 juillet au 14 août 2006).

C’est ainsi que, le 2 juillet dernier, le Hezbollah envoyait, en guise d’avertissement, trois drones de reconnaissance vers la plateforme de Karish[1]. Puis, le 13 juillet, son chef, Hassan Nasrallah, menaçait d’attaquer les infrastructures gazières israéliennes si les opérations d’extraction dans le champ de Karish commençaient.  Le 22 août, le ministre israélien de la Défense, Benny Gantz,  répondait, en menaçant le Liban de « bombardements sans précédents » si le Hezbollah attaquait le champ gazier. Depuis les premiers jours de septembre, le Hezbollah mobilise ses combattants et rappelle ceux qui étaient à l’étranger. L’escalade est donc des plus inquiétantes.[2].

D’autant plus que le forage pourrait démarrer dans quelques semaines ; il couvrirait non seulement la moitié des besoins en gaz de l’économie israélienne, mais répondrait aussi aux appels des Européens qui demandent à Israël d’accroître rapidement ses exportations. Le 15 juin dernier, un protocole d’accord était signé au Caire ; il prévoit l’acheminement du gaz naturel israélien vers l’Egypte, où il sera liquéfié avant d’être expédié en Europe. C’est pourquoi des navires de guerre « européens » – on ignore de quels pays –  se positionnent actuellement près de la plateforme gazière aux côtés de navires de guerre israéliens !

Les négociations en cours

Le Liban et Israël n’entretenant pas de relations diplomatiques depuis la guerre de 2006, des négociations indirectes ont commencé par l’entremise des Etats-Unis à l’automne 2020. L’émissaire américain Amos Hochstein fait la navette entre le Liban et Israël pour trouver un compromis. Il y a dix jours, Hochstein déclarait que le compromis était possible et que cette question était une « priorité essentielle » pour le président Biden ; pourtant, à Beyrouth, il y a trois jours, il admettait qu’il y avait encore du travail à faire pour parvenir à un accord.

Premier geste de bonne volonté : la société Energean Power a annoncé qu’elle reportait de quelques semaines l’extraction du gaz pour Israël à partir du champ de Karish.

Hochstein se serait aussi rendu en France pour rencontrer Macron et la société TotalEnergies qui envisage, elle aussi, d’extraire du gaz à Karish (source : Arabnews) ; mais pour qui ?

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Le Liban a déterminé sa frontière, selon des méthodes scientifiques incontestables, et a abouti au point 23, point sud-ouest de sa zone économique exclusive (ZEE). Quant à Israël, le Liban l’accuse d’avoir tracé une frontière « arbitraire » sans tenir compte du droit international maritime, en partant du point côtier de Ras Naqoura… à 25m à l’intérieur du Liban ; or, projetés en mer, ces quelques mètres créent une zone disputées de 860 km2[3] que la carte ci-jointe met en évidence.

Les semaines qui viennent seront donc décisives. Les Etats-Unis feront-ils pression sur Israël pour éviter un conflit sanglant ou chercheront-ils à profiter d’un conflit pour écraser le Hezbollah qu’ils qualifient, tout comme l’Union européenne, d’organisation « terroriste » ?

Pour Israël, la perspective de nouvelles élections législatives, prévues pour le 1er novembre prochain, incitera-t-elle les politiciens à se lancer dans une nouvelle opération militaire au risque de faire subir à la population israélienne de lourdes pertes ?

Martine Sevegrand

 

[1]    En revanche, le chrétien maronite Samy Gemayel, chef des Phalanges libanaises (Kataeb en arabe), fidèles alliées d’Israël, avait déclaré, le 14 juillet dernier, que le Hezbollah « entraîne le peuple dans une nouvelle aventure dont il paiera le prix sans y consentir ».

[2]    Ajoutons également qu’en renouvelant le mandat de la force internationale appelée la FINUL stationnée au sud du Liban, le Conseil de Sécurité de l’ONU vient de modifier ses conditions d’intervention. Auparavant, la FINUL ne pouvait agir qu’en coordonnant son action avec l’armée libanaise . Désormais elle pourra mener des opérations « de manière indépendante ». Cette modification correspond à la volonté israélienne (et américaine) que la FINUL assume des fonctions de garde-frontière et de surveillance. Il s’agit clairement d’une violation de la souveraineté du Liban. La FINUL sera-t-elle utilisée contre le Hezbollah pour le plus grand profit d’Israël ?

[3]    On lira Paul Khalifeh, « Négociations Liban-Israël : les 25 mètres qui changent tout », Middle East Eye, 29 octobre 2020.

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Un commentaire

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  1. Au point où il en est, le Liban n’a rien à perdre, renoncer à ses droits, que certains qualifieraient de sage compromis n’est-ce pas, est un encouragement à l’hostilité d’une entité politique qui vit mal et corruption au dépens d’autrui. La seule force du Liban, c’est cette armée de volontaires et de vocation que constituent les forces du Hizb-Allah. Du reste, l’Islam n’autorise pas à désarmer les peuples, donc constituer ces entités militaires de volontaires est légitime, légal même, CF les Etats-Unis. Le Liban escompte probablement une dissuasion suffisante pour faire valoir ses droits, que l’entité Sioniste piétinerait sans ambages selon son ordinaire. J’ai lu que cette dissuasion est crédible, dissuasion signifie être et se tenir prêt à subir dommages et pertes, c’est ça la dissuasion, la paix armée. Quant à la paix qui n’est pas armée, on peut la nommer résignation.

    Croissant de lune.

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