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le calendrier musulman pris en étau entre l’astronomie, la théologie, les traditions et la politique (1/4)

« Le soleil et la lune (évoluent) selon un calcul (minutieux). » (Coran, Ar-Rahman, 55 : 5)
« C’est Lui (Dieu) qui a fait du Soleil une clarté et de la Lune une lumière ; il en a déterminé les phases afin que vous connaissiez le nombre des années et le calcul du temps. » (Coran, Yunus, 10 : 5)

 « Le mois de Ramadan est celui au cours duquel le Coran a été révélé pour guider les hommes dans la bonne direction et leur permettre de distinguer la Vérité de l’erreur. Quiconque parmi vous aura pris connaissance de ce mois devra commencer le jeûne… » (Coran, al-Baqara, 2 : 185).

« Les oulémas n’ont pas le monopole d’interprétation de la charia. Evidemment, ils doivent être consultés au premier plan sur les questions de la charia. (Mais) ce ne sont pas eux qui font la loi religieuse, de même que ce ne sont pas les professeurs de droit qui font la loi, mais les parlements. » (Ahmed Khamlichi, Point de vue n° 4)

Introduction

Le Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) a procédé pendant des années à des consultations avec toutes les parties concernées au sujet de la possibilité d’adoption par le CFCM d’un calendrier lunaire basé sur le calcul astronomique. Il estimait que cette méthode de détermination du début des mois lunaires représenterait un net progrès pour la communauté musulmane de France, en substitution à la méthode utilisée jusque-là, qui se basait sur l’observation mensuelle de la nouvelle lune soit en France, soit dans les pays du Maghreb, ou encore dans les pays du Moyen-Orient.
Les faiblesses du calendrier basé sur une observation mensuelle de la lune sont bien connues, et les avantages du calendrier établi à l’avance indéniables. Une décision en ce sens fut prise le 9 mai 2013 et annoncée dans les médias.
Mais, deux mois plus tard, le nouveau Président du CFCM, usant de sa seule autorité, décidait d’ignorer cette décision et de s’appuyer encore une fois sur la méthode d’observation de la nouvelle lune pour annoncer le début du ramadan 1434. Il décalait ainsi d’un jour la date précédemment annoncée par le CFCM, qui était basée sur le calcul, afin d’être en conformité avec les nombreux pays qui démarraient le jeûne sur la base d’une observation de la nouvelle lune effectuée au Moyen-Orient. A la fin du ramadan, il expliquait de nouveau qu’il se basait sur les observations de la nouvelle lune effectuées dans différents pays musulmans « proches de la France » pour déclarer la fin du mois de jeûne 1434 (à la même date, cependant, que celle précédemment obtenue par le calcul).
Si le nouveau Président du CFCM éprouve autant de difficultés à gérer le dossier du calendrier lunaire, c’est parce que ce dernier, derrière une simplicité apparente, traite de questions de fonds d’une grande complexité, relevant des domaines de l’astronomie, de la théologie, des traditions et de la politique. Celles-ci non seulement intéressent au plus haut point les communautés musulmanes de France, mais constituent également des enjeux importants pour différents Etats et communautés du Maghreb et du Moyen-Orient.

Les données astronomiques du calendrier lunaire

Le mois lunaire débute au moment de la « conjonction » mensuelle, quand la Lune se trouve située sur une ligne droite entre la Terre et le Soleil. Le mois est défini comme la durée moyenne d’une rotation de la Lune autour de la Terre (29,53 j environ). La lunaison (période qui s’écoule entre deux conjonctions) varie au sein d’une plage dont les limites sont de 29, 27 j au solstice d’été et de 29,84 j au solstice d’hiver, donnant, pour l’année de 12 mois, une durée moyenne de 354,37 j.

Sur le plan astronomique, les mois lunaires n’ont pas une durée de 30j et de 29j en alternance. Il y a parfois de courtes séries de 29 j suivies de courtes séries de 30 j, comme illustré par la durée en jours des 24 mois lunaires suivants, correspondant à la période 2007-2008 : « 30, 29, 30, 29, 29, 30, 29, 29, 30, 30, 29, 30, 30, 30, 29, 30, 29, 29, 30, 29, 29, 30, 29, 30. »

Cependant, les astronomes ont posé, depuis des millénaires, la convention que des mois de 30 j et de 29 j se succédaient en alternance, ce qui permet de faire correspondre la durée de rotation de la Lune sur deux mois consécutifs à un nombre de jours entiers (59), laissant à peine un petit écart mensuel de 44 mn environ, qui se cumule pour atteindre 24 h (soit l’équivalent d’un jour) en 2,73 ans. Pour solder cet écart, il suffit d’ajouter un jour au dernier mois de l’année, tous les trois ans environ, de la même manière qu’on ajoute un jour tous les quatre ans au calendrier grégorien.

Le calendrier lunaire basé sur le calcul astronomique peut ainsi être établi avec la plus grande précision, sur une base annuelle, longtemps à l’avance, avec des données mensuelles identiques pour l’ensemble de la planète.

Les reproches faits au calendrier musulman basé sur l’observation mensuelle de la nouvelle lune

Un calendrier a pour raison d’être d’associer une date spécifique à chacun des jours d’une semaine, d’un mois ou d’une année donnée, afin de permettre aux hommes de gérer toutes leurs activités sur une longue période. Il doit leur permettre de prévoir, de planifier et d’organiser longtemps à l’avance tout ce qui a besoin de l’être.

Or, les sociétés musulmanes se basent sur l’apparition de la nouvelle lune, à chaque fin de mois lunaire, pour déclarer le début du nouveau mois. Mais, quand le calendrier musulman est basé sur cette méthode, le mois lunaire se retrouve déconnecté de ses fondements conceptuels et méthodologiques astronomiques, ce qui rend caduques les fonctions calendaires.
Car, la nouvelle lune ne devient généralement visible que quelque 18 h après la “conjonction”, et sujet à l’existence de conditions favorables résultant de facteurs tels que le lieu où l’on procède à l’observation ; le nombre d’heures écoulées depuis la conjonction ; les positions relatives du soleil, du croissant lunaire et de l’observateur ; l’angle formé avec le soleil au moment du coucher ; l’altitude de la lune au coucher du soleil ; les conditions d’observation (pollution, humidité, température de l’air, altitude) ; la limite de détection de l’œil humain ; etc…
Si la “conjonction” se produit tôt dans la journée, la nouvelle lune sera peut-être visible, le même soir, après le coucher du soleil, dans des régions déterminées du globe terrestre où des conditions favorables d’observation seront réunies. D’un mois à l’autre, ces conditions favorables existeront dans des sites différents du globe terrestre. Sinon, dès le deuxième soir après la “conjonction”, la nouvelle lune pourra être observée facilement à partir de nombreuses régions du globe.
Les différents Etats et communautés du monde musulman débutent ainsi, souvent, le nouveau mois lunaire en des jours différents, avec un décalage de 24 h les uns par rapport aux autres, au cours des 48 h qui suivent la “conjonction”. Par exemple, le 1er chawwal 1426, jour de célébration de l’aïd el fitr, correspondait au mercredi 2 novembre 2005 dans 2 pays ; au jeudi 3 novembre dans 30 pays ; au vendredi 4 novembre dans 13 pays et au samedi 5 novembre dans 1 pays. Cet état des choses n’est nullement exceptionnel, mais se renouvelle chaque mois.

Il va de soi qu’un calendrier qui dépend chaque mois de l’observation de la nouvelle lune pour démarrer le décompte des jours du mois ne peut être d’aucune utilité pour planifier des activités au-delà du mois en cours, en associant des dates à des jours déterminés. Les difficultés d’utilisation d’un tel calendrier s’aggravent, quand les dates du calendrier sont associées à des jours différents dans différents Etats musulmans.

Par conséquent, nul ne songe, de nos jours, à dater un contrat, à faire des réservations de billets d’avion ou de chambres d’hôtel, ou à programmer une conférence internationale sur la base des données de ce calendrier. Ce dernier a été relégué à une simple fonction protocolaire qu’il assume essentiellement à l’occasion des dates associées à des célébrations religieuses telles que le début ou la fin du mois de jeûne du ramadan ou le début du mois de dhul hijja, au cours duquel se déroule le pélerinage à la Mecque.

Pour gérer toutes leurs activités « séculières », les individus comme les Etats musulmans utilisent, depuis le 19è s. au moins, le calendrier grégorien ou, comme c’est le cas de l’Arabie Saoudite, un calendrier lunaire basé sur le calcul astronomique. Ce dernier remplit parfaitement, en effet, toutes les fonctions qu’on attend d’un calendrier, au même titre que le calendrier grégorien. L’Etat saoudien souligne, cependant, qu’il se base uniquement sur l’observation de la nouvelle lune pour connaître le début des mois associés aux célébrations religieuses.

Faut-il observer soi-même la nouvelle lune à l’oeil nu ou simplement « prendre connaissance » de son apparition ?

Dans l’Arabie pré-islamique, les bédouins étaient habitués à observer la position des étoiles, de nuit, pour se guider dans leurs déplacements à travers le désert. Ils observaient, généralement chacun pour soi, l’apparition de la nouvelle lune qui leur indiquait le début des mois.

Quand les fidèles interrogèrent le Prophète sur la méthode à appliquer pour connaître le début et la fin du mois de ramadan, il leur dit de commencer le jeûne avec l’apparition de la nouvelle lune (au soir du 29è jour du mois de chaâbane) et d’arrêter le jeûne avec l’apparition de la nouvelle lune (du mois de chawwal). « Si le croissant n’est pas visible (à cause des nuages) comptez jusqu’à 30 jours. »

Le Prophète ne faisait donc que les conforter dans leurs habitudes ancestrales.

Bien sûr, le hadith n’impose pas une observation visuelle de la nouvelle lune par chacun des fidèles, avant de commencer le jeûne du ramadan par exemple, mais simplement l’acquisition de l’information que le nouveau mois lunaire a débuté, selon des sources fiables (telles que les autorités du pays, les chefs de la communauté, etc.).

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En effet, le Coran dit simplement : « Le mois de Ramadan est celui au cours duquel le Coran a été révélé pour guider les hommes dans la bonne direction et leur permettre de distinguer la Vérité de l’erreur. Quiconque parmi vous aura pris connaissance de ce mois devra commencer le jeûne… » (Coran 2.185). D’après les exégètes, « l’expression « aura pris connaissance » (traduction du verbe arabe « Chahida ») ne peut être assimilée au verbe « voir » comme le signalent, entre autres, Ragheb Al Isphahani dans son Dictionnaire des mots coraniques et l’imam Fakhr Eddine Arrazi dans son livre de Tafssir.

Il suffit donc pour l’individu de « prendre connaissance » de l’apparition de la nouvelle lune (de source fiable), pour que s’imposent à lui toutes les implications qui en découlent sur le plan concret (telles que commencer ou achever le jeûne…).

C’est d’ailleurs sur ces bases que l’écrasante majorité des musulmans procède depuis 14 siècles puisque, statistiquement parlant, les individus qui sont en mesure, chaque mois, de voir par eux-mêmes la nouvelle lune, à sa première apparition, ne représentent qu’une fraction insignifiante de la population musulmane du monde. En effet, comme il a été indiqué, la nouvelle lune est des plus furtives et difficiles à observer de manière fiable à sa première apparition. Il faut un regard expérimenté et la conjugaison de nombreux facteurs physiques et climatiques favorables pour arriver à l’identifier parmi tous les corps qui parsèment le ciel.

Tout le monde se base donc simplement sur les déclarations des autorités du pays, ou des chefs de la communauté, etc.

A qui s’impose l’information que la nouvelle lune a été observée ?

Les premiers astronomes convertis à l’islam (et dans leur sillage les juristes musulmans) savaient bien que la durée du mois lunaire se situait entre 29 j et 30 j, entre deux « conjonctions », ou entre deux observations de la nouvelle lune, comme le Prophète l’avait souligné dans différents hadiths. En ce qui les concernait, le début du mois et sa durée étaient, évidemment, indépendants de la présence ou de l’absence d’observateurs et des conditions de visibilité.
Par conséquent, la première observation d’une nouvelle lune marquait, sur le plan astronomique, le début du nouveau mois lunaire pour l’ensemble de la Terre, et la durée de tout mois lunaire, entre deux nouvelles lunes, était identique pour toutes les communautés de la planète.
Mais, une fois ces principes posés, encore fallait-il les mettre en œuvre, ce qui n’était guère facile. En effet, une fois la nouvelle lune observée de manière fiable, quelque part, comment cette information serait-elle portée à la connaissance de populations vivant sur de vastes territoires, ou parfois même en des régions très éloignées (comme l’Espagne par rapport à l’Arabie) ? A qui cette information s’imposait-elle avec toutes ses implications (telles que commencer le jeûne, célébrer la fin du ramadan, etc.) ?

Les juristes des premiers temps de l’islam donnèrent un vaste éventail de réponses à ces questions épineuses. On peut en dégager un noyau central de principes fondamentaux, qui continuent d’être d’un grand intérêt aujourd’hui:

(1) L’observation de la nouvelle lune ne peut être prise en compte que par les communautés auxquelles l’information parvient.

(2) L’observation de la nouvelle lune dans un pays d’Orient devrait marquer, sur le plan théorique, le début du nouveau mois pour tous les pays situés à l’ouest du lieu de cette observation. Car, au fur et à mesure que l’âge de la nouvelle lune augmente, entre le moment de sa naissance (à la conjonction) et son premier coucher, la possibilité de l’observer s’améliore dans tous ces pays. Ainsi, en allant d’Est en Ouest, de la Mecque vers Casablanca, par exemple, la nouvelle lune est âgée de 3 h de plus à son coucher au Maroc qu’à son coucher en Arabie Saoudite. Si elle a été aperçue en Arabie, à plus forte raison devrait-elle être visible au Maroc et pouvoir être aperçue, sauf conditions climatiques défavorables.

(3) Une observation de la nouvelle lune doit être considérée comme nulle, lorsqu’elle est rapportée alors que la conjonction n’a pas encore eu lieu.

(4) En règle générale, compte tenu des difficultés de communication entre les communautés musulmanes, sur le plan géographique, en un temps où les dromadaires, les chevaux et les bateaux constituaient les principaux moyens de transport, les habitants de chaque pays doivent appliquer la décision des autorités nationales, concernant le début des mois lunaires.

Aujourd’hui, seul ce dernier principe est scrupuleusement respecté dans le monde musulman. En conséquence, du fait de la multiplicité des Etats et des communautés musulmanes à travers le monde, le même début de mois est, parfois, égrené comme un chapelet, en plusieurs jours successifs, dans différents pays. Il en fut ainsi pour « Aid el fitr » ou 1er chawal 1429, qui fut célébré en 5 jours différents à travers le monde : dans 1 pays le 29 septembre 2008, dans 19 pays le 30 septembre, dans 25 pays le 1er octobre, dans 5 pays le 2 octobre, et dans 1 communauté le 3 octobre 2008.

Un tel dérapage du calendrier musulman est contraire à la Raison. Il ne serait d’ailleurs pas possible, si les trois premiers principes énoncés ci-dessus étaient respectés. C’est la thèse soutenue dès 1965 par Allal el Fassi, un ‘alem de l’université Qarawiyine de Fès et ministre marocain des affaires islamiques, dans un rapport sur « le début des mois lunaires » préparé à la demande du roi Hassan II.

D’après lui, si un consensus islamique pouvait être réalisé autour de l’application des trois premiers principes énoncés ci-dessus, un tel « retour aux sources » pourrait constituer une « voie de progrès » considérable, dans le but d’unifier les dates des célébrations à caractère religieux à travers le monde musulman. En effet, grâce aux technologies modernes de communication, la première observation d’une nouvelle lune où que ce soit sur Terre, confirmée par les autorités musulmanes compétentes du lieu d’observation, pourrait être très rapidement portée à la connaissance des autorités compétentes de tous les Etats et communautés musulmanes de la planète, à charge pour ces dernières de diffuser la nouvelle chacune dans son pays.

Avec les médias modernes, cette diffusion extrêmement rapide de l’information est possible et assurée et, depuis quelques années, le vœu d’Allal el Fassi semble connaître un début de réalisation. Ainsi, au 1er ramadan 1434, plusieurs dizaines de pays ont débuté le mois de jeûne le même jour, en déclarant se baser sur l’annonce faite par l’Arabie Saoudite. Ce faisant, ces pays semblent reconnaître implicitement ou explicitement la validité des deux propositions suivantes:
(1) il existe un seul début de mois lunaire applicable à l’ensemble de la Terre, et donc à l’ensemble du monde musulman ;
(2) aussitôt qu’une information validée par les autorités d’un pays, quel qu’il soit, est transmise par des sources fiables et diffusée à travers les médias du monde entier, ce début de mois s’impose, ou devrait s’imposer, d’après les règles de la charia, à l’ensemble des pays et communautés musulmanes du monde auxquelles il parvient à temps pour qu’ils puissent en tenir compte (pour débuter le jeûne le lendemain, par exemple).
En suivant l’annonce faite par l’Arabie Saoudite, ces Etats et communautés musulmanes, de plus en plus nombreux chaque année, semblent tourner la page sur la procédure séculaire qu’ils ont appliquée jusqu’ici. Ils n’entendent plus débuter ou achever le jeûne du mois de ramadan en toute indépendance, chacun sur la base des observations visuelles de la nouvelle lune qu’il peut ou non effectuer en temps opportun sur son territoire, en fonction de nombreux paramètres physiques et climatiques qui peuvent être favorables à cette observation à certaines périodes de l’année, et défavorables à d’autres.
Ils semblent également mettre de côté les considérations de souveraineté nationale et de politique interne et régionale qui ont empêché jusqu’ici les Etats musulmans de développer un consensus au sujet de l’application généralisée de ce principe fondamental, ne serait-ce qu’à l’occasion du jeûne du ramadan.
En tout état de cause, avec le développement prodigieux des médias et des supports d’information, nul Etat ne peut plus plaider l’ignorance, aujourd’hui, lorsque la première observation de la nouvelle lune est officiellement enregistrée où que ce soit sur Terre.

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