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La charia et les droits de la femme au 21è siècle

Des dispositions nationales différentes en fonction des interprétations

La question des droits de la femme dans les pays musulmans est entourée de paradoxes. L’islam fut un précurseur en matière de libération de la femme, redéfinissant dès le 7è siècle son statut au sein de la société, et lui donnant sa pleine quote-part de droits et de responsabilités. Elle acquit le droit de recevoir un héritage, de gérer librement ses biens et d’accéder au domaine du savoir, entre autres innovations dans sa situation. La charia redéfinit et rééquilibra les rôles respectifs des époux, au sein de la famille, afin que chacun d’eux puisse assumer pleinement les responsabilités qui lui étaient attribuées, et contribuer de manière efficace à l’épanouissement de la cellule familiale et à la consolidation des assises de la communauté.

Les autorités politiques et religieuses des pays musulmans insistent, à cet égard, dans les documents qu’elles soumettent à des organismes internationaux spécialisés, tels que le « Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes » de l’ONU (CEDAW), sur le fait que « le Coran et la Sunna contiennent des règles qui ne souffrent d’aucune ambiguïté en faveur de la non-discrimination entre les hommes et les femmes, visant à s’assurer que les femmes jouissent des mêmes droits et responsabilités (que les hommes), sur une base d’égalité. » Elles ajoutent que « si une femme est victime de discrimination ou d’une injustice, les lois du pays exigent qu’on la rétablisse dans ses droits. »

Néanmoins, en ce début du 21è siècle, les associations féminines opérant dans le domaine des droits des femmes, ainsi que les différents organismes internationaux spécialisés en la matière, estiment que le statut de beaucoup de femmes reste peu enviable, dans de nombreux pays musulmans. Les femmes dont ces associations s’occupent vivent dans des foyers caractérisés par l’oppression, l’exploitation, le mauvais traitement, la menace constante de répudiation, la polygamie, la violence domestique, les « crimes d’honneur », le mariage « misyar », etc. Elles sont, de même, victimes de pratiques discriminatoires sur le lieu de travail, que ce soit au niveau de l’emploi, du statut, du niveau de rémunération et de responsabilités exercées, des promotions, etc., sans parler des cas de harcèlement sexuel.

Ainsi, à l’occasion de la soumission par l’Arabie Saoudite à la CEDAW, en 2007, de son premier rapport sur la condition de la femme en Arabie Saoudite, un groupe de femmes s’identifiant comme « Women for reform » (Femmes pour la Réforme) fit parvenir anonymement à la CEDAW un « shadow-report » (contre-rapport) de 75 pages détaillant toutes les difficultés auxquelles les femmes saoudiennes étaient confrontées, de manière routinière, dans tous les aspects de leur vie quotidienne.

Ce rapport dénonce la ségrégation totale qui existe entre les sexes, et toutes les conséquences négatives qui s’ensuivent pour les femmes, dans tous les aspects de leur vie. « Women for reform » expliquent, avec force détails, que les femmes saoudiennes vivent littéralement « sous tutelle » d’un mâle et, « sans la permission de son « tuteur », une femme ne peut ni étudier, ni accéder aux soins médicaux, ni se marier, ni voyager à l’étranger, ni gérer des affaires, ni faire pratiquement quoi que ce soit de significatif… »

En réponse à ces observations, les autorités politiques et religieuses d’Arabie Saoudite répliquent qu’elles ne font preuve d’aucune discrimination dans leur manière de traiter les femmes. Elles se contentent d’appliquer les règles de la charia. Elles expliquent qu’en appliquant à chacun des deux sexes les règles de la charia qui le concernent, les autorités politiques ne bafouent les droits d’aucun individu, qu’il soit mâle ou femelle. Elles font, tout simplement, preuve d’une conception des droits humains qui est différente de celle des pays occidentaux.

Mais, est-ce vraiment le cas ? On peut se poser honnêtement la question, sur la base des deux exemples suivants. Ils illustrent ce que beaucoup de personnes peuvent considérer comme des abus dont les autorités font preuve, dans certains pays musulmans et dans certaines situations, quand elles confondent ce qui relève, à proprement parler, des coutumes et traditions du pays et ce qui peut être attribué, à juste titre, à la charia.

Par exemple, la charia interdit-elle à la femme de conduire un véhicule, comme l’ont affirmé pendant les deux dernières décennies les autorités politiques saoudiennes, sur la base d’une fatwa du Grand Mufti du pays ? La situation était étonnante, dans la mesure où aucun autre pays musulman n’interdit à la femme de conduire un véhicule. Le raisonnement du Grand Mufti, pour justifier l’interdiction, est également inattendu : en sortant seule dans son véhicule, la femme serait confrontée à toutes sortes de tentations peu recommandables, auxquelles elle risquerait de succomber.

Aujourd’hui, les dirigeants du pays affirment, au plus haut niveau, qu’il s’agit d’une simple « question de société » sans rapport avec la religion, et qui doit être réglée par consensus, dans le cadre de discussions au sein des familles et des groupes sociaux. Mais, à ce jour, et malgré les déclarations de certaines personnalités, les femmes ne sont toujours pas autorisées à obtenir un permis de conduire, parce que des groupes saoudiens puissants s’opposent à toute modification du statu quo.

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La question de la « khulwa », dans certains pays du Moyen Orient, pourrait également relever de ce genre de cas. Les médias internationaux ont rapporté, en février 2008, l’histoire de Yara, une saoudienne de 40 ans, mariée et mère de 3 enfants, cadre supérieur d’une grande société financière, qui fut arrêtée par des membres de la « Commission pour la promotion de la vertu et la prévention du vice », alors qu’elle prenait un café avec un collègue, en public, dans un établissement réputé de la chaîne Starbucks, à Riyad, en attendant le début d’une conférence professionnelle organisée par ses employeurs.

Elle fut détenue pendant plusieurs heures dans une isolation totale, à la prison de Riyad. Son téléphone lui fut confisqué, et elle dut « confesser » par écrit, sous la contrainte, avoir commis la faute de « khulwa », parce qu’elle s’était assise à la même table qu’un homme, sans la présence d’un « mehrem », (c’est-à-dire un proche parent qu’elle ne pouvait pas épouser, chargé de surveiller sa conduite). Un interlocuteur invisible lui répéta comme une litanie, pendant tout son temps de détention, qu’elle était une femme de mauvaise vie.

La faute de « khulwa » est habituellement sanctionnée, dans les pays du Golfe, de 80 à 160 coups de fouet et de 3 à 6 mois de prison ferme. Yara ne put ressortir de prison, et échapper à une telle sanction, que grâce aux interventions de son mari en haut lieu.

Mais, existe-t-il vraiment en droit musulman une faute de « khulwa » sanctionnée par la charia, comme l’affirme le Ministère de la Justice saoudien ? Ou bien s’agit-il de simples coutumes et traditions locales, confondues à tort avec la religion, comme l’affirment les associations de défense des droits des femmes, qui observent qu’il n’existe aucune mention de la « khulwa » dans le Coran, et que de nombreux pays musulmans (comme ceux d’Afrique du Nord) ne font aucune référence à une « infraction » de « khulwa » dans leur application de la charia ?

Les juristes musulmans ne s’étonnent guère de l’existence de pratiques différentes, dans l’application de la charia, d’un pays musulman à l’autre. L’existence officielle de 4 rites différents dans l’islam sunnite (Abu Hanifa, Chafii, Malik, Ibn Hanbal), et d’un rite shiite principal les a habitués à la confrontation, sur de nombreux points de droit, de raisonnements juridiques complexes, aboutissant à des conclusions différentes selon les rites. Ils savent également que, dans chaque pays qui a codifié le droit civil sous forme d’une « moudawwana » nationale, les autorités politiques et religieuses du pays interprètent différentes dispositions de la charia selon leur propre conception des choses, même au sein du même rite.

La comparaison des « moudawwanas » adoptées en Egypte en 2000 et au Maroc en 2004 témoigne, ainsi, des divergences importantes dont les juristes musulmans peuvent faire preuve dans l’interprétation de la charia, même s’agissant de pays musulmans à culture relativement comparable.

Les juristes s’enorgueillissent de cette flexibilité du droit musulman, qu’ils considèrent comme une bénédiction du ciel, et une preuve de sa vitalité et de sa capacité à s’adapter aux besoins de tous les musulmans, en tous temps et en tous lieux.

Les associations féminines musulmanes devraient également se réjouir de cette flexibilité, grâce à laquelle elles peuvent espérer accomplir des progrès considérables dans la protection des droits des femmes dans les pays musulmans, dans le respect aussi bien de la lettre que de l’esprit de la charia.

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