in

Le chameau et l’aiguille (1/4)

En lisant attentivement la parabole du chameau et de l’aiguille, il m’est apparu que le chas de l’aiguille symbolise la « porte » de la félicité éternelle ; et le chameau, par définition, n’étant pas d’un caractère particulièrement raffiné (Même si la comparaison avec le caractère humain s’arrête vite, le chameau est un chameau et se contente d’être un chameau, et ne saurait donc se changer en homme qu’on exigeât de sa part qu’il se parât de traits de caractère nobles ; mais à l’inverse, cela est bien connu, l’homme peut, parfois, se comporter comme un vrai chameau….) ; on peut donc penser qu’il symbolise une certaine forme de grossièreté ou de rustrerie de l’âme qui empêcherait l’homme d’accéder à la félicité éternelle.

Dans la parabole évangélique, Jésus recommande à son disciple de se délester de sa richesse. Dans la parabole coranique, il s’agirait de nous défaire de ce que nous possédons de plus précieux au monde : notre Moi.

Mais ces deux sages lignes de conduite, l’une évangélique et l’autre coranique, ne se recouperaient-elles pas en un point de visée identique ? En effet, pour entrer en matière, dans la parabole évangélique, le riche s’adresse à Jésus : « o toi qui es bon… lequel lui répond que… seul Dieu est bon ». C’est la pierre de faîte de cet enseignement de Jésus. Il nous est aujourd’hui difficile, sinon impossible, d’imaginer quel effet ces paroles, émanant d’une âme aussi pure que celle de Jésus, purent avoir sur l’âme de ses disciples. De la part du « fils de l’homme », ce petit « seul Dieu est bon » dut désarmer jusqu’à la fierté du diable. Message sublime : l’homme est certes capable de bonté, mais la bonté ne lui appartient pas : s’il lui arrive d’être bon, c’est par la grâce de Dieu.

Ce préliminaire bien établi, le riche reprend alors sa route en se délestant de sa richesse comme bon lui semble ; son aumône lui fournira peut-être la clé du salut, conscient qu’il est, dorénavant, que sa richesse ne lui appartient pas davantage que sa bonté. Seule la grâce lui permettant d’être bon et généreux lui appartient. Elle lui appartient car – étant de substance divine et éternelle, à la différence de son corps périssable – il ne la rendra jamais à Dieu ; puisque c’est par Sa grâce que le Très-haut le fera survivre en Lui –éternellement.

Lorsque l’homme reconnaît la grâce divine dans ses actions, il perçoit l’éternel au cœur du moment présent, et, à l’instar de Jésus, son cœur réalise de source sûre que « seul Dieu est bon ». Alors le riche va comme un roi, tranquillement en son royaume, dont il ouvre les portes aux mendiants du monde entier… Car Dieu a créé l’homme à son image, infiniment bon et généreux…

Les prophètes et les saints sont les astrolabes du mystère divin : ils réfléchissent la lumière divine dans les ténèbres de l’existence humaine. La lumière est l’élément frontière entre le visible et l’invisible, le matériel et l’immatériel, le temporel et l’éternel ; c’est aussi, et surtout, la frontière entre ce monde et l’autre monde…

Tim Winter observe à propos que pour fin que soit le voile nous séparant de l’autre monde, nous n’avons que trop tendance à l’opacifier en le tapissant de miroirs… (1) Les prophètes et les saints disposent en nous la lumière divine à dessein : la connaissance de soi. Il n’est que d’observer le monde actuel pour s’en rendre compte, la connaissance de soi ne s’enseigne quasiment plus nulle part. C’est pourtant bien une science fondamentale et éminemment expérimentale. Aucun laboratoire, aucune université ne propose le cursus : « connaissance de soi ». On y apprendra à peu près tout ce qu’on voudra, sauf ça. Faire la lumière sur soi-même n’a rien de réjouissant il est vrai.

Et notre culture ne jure que par le bien-être, le souci de soi, l’harmonie… Autant de slogans sans grande signification… On rejette l’introspection et l’examen de conscience comme des pratiques dépassées, de la « haine de soi », des choses trop ennuyantes… La voie prophétique est certes loin d’être une sinécure, mais a-t-on encore le choix ? La « société spectacle » nous impose une culture de la distraction, or, la « haine de soi » qui, pourvu qu’elle soit savamment dosée, compte en effet parmi les principaux ingrédients de l’initiation, est insupportable aux cœurs des modernes car la culture de la distraction ayant progressivement, ces trois derniers siècles, supplanté la culture du souvenir de Dieu, leur civilisation ne leur offre plus de pouvoir compenser la haine de soi par l’amour de Dieu…

L’homme doit se haïr ; bien sûr qu’il le doit. Comprendre : il doit haïr certaines possibilités de soi. Il doit haïr la bête tapie au fond de lui-même. Il doit haïr la haine. Qui se connaît se méprise, qui se méprise est libre, car il est affranchi de l’opinion. Le plus pesant joug est celui de l’orgueil, écrivait Lamennais.

Publicité
Publicité
Publicité

Le joug que les occidentaux ont fait peser et continuent de faire peser sur les peuples qu’ils ont odieusement colonisé est bien celui de leur orgueil. Les riches n’ont plus ressenti le besoin de prendre conseil auprès de celui qui sait avant d’aller par le monde. Ils en savaient bien assez comme ça : le monde avait besoin de leurs lumières, mais, eux, point, puisqu’eux-mêmes, étaient Les Lumières… Ce n’est donc pas le Royaume que les riches ont édifié lors, mais des empires. On pourra toujours nous faire croire qu’ils en ont ouvert grand les portes aux mendiants d’Inde, d’Afrique ou de Cochinchine … Celui qui sait ne le croit pas. L’orgueil est bien ce qui a poussé les occidentaux à aller « offrir  » leurs Lumières aux « sauvages » d’outre-mer. « O toi qui est bon … disait le sauvage au colon qui débarquait dans sa rizière…seul le colon est bon » lui répondait le colon. Seul Dieu nous empêche de nous prendre pour un dieu, nous rappelle aujourd’hui T.J Winter. (2)

Si le colon était allé consulter Jésus dans son cœur avant de parcourir le monde, Jésus lui aurait dit : « seul Dieu est bon ». Rien, en réalité, ne justifie que tu te sentes supérieur à ton prochain, car, le fait est, assurément, je te le dis, que de tout ce que tu possèdes, rien ne t’appartient. Les colons occidentaux grisés par leurs découvertes, fascinés par leur propre génie, ont cru détenir l’exclusivité de l’information scientifique et se sont donc senti le devoir d’aller délivrer les sauvages de la préhistoire.

Peut-être fut-ce inévitable, observe Winter, Les Lumières, après tout, n’ont-elles pas enterré le principe delphique selon lequel pour connaître le monde nous devons préalablement connaître, perfectionner et dépasser soi ? Avant Descartes, Locke et Hume, il était communément admis que la spiritualité constituait le fondement de la connaissance philosophique. Sans amour, discipline initiatique, et compassion envers le prochain ; ou, en d’autres termes, sans une transformation de la subjectivité humaine, la connaissance n’était pas même envisageable.

Les Lumières, toutefois, comme l’avait entrevu Descartes, proposeraient que l’esprit se suffit à lui-même, et que, par suite, le développement moral et spirituel ne serait plus une condition préalable indispensable à l’éminence intellectuelle, non plus qu’il ne fonctionnerait pour façonner la nature de son influence sur la société. On congédiait donc dans un même mouvement l’idée de la nécessité d’une transformation du sujet humain comme prédisposition requise à la recherche intellectuelle, et l’idée classique, commune aux religions et aux Grecs, selon laquelle l’accès à la vérité est en soi un facteur de transformation personnelle. Le relativisme serait désormais en libre service ; et la force de cette nouvelle machine dut très vite s’avérer centrifuge.

Voilà les petites choses que je peux dire à propos de cette parabole dans sa version évangélique…

Notes :

(1) http://www.masud.co.uk/ISLAM/ahm/contentions12.htm ; Le voile qui nous sépare de l’autre monde est aussi fin que possible, mais nous le tapissons de miroirs. Autrement dit, notre tendance à l’amour-propre, à l’égocentrisme, nous rend opaque ce qui est pourtant bien transparent. Au lieu de contempler les réalités divines, ne préfère-t-on pas, le plus souvent, admirer notre petit moi illusoire ?

(2) http://www.masud.co.uk/ISLAM/ahm/contentions13.htm

Publicité
Publicité
Publicité

Laisser un commentaire

Chargement…

0

Nouvelle campagne islamophobe en Suisse

Un élu UMP caricature ” l’accent maghrébin”